Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.111/2001
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4P.111/2001

                  Ie  C O U R  C I V I L E
                 **************************

                      10 décembre 2001

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et
Nyffeler, juges.  Greffier: M. Gelzer.

                      ________________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________ S.A.,

                           contre

l'arrêt rendu le 16 mars 2001 par Chambre civile de la Cour
de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose la
recourante à L.________, représenté par Me Pierre de Preux,
avocat à Genève;

 (art. 9 Cst.; appréciation arbitraire des preuves en
                      procédure civile)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- Spécialisée dans l'achat, la fabrication et la
vente de bracelets et pièces se rapportant à la bijouterie,
Z.________ S.A. a modifié sa raison sociale en X.________
S.A. en avril 1988. Peu avant, soit en juin 1987, le prési-
dent de son conseil d'administration, A.________, avait été
remplacé par B.________ et C.________. A la même époque
D.________ et E.________ ont été inscrits au Registre du
commerce en qualité, respectivement d'administrateur délégué
et de secrétaire de la société. Celle-ci disposait d'un im-
meuble, à Meyrin.

    Dès 1986, L.________, architecte, a été approché
par A.________ en vue d'examiner la possibilité de modifier
le bâtiment, notamment en procédant à sa surélévation de
deux, voire trois étages. Dans un premier temps, il a procédé
à une étude de gabarit pour déterminer les possibilités léga-
les d'agrandissement de l'immeuble. Par la suite, il a effec-
tué des relevés du bâtiment existant et visité celui-ci pour
déterminer ce qui pouvait être utilisé. Un premier projet de
surélévation et d'agrandissement a été établi.

    En automne 1987, L.________, sur la base de cette
première étude, a fait établir des devis par les entreprises
intéressées afin de procéder à une première estimation du
coût du projet. Cette première estimation, évaluée à
3'078'000 fr., a été transmise à X.________ S.A., soit à son
administrateur D.________, le 19 novembre 1987.

    A la suite de discussions, un second projet a été
réalisé, conforme aux exigences de X.________ S.A. Les plans
ont été signés par D.________ en vue du dépôt de la requête
d'autorisation de construire.

    Entre novembre et décembre 1988, plusieurs séances
de travail ont eu lieu entre L.________ et X.________ S.A. A
l'issue de ces rencontres, L.________ a établi de nouveaux
plans, modifiés selon les indications et désirs de X.________
S.A. Pour ces travaux, il était assisté par l'architecte
G.________ qui travaillait en qualité de sous-traitant.

    Le 12 décembre 1988, L.________ a adressé à
D.________ un dossier de plans déjà mis à jour ainsi qu'une
lettre détaillée à laquelle était annexé un exemplaire des
normes SIA 102 incluant le tarif 1988.

    Le 18 janvier 1989, X.________ S.A. a sollicité un
planning détaillé des travaux, requête à laquelle L.________
a répondu en date du 21 février 1989 en réclamant le paiement
d'un premier acompte de 80'000 fr.

    Après avoir pris contact avec l'ingénieur qui avait
réalisé le bâtiment d'origine et un chauffagiste, L.________
a estimé que les travaux s'élèveraient à environ
4'000'000 fr. au regard des nouvelles spécifications de
X.________ S.A.

    Un devis plus précis a été adressé à X.________
S.A. le 15 mars 1989, établissant le coût des travaux à
4'410'000 fr. Les derniers plans communiqués, visés par
D.________, étaient prêts pour le dépôt de la demande d'au-
torisation de construire.

    Le 24 avril 1989, L.________ a réclamé le paiement
de 108'000 fr. d'honoraires en application du tarif prévu par
la norme SIA 102. Faute de réaction, L.________ a avisé
X.________ S.A., le 30 mai 1989, de la résiliation de son
mandat.

    Dans une lettre du 2 juin 1989, X.________ S.A. a
informé L.________ qu'elle considérait ses propositions comme
un devis ne pouvant pas être accepté par elle et qu'elle lui
retournait ses projets de construction.

    Le 5 août 1994 L.________ a fait notifier un com-
mandement de payer à X.________ S.A., qui y a fait opposi-
tion.

    B.- Par demande déposée le 16 juin 1997, L.________
a conclu à ce que X.________ S.A. soit condamnée à lui payer,
pour son activité d'architecte, la somme de 108'000 fr. avec
intérêts à 6 % dès le 24 avril 1989 et à ce que l'opposition
à la poursuite soit définitivement enlevée.

    A l'issue des enquêtes, le Tribunal de première
instance du canton de Genève a ordonné une expertise pour
fixer l'ampleur exacte de la rémunération de L.________ et il
a désigné F.________, architecte, pour y procéder. En se
basant sur les dispositions de la norme SIA 102, relativement
au coût de l'ouvrage devisé à 4'100'000 fr., l'expert est
arrivé à un montant d'honoraires de 113'952 fr. Il a encore
procédé à une autre évaluation en tenant compte des heures
consacrées par le demandeur à l'exécution de son mandat. Sur
cette base, l'expert judiciaire est arrivé à un montant d'ho-
noraires et de débours de 118'765 fr. Il a confirmé ses con-
clusions lors de son audition du 13 décembre 1999. Le 9 mars
2000, le Tribunal de première instance, statuant sur inci-
dent, a débouté X.________ S.A. de ses conclusions visant à
la mise en oeuvre d'une contre-expertise.

    Par jugement du 21 septembre 2000, le Tribunal de
première instance a condamné la défenderesse à payer au de-
mandeur la somme de 108'000 fr. avec intérêts à 6 % dès le 24
avril 1989, rejetant toutes autres conclusions.

    Par arrêt du 16 mars 2001, la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève, statuant sur appel de la
défenderesse, a confirmé le premier jugement sauf en ce qui
concerne le dies a quo des intérêts et le taux de ceux-ci.
Elle a décidé que la somme allouée porterait intérêts à 5 %
dès le 30 mai 1989.

    C.- La défenderesse a formé un recours de droit pu-
blic au Tribunal fédéral. Invoquant l'interdiction de l'arbi-
traire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au
rejet intégral de la demande.

    L'intimé propose le rejet du recours. La Cour de
justice déclare se référer aux considérants de la décision
attaquée.

    Par ordonnance du 10 juillet 2001, le Président de
la Ie Cour civile a rejeté la demande de sûretés en garantie
des dépens présentée par l'intimé.

          C o n s i d e r a n t   e n   d r o i t:

    1.- Interjeté en temps utile contre une décision
finale prise en dernière instance cantonale, le recours est
en principe recevable au regard des art. 84 ss OJ. Il con-
vient toutefois de préciser qu'hormis certaines exceptions
qui ne sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit
public n'a qu'un caractère cassatoire (ATF 127 III 279 con-
sid. 1b p. 282; 126 III 524 consid. 1b p. 526). Les conclu-
sions de la recourante allant au-delà de la simple annulation
de la décision attaqué sont donc irrecevables.

          2.- La recourante reproche à la Cour de justice une
appréciation arbitraire de l'expertise.

    a) Le Tribunal fédéral se montre réservé dans le
domaine de l'appréciation des preuves, vu le large pouvoir
qu'il reconnaît en la matière à l'autorité cantonale. Il n'y
a violation de l'art. 9 Cst. que lorsque cette appréciation
est manifestement insoutenable ou en contradiction flagrante
avec les pièces du dossier (ATF 120 Ia 31 consid. 4b p. 40;
118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts cités). Lorsque
l'autorité cantonale juge une expertise concluante et en fait
sien le résultat, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'ap-
préciation arbitraire que si l'expert n'a pas répondu aux
questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou
si, de quelqu'autre façon, l'expertise est entachée de dé-
fauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans con-
naissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simple-
ment pas les ignorer. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral
de vérifier si toutes les affirmations de l'expert sont exem-
ptes d'arbitraire; sa tâche se limite plutôt à examiner si
l'autorité cantonale pouvait, sans arbitraire, se rallier au
résultat de l'expertise (cf. arrêt non publié  du 20 avril
2001, dans la cause U. S.A. c/ P. & Cie, 5P.457/2000, consid.
4a).

    b) En substance, la recourante fait valoir que les
heures retenues par l'expert équivalent à sept mois de tra-
vail à temps complet. Selon elle, ce chiffre serait exorbi-
tant et ne correspondrait à aucune réalité. Il serait établi
que l'architecte indépendant G.________ aurait consacré 254
heures au projet. L'instruction de la cause aurait permis de
déterminer que cet architecte avait mis en place le programme
correspondant aux besoins de la recourante et dressé l'inté-
gralité des plans définitifs, à savoir aussi bien ceux de dé-
cembre 1988 que ceux de février 1989. Dans ces circonstances,
il serait inexplicable que l'expert ait retenu pour la pério-
de considérée un nombre total de 715 heures. Une telle diffé-
rence serait insoutenable et ne reposerait sur aucun élément
concret du dossier.

    Ce grief est mal fondé. L'architecte G.________ a
déclaré au Tribunal de première instance avoir seulement as-
sisté le demandeur dans son activité entre novembre 1988 et
mai 1989 et n'avoir pas travaillé seul. De surcroît les 715
heures estimées par l'expert couvrent non seulement cette
période mais toute la durée de l'année 1988 (490 h) et de
l'année 1989 (225 h; cf. expertise, p. 10). Partant, l'esti-
mation de l'expert n'est pas en contradiction avec les heures
de travail effectuées par l'architecte G.________.

    La recourante prétend en outre que l'erreur fla-
grante de l'expertise serait également démontrée par un sim-
ple calcul mathématique. Suivant la norme SIA 102 retrans-
crite dans l'expertise (p. 6), le travail de l'architecte
G.________, lors de la phase 4.1.2. (phase du projet
définitif et estimation du coût), correspondait à un pour-
centage de 12,5 % au regard du pourcentage total retenu de
21,5 %. Comme l'architecte G.________ avait facturé
19'050 fr. pour 12,5 % de la prestation, l'intimé aurait dû
facturer un montant maximum de 32'766 fr. pour l'exécution
des 21,5 % de la prestation. Dans le même ordre d'idées,
l'exécution des 21,5 % de la prestation ne pouvait permettre
à l'intimé d'y consacrer plus de 437 heures de travail, comp-
te tenu du fait que 254 heures seulement avaient été néces-
saires à l'architecte G.________ pour effectuer 12,5 % de la
prestation.

    Contrairement à ce que prétend la recourante, l'ar-
chitecte G.________ n'a pas fourni tout seul le travail de la
phase 4.1.2. qui correspond à un pourcentage de 12,5 % de la
prestation. Les calculs de la recourante sont donc privés de
fondement.

    Pour démontrer le caractère erroné de l'expertise,
la recourante invoque à nouveau une pièce établie sur papier
à en-tête de H.________, datée du 15 août 1989, et un cour-

rier rédigé par l'intimé le 30 mai 1989. Or, la recourante
n'indique pas en quoi les arguments que la Cour de justice
lui a déjà opposés à ce sujet seraient insoutenables. Faute
de répondre aux exigences de motivation posées par l'art. 90
al. 1 let b OJ, son recours est dès lors irrecevable sur ce
point (ATF 126 III 534 consid. 1b et la jurisprudence citée).

    Comme la recourante n'a pas pu prouver des erreurs
manifestes dont serait entachée l'expertise, elle ne peut pas
faire valoir que la Cour de justice aurait dû ordonner une
contre-expertise.

    3.- La recourante soutient enfin que le rapport
d'expertise serait lacunaire dans la mesure où il ne se pro-
noncerait pas sur la qualité matérielle de l'étude livrée par
l'intimé. Au surplus, la décision attaquée serait insoutena-
ble dans son résultat car elle oblige la recourante à payer
une somme considérable à un architecte pour un travail inuti-
lisable, commandé par l'ancien propriétaire de l'entreprise.

    Ces questions, qui relèvent du droit matériel, au-
raient pu faire l'objet d'un recours en réforme (ATF 124 III
44 consid. 1a/aa p. 46 et 229 consid. 2b p. 232). Compte tenu
de la subsidiarité absolue du recours de droit public (art.
84 al. 2 OJ), les griefs précités sont par conséquent irrece-
vables.

    4.- En définitive, le recours doit être rejeté dans
la mesure où il est recevable. Vu l'issue du litige, les
frais et dépens seront mis à la charge de la recourante (art.
156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e  T r i b u n a l  f é d é r a l  :

    1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

    2. Met un émolument judiciaire de 5000 fr. à la
charge de la recourante;

    3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 6000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève.

                         __________

Lausanne, le 10 décembre 2001
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,