Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.111/2001
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6P.111/2001/ROD
6S.478/2001

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                      28 août 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et Mme Escher,
Juges. Greffier: M. Denys.
                     ______________

     Statuant sur le recours de droit public et sur
                le pourvoi en nullité
                        formés par

X.________, représenté par Me Ivan Zender, avocat à La
Chaux-de-Fonds,

                         contre

l'arrêt rendu le 11 juin 2001 par la Chambre d'accusation
du Tribunal cantonal du canton du Jura dans la cause qui
oppose le recourant à Y.________, représenté par Me Alain
Steullet, avocat à Delémont;

      (abus d'autorité; procédure pénale; non-lieu)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

      A.-  Dans le cadre d'une procédure de mesures
protectrices de l'union conjugale opposant les époux
X.________, Y.________, en sa qualité de président de
tribunal, a ordonné au mari de quitter le domicile
conjugal jusqu'au vendredi 4 décembre 1998 à 12 heures,
en l'informant notamment des conséquences en cas
d'inexécution (art. 292 CP et 396 du Code de procédure
civile jurassien). A la suite d'un avis de l'avocate de
l'épouse selon lequel X.________ n'avait pas quitté le
domicile conjugal, Y.________ a procédé à l'arrestation
de ce dernier et à son incarcération du vendredi
après-midi 4 décembre au lundi 7 décembre 1998.

      Les 23/24 février 2000, X.________ a déposé plainte
pénale contre Y.________ pour abus d'autorité au sens de
l'art. 312 CP. Il a réservé ses droits civils.

      B.-  Par ordonnances concordantes des 19 et 20 fé-
vrier 2001, la Juge d'instruction et le Procureur général
chargés du dossier ont prononcé un non-lieu.

      Par arrêt du 11 juin 2001, la Chambre d'accusation
du Tribunal cantonal jurassien a rejeté le recours
de X.________.

      C.-  Ce dernier forme un pourvoi en nullité et un
recours de droit public au Tribunal fédéral contre cet
arrêt. Il sollicite l'assistance judiciaire.

      La Chambre d'accusation du Tribunal cantonal juras-
sien conclut au rejet du recours de droit public et du
pourvoi en nullité en tant que recevables. Elle relève
notamment qu'une procédure concernant l'indemnisation par
le canton du Jura de X.________ pour la détention subie
est actuellement pendante, celui-ci ayant recouru contre
une ordonnance du 19 février 2001 lui octroyant 500
francs.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

      1.-  Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF
126 IV 107 consid. 1 p. 109; 126 I 81 consid. 1 p. 83).
La question de savoir si le recourant est une victime au
sens de l'art. 2 de la loi fédérale sur l'aide aux vic-
times d'infractions (LAVI; RS 312.5) et peut ainsi se
prévaloir de l'art. 8 al. 1 let. c LAVI influe sur la
recevabilité du pourvoi en nullité ainsi que sur le
cercle des griefs recevables dans le recours de droit
public. Il se justifie donc de déroger à l'art. 275
al. 5 PPF et d'examiner le pourvoi en premier lieu.

      I. Pourvoi en nullité

      2.-  En vertu de l'art. 270 let. e ch. 1 PPF, entré
en vigueur le 1er janvier 2001 (RO 2000 III 2721 et
2723), la victime d'une infraction au sens de l'art. 2
LAVI, si elle était déjà partie à la procédure cantonale,
peut se pourvoir en nullité, mais, conformément à l'art.
8 al. 1 let. c LAVI, uniquement dans la mesure où la
sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des
incidences sur le jugement de celles-ci.

      a) Le recourant prétend que l'intimé se serait ren-
du coupable d'abus d'autorité (art. 312 CP). S'agissant
d'une infraction dirigée non pas contre la vie et l'inté-
grité corporelle, mais contre les devoirs de fonction et
les devoirs professionnels, la qualité de victime ne
pourrait lui être reconnue que si cette infraction
l'avait directement atteint dans son intégrité physique
ou psychique. Selon le recourant, son arrestation et son
incarcération l'auraient profondément marqué psychique-
ment au point de provoquer une incapacité totale de tra-
vail jusqu'au 27 décembre 1998 et de le perturber encore
aujourd'hui. De la sorte, le recourant introduit des
faits non constatés dans l'arrêt attaqué, ce qu'il n'est
pas habilité à faire dans un pourvoi (cf. art. 273 al. 1
let. b PPF). L'état de fait définitivement arrêté par
l'autorité cantonale lie le Tribunal fédéral et lui sert
de base pour déterminer si le recourant revêt ou non la
qualité de victime (ATF 126 IV 147 consid. 1 p. 149). En
l'espèce, il n'a pas été constaté en fait que le recou-
rant avait été atteint dans son intégrité psychique ou
physique. Il ne peut donc pas être considéré comme une
victime au sens de l'art. 2 LAVI. Pour ce motif déjà, le
pourvoi est irrecevable.

      b) Il est également irrecevable à un autre titre.
Le recourant reproche à l'intimé de l'avoir illégalement
fait incarcérer. Il s'en donc prend à l'intimé en raison
du comportement adopté par celui-ci dans son activité de
magistrat. Il ressort de la jurisprudence rendue dans le
cadre de l'ancien art. 270 PPF mais qui garde toute sa
portée avec le nouvel art. 270 let. e ch. 1 PPF que,
lorsque la réglementation cantonale prévoit que le canton
répond seul du dommage causé par ses fonctionnaires dans
l'exercice de leur fonction, la victime n'a qu'une
créance fondée sur le droit public cantonal et ne peut
pas présenter de prétentions civiles découlant du droit
privé contre le fonctionnaire réputé fautif et, dans ces
conditions, n'a pas qualité pour former un pourvoi en
nullité (ATF 125 IV 161 consid. 2 et 3 p. 163/164; cf.
également arrêt non publié du 14 décembre 2000 [cause
6S.753/2000] mais reproduit dans la SJ 2001 I p. 177).

      Autrement dit, eu égard à un agent public cantonal
réputé avoir commis une infraction dans le cadre de son
activité professionnelle, il convient systématiquement de
se demander comment le droit public topique régit la res-
ponsabilité patrimoniale; si la réglementation en cause
institue une responsabilité primaire de la personne mo-
rale de droit public pour le préjudice causé aux tiers
par ses agents, la victime d'une infraction reprochée à
l'agent est dépourvue de toute action directe contre ce
dernier, de sorte que, faute de prétentions civiles, elle
ne remplit pas les exigences posées par l'art. 270 let. e
ch. 1 PPF. Dans la mesure où la responsabilité d'un agent
public fondée sur le droit privé fédéral est quelque
chose d'exceptionnel et où les cantons ont en principe
institué des régimes de responsabilité exclusive de la
collectivité publique (cf. Pierre Moor/Denis Piotet, La
responsabilité des cantons à raison d'actes illicites:
Droit public ou droit privé ? in Schweizerisches

Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht, 1996,
p. 481 ss, spéc. 484 in initio et 486), il y a lieu
d'exiger du recourant qu'il indique précisément dans son
pourvoi quelles conclusions civiles fondées sur le droit
privé fédéral il serait en mesure de prendre dans la
procédure pénale contre l'agent public.

      En l'espèce, le recourant ne fournit aucune indi-
cation sur les prétentions résultant du droit privé qu'il
pourrait articuler. L'art. 57 de la Constitution juras-
sienne (RS 131.235) prévoit que l'Etat et les communes
répondent du dommage qu'autorités et fonctionnaires
causent, sans droit, dans l'exercice de leurs fonctions.
L'art. 27 de la loi sur le statut des magistrats, fonc-
tionnaires et employés de la République et Canton du
Jura (Recueil systématique jurassien 173.11) dispose que
l'Etat répond du dommage causé sans droit à un tiers par
un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions (al. 1)
et que le lésé n'a aucune action envers le fonctionnaire
fautif (al. 2). Cette disposition s'applique à la charge
de magistrat occupée par l'intimé (cf. art. 1 de la loi).
Par ailleurs, d'après les observations de la Chambre
d'accusation, une procédure concernant l'indemnisation
par le canton du Jura du recourant pour la détention
subie est pendante. Aussi, le recourant ne dispose-t-il
contre l'intimé d'aucune action civile qu'il pourrait
faire valoir dans le cadre du procès pénal. Il n'a pas
qualité pour former un pourvoi en nullité.

      III. Recours de droit public

      3.-  Ainsi que cela résulte du considérant précé-
dent, non seulement le recourant n'est pas une victime au

sens de l'art. 2 LAVI - il ne soutient pas dans son re-
cours de droit public que c'est arbitrairement que
l'autorité cantonale aurait omis de constater l'atteinte
invoquée à son intégrité psychique - mais encore est
dépourvu de prétentions civiles contre l'intimé. Le
recourant ne peut donc fonder sa qualité pour recourir
directement sur l'art. 8 al. 1 let. c LAVI. Il ne peut
agir par la voie du recours de droit public qu'en vertu
de l'art. 88 OJ. De jurisprudence constante, celui qui se
prétend lésé par un acte délictueux n'a pas qualité pour
recourir au sens de l'art. 88 OJ contre une décision de
classement, de non-lieu ou d'acquittement au motif que
l'action pénale appartient exclusivement à l'Etat (ATF 69
I 17; 121 IV 317 consid. 3b p. 324). Il est néanmoins
habilité à invoquer la violation de règles de procédure
destinées à sa protection, équivalant à un déni de jus-
tice formel (ATF 121 IV 317 consid. 3b p. 324 et les
arrêts cités). Dans ce cadre, il peut, par exemple, faire
valoir que son recours a été déclaré à tort irrecevable,
qu'il n'a pas été entendu, qu'on ne lui a pas donné l'oc-
casion de présenter ses moyens de preuve ou qu'il n'a pas
pu prendre connaissance du dossier. Il ne saurait en re-
vanche se plaindre ni de l'appréciation des preuves, ni
du rejet de ses propositions si l'autorité retient que
les preuves offertes sont impropres à ébranler sa convic-
tion. En effet, une telle décision, fondée sur une appré-
ciation anticipée des preuves, ne porte pas sur les
droits procéduraux du lésé mais sur la constatation des
faits (ATF 120 Ia 220 consid. 2a p. 222, 227 consid. 1
p. 230 et les arrêts cités). De même, celui-ci ne peut
soutenir que la décision attaquée serait insuffisamment
motivée ou que les arguments développés dans son recours
auraient été insuffisamment réfutés. De tels griefs ne
peuvent en effet être séparés de l'examen du fond, de
sorte que celui qui n'a pas qualité pour recourir au

fond ne peut pas les invoquer (ATF 117 Ia 90 consid. 4a
p. 95).

      En l'espèce, le recourant ne se plaint pas d'une
violation de ses droits procéduraux mais invoque unique-
ment l'arbitraire dans la constatation des faits et l'ap-
préciation des preuves à propos d'un témoignage. Une
telle critique est irrecevable. Dès lors que le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel
valablement soulevé devant lui (ATF 125 I 71 consid. 1c
p. 76) et que le recourant ne soulève aucun grief qu'il
est habilité à invoquer, le recours de droit public est
irrecevable.

      III. Frais

      4.-  Le pourvoi en nullité et le recours de droit
public sont irrecevables. Comme tous deux étaient
d'emblée dépourvus de chances de succès, l'assistance
judiciaire est refusée (art. 152 al. 1 OJ). Succombant,
le recourant doit supporter les frais judiciaires (art.
278 al. 1 PPF; art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu
d'allouer d'indemnité à l'intimé qui n'a pas eu à inter-
venir dans la procédure devant le Tribunal fédéral.

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

      1. Déclare le pourvoi irrecevable.

      2. Déclare le recours de droit public irrecevable.

      3. Rejette la requête d'assistance judiciaire.

      4. Met un émolument judiciaire de 1'500 francs à la
charge du recourant.

      5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Procureur général du canton du
Jura et à la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal
jurassien.
                       __________

Lausanne, le 28 août 2001

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      Le Greffier,