Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 228/2001
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U 228/01 Tn

                       IIIe Chambre

MM. les juges Borella, Président, Meyer et Kernen.
Greffier : M. Berthoud

                   Arrêt du 28 mai 2002

                       dans la cause

P.________, recourant, représenté par Me François Berger,
avocat, rue de l'Hôpital 7, 2000 Neuchâtel,

                          contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents,
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, intimée,

                            et

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

     A.- a) P.________ a travaillé en qualité de fondeur au
service de l'entreprise X.________ et était assuré, à ce
titre, auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en
cas d'accidents (CNA) contre le risque d'accidents profes-
sionnels et non professionnels. Le 29 mai 1995, il a reçu
une éclaboussure de fonte liquide dans l'oeil droit, pro-
voquant une brûlure thermique grave de la cornée. A la

suite de cet accident, il souffre d'une vision monoculaire.
La CNA a pris les suites de cet événement en charge.
     P.________ s'est également annoncé auprès de l'Office
de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel (l'office
AI), qui a procédé à un stage d'évaluation professionnelle.
Au terme de celui-ci, l'office AI a estimé que l'assuré
pourrait travailler en qualité d'ouvrier polyvalent et
effectuer des travaux de perçage, taraudage, vissage et
peinture au pistolet. Ces mesures se sont toutefois soldées
par un échec, l'assuré n'étant apparemment pas motivé à
reprendre le travail (cf. rapport du 8 octobre 1998). Dans
ses évaluations des 20 novembre 1998 et 15 janvier 1999, la
doctoresse A.________, spécialiste en ophtalmologie et mé-
decin conseil de la CNA, a attesté que l'assuré ne subis-
sait aucune diminution de sa capacité de travail dans une
activité adaptée à son handicap, c'est-à-dire dans un
emploi ne présentant pas un danger accru pour l'oeil ou ne
requérant pas une vision stéréoscopique.
     Se fondant sur cet avis médical, la CNA a estimé que
l'assuré pourrait occuper un emploi d'opérateur sur petit
bobinoir (Description du poste de travail [DPT] n° 3174),
d'aide-mécanicien (DPT 1587), d'étampeur (DPT 1740), de
manoeuvre dans le domaine de l'emballage (DPT 1458), d'ou-
vrier de reprise (DPT 1442), d'opérateur au tournage
(DPT 1301), de dégommeur (DPT 1172), et d'ouvrier en meu-
lage-rivage (DPT 1149), activités dans lesquelles l'assuré
pourrait réaliser un gain mensuel de 3600 fr. En comparant
ce salaire à celui de 5600 fr. dont il bénéficiait avant
l'accident, la CNA a ainsi arrêté le taux d'invalidité à
35 %.

     b) Par décision du 13 décembre 1999, la CNA a mis
l'intéressé au bénéfice d'une rente basée sur ce taux d'in-
validité avec effet au 1er janvier 1999; elle a par ail-
leurs fixé le degré de l'atteinte à l'intégrité à 28 %.
     L'assuré s'est opposé à cette décision. Il a fait
observer que son médecin traitant, la doctoresse

B.________, qui est également spécialiste en ophtalmologie,
lui avait déconseillé de travailler en présence de vapeurs
organiques irritantes ou de machines pouvant projeter des
copeaux et des matériaux dans son oeil valide (cf. rapport
du 7 septembre 1998). Il a ajouté que le docteur
C.________, chef de clinique adjoint à l'Hôpital
Y.________, avait insisté sur la nécessité d'un recyclage
dans une activité ne présentant aucun risque pour le deu-
xième oeil (rapport du 13 décembre 1997). En conséquence,
il a demandé qu'une expertise ophtalmologique soit mise en
oeuvre, destinée à déterminer ses possibilités profession-
nelles actuelles. A son avis, il présenterait une incapa-
cité de gain de 50 % au moins.
     Par décision du 12 juillet 2000, la CNA a confirmé sa
position.

     B.- P.________ a recouru contre cette décision sur
opposition devant le Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel, en concluant à ce que sa rente d'invalidité soit
fixée sur la base d'un taux de 50 %.
     Par jugement du 23 mai 2001, la juridiction cantonale
a rejeté le recours.

     C.- L'assuré interjette recours de droit administratif
contre ce jugement dont il demande l'annulation, avec suite
de dépens, en reprenant les conclusions formulées en pre-
mière instance. Il sollicite la mise en oeuvre d'une exper-
tise ophtalmologique destinée à évaluer sa capacité de tra-
vail.
     La CNA conclut au rejet du recours. L'Office fédéral
des assurances sociales renonce à se déterminer.

                  Considérant en droit :

     1.- Le litige porte sur le taux d'invalidité du recou-
rant.

     2.- La juridiction cantonale a exposé correctement les
règles applicables à la solution du litige (art. 18 LAA).
En particulier, elle a rappelé l'étendue des tâches du mé-
decin lorsqu'il s'agit d'évaluer la capacité de travail
d'un assuré (ATF 125 V 261 consid. 4 et les références),
ainsi que les conditions auxquelles la jurisprudence soumet
la valeur probante des rapports des médecins internes à
l'institution d'assurance dans le cadre de la libre appré-
ciation des preuves (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 161
consid. 1c et les références). Il suffit de renvoyer à ses
considérants.
     Nonobstant les critiques de principe que soulève le
recourant au sujet de la valeur probante des rapports des
médecins de l'intimée, la Cour de céans n'entend ni revenir
sur ces principes ni s'en écarter.

     3.- Dans son rapport du 15 janvier 1999, la doctoresse
A.________ a comparé diverses activités lucratives. Elle en
a qualifié plusieurs d'exigibles de la part du recourant,
estimant que ce dernier pourrait exercer à plein temps et
sans subir de gêne un emploi d'opérateur sur petit bobinoir
(DPT n° 3174), d'aide-mécanicien (DPT 1587), d'étampeur
(DPT 1740), de manoeuvre dans le domaine de l'emballage
(DPT 1458), d'ouvrier de reprise (DPT 1442), d'opérateur au
tournage (DPT 1301), de dégommeur (DPT 1172), et d'ouvrier
en meulage-rivage (DPT 1149).
     Contrairement à sa consoeur A.________, la doctoresse
B.________ a répondu de manière lacunaire aux questions qui
lui étaient posées au sujet de l'exigibilité de divers tra-
vaux. S'adressant à la CNA et à l'office AI, elle a indiqué
qu'elle ignorait le genre de travail qui avait exactement
été proposé à son patient à la fonderie (rapport intermé-

diaire du 29 août 1998), en précisant toutefois qu'il
n'était pas recommandé de le laisser boucher des trous et
de percer des pièces (rapport du 7 septembre 1998). Par
ailleurs, elle a déclaré au mandataire du recourant qu'elle
ne pouvait pas se prononcer sur les activités retenues par
la CNA, hormis les travaux d'opérateur au tournage et d'é-
tampeur, dès lors qu'elle ne savait pas en quoi ces tâches
consistaient (rapport du 9 octobre 2000).
     En confrontant ces deux avis médicaux, on constate que
la doctoresse B.________ n'a pas contredit l'appréciation
de sa consoeur A.________ qui avait dûment décrit, à l'ap-
pui d'exemples concrets, des activités qui lui paraissaient
exigibles et d'autres qui ne l'étaient pas.

     4.- a) En l'espèce, il est constant que le recourant
ne peut plus exercer de tâches requérant une vision stéréo-
scopique; les avis des doctoresses A.________ et B.________
concordent à ce sujet. Les prénommées s'accordent également
à dire qu'un emploi de fondeur n'est plus exigible, vu le
risque accru de cécité auquel le recourant serait confronté
en cas de nouvel accident.
     Les appréciations des médecins ne divergent pas à pro-
prement dit sur le degré de la capacité résiduelle de tra-
vail du recourant dans un emploi déterminé, mais sur
l'étendue des risques qu'il est admissible de faire suppor-
ter à leur patient dans l'exercice d'une activité lucra-
tive. A cet égard, le médecin traitant estime que les em-
plois retenus par la CNA ne sont pas exigibles de la part
du recourant, car des vapeurs et des matériaux pourraient
entrer en contact avec son oeil valide; le docteur
C.________ partage le même avis lorsqu'il propose une
activité ne présentant aucun risque pour l'oeil gauche.

     b) En assurance-chômage, n'est pas réputé convenable,
et, par conséquent, est exclu de l'obligation d'être accep-
té, tout travail qui ne convient pas à l'âge, à la situa-
tion personnelle ou à l'état de santé de l'assuré (art. 16

al. 2 let. c LACI). A fortiori, une activité qui est rai-
sonnablement exigible selon les critères de l'assurance-
chômage l'est également dans les domaines de l'assurance-
accidents et de l'assurance-invalidité (par analogie :
arrêt non publié R. du 12 octobre 1999, C 202/99).
     Le principe de l'obligation de réduire le dommage (cf.
ATF 123 V 233 consid. 3c, 117 V 278 consid. 2b, 400 et les
arrêts cités; Riemer-Kafka, Die Pflicht zur Selbstverant-
wortung, Fribourg 1999, p. 57, 551 et 572; Landolt, Das
Zumutbarkeitsprinzip im schweizerischen Sozialversiche-
rungsrecht, thèse Zurich 1995, p. 61) commande à un assuré
de mettre sa capacité de gain résiduelle à profit en accom-
plissant une activité lucrative compatible avec son état de
santé. Sous peine de vider ce principe général du droit des
assurances sociales de son sens, un assuré ne saurait se
soustraire à cette obligation pour le seul motif qu'un
accident de travail serait susceptible de mettre sa santé
en péril.

     c) Il convient en conséquence de déterminer si les
activités que la CNA a retenues pour évaluer le salaire
d'invalide (voir les DPT versées au dossier) étaient exigi-
bles de la part du recourant, ce que ce dernier conteste.
Une expertise ophtalmologique apparaît à cet égard super-
flue, dès lors que le dossier médical est suffisamment
documenté sur la nature de l'affection oculaire et qu'il
s'agit en définitive de trancher un point de droit, savoir
de décider si les emplois dont il a été tenu compte pour
comparer les revenus (cf. art. 18 al. 2 LAA) étaient ou non
convenables et, partant, exigibles.
     Les emplois décrits par la CNA dans ses DPT sont cer-
tes, par essence, tous susceptibles de porter atteinte à la
santé des travailleurs qui les exercent. Toutefois, ces
activités ne présentent pas un danger accru pour l'oeil
gauche du recourant, dans une mesure qui les rendraient
incompatibles avec son état de santé et partant non-exi-
gibles de sa part, à l'instar d'un travail de fondeur (voir

le rapport de la doctoresse A.________ du 15 janvier 1999,
commentant l'exigibilité de diverses professions). Au
demeurant, le recourant peut réduire le risque de blessures
en portant des lunettes de protection sur son lieu de tra-
vail.

     5.- A la lumière des données salariales ressortant de
ses DPT, la CNA a arrêté le salaire mensuel d'invalide du
recourant à 3600 fr. par mois. Contrairement à ce que ce
dernier laisse entendre, pareille appréciation n'apparaît
nullement critiquable. En effet, en se fondant sur les
salaires statistiques figurant dans l'enquête suisse sur la
structure des salaires 1998 (cf. ATF 124 V 321), table TA1,
niveau 4 pour hommes, le salaire déterminant serait de
4268 fr.; or même en opérant une déduction globale (cf. ATF
126 V 75) de 15 %, appropriée en l'espèce, le salaire d'in-
valide resterait supérieur à celui de 3600 fr. que l'inti-
mée a pris en considération. En revanche, le salaire men-
suel de 2500 fr. que le recourant voudrait faire prendre en
compte n'est pas documenté.
     Le revenu d'assuré valide (5600 fr.) est admis par les
parties.
     Il s'ensuit que la décision litigieuse et le jugement
attaqué sont en tous points conformes au droit fédéral,
dans la mesure où le degré d'invalidité du recourant y a
été fixé à 35 % (art. 18 LAA).

    Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances

                     p r o n o n c e :

  I. Le recours est rejeté.

 II. Il n'est pas perçu de frais de justice.

III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tri-
     bunal administratif du canton de Neuchâtel et à l'Of-
     fice fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 28 mai 2002

                                      Au nom du
                           Tribunal fédéral des assurances
                          Le Président de la IIIe Chambre :

                                    Le Greffier :