Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6P.101/2001
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6P.101/2001/ROD
6S.448/2001

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                    28 novembre 2001

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président,
MM. Wiprächtiger et Kolly, Juges. Greffière: Mme Revey.

Statuant sur le recours de droit public et le pourvoi en
                   nullité formés par

X.________, représentée par Me Nicolas Perret, avocat à
Carouge,

                         contre

l'arrêt rendu le 28 mai 2001 par la Chambre pénale de la
Cour de justice genevoise, dans la cause qui oppose la re-
courante au Procureur général du canton de   G e n è v e;

  (art. 159 et 172 CP: détournement de retenues sur les
   salaires, culpabilité de la "personne de paille")

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

      A.-  Par jugement du 17 octobre 2000, le Tribunal
de police du canton de Genève a condamné X.________ à une
amende de 2'000 fr. pour infraction à l'art. 159 CP. Il
lui reprochait d'avoir, en sa qualité d'associée gérante
de la société en nom collectif "S.________ - clôtures-
serrurerie", déduit sur les salaires versés à l'ouvrier
F.________ des cotisations destinées à une assurance
maladie couvrant la perte de gain, durant la période
allant de mars à novembre 1998, sans toutefois payer ces
montants à l'assureur.

      B.-  Statuant sur recours de X.________ le 28 mai
2001, la Chambre pénale de la Cour de justice du canton
de Genève (ci-après: la Chambre pénale) a confirmé ce
prononcé. Elle retenait en substance les faits suivants:

      B.________ exploitait à Genève une entreprise
individuelle de clôtures-serrurerie. Ses collaborateurs
comptaient son fils C.________, sa fille X.________, qui
assurait des tâches de secrétaire-réceptionniste, et
l'époux de celle-ci, D.________.

      Au début de l'automne 1997, B.________, qui se
heurtait à des difficultés financières, confia à son fils
C.________ la gestion du commerce au bénéfice d'une pro-
curation individuelle. Les problèmes subsistant, il
constitua avec sa fille, par contrat du 9 avril 1998, la
société en nom collectif "S.________ - clôtures-serrurerie"
qui reprit les activités de l'entreprise individuelle. A
teneur de ce contrat, X.________, conseillée par son
frère C.________ - lui-même titulaire d'une procuration

collective avec elle -, assumerait seule la gestion de la
société. En réalité, la situation ne paraît guère avoir
changé. L'entreprise continua d'être dirigée par
B.________, par son fils C.________, chargé notamment de
l'administration, et par D.________, tandis que
X.________ s'occupait du secrétariat et de la réception.

      A sa constitution, la société reprit le contrat de
travail de F.________. Les retenues destinées aux coti-
sations de l'assurance maladie ont continué à être
perçues sur le salaire de l'ouvrier, sans être versées à
l'assureur. Dès le 5 octobre 1998, F.________ s'est
trouvé inapte au travail en raison d'une dégénérescence
de la colonne vertébrale. L'assureur n'a pas pris son cas
en charge.

      C.-  Agissant par les voies du recours de droit
public et du pourvoi en nullité, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 28 mai 2001 de la
Chambre pénale. Dans le recours de droit public, elle se
plaint d'une violation de la protection contre l'arbi-
traire (art. 9 Cst.) et du principe in dubio pro reo
(art. 32 al. 1 Cst.). Dans le pourvoi en nullité, elle
conteste l'infraction de détournement de retenues sur les
salaires (art. 159 CP).

      D.-  La Chambre pénale s'est référée aux considé-
rants de son arrêt. Invité à s'exprimer sur le pourvoi en
nullité, le Ministère public a conclu à son rejet dans la
mesure où il est recevable.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

      I. Recours de droit public (6P.101/2001)

      1.- a) En recours de droit public, le Tribunal fé-
déral ne revoit que sous l'angle de l'arbitraire les
constatations de faits et l'appréciation des preuves
effectuées par l'autorité cantonale. Une jurisprudence
constante reconnaît en effet au juge du fait un large
pouvoir d'appréciation dans ce domaine (ATF 127 I 38
consid. 2a; 124 I 208 consid. 4; 120 Ia 31 consid. 4b;
119 Ia 362 consid. 3a et les arrêts cités; voir égale-
ment, sur la notion d'arbitraire dans les constatations
de faits et l'appréciation des preuves, ATF 124 IV 86
consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 4b; 118 Ia 28 consid. 1b).

      b) En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de
recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir un ex-
posé succinct des droits constitutionnels ou des prin-
cipes juridiques violés et préciser en quoi consiste la
violation.

      Lorsqu'un tribunal de cassation a, comme en l'es-
pèce, examiné le prononcé attaqué devant lui sous l'angle
restreint de l'arbitraire, le recourant ne peut se borner
à formuler des remarques générales soutenant que le pro-
noncé du tribunal supérieur est arbitraire et qu'il en va
de même de l'arrêt du tribunal de cassation niant cet ar-
bitraire. En particulier, s'il fait valoir le principe
"in dubio pro reo" en tant que règle d'appréciation des
preuves, le recourant doit exposer dans le détail en quoi
le tribunal de cassation devait qualifier d'arbitraire
l'appréciation des preuves effectuée par le tribunal su-
périeur. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur
cette question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b).

      2.- a) Selon les juges cantonaux, la recourante se
trouvait statutairement investie de la fonction de seule
associée gérante de la société en nom collectif. Elle
connaissait la précarité de la situation financière de
l'entreprise - société familiale, employant un nombre
limité de collaborateurs -, de sorte qu'il lui incombait
de contrôler que les cotisations d'assurance maladie
perte de gain retenues sur les salaires du personnel
soient effectivement versées à l'assurance. Or, elle ne
s'était nullement souciée de la question, si bien que sa
responsabilité pénale était engagée en vertu des art. 159
et 172 CP. Peu importait à cet égard que d'autres per-
sonnes, soit B.________ ou C.________, voire D.________,
aient pu être recherchées pénalement pour les mêmes
carences.

      Par ailleurs, la société avait poursuivi ses acti-
vités commerciales pendant plus d'un an après novembre
1998. Elle avait donc à l'évidence disposé des moyens
financiers lui permettant d'assumer les modestes coti-
sations d'assurance - inférieures à 2'000 fr. - prévues
pour couvrir F.________ contre le risque de maladie.

      b) aa) Se plaignant d'une constatation arbitraire
des faits et d'une violation du principe in dubio pro
reo, la recourante conteste qu'il lui incombait de
contrôler la destination des cotisations retenues sur les
salaires du personnel. Elle rappelle à cet égard que la
Chambre pénale a reconnu qu'en réalité l'entreprise était
dirigée par son père, par son frère, chargé notamment de
l'administration, et par son époux, tandis qu'elle-même
n'exerçait que le secrétariat et la réception. La recou-
rante précise que, du reste, elle ignorait tout de la
situation de l'entreprise vis-à-vis de l'assureur.

      bb) Les juges cantonaux n'ont nullement retenu que
la recourante savait que des cotisations d'assurance
étaient perçues auprès du personnel sans être versées à
l'assureur. Ils se sont limités à considérer que la
recourante avait manqué de procéder aux contrôles
nécessaires à cet égard, ce qu'elle ne conteste pas.

      Dans ces conditions, le seul point litigieux est
de savoir si la recourante était effectivement chargée
d'un devoir de contrôle - entraînant sa responsabilité
pénale - sur les salaires des employés, quand bien même
sa tâche se limitait au secrétariat et à la réception en
dépit de sa position statutaire d'unique associée gé-
rante. Il s'agit cependant d'une question de droit, qui
sera traitée dans le cadre du pourvoi en nullité.

      c) La recourante soutient ensuite que la Chambre
pénale a retenu arbitrairement que la société bénéficiait
des moyens financiers propres à s'acquitter des cotisa-
tions litigieuses.

      L'arrêt attaqué devant de toute façon être annulé
pour un autre motif, cette question peut rester indécise.

      d) Le recours de droit public est dès lors mal
fondé en tant que recevable.

      II. Pourvoi en nullité (6S.448/2001)

      3.- a) Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal
fédéral est lié par les constatations de fait contenues
dans la décision attaquée (art. 277bis al. 1 PPF). L'ap-
préciation des preuves et les constatations de fait qui
en découlent ne peuvent pas faire l'objet d'un pourvoi en
nullité, sous réserve de la rectification d'une inadver-

tance manifeste. Le recourant ne peut pas présenter de
griefs contre des constatations de fait, ni de faits ou
de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1 let. b PPF).
Dans la mesure où il présenterait un état de fait qui
s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, il
ne serait pas possible d'en tenir compte. Autrement dit,
le raisonnement juridique doit être mené exclusivement
sur la base de l'état de fait retenu par l'autorité
cantonale (ATF 126 IV 65 consid. 1; 124 IV 81 consid. 2a,
92 consid. 1 et les arrêts cités).

      b) En l'occurrence, les griefs de la recourante
sont irrecevables dans la mesure où ils se fondent sur
des déclarations de parties ou de témoins qui n'ont pas
été reprises par l'arrêt attaqué.

      4.- a) aa) L'art. 159 CP sanctionne l'employeur qui
aura violé l'obligation d'affecter une retenue de salaire
au paiement de cotisations d'assurance, notamment, pour
le compte de l'employé et aura ainsi porté atteinte aux
intérêts pécuniaires de celui-ci.

      L'auteur doit avoir agi avec conscience et volonté.

      bb) Selon l'art. 172 CP, celui qui aura agi en
qualité d'organe d'une personne morale ou de membre d'un
tel organe (al. 1), de collaborateur d'une personne mo-
rale ou d'une société, muni d'un pouvoir de décision
indépendant dans le secteur d'activité dont il est chargé
(al. 2) ou de dirigeant effectif d'une personne morale ou
d'une société, dont il n'est ni un organe, ni membre d'un
organe, ni un collaborateur (al. 3), sera punissable en
vertu des dispositions sanctionnant les infractions
contre le patrimoine, même si celles-ci subordonnent la
punissabilité de l'acte ou l'aggravation de la peine à

des qualités personnelles particulières qui lui font
défaut mais que possède la personne morale ou la société
en cause (al. 4).

      Le terme d'"organe" correspond ici à la notion du
droit civil; les "collaborateurs" sont toutes les per-
sonnes habilitées à prendre des décisions de manière
autonome dans leur secteur d'activité (p. ex. le fondé de
pouvoir, le mandataire commercial), tandis que le "diri-
geant effectif" est celui qui, des coulisses, préside aux
destinées d'une personne morale ou d'une société et nomme
des personnes de paille en qualité d'organe (Message du
Conseil fédéral du 24 avril 1991 concernant la modifi-
cation du code pénal suisse et du code pénal militaire
[infractions contre le patrimoine et faux dans les
titres], FF 1991 II 933 ss, spéc. p. 1045).

      b) L'auteur du délit spécial réprimé par l'art. 159
CP ne peut être qu'un employeur.

      En l'occurrence, il n'est pas contesté que la so-
ciété en nom collectif S.________ était l'employeur de
F.________ dès sa constitution le 9 avril 1998. Or, en
tant qu'unique associée gérante, la recourante avait tout
pouvoir pour gérer et représenter la société (art. 564 et
567 CO), de sorte qu'elle tombe a priori sous le coup des
art. 159 et 172 CP.

      Toutefois, d'une part, on peut se demander si l'art.
172 CP est applicable à l'associé gérant d'une société en
nom collectif. L'alinéa 1 ne semble pas pertinent, dès
lors que la société en nom collectif n'est pas une "per-
sonne morale", mais une "société" au sens des alinéas 2 et
3, qui n'a donc pas d'"organe" proprement dit (cf. Message,
op. cit., p. 1045 et Arthur Meier-Hayoz/Peter Forstmoser,
Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 8e éd., Berne 1998,

§ 13 n° 18). Les alinéas 2 et 3 ne paraissent pas davantage
adéquats, un associé gérant n'étant à strictement parler ni
un "collaborateur", ni un "dirigeant effectif". Cependant,
il est manifeste que le législateur n'a pas voulu écarter
de l'art. 172 CP les associés gérants d'une société en nom
collectif, dès lors qu'il entendait par cette disposition
sanctionner les personnes physiques ayant commis des in-
fractions pour le compte d'une personne morale ou d'une so-
ciété. Une telle exclusion serait d'autant moins justifiée
que ces associés gérants, tout comme les organes d'une
personne morale, encourent une responsabilité subsidiaire
et personnelle pour leurs actes illicites dans la gestion
de la société (cf. art. 55 al. 3 CC et 567 al. 3 CO; Jörg
Rehberg/Niklaus Schmid, Strafrecht III, 7e éd., Zurich
1997, § 5 n° 3.1; voir aussi Meier-Hayoz/Forstmoser, op.
cit., § 13 nos 26 et 65). Du reste, l'art. 172 aCP (RO 54
781), dont le législateur ne désirait pas restreindre le
champ d'application (cf. Message, loc. cit.), s'appliquait
expressément aux "sociétaires" d'une société en nom collec-
tif. En conséquence, il est conforme à l'esprit de l'art.
172 CP d'assimiler l'associé gérant d'une société en nom
collectif à l'organe d'une personne morale au sens de
l'alinéa 1 de cette disposition (cf., sur l'apparentement
de la société en nom collectif à une personne morale,
Meier-Hayoz/Forstmoser, op. cit., § 13 n° 24 ss). En
l'occurrence, la recourante doit donc être considérée comme
un organe au sens de l'art. 172 al. 1 CP.

      D'autre part, il est constant que la recourante
n'était qu'une femme de paille, puisqu'elle oeuvrait en
réalité comme secrétaire-réceptionniste alors que la
société était véritablement dirigée par B.________ et
C.________, voire D.________. En outre, il ressort des
constatations du Tribunal cantonal que la recourante
ignorait que des cotisations perçues sur le salaire de
F.________ n'étaient pas transmises à leur destinataire.

En effet, le Tribunal cantonal lui reproche de ne pas
avoir procédé aux contrôles nécessaires à cet égard, ce
qui implique forcément qu'elle ignorait les détournements
en cause, sans quoi de telles vérifications auraient été
superflues; du reste, le Tribunal cantonal n'a pas retenu
qu'elle connaissait ces soustractions, alors que la
charge de la preuve - et de l'allégation - d'un tel fait
incombe à l'autorité. Il convient ainsi d'examiner si
cette situation de femme de paille ignorante des
détournements litigieux exclut la recourante, ou non, du
champ d'application des art. 159 et 172 CP (cf. consid. 5
ci-dessous).

      5.- a) L'art. 172 CP vise à sanctionner les per-
sonnes physiques qui commettent, pour le compte d'une
personne morale ou d'une société, les infractions contre
le patrimoine prévues aux art. 137 ss CP.

      D'un côté, celui qui n'a pas la qualité d'organe
formel est néanmoins punissable s'il est un collaborateur
muni d'un pouvoir de décision indépendant dans le secteur
d'activité dont il est chargé (art. 172 al. 2 CP) et même
si, sans être un collaborateur, il en est un dirigeant
effectif (art. 172 al. 3 CP), en particulier s'il utilise
comme personnes de paille celles qui occupent formelle-
ment les fonctions d'organe (cf. ATF 105 IV 106; 78 IV
28). Ainsi, le code pénal ne se borne pas à sanctionner
celui qui exerce nominalement les fonctions d'administra-
teur, d'associé, de directeur, de fondé de pouvoir etc.,
mais également celui qui, dirigeant effectivement la
société, a usé des droits habituellement réservés aux
organes formels et se trouve être de la sorte le véri-
table auteur de l'infraction apparemment commise par
ceux-ci.

      D'un autre côté, celui qui a la qualité d'organe
formel ne saurait être punissable de ce seul fait. En-
core faut-il établir sa culpabilité, qui ne peut être
présumée. En effet, l'art. 172 CP ne constitue pas une
exception au principe "pas de peine sans faute". La
responsabilité pénale de l'agent demeure fondée sur la
culpabilité individuelle, de sorte qu'il doit remplir
lui-même, sous réserve de l'alinéa 4 in fine de l'art.
172 CP, les conditions objectives et subjectives de
l'infraction spécifique en cause (cf. Laurent Moreillon,
La responsabilité pénale de l'entreprise, RPS 1999
p. 325 ss, spéc. p. 328; Pierre Zappelli, La responsa-
bilité pénale des organes d'une personne morale, RPS 1988
p. 190 ss, spéc. p. 198).

      Enfin, la sanction d'un collaborateur ou d'un diri-
geant effectif n'exclut pas nécessairement la culpabilité
simultanée de l'organe formel. Notamment, même une per-
sonne de paille reste punissable lorsqu'elle réalise
elle-même les éléments constitutifs objectifs et subjec-
tifs de l'infraction (cf. ATF 105 IV 106 consid. 2 et 96
IV 76 consid. 3).

      b) S'il est manifeste que celui qui a la qualité
d'organe, de collaborateur ou de dirigeant effectif au
sens de l'art. 172 CP encourt une responsabilité pénale
lorsqu'il commet par action l'infraction perpétrée dans
la gestion de la personne morale ou de la société, la
question est plus délicate lorsqu'on ne peut lui repro-
cher qu'une omission à cet égard, en particulier de ne
pas s'être opposé, ni d'avoir remédié, aux carences ou
actions délictueuses des autres personnes de la société.

      Contrairement, par exemple, à l'art. 6 al. 2 de la
loi fédérale sur le droit pénal administratif [RS 313.0],
le code pénal ne prohibe pas expressément l'omission

d'agir lorsqu'une infraction est commise dans la gestion
d'une personne morale ou d'une société (l'art. 179sexies
ch. 2 al. 2 CP constituant une exception à cet égard).
Pour déterminer si et dans quelle mesure une telle
inactivité doit être sanctionnée, la jurisprudence s'est
inspirée de la notion de délit par omission improprement
dit, selon laquelle les éléments constitutifs d'une in-
fraction par action peuvent être réalisés par omission si
l'auteur se trouve dans une position de garant, à savoir
s'il a, en vertu de la loi, d'un contrat ou d'un rapport
de confiance spécial, une obligation qualifiée d'agir
(ATF 105 IV 172 consid. 3 et 4; 96 IV 155 consid. II.4a
p. 174; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht,
Allg. Teil I, 2e éd., Berne 1996, § 14 nos 3 et 8 ss). Le
Tribunal fédéral a toutefois quelque peu restreint la
position de garant dans le domaine de la gestion d'une
personne morale ou d'une société. Il a considéré à cet
égard que la seule obligation, imposée à un dirigeant par
le droit civil, de surveiller les personnes chargées de
la gestion et de la représentation, n'autorise pas à le
rechercher pénalement pour chaque infraction qu'il lui
aurait été possible de prévoir et d'empêcher s'il avait
procédé à une surveillance appropriée. Seul est pénale-
ment responsable comme (co)auteur d'une infraction le
dirigeant qui a connaissance de celle-ci, ou qui prévoit
qu'elle va être commise, et qui n'empêche pas sa surve-
nance ou son résultat dans la mesure de ses moyens, parce
qu'il veut ce résultat (intention) ou du moins qu'il
l'accepte pour le cas où il se produirait (dol éventuel).
En conséquence, pour qu'un dirigeant puisse être consi-
déré comme (co)auteur d'une infraction, il faut qu'il en
ait effectivement connu et voulu (au moins par dol éven-
tuel) les faits constitutifs (ATF 105 IV 172 consid. 3 et
4; 96 IV 155 consid. II.4 p. 173 ss; voir également ATF
96 IV 76 consid. 3 in fine; sur l'ensemble des questions
relatives à la responsabilité pénale des personnes mo-

rales et des sociétés, cf. Sandra Lütolf, Strafbarkeit
der juristischen Person, thèse 1996, Zurich 1997,
p. 49 ss et les références citées; voir plus récemment
Rehberg/Donatsch, Strafrecht I, 7e éd., Zurich 2001,
§ 31, Wolfgang Wohlers, Die Strafbarkeit des Unter-
nehmens, RSJ 2000 p. 381 ss, Stefan Trechsel/Peter Noll,
Schweizerisches Strafrecht, Allg. Teil I, 5e éd., Zurich
1998, § 34 D 3, Robert Roth, Responsabilité pénale de
l'entreprise: modèles de réflexion, RPS 1997 p. 45 ss).

      Cela étant, il en va différemment lorsque la norme
pénale spécifique en cause sanctionne la négligence. Dans
une telle hypothèse en effet, le dirigeant peut engager
sa responsabilité pénale par sa seule passivité, en par-
ticulier lorsqu'il a fautivement manqué à un devoir de
surveillance (cf. ATF 105 IV 172 consid. 4c).

      c) En l'occurrence, l'infraction incriminée ne
punit que l'intention. Or, il ressort des constatations
du Tribunal cantonal (cf. consid. 4b) que la recourante
ignorait que des cotisations perçues sur des salaires ne
parvenaient pas à leur destinataire. En conséquence,
conformément à la jurisprudence exposée ci-dessus, on ne
peut considérer qu'elle a participé comme auteur à l'in-
fraction en cause, que ce soit par dol direct ou par dol
éventuel, dès lors qu'elle n'avait pas connaissance des
faits constitutifs de celle-ci. Peu importe ainsi de
savoir si la recourante, en tant qu'associée gérante
unique "de paille" exerçant en réalité les seules fonc-
tions de secrétaire-réceptionniste, aurait précisément
"dû connaître" le détournement présumé en procédant aux
contrôles nécessaires (la question pouvant toutefois être
pertinente sous l'angle du droit civil). Une condamnation
ne pourrait éventuellement entrer en ligne de compte que
si, après avoir appris que les retenues n'étaient pas
reversées à l'assurance, la recourante n'avait pas agi de

manière à empêcher la réalisation de l'infraction ou à
remédier à ses conséquences.

      d) En conclusion, le pourvoi en nullité est bien
fondé en tant que recevable et la recourante doit être
libérée de l'accusation de détournement de retenues sur
les salaires au sens des art. 159 et 172 CP.

      Vu l'issue du pourvoi, il est superflu d'examiner
si, comme le soutient la recourante, l'insolvabilité
invoquée de la société empêcherait la réalisation de
l'art. 159 CP.

      III. Frais et dépens

      6.-  Le recours de droit public doit être rejeté en
tant que recevable, tandis que le pourvoi en nullité doit
être admis en tant que recevable. L'arrêt attaqué doit
donc être annulé et la cause renvoyée à l'autorité canto-
nale pour nouvelle décision. La recourante obtenant gain
de cause sur l'essentiel, il convient de renoncer à pré-
lever des frais judiciaires et de lui octroyer une indem-
nité à titre de dépens.

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

      1. Rejette le recours de droit public en tant que
recevable.

      2. Admet le pourvoi en nullité en tant que rece-
vable, annule l'arrêt attaqué et renvoie la cause à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

      3. Dit qu'il est renoncé à percevoir des frais
judiciaires.

      4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au
mandataire de la recourante une indemnité de 2'500 fr. à
titre de dépens.

      5. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante, au Procureur général du canton de
Genève et à la Chambre pénale de la Cour de justice gene-
voise.
                      ____________

Lausanne, le 28 novembre 2001

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      La Greffière,