Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.20/2001
Zurück zum Index Kassationshof in Strafsachen 2001
Retour à l'indice Kassationshof in Strafsachen 2001


6P.20/2001/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                      25 avril 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges.  Greffier: M. Denys.
                     ______________

      Statuant sur le recours de droit public
                        formé par

X.________, représenté par Me Jacques Haldy, avocat à
Lausanne,

                         contre

l'arrêt rendu le 29 juin 2000 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois dans la cause qui
oppose le recourant au Ministère public du canton de
V a u d;

            (arbitraire; frais d'interprète)

      Vu les pièces du dossier d'où ressortent
              les   f a i t s   suivants :

      A.-  Par jugement du 20 avril 2000, le Tribunal
correctionnel du district d'Yverdon a reconnu X.________,
requérant d'asile albanais né en 1979, coupable d'in-
fraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants
(art. 19 ch. 2 lettres a et b LStup) et l'a condamné à
sept ans de réclusion. En substance, le tribunal a retenu
qu'en mars et avril 1998, X.________ avait participé à la
préparation de sachets d'héroïne et surveillé à distance
le transport de la drogue par Y.________, un enfant de
douze ans, jusqu'à de petits grossistes et vendeurs de
rue, qu'il avait lui-même vendu de l'héroïne et que ses
agissements avaient porté sur plus de deux kilos et demi
d'héroïne d'un taux de pureté de 20%.

      B.-  Par arrêt du 29 juin 2000, la Cour de cassa-
tion pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le
recours interjeté par X.________.

      C.-  Celui-ci forme un recours de droit public au
Tribunal fédéral contre cet arrêt. Il conclut à l'annula-
tion de la décision attaquée et sollicite par ailleurs
l'assistance judiciaire.

      La Cour de cassation vaudoise se réfère à son arrêt
et le Ministère public conclut à l'admission partielle du
recours en ce qu'il touche les frais de traducteur.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

      1.- a) Le recours de droit public au Tribunal
fédéral est ouvert contre une décision cantonale pour
violation des droits constitutionnels des citoyens (art.
84 al. 1 lettre a OJ). Il n'est en revanche pas ouvert
pour se plaindre d'une violation du droit fédéral, qui
peut donner lieu à un pourvoi en nullité (art. 269 al. 1
PPF); un tel grief ne peut donc pas être invoqué dans le
cadre d'un recours de droit public, qui est subsidiaire
(art. 84 al. 2 OJ; art. 269 al. 2 PPF).

      b) En vertu de l'art. 90 al. 1 lettre b OJ, l'acte
de recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir un
exposé succinct des droits constitutionnels ou des prin-
cipes juridiques violés et préciser en quoi consiste la
violation. Saisi d'un recours de droit public, le Tri-
bunal fédéral n'a donc pas à vérifier de lui-même si la
décision attaquée est en tous points conforme au droit ou
à l'équité; il est lié par les moyens invoqués dans le
recours et peut se prononcer uniquement sur les griefs de
nature constitutionnelle que le recourant a non seulement
invoqués, mais suffisamment motivés (ATF 125 I 71 consid.
1c p. 76; 122 I 70 consid. 1c p. 73). Le Tribunal fédéral
n'entre pas non plus en matière sur les critiques de
nature appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495).

      2.-  Le recourant s'en prend aux déclarations de
l'enfant Y.________, qui ont permis de fixer la quantité
d'héroïne trafiquée mise à sa charge.

      a) Dans sa motivation, le recourant ne précise pas
quel droit constitutionnel aurait été violé ni ne tente
de démontrer, et pour cause, en quoi consisterait la

violation. Certes, en introduction de son recours, il
énumère diverses normes constitutionnelles et convention-
nelles. Cependant, cette simple énumération, à défaut de
tout développement se rapportant aux normes mentionnées,
ne satisfait pas aux exigences minimales de l'art. 90
al. 1 lettre b OJ. Le grief est irrecevable.

      b) Au demeurant, dans la mesure où son argumenta-
tion peut être saisie, le recourant paraît soutenir que
seule une confiance limitée peut être accordée aux
affirmations de l'enfant. Sa critique revient en réalité
à s'en prendre à l'appréciation de ce témoignage, autre-
ment dit à l'appréciation des preuves, que le Tribunal
fédéral ne revoit que sous l'angle de l'arbitraire,
également dans la mesure où l'appréciation des preuves
est critiquée en référence avec la présomption d'inno-
cence (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38).

      Selon le recourant, si les quantités d'héroïne
articulées par l'enfant Y.________ étaient correctes, la
police aurait saisi un solde de 1'940 grammes. Or, elle
n'en a trouvé que 100 grammes. Il en déduit que les
quantités données par l'enfant sont trop élevées. Dans ce
cadre, complétant l'état de fait retenu par l'autorité
cantonale, il relève que l'enfant était le seul convoyeur
et que le réseau n'avait pas d'activités parallèles et
considère ainsi qu'il n'existe pas d'explication ration-
nelle à cette différence de 1'840 grammes.

      Comme l'a déjà relevé la cour cantonale saisie
d'une critique similaire, le recourant part du postulat
erroné que l'enfant a assisté à l'entier des transac-
tions. Or, le recourant - dont la motivation est large-
ment appellatoire, partant, irrecevable - ne démontre pas
qu'il y aurait eu à cet égard une constatation arbitraire
des faits et que l'autorité cantonale aurait au contraire

dû retenir la présence de l'enfant lors de toutes les
transactions. La différence de 1'840 grammes relevée
n'exclut ainsi pas de prêter foi aux affirmations de
Y.________ aussi pour ce qui concerne les quantités de
drogue.

      3.-  Le recourant se plaint d'une violation des
art. 6 par. 3 lettre e et 57 CEDH du fait que les frais
de traducteur ont été mis à sa charge. Il soutient que la
réserve émise par la Suisse au sujet de la libération
définitive des frais d'interprète n'est pas conforme à
l'art. 57 CEDH.

      a) L'art. 6 par. 3 lettre e CEDH reconnaît à
l'accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue
employée à l'audience de se faire assister gratuitement
d'un interprète. Le mot "gratuitement" signifie non pas
une remise sous condition ou une exemption temporaire ou
une suspension, dans le sens d'une libération d'avancer
les frais, mais une dispense ou une exonération défini-
tive. Cette garantie comporte pour quiconque, quelle que
soit sa situation financière, ne parle ou ne comprend pas
la langue employée à l'audience, le droit d'être assisté
gratuitement d'un interprète sans qu'on puisse lui récla-
mer après coup le paiement des frais résultant de cette
assistance, et cela pour tous les actes de la procédure
engagée contre lui (ATF 106 Ia 214 consid. 4b p. 217).

      Lorsque la Suisse a ratifié la Convention, la
gratuité de l'assistance d'un interprète n'était pas
expressément reconnue en droit suisse où, le plus
souvent, l'indemnité versée à l'interprète suivait les
frais de la cause et pouvait être mise à la charge du
condamné. Cette situation a amené le Conseil fédéral à
émettre la déclaration interprétative qui suit:

      "Le Conseil fédéral suisse déclare interpréter la
garantie de la gratuité de l'assistance d'un avocat d'of-
fice et d'un interprète figurant à l'article 6 par. 3
litt. c et e de la convention comme ne libérant pas défi-
nitivement le bénéficiaire du paiement des frais qui en
résultent" (Arrêté fédéral du 3 octobre 1974 approuvant
la CEDH, RO 1974 II 2148).

      L'art. 57 CEDH (anciennement art. 64, cf. art. 2
par. 1 du protocole n° 11 à la CEDH du 11 mai 1994 [RS
0.101.09]) prévoit que les Etats parties à la Convention
ont la possibilité de formuler une réserve; il est ainsi
libellé:

      "1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la
présente Convention ou du dépôt de son instrument de
ratification, formuler une réserve au sujet d'une
disposition particulière de la Convention, dans la mesure
où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas
conforme à cette disposition. Les réserves de caractère
général ne sont pas autorisées aux termes du présent
article.

      2. Toute réserve émise conformément au présent
article comporte un bref exposé de la loi en cause."

      b) Le 30 avril 1980, le Tribunal fédéral a jugé
que, même si le Conseil fédéral n'avait pas fait de
réserve proprement dite, sa déclaration interprétative
relative à l'art. 6 par. 3 lettre e CEDH respectait les
conditions de forme de l'art. 57 CEDH (alors l'art. 64)
et avait donc les mêmes effets qu'une réserve proprement
dite (ATF 106 Ia 214 consid. 4 p. 215 ss).

      Toutefois, dans un arrêt ultérieur du 17 décembre
1991 (non publié mais reproduit dans la Revue universelle
des droits de l'homme, RUDH, 1992, p. 179/180), le Tribu-
nal fédéral, sans trancher la question, a mis en doute
que la déclaration interprétative émise à propos de
l'art. 6 par. 3 lettre e CEDH respectât les conditions
formelles de l'art. 57 par. 2 CEDH (alors l'art. 64

par. 2). Dans la mesure où ladite déclaration ne compor-
tait pas un bref exposé des lois que la Suisse avait
ainsi entendu mettre à l'abri des exigences convention-
nelles, la solution retenue à l'arrêt publié aux ATF 106
Ia 214 n'était peut-être plus conforme à la dernière ju-
risprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
(soit les arrêts Belilos c. Suisse du 29 avril 1988
[Série A, vol. 132, par. 58/59] et Weber c. Suisse du
22 mai 1990 [Série A, vol. 177, par. 38]), laquelle
précisait que l'art. 57 par. 2 CEDH imposait non seule-
ment une exigence de forme mais édictait une condition
de fond visant clairement à limiter l'étendue des
réserves faites par les Etats parties à la Convention
au moment de leur adhésion. Ainsi, selon le Tribunal
fédéral, il n'était pas exclu qu'une lecture dynamique
de cette jurisprudence conduise à la conclusion que la
réserve faite par la Suisse n'était pas suffisamment
claire au regard de l'art. 57 par. 2 CEDH.

      Ces hésitations sont partagées en doctrine (cf.
Arthur Haefliger / Frank Schürmann, Die Europäische
Menschenrechtskonvention und die Schweiz, 2e éd., Berne
1999, p. 238 in fine; Mark E. Villiger, Handbuch der
Europäischen Menschenrechtskonvention, 2e éd., Zurich
1999, n. 46 p. 32). D'aucuns affirment même l'invalidité
de la déclaration interprétative (cf. Niklaus Schmid,
Strafprozessrecht, 3e éd.,  Zurich 1997, n. 1201 p. 369;
Gérard Piquerez, Procédure pénale suisse, Zurich 2000,
n. 1238 p. 275/276).

      c) Par message du 24 mars 1999 concernant le re-
trait des réserves et déclarations interprétatives de la
Suisse à l'art. 6 de la Convention européenne des droits
de l'homme (FF 1999 p. 3350), le Conseil fédéral a
proposé aux Chambres fédérales de retirer, entre autres,
la déclaration relative à l'assistance gratuite d'un
interprète, car il fallait partir de l'idée qu'elle
n'était pas conforme aux exigences de l'art. 57 CEDH
(message ch. 241). Le Conseil national et le Conseil des
Etats ont adopté cet arrêté les 7 octobre 1999 et 8 mars
2000 (cf. FF 2000 p. 2140).

      Le 24 août 2000, le Conseil fédéral a indiqué au
Conseil de l'Europe qu'il retirait ses réserves et
déclarations interprétatives relatives à l'art. 6 CEDH.
Le Conseil de l'Europe a formellement enregistré ce
retrait le 29 août 2000. A partir de cette date, la
déclaration interprétative ici en cause était donc
retirée, indépendamment du fait qu'une publication au
Recueil officiel des lois fédérales ne soit pas encore
intervenue, ce qui n'est d'ailleurs toujours pas le cas.
Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe a notifié le
retrait aux Etats parties à la Convention le 20 octobre
2000.

      d) La décision attaquée a été rendue le 29 juin
2000, soit deux mois avant le retrait de la déclaration
interprétative relative à l'assistance gratuite d'un
interprète. Cette déclaration était alors formellement
encore en vigueur. Toutefois, au vu de la jurisprudence
et de la doctrine précitées ainsi que de l'avis du
Conseil fédéral ultérieur partagé par les Chambres
fédérales, il y a lieu d'admettre que cette réserve
n'était pas valable. Le grief est donc fondé.

      e) En relation avec la mise à sa charge des frais
d'interprète, le recourant se plaint également d'une
violation de l'art. 8 Cst. garantissant l'égalité devant
la loi, de l'art. 29 al. 2 Cst. garantissant le droit
d'être entendu, ainsi que de l'art. 5 lettre a de la
Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965

(RS 0.104) garantissant un traitement égal devant les
tribunaux. Ces griefs sont sans objet à la suite de
l'admission du grief tiré d'une violation de l'art. 6
par. 3 lettre e CEDH.

      4.-  Vu l'issue du recours, il n'y a pas lieu de
percevoir de frais. Une indemnité sera allouée au man-
dataire du recourant à la charge du canton de Vaud. La
requête d'assistance judiciaire n'a ainsi plus de raison
d'être.

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

      1. Admet partiellement le recours, annule l'arrêt
attaqué pour ce qui concerne les frais d'interprète mis à
la charge du recourant et renvoie la cause à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.

      2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

      3. Dit que le canton de Vaud versera une indemnité
de 2'000 francs à Me Haldy, mandataire du recourant.

      4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud
et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois.
                       __________

Lausanne, le 25 avril 2001

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      Le Greffier,