Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.281/2001
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4P.281/2001

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                        12 mars 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz et
Favre, juges. Greffière: Mme de Montmollin.

                        _____________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________, représenté par Me Maurizio Locciola, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 8 octobre 2001 par la Chambre d'appel en ma-
tière de baux et loyers du canton de Genève dans la cause qui
oppose le recourant à Y.________, représenté par Me Mike
Hornung, avocat à Genève;

  (art. 9 Cst.; procédure civile, appréciation des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Le 20 janvier 1993, A.________ a loué à Genève
un appartement de 3 pièces appartenant à Y.________ pour un
loyer annuel de 11 340 fr., plus une provision pour les char-
ges de 1260 fr. Le 28 janvier 1999, le locataire a résilié
son bail pour le 30 avril 1999; la gérance immobilière lui a
répondu qu'elle n'acceptait le congé que pour l'échéance con-
tractuelle trimestrielle du 31 mai 1999, sauf présentation
d'un locataire de remplacement. A cette dernière date,
A.________ a restitué l'appartement.

    Le 1er juin 1999, X.________ est devenu locataire
de ce dernier. Un nouveau contrat de bail a été signé pour la
période du 16 juin 1999 au 30 juin 2000, avec clause de re-
conduction tacite. Le loyer annuel restait de 11 340 fr.,
charges en sus.

    B.- Le 23 juin 1999, X.________ a contesté le loyer
initial devant la Commission de conciliation du canton de
Genève. Il a invoqué la nécessité personnelle et familiale,
ainsi que la situation du marché des logements de 3 pièces,
et sollicité la fixation de son loyer selon le calcul de
rendement. La cause n'a pas été conciliée et X.________ a
saisi le Tribunal des baux et loyers le 26 octobre 1999. Par
jugement du 16 novembre 2000, celui-ci a admis la demande,
fixé le loyer litigieux à 8535 fr. 60 par an dès le 16 juin
1999, condamné le bailleur à restituer le trop perçu et ra-
mené le montant admissible de la garantie bancaire à 2134 fr.

    C.- Le bailleur a saisi la Chambre d'appel en ma-
tière de baux et loyers de ce jugement. Il a soutenu que le
locataire avait repris le bail d'un ancien locataire, ce qui
ne l'autorisait pas à en contester le loyer initial. De plus,
le premier juge n'avait pas examiné si le locataire se trou-
vait dans une situation de contrainte au sens de l'art. 270
al. 1 let. a CO, au moment de la conclusion du bail, ce qui
n'avait pas été établi.

    Statuant le 8 octobre 2001, la Chambre d'appel a
annulé le jugement du Tribunal des baux et loyers. Retenant
qu'il y avait bien conclusion d'un nouveau bail, et non re-
prise de bail, elle a estimé que l'autorité de première ins-
tance avait violé l'art. 270 al. 1 CO parce que le locataire
n'avait pas allégué et prouvé à satisfaction de droit l'exis-
tence de circonstances personnelles et familiales l'ayant
contraint à conclure le bail, ni démontré qu'il avait recher-
ché un appartement adapté à ses besoins. Il n'était dès lors
pas nécessaire de renvoyer la cause au tribunal pour qu'il
procède à des enquêtes sur ces points, les conditions d'ap-
plication de l'art. 270 al. 1 CO n'étant pas réunies.

    D.- Parallèlement à un recours en réforme, le lo-
cataire interjette un recours de droit public contre l'arrêt
du 8 octobre 2001, concluant à l'annulation de la décision
attaquée et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision.

    Le bailleur s'en rapporte à justice quant à la re-
cevabilité du recours et conclut à son rejet.

    La Chambre d'appel se réfère aux considérants de
sa décision.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.- Conformément à la règle générale, le recours de
droit public sera traité avant le recours en réforme (art. 57
al. 5 OJ).

    2.- Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal
fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel in-
voqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours
(art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127 I 38 consid. 3c; 127 III
279 consid. 1c; 126 III 524 consid. 1c, 534 consid. 1b; 125 I
492 consid. 1b p. 495). Les moyens qui pourraient lui être
soumis par une autre voie sont irrecevables, conformément au
principe de subsidiarité absolue de cette voie de droit
(art. 84 al. 2 OJ).

    3.- Invoquant les art. 9 et 49 Cst., le recourant
reproche à la Chambre d'appel une application arbitraire des
art. 292, 435 et 126 de la loi genevoise de procédure civile
(ci-après: LPC/GE), ainsi que du principe de la force déroga-
toire du droit fédéral.

    4.- D'après le recourant, la cour cantonale a arbi-
trairement violé l'art. 292 LPC/GE de deux manières, tout
d'abord en revoyant l'état de fait résultant du jugement ren-
du par le Tribunal des baux et loyers, ensuite en entrant en
matière sur un moyen - insuffisance d'allégation de la part
du demandeur - non soulevé par les parties.

    a) aa) Sur le premier point, le recourant fait en
substance valoir que, contrairement à ce que la cour canto-
nale a admis, le Tribunal des baux n'a pas retenu que le
bailleur avait conclu à l'admissibilité d'une baisse de
24,73 % uniquement à titre subsidiaire; si l'autorité de pre-
mière instance a effectivement écrit dans ses considérants en

droit (en page 9) que le bailleur avait admis une baisse de
loyer de 24,73 % selon son calcul de rendement net, à titre
subsidiaire, le caractère subsidiaire de cette conclusion va-
lant acquiescement partiel ne ressortirait en revanche nulle-
ment de l'état de fait, ni des écritures des parties; si la
cour avait considéré de façon motivée que les faits avaient
été insuffisamment établis par le premier juge, elle aurait
dû annuler le jugement et renvoyer la cause à ce dernier.

    bb) L'art. 292 LPC/GE permet d'appeler à la Cour de
justice des jugements rendus par le Tribunal de première ins-
tance dans les causes dont il peut connaître en dernier res-
sort, notamment si - hormis certaines hypothèses non réali-
sées en l'espèce - le jugement consacre une violation de la
loi; l'appréciation juridique erronée d'un point de fait est
assimilée à la violation de la loi (al. 1 let. c). La cour
juge sans plaidoirie et sur le vu des mémoires écrits
(al. 2). Néanmoins, après avoir pris connaissance des mémoi-
res et pièces, elle peut ordonner que les causes soient plai-
dées devant elle (al. 3).

    cc) D'emblée, on constatera qu'à la lecture de
cette disposition, on ne voit pas ce qui interdirait de ré-
former, plutôt que d'annuler, le jugement querellé. Doit donc
être écartée l'assertion du recourant, aucunement étayée, se-
lon laquelle la cour cantonale aurait dû renvoyer l'affaire
au premier juge.

    Cela étant, la constatation figurant en page 9 du
jugement de première instance repose sur une interprétation
parfaitement soutenable des conclusions des parties; elle ne
peut par conséquent être qualifiée d'arbitraire. Il ressort
de l'état de fait du jugement du 26 novembre 2000 que, dans
son mémoire de réponse du 16 mars 2000, le bailleur a préten-
du principalement que le locataire avait repris le bail de
l'ancien occupant des lieux, de sorte qu'une contestation du

loyer initial n'était pas recevable, subsidiairement, qu'au-
cune des conditions alternatives de l'art. 270 CO n'était
réunie. Par ordonnance du 23 juin 2000, le tribunal a invité
le bailleur à produire les pièces nécessaires pour procéder à
un calcul de rendement net de l'immeuble. L'intéressé a dépo-
sé le 2 août 2000 un chargé de pièces, accompagné des conclu-
sions formelles suivantes: "Principalement, dire que la
baisse de loyer réclamée dans la requête du 23 juin 1999 est
abusive en tant qu'elle excède 24,73 %". Ces conclusions
étaient toutefois précédées d'explications sous formes d'al-
légués numérotés de 1 à 17, indiquant clairement que le cal-
cul du rendement admissible présenté l'était dans l'hypothèse
où une baisse de loyer devait être accordée au demandeur, et
que le bailleur, s'agissant de la question de la recevabilité
de la requête déposée par son adverse partie, se référait à
ses écritures antérieures. Il est généralement admis en pro-
cédure civile que les conclusions des parties doivent s'in-
terpréter à la lumières des motifs ou allégués. En statuant
comme elle l'a fait, la cour cantonale n'a ainsi nullement
versé dans l'arbitraire.

    b) Le recourant reproche également en vain à la
cour cantonale d'avoir arbitrairement outrepassé son pouvoir
d'examen en entrant en matière sur un grief non soulevé de-
vant elle. Ce grief concerne le devoir d'allégation des par-
ties quant aux conditions d'application de l'art. 270 CO.
Comme la réalisation de ces conditions était contestée par le
bailleur, la cour devait nécessairement rechercher si les
faits pertinents avaient été allégués et prouvés à satisfac-
tion de droit, cela sur le plan formel, ce qui ressortit en
principe au droit cantonal, ensuite sur le plan matériel, ce
qui est en revanche déterminé par le droit matériel fédéral
et échappe donc à la connaissance du Tribunal fédéral dans la
présente procédure (cf. Fabienne Hohl, Procédure civile, tome
I, n° 795 ss). En l'occurrence, la cour cantonale a considéré
que le locataire n'avait pas fourni les précisions indispen-

sables sur sa séparation d'avec sa femme et sa situation fi-
nancière. Or, pour les raisons exposées dans le recours en
réforme, ces éléments ne sont en réalité nullement détermi-
nants pour l'issue du litige. Pour autant qu'il soit receva-
ble, ce moyen doit dès lors être écarté.

    5. Les trois derniers griefs sont quant à eux pure-
ment et simplement irrecevables, en vertu du principe de sub-
sidiarité absolue du recours de droit public.

    a) L'art. 435 LPC/GE prescrit l'emploi de la maxime
d'office par la juridiction des baux et loyers. Semblable in-
jonction figure déjà à l'art. 274d al. 3 CO, instituant la
maxime d'office ou maxime inquisitoire à caractère social
dans le but de protéger la partie au contrat considérée comme
la plus faible (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire
LPC, n. 1 ad art. 435). Or, lorsque la disposition cantonale
dont on invoque la violation ne fait que reproduire ou rappe-
ler une règle fédérale et n'a ainsi pas de portée autonome,
c'est par la voie du recours en réforme qu'il convient de
soumettre la question au Tribunal fédéral (cf. Poudret, COJ
II, n. 1.4.3 ad art. 43 OJ). Est par conséquent irrecevable
le grief tiré d'une application arbitraire de cette disposi-
tion, dont le contenu correspond à celui de la disposition
topique du droit civil fédéral (cf. arrêt du Tribunal fédéral
4P.227/1999 du 6 décembre 1999 consid. 2a/bb et l'arrêt
cité).

    b) L'art. 126 LPC/GE résulte directement de la lé-
gislation fédérale et traite du fardeau de l'allégation
(art. 8 CC), dont seules les modalités sont réglées par la
procédure cantonale (Bertossa/Gaillard/Guyet, op. cit., n. 1
ad art. 126). Ici également, cette règle cantonale, qui ne
fait que répéter matériellement la disposition fédérale, n'a
pas pour effet de déclasser la norme fédérale, de sorte que
le recourant peut toujours se plaindre de la violation de la

disposition fédérale elle-même par le moyen approprié, soit
le recours en réforme (Bernard Corboz, Le recours en réforme
au Tribunal fédéral, in: SJ 2000 II p. 32).

    c) Il en va de même du reproche de violation du
principe de la primauté du droit fédéral, énoncé à l'art. 49
Cst., que le recourant soulève à titre accessoire, dès lors
qu'il peut directement se plaindre d'une atteinte à la règle
de droit fédéral méconnue par le biais du recours en réforme.
En l'occurrence, le recourant a combattu par cette voie la
violation de l'art. 274d al. 3 CO, en conformité avec le
principe de la subsidiarité absolue (ATF 122 I 81 consid. 1
in fine et les arrêts cités, p. 83).

    6.- Vu l'issue de la cause, le recourant supportera
les frais de justice et versera à l'intimé une indemnité à
titre de dépens.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

        1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable.

    2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge du recourant.

    3. Dit que le recourant versera à l'intimé une in-
demnité de 2500 fr. à titre de dépens.

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux
et loyers du canton de Genève.
                       _______________

Lausanne, le 12 mars 2002
MMH/dxc

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le président,

                        La greffière,