Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.37/2001
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4P.37/2001

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                         14 mai 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges.  Greffier:
M. Carruzzo.

                        ____________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

Fomento de Construcciones y Contratas S.A., à Madrid (Espa-
gne), représentée par Mes Laurent Lévy et Elliott Geisinger,
avocats à Genève,

                           contre

la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2000 par un Tri-
bunal arbitral CCI siégeant à Genève et composé de MM. Bruno
Keppeler, président, Alberto Mazzoni et José Carlos Fernandez
Rozas, arbitres, dans la cause qui oppose la recourante à
Colon Container Terminal S.A., à Eldorado (République de Pa-
nama), représentée par Mes Benoît Dayer et Howard Kooger,
avocats à Genève;

          (arbitrage international; litispendance)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Par contrat du 26 avril 1996, la société pana-
méenne Colon Container Terminal S.A. (ci-après: CCT), à Eldo-
rado, a chargé la société espagnole Fomento de Construcciones
y Contratas S.A. (ci-après: FCC), à Madrid, d'exécuter des
travaux de génie civil en vue de la réalisation du terminal
portuaire de Coco Solo North (République de Panama), moyen-
nant une rémunération de 29'480'277,58 US$.

    Le règlement auquel se réfère le contrat prévoit,
en cas de litige entre les parties, qu'une décision sera
prise par l'ingénieur (en l'espèce: Union-Tech Engineering
Consultants Company) et, si elle n'est pas acceptée, que le
différend pourra être porté, après un délai pour trouver une
solution amiable, devant un ou plusieurs arbitres, procédant
selon le règlement de conciliation et d'arbitrage de la Cham-
bre de commerce internationale.

    En cours d'exécution, un litige est survenu entre
les parties. Le contrat a été résilié de part et d'autre. CCT
a chargé un autre entrepreneur d'achever les travaux.

    Le 12 mars 1998, FCC a déposé devant les tribunaux
panaméens une demande sur le fond dirigée notamment contre
CCT. Cette dernière a soulevé une exception d'arbitrage.

    Le 26 juin 1998, le juge de première instance a
estimé que l'exception d'arbitrage n'avait pas été présentée
dans les délais.

    B.- Sans attendre l'épuisement des instances natio-
nales, CCT a introduit la procédure d'arbitrage le 30 septem-
bre 1998.

    Le siège du Tribunal arbitral, composé de trois ar-
bitres, a été fixé à Genève. Les parties ont prévu l'applica-
tion du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce in-
ternationale et, subsidiairement, de la loi fédérale de pro-
cédure civile (PCF).

    FCC a soulevé devant le Tribunal arbitral une ex-
ception d'incompétence. Principalement, elle soutient qu'elle
a proposé de renoncer à l'arbitrage en saisissant les tribu-
naux panaméens et que sa partie adverse a accepté par acte
concluant, en ne soulevant pas l'exception d'arbitrage en
temps utile.

    En cours de procédure d'arbitrage, un tribunal su-
périeur panaméen, statuant sur recours, a estimé - contraire-
ment au juge de première instance - que l'exception d'arbi-
trage avait été soulevée en temps utile.

    Se référant à cette décision et sans attendre
l'épuisement des instances nationales, le Tribunal arbitral,
par sentence du 30 novembre 2000, a tranché dans le même
sens, se déclarant compétent pour connaître de la cause.

    Postérieurement à cette sentence, la Cour suprême
du Panama, par arrêt du 22 janvier 2001, a considéré que
l'exception d'arbitrage avait été soulevée tardivement et a
ordonné la poursuite de la procédure devant les tribunaux pa-
naméens.

    C.- FCC exerce un recours de droit public au Tribu-
nal fédéral. Soutenant que le Tribunal arbitral s'est déclaré
compétent à tort principalement en méconnaissant les règles
sur la litispendance, elle conclut à l'annulation de la sen-
tence attaquée et à ce que le Tribunal arbitral soit déclaré
incompétent.

    L'intimée conclut au rejet des conclusions de la
recourante et à ce que le Tribunal arbitral soit déclaré com-
pétent.

    Le Tribunal arbitral se réfère à sa décision.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t  :

    1.- a) Le recours de droit public au Tribunal fédé-
ral est ouvert contre une sentence arbitrale aux conditions
des art. 190 ss LDIP (art. 85 let. c OJ).

    Comme le siège du Tribunal arbitral a été fixé en
Suisse et que l'une des parties au moins n'avait, au moment
de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni son domici-
le, ni sa résidence habituelle en Suisse (art. 176 al. 1
LDIP), les art. 190 ss LDIP sont applicables, puisque les
parties n'en ont pas exclu l'application par écrit et qu'el-
les ne sont pas convenues d'appliquer exclusivement les rè-
gles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage (art.
176 al. 2 LDIP).

    Le recours au Tribunal fédéral contre la sentence
arbitrale est ouvert (art. 191 al. 1 LDIP), dès lors que les
parties ne l'ont en rien exclu conventionnellement (art. 192
al. 1 LDIP), ni n'ont choisi, en lieu et place, le recours à
l'autorité cantonale (art. 191 al. 2 LDIP).

    Le recours ne peut être formé que pour l'un des mo-
tifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP
(ATF 119 II 380 consid. 3c p. 383).

    La procédure devant le Tribunal fédéral est régie
par les dispositions de la loi d'organisation judiciaire (OJ)

relatives au recours de droit public (art. 191 al. 1, 2e
phrase, LDIP).

    b) En matière de compétence, une sentence incidente
est susceptible d'un recours immédiat (art. 190 al. 3 LDIP).

    La recourante est personnellement touchée par la
sentence attaquée qui l'oblige à continuer de procéder devant
le Tribunal arbitral, de sorte qu'elle a un intérêt person-
nel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette décision
n'ait pas été rendue en violation des garanties découlant de
l'art. 190 al. 2 LDIP; en conséquence, elle a qualité pour
recourir (art. 88 OJ).

    Interjeté en temps utile (art. 89 al. 1 et art. 34
al. 1 let. c OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90
al. 1 OJ), le recours est en principe recevable.

    Hormis certaines exceptions, il n'a qu'un caractère
cassatoire (ATF 127 II 1 consid. 2c, 126 III 534 consid. 1c,
124 I 327 consid. 4a et les références). Lorsque le litige
porte sur la compétence d'un tribunal arbitral, il a été ad-
mis, par exception, que le Tribunal fédéral pouvait lui-même
constater la compétence ou l'incompétence (ATF 117 II 94 con-
sid. 4).

    c) Dès lors que les règles de procédure sont celles
du recours de droit public, la partie recourante doit invo-
quer ses griefs conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1
let. b OJ (ATF 117 II 604 consid. 3 p. 606). Saisi d'un re-
cours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs admissibles qui ont été invoqués et suffisamment moti-
vés dans l'acte de recours (cf. ATF 126 III 524 consid. 1c,
534 consid. 1b, 125 I 492 consid. 1b p. 495). La recourante
devait donc indiquer quelles hypothèses de l'art. 190 al. 2
LDIP étaient à ses yeux réalisées et, en partant de la sen-

tence attaquée, montrer de façon circonstanciée en quoi con-
sisterait la violation du principe invoqué (cf. ATF 110 Ia 1
consid. 2a); ce n'est qu'à ces conditions qu'il est possible
d'entrer en matière.

    2.- a) A titre d'argumentation principale, la re-
courante soutient que le Tribunal arbitral était incompétent
pour rendre la sentence attaquée, parce qu'il devait surseoir
à statuer en vertu du principe de la litispendance.

    Elle invoque ainsi le motif de recours prévu par
l'art. 190 al. 2 let. b LDIP.

    La suspension du procès en cas de litispendance est
une règle de compétence (ATF 123 III 414 consid. 2b), et non
pas - comme semble l'avoir pensé le Tribunal arbitral - une
simple règle de procédure. La violation de cette règle peut
donc être invoquée dans le cadre de l'art. 190 al. 2 let. b
LDIP.

    b) Il est contraire à l'ordre public qu'il existe,
dans un ordre juridique déterminé, deux décisions judiciaires
contradictoires sur la même action et entre les mêmes par-
ties, qui sont également et simultanément exécutoires (cf.
ATF 116 II 625 consid. 4a).

    Pour éviter une telle situation, il existe fonda-
mentalement deux principes: la litispendance et l'autorité de
chose jugée (ATF 114 II 183 consid. 2a et les références ci-
tées). Lorsqu'un juge est saisi d'une cause déjà pendante de-
vant un autre, le principe de la litispendance lui interdit
de statuer avant une décision définitive dans la première
procédure; ce premier mécanisme a donc pour effet de paraly-
ser la compétence du juge saisi en second lieu. Quant à l'au-
torité de chose jugée, ce principe interdit au juge de con-

naître d'une cause qui a déjà été définitivement tranchée; ce
mécanisme exclut définitivement la compétence du second juge.

    Les mécanismes qui viennent d'être rappelés ne sont
pas seulement applicables sur le plan interne. Selon l'ordre
juridique suisse, ils valent également sur le plan interna-
tional, à la condition que le jugement étranger puisse être
reconnu en Suisse (ATF 114 II 183 consid. 2b p. 186 et les
références citées). Sous réserve des traités internationaux,
les règles applicables sur le plan international sont conte-
nues aux art. 9 LDIP (litispendance) et 27 al. 2 let. c LDIP
(autorité de chose jugée).

    Ainsi, l'ordre juridique suisse admet sur le plan
international le devoir pour le juge saisi en second lieu de
surseoir à statuer aux conditions de l'art. 9 LDIP (sur l'en-
semble du problème de la litispendance internationale, cf.
Knoepfler/Schweizer, Droit international privé suisse, 2e éd-
., p. 303 s. n. 700 ss).

    Comme il n'est pas contesté que les tribunaux pana-
méens ont été saisis en premier lieu d'une demande qui oppose
notamment les mêmes parties et qui semble avoir pour objet le
même complexe litigieux, il n'est pas douteux qu'un tribunal
étatique suisse, s'il avait été placé dans la même situation
que le tribunal arbitral siégeant à Genève, aurait dû sur-
seoir à statuer aux conditions de l'art. 9 LDIP (pour un cas
d'application, cf. ATF 127 III 118 consid. 3).

    c) Il reste à examiner si la conclusion doit être
différente pour le motif qu'on ne se trouve pas en présence
d'un tribunal étatique suisse, mais d'un tribunal arbitral
siégeant en Suisse.

    aa) Il est vrai qu'un tribunal arbitral, en raison
de sa nature privée, ne doit pas être assimilé sans autre
examen à un tribunal étatique.

    S'agissant du problème qui se pose ici, il faut ce-
pendant observer que les sentences arbitrales sont exécutoi-
res de la même manière que les jugements. Il y a donc le même
intérêt à éviter, au sein du même ordre juridique, des déci-
sions contradictoires sur la même cause qui seraient égale-
ment et simultanément exécutoires.

    Cette première constatation milite fortement en fa-
veur d'une application analogique du principe de la litispen-
dance.

    bb) Il semble par ailleurs aujourd'hui admis qu'un
tribunal arbitral, en invoquant sa nature particulière, ne
pourrait pas s'affranchir du principe de l'autorité de chose
jugée.

    En effet, si un tribunal étranger a admis sa compé-
tence par un jugement qui doit être reconnu en Suisse, l'ar-
bitre siégeant en Suisse est lié par cette décision (ATF 120
II 155 consid. 3b/bb p. 164; Lalive/Poudret/Reymond, Le droit
de l'arbitrage interne et international en Suisse, n. 17 ad
art. 186 LDIP).

    Comme l'autorité de chose jugée et la litispendance
sont des principes étroitement connexes qui remplissent la
même fonction, il paraît logique de traiter de la même façon
le principe de la litispendance et d'admettre que l'arbitre
saisi en second lieu doit surseoir à statuer jusqu'à décision
du tribunal étatique saisi en premier lieu, pour autant que
celle-ci soit susceptible d'être reconnue au siège de l'arbi-
trage.

    cc) La doctrine majoritaire estime également qu'un
tribunal arbitral siégeant en Suisse doit appliquer l'art. 9
LDIP s'il est saisi de la même cause que celle déjà pendante
devant un tribunal étatique, suisse ou étranger (Wenger, Com-
mentaire bâlois, Internationales Privatrecht, n. 9 ad art.
186 LDIP p. 1572; Rüede/Hadenfeldt, Schweizerisches Schieds-
gerichtsrecht, 2e éd., p. 231).

    La jurisprudence a déjà pris position dans ce sens,
en affirmant que les conflits que peut engendrer un concours
de compétences doivent être résolus par l'application des rè-
gles régissant la litispendance, l'autorité de chose jugée ou
la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères
(ATF 121 III 495 consid. 6c p. 502). Il est vrai qu'un arrêt
plus récent a laissé la question ouverte, mais pour le seul
motif qu'il n'était pas nécessaire de la trancher (cf. ATF
124 III 83 consid. 5a p. 85).

    Il faut donc admettre que la règle de compétence
figurant à l'art. 9 LDIP, qui repose sur des considérations
d'ordre public, doit également être appliquée par un tribunal
arbitral siégeant en Suisse.

    dd) Les arguments que l'on peut opposer à cette so-
lution ne résistent pas à l'examen.

    Il n'y a pas lieu de prendre en considération ici
le risque qu'un tribunal étranger, par une sorte d'hostilité
à l'égard de la justice arbitrale, se refuse à tenir compte
d'une convention d'arbitrage. En effet, un tel jugement ne
serait pas susceptible d'être reconnu en Suisse (ATF 124 III
83 consid. 5b p. 87). Or, le principe de la chose jugée et le
principe de la litispendance ne s'appliquent qu'à l'égard
d'un jugement étranger susceptible d'être reconnu en Suisse
(ATF 114 II 183 consid. 2b p. 186).

    L'argument du Tribunal arbitral selon lequel la
suspension pour cause de litispendance n'est prévue ni par le
règlement d'arbitrage ni par la loi de procédure choisie ne
peut pas être suivi. Il s'agit en effet ici - comme on l'a vu
- d'une question de compétence, et non pas simplement de dé-
roulement de la procédure. Au demeurant, il est inexact de
dire que la loi fédérale de procédure civile - choisie par
les parties - ne permet pas une suspension pour cause de li-
tispendance aux conditions de l'art. 9 LDIP (cf. art. 6 al. 2
et 22 PCF).

    Quant à l'argument du Tribunal arbitral selon le-
quel la mission d'arbitrage lui permettrait de trancher la
question par priorité sur les autorités panaméennes, il ne
repose sur aucune constatation objective. Il ne ressort pas
des constatations du Tribunal arbitral que les parties se-
raient convenues, au moment de signer la mission, de charger
le Tribunal arbitral de trancher la question à la place des
tribunaux panaméens déjà saisis.

    Qu'il y ait également d'autres parties dans la pro-
cédure panaméenne n'exclut en rien que le litige qui divise
la recourante et l'intimée puisse être entièrement vidé de-
vant les tribunaux panaméens déjà saisis.

    Les développements de l'intimée sur la Convention
de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exé-
cution des sentences arbitrales étrangères (RS 0.277.12) sont
sans pertinence, puisque ce traité international ne règle pas
la question qui se pose ici.

    ee) Il faut enfin se demander si le tribunal arbi-
tral, en raison de sa nature particulière, n'aurait pas une
vocation privilégiée à statuer sur sa propre compétence.

    On trouve effectivement dans la doctrine l'idée que
le tribunal arbitral aurait, par rapport aux juridictions
étatiques, une compétence prioritaire (dans ce sens: Bucher,
Le nouvel arbitrage international en Suisse, p. 55 n. 139).

    Il est vrai que l'art. 186 al. 1 LDIP donne au tri-
bunal arbitral le pouvoir de statuer sur sa propre compéten-
ce. Cela ne signifie cependant pas qu'un tribunal étatique
saisi de la même demande serait dépouillé du droit de statuer
sur sa propre compétence; on ne peut pas non plus en déduire
que le tribunal étatique serait obligé de suspendre sa procé-
dure, si elle est antérieure, pour céder la priorité au tri-
bunal arbitral.

    La jurisprudence a néanmoins tenu compte de cette
conception, en affirmant que le juge étatique suisse devait
se limiter à un examen sommaire de sa compétence lorsque le
siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse (ATF 124 III
139 consid. 2b). Cet arrêt ne concerne cependant pas un ordre
de priorité pour statuer, mais exclusivement l'étendue du
pouvoir d'examen appartenant au juge étatique. Il est de sur-
croît limité à l'hypothèse d'un juge étatique suisse amené à
suivre la jurisprudence du Tribunal fédéral.

    On ne trouve d'ailleurs pas de base juridique sé-
rieuse à un droit de priorité en faveur du tribunal arbitral
(dans ce sens: Wenger, ibid.). Le juge étatique saisi d'une
action sur le fond - l'hypothèse d'une action en constatation
de droit touchant la compétence des arbitres étant ici lais-
sée de côté (cf. l'arrêt du 26 janvier 1987 reproduit in SJ
1987 p. 230 consid. 2a) - doit statuer sur sa compétence, mê-
me s'il doit pour cela se prononcer sur la validité d'une
clause d'arbitrage (arrêt non publié du 16 juillet 1997, dans
la cause 4C.206/1996, consid. 7b/bb). Le juge étatique peut
examiner, selon l'art. II al. 3 de la Convention de New York
ou l'art. 7 let. b LDIP (cf. ATF 122 III 139 consid. 2a p.
141), si la clause d'arbitrage est caduque, inopérante ou non

susceptible d'être appliquée (ATF 121 III 495 consid. 6c).
Tel pourrait être le cas si les parties ont renoncé à la
clause d'arbitrage (Lalive/Poudret/Reymond, op. cit., n. 5 ad
art. 7 LDIP).

    Lorsqu'une des parties fait valoir une convention
d'arbitrage et que l'autre soutient qu'un accord ultérieur
est intervenu en faveur des tribunaux étatiques, il apparaît
d'emblée que les deux tribunaux en concours (le tribunal ar-
bitral et le tribunal étatique) ont une égale vocation à
trancher la question litigieuse.

    Il n'y a donc pas lieu d'accorder au tribunal arbi-
tral une priorité qui n'a aucun fondement juridique et ne
trouve pas de justification. Il faut s'en tenir à la règle de
la litispendance, consacrée à l'art. 9 LDIP, qui donne la
priorité au premier tribunal saisi.

    Si l'on examine plus avant la question litigieuse
en l'espèce, on peut même soutenir que les tribunaux pana-
méens sont mieux placés que le Tribunal arbitral pour tran-
cher la question.

    Il n'est pas contestable qu'une convention d'arbi-
trage peut être remplacée par un accord ultérieur (cf. ATF
121 III 495 consid. 5). Un tel accord peut résulter d'actes
concluants (ATF 121 III 495 consid. 5a). L'attitude des par-
ties est susceptible d'être interprétée selon le principe de
la confiance (ATF 121 III 495 consid. 5). Il est donc possi-
ble d'imputer à une partie le sens objectif de son comporte-
ment, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime
(Wiegand, Commentaire bâlois, n. 8 ad art. 18 CO; Kramer,
Commentaire bernois, n. 101 s. ad art. 1er CO; Engel, Traité
des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 216 s.).

    En l'espèce, l'intimée, en saisissant les tribunaux
panaméens, a manifesté sa volonté de renoncer à la convention
d'arbitrage. La question litigieuse est de savoir si la re-
courante a accepté cette offre. On peut attendre d'une grande
société, représentée par un avocat du lieu, qu'elle procède
correctement si elle entend contester la compétence du tribu-
nal étatique et se prévaloir de la convention d'arbitrage.
Savoir si l'exception d'arbitrage a été soulevée en temps
utile ne relève ni de la Convention de New York ni de la
LDIP, mais de la lex fori (ATF 111 II 62 consid. 2 p. 66). La
question litigieuse ressortit donc en définitive au droit pa-
naméen, que les autorités de ce pays sont mieux placées pour
connaître et appliquer correctement.

    Le Tribunal arbitral l'a d'ailleurs admis expressé-
ment, en soulignant qu'il attachait de l'importance à la dé-
cision du tribunal supérieur. On ne comprend dès lors pas
pourquoi il n'a pas attendu l'arrêt de la Cour suprême. Cette
position est insoutenable.

    Il semble que le Tribunal arbitral, profitant du
fait qu'il statue en instance unique, a voulu prendre de vi-
tesse les instances panaméennes. Une telle manière de procé-
der est dépourvue de tout fondement juridique. Le critère de
priorité fixé par l'art. 9 LDIP est la date de la saisine, et
non pas la date de la décision en dernière instance.

    d) Il résulte des considérations qui précèdent que
le Tribunal arbitral siégeant en Suisse devait appliquer
l'art. 9 LDIP.

    Il ne pouvait donc continuer la procédure arbitrale
qu'en constatant qu'il n'était pas saisi de la même cause ou
que la juridiction étrangère ne sera pas en mesure de rendre,
dans un délai convenable, une décision pouvant être reconnue
en Suisse (art. 9 al. 1 LDIP).

    La sentence attaquée n'est pas fondée sur une telle
constatation, de sorte qu'il faut conclure qu'elle viole
l'art. 9 al. 1 LDIP.

    Dès lors qu'il est constant que les tribunaux pana-
méens ont été saisis en premier lieu d'un litige au fond op-
posant les parties et se rapportant apparemment au même com-
plexe litigieux, le Tribunal arbitral devait en principe sus-
pendre la procédure. Il n'aurait pu passer outre qu'en mon-
trant que les conditions de l'art. 9 al. 1 LDIP n'étaient pas
réalisées, ce qu'il n'a pas fait. En statuant sur sa compé-
tence plutôt que de surseoir, le Tribunal arbitral a violé la
règle de compétence contenue à l'art. 9 al. 1 LDIP et sa
sentence doit être annulée (art. 190 al. 2 let. b LDIP).

    Il n'y a pas lieu de statuer maintenant sur la com-
pétence, puisqu'il faut en principe suspendre la procédure
arbitrale (art. 9 al. 1 LDIP).

    Comme l'action est toujours pendante devant les
tribunaux panaméens (sur la base d'une décision définitive de
compétence), le Tribunal arbitral ne pourrait reprendre sa
procédure qu'en constatant qu'il n'est pas saisi de la même
action ou que la juridiction étrangère n'est pas en mesure de
rendre, dans un délai convenable, une décision pouvant être
reconnue en Suisse. Une telle décision de la part du Tribunal
arbitral serait susceptible d'un nouveau recours de droit pu-
blic.

    Dans ces conditions, il est inutile d'examiner les
autres griefs invoqués.

    3.- Les frais et dépens doivent être mis à la
charge de l'intimée qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1
OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Admet le recours et annule la sentence attaquée;

    2. Met un émolument judiciaire de 20 000 fr. à la
charge de l'intimée;

    3. Dit que l'intimée versera à la recourante une
indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux
mandataires des parties et au Président du Tribunal arbitral.

                        ____________

Lausanne, le 14 mai 2001
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,