Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.55/2001
Zurück zum Index I. Zivilabteilung 2001
Retour à l'indice I. Zivilabteilung 2001


4P.55/2001
4P.57/2001
4P.59/2001

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                       13 juillet 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

                       ______________

          Statuant sur les recours de droit public
                         formés par

X.________ S.A., représentée par Me Jean-Claude Mathey,
avocat à Lausanne,

                           contre

les arrêts rendus le 20 septembre 2000 par la Chambre des re-
cours du Tribunal cantonal vaudois dans les causes qui oppo-
sent la recourante à D.________, B.________, et M.________,
tous représentés par Me Robert Lei Ravello, avocat à
Lausanne;

     (art. 9 Cst.; procédure civile, jonction de causes)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.-  Par requête du 28 octobre 1999 au Tribunal de
prud'hommes de Lausanne, D.________ a conclu au paiement par
X.________ S.A. de 24 647 fr., somme réduite à 20 000 fr. Par
requête du 25 octobre 1999 au même tribunal, B.________ a
conclu au paiement par X.________ S.A. de 18 577 fr., montant
qui a été porté ultérieurement à 20 000 fr. Par requête du 26
octobre 1999, toujours au même tribunal, M.________ a conclu
au paiement par X.________ S.A. de 15 706 fr.65, somme qui a
été augmentée ultérieurement à 18 500 fr. Dans les trois af-
faires, X.________ S.A. a conclu à libération.

    Lors de la première audience, tenue le 9 décembre
1999, la défenderesse a requis la jonction des trois causes
dirigées contre elle. Chacun des demandeurs a conclu au rejet
de cette requête. L'audience a alors été suspendue; à sa re-
prise, après en avoir délibéré, le Tribunal de prud'hommes a
refusé la jonction sollicitée.

    Le 2 mars 2000, le Tribunal de prud'hommes a rendu
trois jugements de même contenu, dans les trois causes. Dans
la première, il a reconnu la défenderesse débitrice de
D.________ de 6500 fr. brut. Dans la deuxième et la troisiè-
me, il a reconnu la défenderesse débitrice de B.________ de
2600 fr. brut et de M.________ de la même somme.

    Les trois causes ont été instruites simultanément;
selon les jugements, elles "n'ont pas été jointes pour demeu-
rer dans la compétence du Tribunal de prud'hommes". Elles ont
nécessité les mêmes mesures d'instruction, notamment l'audi-
tion des mêmes témoins, d'où la constitution de trois dos-
siers et la tenue de trois procès-verbaux distincts, sauf
pour ce qui concerne les témoins, dont les dépositions ont

été recueillies en même temps pour les trois affaires et se
trouvent donc sous forme de photocopies dans certains dos-
siers.

    B.-  Par trois actes du 3 avril 2000, X.________
S.A. a interjeté auprès de la Chambre des recours du Tribunal
cantonal vaudois trois recours, concluant principalement à la
nullité et subsidiairement à la réforme des jugements du Tri-
bunal de prud'hommes. Ses conclusions principales tendaient à
la nullité et au renvoi de la cause au Tribunal de prud'hom-
mes, ce dernier étant invité à ordonner la jonction des trois
causes ouvertes par les demandeurs et, en conséquence, à dé-
cliner d'office sa compétence en faveur de la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois.

    Chacun des trois demandeurs a interjeté un recours
cantonal en réforme et, ultérieurement, un recours joint.

    Par trois arrêts du 20 septembre 2000, la Chambre
des recours a écarté les recours joints des demandeurs, reje-
té les recours de X.________ S.A., et admis partiellement les
recours des demandeurs. Elle a réformé les jugements en al-
louant 13 000 fr. brut à D.________, 10 400 fr. brut à
B.________ et 5989 fr.30 brut à M.________.

    Pour statuer sur le moyen de nullité de la défen-
deresse, qui reprochait aux premiers juges d'avoir violé une
règle essentielle de la procédure, au sens de la loi vaudoise
sur les tribunaux de prud'hommes (LTPr), en refusant de pro-
noncer la jonction des trois causes ouvertes par les deman-
deurs, la cour cantonale s'est référée à l'art. 74 let. c CPC
vaud. Elle a rappelé un de ses arrêts, confirmé par la suite,
qui a jugé admissible, au sens de la disposition précitée, la
consorité entre trois demandeurs dont les conclusions étaient
fondées sur des contrats de travail identiques passés avec le
même défendeur et tendaient au paiement de salaires réclamés

en raison des mêmes faits (JT 1983 III 71 et 1993 III 59 con-
sid. 2a).

    La Chambre des recours a cependant retenu qu'à la
différence des hypothèses envisagées dans les deux arrêts
mentionnés ci-dessus, dans le cas d'espèce les trois deman-
deurs n'ont pas agi comme consorts en déposant une seule de-
mande comportant leurs conclusions respectives, mais ils ont
ouvert chacun action séparément contre leur ancien employeur.
Elle a considéré qu'on ne saurait dès lors déduire, du fait
que la consorité est admise lorsque des employés décident
d'ouvrir action contre leur ancien employeur par une seule
demande, un droit de l'employeur à obtenir la jonction de
causes introduites par des actions séparées de plusieurs an-
ciens employés; de fait, il peut être préférable pour ces
derniers, poursuit l'autorité cantonale, que leur cause de-
meure dans la compétence du Tribunal de prud'hommes plutôt
qu'elle soit transmise à la Cour civile à telle enseigne que
la jonction ne serait pas compatible avec la nécessité d'une
procédure simple et rapide (art. 43 al. 2 LTPr). Elle a ajou-
té qu'en outre l'employeur ne saurait contraindre les em-
ployés à défendre leurs causes respectives devant une autre
autorité que celle qu'ils ont choisie de saisir.

    Jugeant ainsi mal fondé le recours en nullité de la
défenderesse, la cour cantonale l'a rejeté.

    C.-  La défenderesse forme à l'encontre de chacun
des trois arrêts cantonaux un recours de droit public au Tri-
bunal fédéral (causes 4P.55/2001, 4P.57/2001. 4P.59/2001).
Dans chaque recours, elle conclut à l'annulation de l'arrêt
du 20 septembre 2000 qui est concerné, la cause étant ren-
voyée à l'autorité cantonale pour nouvel examen et nouvelle
décision dans le sens des considérants. La recourante invoque
la violation de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.)

en regard avec l'application qui a été faite des art. 74 et
76 CPC vaud.

    Chacun des trois demandeurs et intimés déclare re-
noncer à déposer un mémoire sur le recours de droit public
dirigé contre l'arrêt qui le concerne.

    La Chambre des recours se réfère aux considérants
de ses arrêts.

    La défenderesse a déposé, parallèlement, contre les
arrêts cantonaux trois recours en réforme, sur lesquels il
sera statué séparément.

        C o n s i d é r a n t    e n    d r o i t  :

    1.-  Les moyens des trois recours étant les mêmes,
il est opportun de joindre les causes 4P.55/2001, 4P.57/2001
et 4P.59/2001 et de statuer par un seul et même arrêt (ATF
118 II 87 consid. 3; 111 II 270 consid. 1; cf. Poudret,
COJ I, n. 2 ad art. 40 OJ, remarques ad art. 24 PCF,
p. 343/344).

    2.-  La recourante se prévaut de la violation ar-
bitraire des règles de la procédure civile vaudoise que con-
sacrerait le refus de la jonction des trois causes, à ses
yeux instruites illégalement conjointement. Elle invoque
l'article 76 CPC vaud. qui permet la jonction de plusieurs
procès ouverts au même for, en particulier si les conditions
de l'art. 74 let. c CPC vaud. sont réunies. Selon la recou-
rante, il y aurait eu en l'espèce une obligation de prononcer
la jonction requise. Elle se réfère à l'avis de Jean-Marc
Rapp (Le cumul objectif d'actions, thèse Lausanne 1982, n.
277, p. 262), qui professe que lorsque les conditions de

l'art. 76 CPC vaud. sont remplies, le juge ne saurait refuser
de joindre en invoquant des motifs d'opportunité, qui sont
d'ailleurs prévus à l'art. 75 al. 1 in fine CPC vaud. (en
réalité, selon la recourante, à l'art. 74 al. 1 let. c CPC
vaud.). Citant toujours Rapp (op. cit., n. 280, p. 263), elle
affirme que l'art. 76 al. 1 CPC vaud. exigerait, au regard de
la sécurité du droit, une décision expresse sur l'unité du
procès, "car il est essentiel que les parties sachent si
elles conduisent un ou plusieurs procès".

    La recourante fait aussi valoir qu'en refusant la
jonction, et par conséquent en ne déclinant pas sa compéten-
ce, la cour cantonale a instruit en appliquant les règles de
la procédure prud'homale, laquelle s'apparente à la procédure
sommaire, ce qui l'aurait privée des garanties supplémentai-
res offertes par la procédure accélérée devant la Cour civi-
le, notamment en ce qui concerne ses droits à la preuve.

    3.-  a) Selon la jurisprudence, une décision est
arbitraire lorsqu'elle viole gravement une règle de droit ou
un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle con-
tredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et
de l'équité. Arbitraire et violation de la loi ne sauraient
être confondus; une violation doit être manifeste et reconnue
d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le Tribunal
fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation cor-
recte que l'autorité cantonale aurait dû donner des dispo-
sitions applicables; il doit uniquement dire si l'interpré-
tation qui a été faite est défendable. Il n'y a pas arbitrai-
re du seul fait qu'une autre solution pourrait aussi se dé-
fendre et sembler même plus correcte (ATF 126 I 168 consid.
3a; ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129 con-
sid. 5b).

    b) L'art. 74 let. c CPC vaud. dispose que plusieurs
personnes peuvent agir ou être actionnées conjointement si le

litige a pour objet des prétentions de même nature dérivant
de causes connexes, pourvu que les actions puissent sans
difficultés être instruites conjointement. Et, à teneur de
l'art. 76 CPC vaud., par décision rendue en la forme inci-
dente, le juge peut, en tout état de cause, ordonner la jonc-
tion de plusieurs procès en instance dans son for, lorsque
les conditions de l'art. 74 let. b ou c sont réunies.

    Ces dispositions légales traitent du cas de la con-
sorité simple imparfaite, qui est celui des présentes espè-
ces. Dans un tel cas, la consorité est une faculté subordon-
née à l'absence de difficultés d'instruction (cf. Poudret/
Wurzburger/Haldy, Procédure civile vaudoise, 2e éd., p. 167,
1er alinéa in fine ad art. 74 CPC vaud.). En estimant, impli-
citement, que ces dispositions n'imposent pas au juge d'or-
donner la jonction de causes, la cour cantonale s'est con-
formée à cet avis doctrinal, qui se déduit du reste logique-
ment de l'usage du verbe "pouvoir" dans les textes légaux
applicables. Pour ce motif déjà, on ne peut qualifier d'ar-
bitraire la décision attaquée.

    Il importe peu, en outre, qu'une autre opinion
puisse se concevoir, ou être envisagée, comme semble le croi-
re Rapp (op. cit., loc. cit.), dès lors qu'il n'y a pas arbi-
traire du seul fait qu'une autre solution pourrait se justi-
fier ou apparaître même plus correcte.

    On ne voit pas non plus trace d'arbitraire dans la
comparaison opérée par l'autorité cantonale avec les cas
traités par la jurisprudence cantonale où, à la différence
des présentes espèces, des demandeurs avaient ouvert action
par une seule demande. La recourante se méprend totalement
sur l'étendue du pouvoir d'examen du Tribunal fédéral dans un
recours de droit public, qui n'a rien de commun avec celui
dont il dispose en instance de réforme.

    Enfin, la recourante n'a été privée d'aucune garan-
tie procédurale en n'ayant pas obtenu un déclinatoire en fa-
veur de la Cour civile, dès lors que le Tribunal de prud'hom-
mes a fait une correcte application de la procédure applica-
ble devant lui (cf. note de Poudret in: JT 1993 III 62).

    Téméraires, les recours de droit public ne peuvent
qu'être rejetés.

    4.-  La témérité des recours impose qu'un émolument
soit mis à la charge de la recourante (cf. art. 343 al. 3
CO). En revanche, il n'y a pas lieu de lui faire supporter
des dépens, les intimés ayant renoncé à déposer un mémoire de
réponse au recours.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

    1. Joint les causes 4P.55/2001, 4P.57/2001 et
4P.59/2001;

    2. Rejette les recours;

    3. Met un émolument judiciaire de 3000 fr. à la
charge de la recourante;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal
cantonal vaudois.

                         ___________

Lausanne, le 13 juillet 2001
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,