Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2A.340/2001
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2A.340/2001

        IIe  C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                      13 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. et Mme les Juges Wurzburger, pré-
sident, Hungerbühler et Yersin. Greffier: M. Addy.

                         __________

       Statuant sur le recours de droit administratif
                          formé par

A.________, représentée par la Fondation suisse du Service
social International, rue Alfred-Vincent 10, à Genève,

                           contre

la décision rendue le 5 juillet 2001 par le Département fé-
déral de justice et police;

(art. 13 lettre f OLE : exception aux mesures de limitation)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- a) Ressortissante burundaise née le 17 avril
1976, A.________ est entrée en Suisse le 12 mai 1994, après
qu'elle eut quitté le Rwanda un mois plus tôt en compagnie de
sa mère, B.________. Les demandes d'asile que cette dernière
et sa fille ont déposées à leur arrivée en Suisse ont été re-
jetées, selon des décisions des 21 décembre 1994 et 25 avril
1995. Par ces mêmes décisions, l'Office fédéral des réfugiés
ordonnait également le renvoi des requérantes hors du terri-
toire suisse, en même temps qu'il les admettait toutefois à
titre provisoire, considérant que l'exécution d'un tel renvoi
n'était pas raisonnablement exigible dans l'immédiat. Par la
suite, les demandes présentées par A.________ et sa mère en
vue d'obtenir un réexamen des décisions précitées ont été re-
jetées (décision de l'Office fédéral des réfugiés du 18 août
1997).

   En novembre 1997, B.________ a épousé à Genève
C.________, ressortissant allemand au bénéfice d'un permis
d'établissement. Elle a de ce fait obtenu une autorisation de
séjour avant d'acquérir, bien plus tard, la nationalité
suisse par naturalisation (cf. arrêté du Conseil d'Etat gene-
vois du 25 avril 2001).

   b) Répondant à une demande d'A.________, les
autorités de police des étrangers compétentes du canton de
Genève ont informé l'Office fédéral des étrangers qu'elles
étaient disposées à délivrer à l'intéressée une autorisation
de séjour moyennant exception aux mesures de limitation selon
l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant
le nombre des étrangers (OLE; RS 823.21).

   Le 21 février 2000, l'Office fédéral des étrangers a
rendu à l'encontre d'A.________ une décision de refus d'ex-
ception aux mesures de limitation du nombre des étrangers.
Statuant sur recours le 5 juillet 2001, le Département fédé-
ral de justice et police a confirmé cette décision.

        B.- Agissant par la voie du recours de droit admi-
nistratif, A.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite
de frais, d'annuler la décision du 16 février 2001 (recte:
5 juillet 2001) du Département fédéral de justice et police
et de la mettre au bénéfice d'une exception aux mesures de
limitation. Elle requiert également, à titre préalable, l'au-
torisation de séjourner en Suisse jusqu'à droit jugé sur son
recours.

   Le Département fédéral de justice et police conclut
au rejet du recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- La voie du recours de droit administratif est,
en principe, ouverte contre les décisions relatives à l'assu-
jettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordon-
nance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403 con-
sid. 1 p. 404/405; 119 Ib 33 consid. 1a p. 35).

   Déposé en temps utile et dans les formes prescrites
par la loi, le présent recours est donc recevable en vertu
des art. 97 ss OJ.

   2.- L'autorité intimée étant une autorité adminis-
trative, le Tribunal fédéral peut revoir d'office les cons-

tatations de fait (art. 105 OJ). En outre, en matière de po-
lice des étrangers, pour autant que la décision attaquée
émane d'une telle autorité, le Tribunal fédéral fonde en
principe ses jugements sur l'état de fait et de droit exis-
tant au moment de la décision de dernière instance, soit de
sa propre décision (art. 104 lettre b et 105 al. 1 OJ;
ATF 121 II 97 consid. 1c p. 99; 120 Ib 257 consid. 1f
p. 262/263; 118 Ib 145 consid. 2b p. 148; 114 Ib 1 consid. 3b
p. 4). Dans ces conditions, rien ne s'oppose en principe à la
prise en considération des documents annexés par la recou-
rante à son recours de droit administratif ainsi que ceux
qu'elle a joints à une écriture complémentaire transmise le
28 août 2001, soit avant l'expiration du délai de recours
(cf. ATF 115 II 213 consid. 2 p. 215/216; 113 Ib 327 con-
sid. 2b p. 331 et les arrêts cités; Alfred Kölz/Isabelle
Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des
Bundes, 2e éd., Zurich 1998, n. 940 ss p. 333 ss). En revan-
che, il ne sera pas tenu compte des pièces nouvelles que la
recourante a produites spontanément le 10 octobre 2001, en
dehors du délai de recours, sans qu'un second échange d'écri-
tures n'ait été ordonné (cf. ATF 109 Ib 246 consid. 3c
p. 249; 99 Ib 87 consid. 1 p. 89).

   3.- Les mesures de limitation visent, en premier
lieu, à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la
population suisse et celui de la population étrangère rési-
dante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail
et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi
(art. 1er lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE sous-
trait aux mesures de limitation "les étrangers qui obtiennent
une autorisation de séjour dans un cas personnel d'extrême
gravité ou en raison de considérations de politique géné-
rale". Cette disposition a pour but de faciliter la présence
en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans
les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, mais pour

lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par
rapport aux circonstances particulières de leur cas ou pas
souhaitable du point de vue politique.

   Il découle de la formulation de l'art. 13 lettre f
OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère
exceptionnel et que les conditions mises à la reconnaissance
d'un cas de rigueur doivent être appréciées restrictivement.
Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une
situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses con-
ditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables
à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de
manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'in-
téressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour
lui de graves conséquences. Lors de l'appréciation d'un cas
personnel d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de
l'ensemble des circonstances du cas particulier. La recon-
naissance d'un cas personnel d'extrême gravité n'implique pas
forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue
l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. Par
ailleurs, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pen-
dant une assez longue période, qu'il s'y soit bien intégré
socialement et professionnellement et que son comportement
n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul,
à constituer un cas d'extrême gravité; il faut encore que la
relation du requérant avec la Suisse soit si étroite qu'on ne
saurait exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notam-
ment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de
travail, d'amitié ou de voisinage que le requérant a pu nouer
pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens
si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption
des mesures de limitation du nombre des étrangers (ATF 124 II
110 consid. 2 p. 111 s. et les références).

   4.- a) La recourante fait valoir que, bien qu'elle
soit originaire du Burundi, elle a quitté à l'âge de douze
ans ce pays dans lequel elle ne compte plus de famille depuis
le décès de son père en 1993. Elle soutient que ses liens
avec le Burundi sont ténus, au contraire de ceux qu'elle a
noués depuis son arrivée en Suisse il y a maintenant plus de
sept ans; à cet égard, elle souligne qu'elle a acquis une
formation commerciale, qu'elle exerce un travail et qu'elle
compte de nombreux membres de sa famille en Suisse. Elle
ajoute qu'un retour au Burundi serait d'autant plus pénible
pour elle que ce pays connaît une situation de "violence gé-
néralisée".

   De son côté, l'autorité intimée fait observer que la
recourante est au bénéfice d'une admission provisoire indivi-
duelle, en insistant sur le fait que cette mesure "n'est pas
prête d'être levée", de sorte que le refus de soustraire
l'intéressée aux restrictions des nombres maximums ne lui se-
rait, en définitive, pas véritablement préjudiciable.

   b) Cette dernière opinion n'est pas convaincante.
Certes il est exact que les difficultés liées à la précarité
même du statut d'une personne admise à titre provisoire (sen-
timent d'insécurité, fait de disposer de droits limités, dif-
ficultés à trouver un emploi...) ne conduisent pas, à elles
seules, à la reconnaissance d'un cas de rigueur (cf. arrêts
non publiés des 2 avril 2001 en la cause K.________ et
2 avril 1998 en la cause Z.________). Mais cela ne fait tou-
tefois nullement obstacle à l'admission d'une demande fondée
sur l'art. 13 lettre f OLE lorsque l'ensemble des - autres -
circonstances du cas le justifie. C'est précisément ce qu'il
convient d'examiner en l'espèce.

   c) L'argument de la recourante tiré de la situation
politique et de l'insécurité qui règnent dans son pays ne lui

est d'aucun secours, car l'étranger ne peut pas faire valoir
de motifs relevant de l'asile dans le cadre de la procédure
d'exemption aux mesures de limitations. En effet, l'art. 13
lettre f OLE ne tend pas à conférer une protection contre les
conséquences de la guerre et les abus des autorités étati-
ques. Pour autant, cela n'exclut toutefois pas de tenir
compte des difficultés qu'un étranger pourrait, en cas de re-
tour dans son pays d'origine, rencontrer du point de vue per-
sonnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3
p. 128).

   A cet égard, la situation personnelle et familiale
de la recourante, qui n'a plus de famille dans son pays
d'origine depuis le décès de son père en 1993, ni d'ailleurs
- à ce qu'il semble - au Rwanda (sa mère ainsi que ses frères
et soeurs ont émigré en Suisse et au Canada), représente in-
contestablement une circonstance particulière dont il y a
lieu de tenir compte dans l'appréciation de son cas. Toute-
fois, le fait de renvoyer dans son pays d'origine une femme
qui n'a pas de famille n'est généralement, à lui seul, pas
constitutif d'un cas d'extrême gravité (cf. arrêts non pu-
bliés des 24 octobre 1994 en la cause D.________ et 9 décem-
bre 1994 en la cause N.________). Il faut encore que s'y
ajoutent d'autres circonstances particulières qui rendent le
retour extrêmement difficile (cf. arrêt non publié du 23 mars
1998 en la cause Y.________), comme par exemple une parfaite
intégration en Suisse (cf. arrêt non publié du 31 mars 1994
en la cause N.________). En l'occurrence, outre que la ré-
intégration de la recourante dans son pays d'origine serait
très malaisée parce que celle-ci n'y compte plus de famille,
un retour en Afrique serait d'autant plus pénible et doulou-
reux qu'il obligerait l'intéressée à laisser derrière elle de
nombreux membres de sa famille qui, selon ce qu'elle allègue
- sans être contredite - entretiennent d'étroites relations
avec elle et sont appelés à résider durablement en Suisse par
suite de naturalisation (sa mère et une soeur) ou parce

qu'ils sont au bénéfice d'autorisations de séjour (un frère
et une tante) ou du statut de réfugié (un oncle).

   La recourante n'est donc pas dans une situation com-
parable à celles qui sont à la base des arrêts précités
D.________ et N.________. Dans ces affaires, les intéressées
n'avaient en effet pas de famille en Suisse de sorte que, si
difficile que cela pût être pour elles de se retrouver seules
dans leur pays d'origine, leur retour ne s'accompagnait pas,
comme ce serait le cas pour la recourante, d'une rupture des
liens avec de proches parents durablement établis en Suisse.
De ce point de vue, une séparation de la recourante d'avec sa
mère et ses frère et soeur, avec lesquels elle a partagé pen-
dant longtemps les mêmes vicissitudes de l'existence, repré-
senterait certainement, ainsi qu'elle le soutient, une ri-
gueur excessive (cf. arrêt non publié du 24 avril 1998 en la
cause C.________, consid. 3b).

   d) Par ailleurs, outre que les liens de la recou-
rante avec son pays d'origine, le Burundi, sont relativement
lâches en raison de l'absence de famille sur place, s'y
ajoute le fait que l'intéressée n'y a vécu que durant ses an-
nées d'enfance (jusqu'à l'âge de douze ans), ayant quitté ce
pays après le divorce de ses parents pour aller vivre avec sa
mère au Rwanda jusqu'en avril 1994. Or, même si les modes de
vie régnant dans ces deux pays d'Afrique centrale sont cer-
tainement comparables, il n'en demeure pas moins que les at-
taches que la recourante peut avoir avec son pays d'origine
sont moindres que si elle y avait passé toute son enfance et
son adolescence. Enfin, même si l'intégration de l'intéressée
en Suisse ne peut être qualifiée d'exceptionnelle au sens où
l'entend la jurisprudence (cf. arrêt non publié du 12 août
1996 en la cause J.________), elle n'en est pas moins irré-
prochable, tant sur le plan professionnel (en dépit des dif-
férences de niveau scolaire, la recourante a en effet obtenu

un diplôme commercial quatre ans après son arrivée en Suisse
et elle exerce depuis avril 1999 une activité de secrétaire)
que personnel (la recourante vit de manière financièrement
indépendante et son comportement n'a jamais donné lieu à des
plaintes).

   e) Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances,
singulièrement du fait que la recourante n'a plus de famille
dans son pays d'origine et qu'un renvoi de la Suisse romprait
les liens étroits qui l'unissent à plusieurs membres de sa
famille durablement installés en Suisse, il convient de lui
accorder une exception aux mesures de limitation, même si,
pris isolément, aucun des facteurs considérés ne saurait, en
lui-même, conduire à ce résultat (cf. arrêt précité du
31 mars 1994 en la cause N.________, consid. 2).

   5.- Vu ce qui précède, le recours doit être admis et
la décision attaquée annulée. En outre, il doit être constaté
que la recourante est exemptée des mesures de limitation du
nombre des étrangers, ce qui justifie de transmettre le dos-
sier à l'Office cantonal de la population du canton de Genève
pour qu'il statue sur l'autorisation de séjour appropriée.
Succombant, la Confédération devra verser à la recourante une
indemnité à titre de dépens pour la procédure devant le Tri-
bunal fédéral et devant le Département fédéral de justice et
police (art. 159 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu de prélever des
frais judiciaires (art. 156 al. 1 et 2 OJ).

   Avec ce prononcé, la requête d'effet suspensif de-
vient sans objet.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Admet le recours et annule la décision du 5 juil-
let 2001 du Département fédéral de justice et police; consta-
te que la recourante est exemptée des mesures de limitation
du nombre des étrangers.

   2. Transmet le dossier à l'Office cantonal de la po-
pulation du canton de Genève pour qu'il statue sur l'autori-
sation de séjour sollicitée par la recourante.

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

   4. Dit que la Confédération versera à la recourante
un montant de 1'000 fr. à titre de dépens pour la procédure
devant le Tribunal fédéral et devant le Département fédéral
de justice et police.

   5. Communique le présent arrêt en copie à la repré-
sentante de la recourante, au Département fédéral de justice
et police et à l'Office cantonal de la population du canton
de Genève.
                        _____________

Lausanne, le 13 novembre 2001
ADD/dxc

            Au nom de la IIe Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
            Le Président,            Le Greffier,