Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.22/2001
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4P.22/2001

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                        15 juin 2001

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu et
Mme Klett, juges. Greffière: Mme Godat Zimmermann.

                      _________________

        Statuant sur le recours de droit public formé
                             par

J.________, représentée par Me Nicolas Jeandin, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 4 décembre 2000 par la Chambre d'appel en
matière de baux et loyers du canton de Genève dans la cause
qui oppose la recourante à B.________;

       (art. 9 et 29 al. 2 Cst.; droit d'être entendu,
                 droit cantonal, arbitraire)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Depuis le 1er avril 1982, B.________ est lo-
cataire d'un appartement de sept pièces et demie, à Genève.
La bailleresse est J.________. Conclu pour trois ans, le bail
était ensuite reconductible tacitement d'année en année.

    Par avis de majoration du 6 décembre 1990, non con-
testé, le loyer a été augmenté selon l'échelonnement suivant:

    - 26 400 fr. du 1er avril 1991 au 31 mars 1992;
    - 28 200 fr. du 1er avril 1992 au 31 mars 1994.

    Parallèlement, la prochaine échéance a été fixée au
31 mars 1994, le bail se renouvelant par la suite tacitement
d'année en année.

    Par avis de majoration du 15 décembre 1997, la
bailleresse a déclaré vouloir porter le loyer à 36 000 fr.,
charges non comprises, du 1er avril 1998 au 31 mars 1999. La
motivation de l'augmentation résidait en une «réadaptation
partielle aux prix pratiqués dans le quartier, art. 269a let.
a du CO». B.________ a contesté l'augmentation.

    B.- La bailleresse a introduit action devant le
Tribunal des baux et loyers du canton de Genève, qui l'a dé-
boutée dans un premier jugement, sans examiner les objets
présentés à titre comparatif. Sur recours de la bailleresse,
la Chambre d'appel en matière de baux et loyers a annulé le
jugement de première instance et renvoyé la cause au Tribunal
pour qu'il examine les exemples de comparaison fournis par la
demanderesse.

    Par ordonnance préparatoire du 19 novembre 1999, le
Tribunal des baux et loyers a invité la bailleresse à complé-
ter les fiches descriptives déjà déposées, en joignant toutes
pièces utiles concernant l'évolution des loyers. La demande-
resse a alors produit un compte-rendu des taux hypothécaires
pratiqués par la banque cantonale depuis 1920, des lettres de
régies relatives à l'évolution des loyers dans certains des
cas cités en exemple, ainsi qu'une nouvelle fiche descriptive
d'un appartement.

    Dans son jugement du 12 mai 2000, le Tribunal a
tout d'abord rejeté la demande subsidiaire d'ouverture d'en-
quêtes de la demanderesse. Sur le fond, il a rejeté la deman-
de de hausse de loyer, considérant que la bailleresse n'avait
pas fourni un nombre suffisant d'éléments de comparaison adé-
quats.

    Statuant le 4 décembre 2000 sur appel de la deman-
deresse, la Chambre d'appel a confirmé le jugement de premiè-
re instance.

    C.- J.________ forme un recours de droit public,
concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de
la cause à la juridiction cantonale pour nouvelle décision.

    La Chambre d'appel se réfère aux considérants de
son arrêt alors que B.________ propose le rejet du recours.

    Parallèlement, J.________ a interjeté un recours en
réforme contre le même arrêt.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t  :

    1.- a) Le Tribunal fédéral examine d'office et avec
une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83, 207 consid. 1; 126 III
274 consid. 1 p. 275; 125 I 253 consid. 1a p. 254, 412 con-
sid. 1a p. 414).

    b) De jurisprudence constante, le recours de droit
public a, sauf exceptions non réalisées en l'espèce, une
fonction purement cassatoire; le recourant ne peut ainsi con-
clure qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 125 I
104 consid. 1b p. 107; 124 I 231 consid. 1 p. 232; 123 I 87
consid. 5 p. 96). Les conclusions qui, comme celles de la re-
courante, tendent simplement au renvoi de la cause à l'auto-
rité précédente sont toutefois admissibles, car cette mesure
est inhérente à l'annulation de la décision.

    c) L'arrêt attaqué repose sur une double motiva-
tion. Tout d'abord, la cour cantonale a jugé que la durée de
quatre ans qui s'était écoulée entre le renouvellement tacite
du bail - le 1er avril 1994 - et l'entrée en vigueur de la
nouvelle hausse - le 1er avril 1998 - était trop courte pour
apprécier l'évolution du marché et ne permettait ainsi pas
d'invoquer le critère des loyers usuels. Au surplus, la Cham-
bre d'appel a confirmé le jugement de première instance, se-
lon lequel la recourante n'avait pas fourni un nombre suffi-
sant d'exemples comparables, propres à justifier le nouveau
loyer exigé.

    Lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs
motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, tou-
tes suffisantes, le recourant doit, à peine d'irrecevabilité,
démontrer que chacune d'entre elles viole ses droits consti-

tutionnels (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 119 Ia 13 consid. 2
p. 16; 107 Ib 264 consid. 3b p. 268). Si l'une des motiva-
tions ne relève pas du recours de droit public, il appartien-
dra au recourant de l'attaquer par le moyen de droit idoine,
par exemple le recours de droit administratif (ATF 105 Ib 221
consid. 2c p. 224), le pourvoi en nullité (ATF 121 IV 94 con-
sid. 1b p. 95) ou le recours en réforme (ATF 111 II 398 con-
sid. 2b; 115 II 300 consid. 2a p. 302).

    En l'espèce, les critiques contenues dans le re-
cours de droit public concernent uniquement la seconde moti-
vation de l'arrêt attaqué, la recourante reprochant à la cour
cantonale de n'avoir pas entendu les rédacteurs des fiches de
loyers comparatifs produites. A juste titre, la recourante
s'en prend à l'argumentation fondée sur le délai de quatre
ans dans le recours en réforme connexe. Dans ces conditions,
il convient d'entrer en matière sur le recours de droit pu-
blic.

    2.- Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante
fait valoir que la cour cantonale a violé son droit d'être
entendue. Elle expose avoir demandé, à plusieurs reprises,
l'audition des personnes ayant rédigé les fiches produites à
titre d'exemple des loyers du quartier; or, il s'agissait
d'une offre de preuve pertinente, puisqu'elle aurait permis
d'élucider des éléments déterminants, comme l'état de l'im-
meuble, l'état de l'appartement, la situation de l'immeuble,
les équipements à disposition du locataire ainsi que l'éven-
tuelle évolution des loyers de comparaison par rapport au
taux hypothécaire.

    a) Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29
al. 2 Cst. confère au justiciable le droit de s'expliquer
avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de
fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur

le sort de la cause, de participer à l'administration des
preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur
propos (ATF 126 V 130 consid. 2b p. 131/132; pour la juris-
prudence relative à l'art. 4 aCst., toujours valable [ATF 126
V 130 consid. 2a p. 131]: ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16;
124 I 49 consid. 3a p. 51; 124 II 132 consid. 2b p. 137; 123
I 63 consid. 2a p. 66 et les arrêts cités). En particulier,
le droit d'être entendu comprend le droit d'obtenir qu'il
soit donné suite à des offres de preuves pertinentes (ATF 122
V 157 consid. 1a p. 158; 120 Ib 379 consid. 3b p. 383; 119 Ia
136 consid. 2d p. 139 et les arrêts cités), mais l'autorité
peut refuser une mesure d'instruction supplémentaire lorsque
les preuves administrées lui ont permis de former sa convic-
tion et que, procédant d'une manière non arbitraire à une
appréciation anticipée des preuves qui lui sont proposées en
complément, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'ame-
ner à modifier son opinion (ATF 122 II 464 consid. 4a p. 469;
120 Ib 224 consid. 2b p. 229 et les arrêts cités).

    b) En l'espèce, la cour cantonale a considéré que
l'audition des rédacteurs des fiches déposées par la recou-
rante n'apporterait aucun élément nouveau par rapport aux
faits ressortant desdites pièces.

    Comme la Chambre d'appel le souligne, il est vrai
que, hormis l'évolution des loyers de comparaison en fonction
du taux hypothécaire, les points sur lesquels la recourante
aurait voulu entendre des témoins ressortent déjà des fiches
produites. Ainsi, l'état de l'immeuble figure sous la rubri-
que «Etat général du bâtiment»; l'état et l'équipement de
l'appartement sont décrits précisément dans les fiches; quant
à la situation de l'immeuble, elle correspond à la désigna-
tion «Environnement & commodités». Par ailleurs, selon l'or-
donnance du 19 novembre 1999, la recourante a été invitée à
compléter les fiches comparatives, en produisant toutes piè-

ces utiles relatives à l'évolution des loyers. Elle a alors
déposé des lettres de régies indiquant l'évolution des loyers
dans certains des exemples invoqués. Or, le droit d'être en-
tendu, tel que garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., ne suppose
pas le droit d'obtenir, en sus, l'audition des rédacteurs des
fiches, notamment dans les cas où une réponse écrite sur la
question du taux hypothécaire n'a pas été fournie.

    Au demeurant, la juridiction cantonale a écarté
seize des dix-neuf cas produits en se fondant sur des élé-
ments qui ne sont pas sujets à discussion, que ce soit l'an-
née de construction de l'immeuble, le nombre de pièces de
l'appartement, sa surface ou l'étage occupé. Conformément à
la jurisprudence rappelée ci-dessus, la Chambre d'appel pou-
vait, sans méconnaître le droit d'être entendu de la recou-
rante, refuser d'entendre des témoignages qui n'étaient pas à
même de modifier l'issue du litige. Le premier moyen est mal
fondé.

    3.- a) La recourante se plaint également d'une ap-
plication arbitraire de l'art. 436 al. 1 de la loi de procé-
dure civile genevoise (ci-après: LPC/GE), qui a trait à l'en-
quête par témoin dans la procédure devant le Tribunal des
baux et loyers. La cour cantonale aurait ainsi refusé à la
recourante la possibilité d'apporter la preuve des éléments
nécessaires à la comparaison des loyers, par l'audition de
témoins en particulier, avant de retenir que la preuve d'un
nombre suffisant d'exemples comparatifs appropriés n'avait
pas été rapportée. En déboutant la recourante des fins de sa
requête, la Chambre d'appel aurait abouti à un résultat cho-
quant.

    b) L'art. 436 al. 1 LPC/GE autorise le tribunal qui
estime nécessaire de procéder à l'audition de témoins à dési-
gner les personnes qu'il veut entendre et à inviter les par-

ties à déposer une liste des témoins dont elles sollicitent
l'audition. Le tribunal ne peut refuser une audition demandée
en temps utile et selon les formes requises; l'appréciation
anticipée des preuves est réservée (Bertossa/Gaillard/Guyet/
Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise,
tome III, n. 1 ad art. 436).

    En l'occurrence, la cour cantonale a procédé à une
appréciation anticipée des preuves offertes. En considérant
que l'audition des rédacteurs des fiches comparatives ne per-
mettrait pas de modifier, sur les points déterminants, les
constatations résultant desdits documents, elle n'a en tout
cas pas appliqué l'art. 436 al. 1 LPC/GE de manière arbitrai-
re. En effet, comme déjà relevé, le raisonnement conduit dans
l'arrêt attaqué repose sur des éléments de fait qui n'étaient
pas susceptibles d'être modifiés par des témoignages. Dans
ces conditions, le second moyen doit également être rejeté.

    4.- Vu l'issue du recours, les frais judiciaires
seront mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 OJ).
En revanche, elle n'aura pas à verser de dépens à l'intimé,
qui n'est pas représenté par un avocat et n'a pas réclamé le
remboursement de débours, ni fait valoir des circonstances
particulières justifiant l'octroi d'une indemnité pour perte
de temps ou de gain (art. 159 al. 1 et 2, art. 160 OJ, art.
1er al. 2 et art. 2 du tarif pour les dépens alloués à la
partie adverse dans les causes portées devant le Tribunal
fédéral [RS 173.119.1]; ATF 113 Ib 353 consid. 6b p. 357).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Rejette le recours;

    2. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. à la
charge de la recourante;

    3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du can-
ton de Genève.

                        ____________

Lausanne, le 15 juin 2001
ECH
                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,