Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.782/2001
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1P.782/2001/col

Arrêt du 15 février 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb,
greffier Kurz.

C.________, recourant, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat, rue de
la Synagogue 41, case postale 5654, 1211 Genève 11,

contre

Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211
Genève 3.

art. 9 Cst. (indemnité pour détention injustifiée)

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale de la Cour de
justice du canton de Genève du 26 novembre 2001)
Faits:

A.
Par jugement du 18 août 2000, le Tribunal de police du canton de Genève a
condamné C.________ à deux ans de réclusion, sous déduction de la détention
préventive, et à cinq ans d'expulsion de Suisse, pour violation de la LStup
et de l'art. 23 al. 1 LSEE. Arrêté le 9 décembre 1999 en possession de
cocaïne, K.________ avait identifié C.________ comme son fournisseur. Sous le
coup d'une interdiction d'entrée en Suisse, C.________ avait été arrêté le
même jour à son arrivée devant le domicile de K.________ à Genève. Il avait
admis connaître ce dernier, pour avoir été son compagnon de cellule, mais nié
tout trafic de drogue.
Par arrêt du 23 octobre 2000, la Chambre pénale de la Cour de justice
genevoise a annulé ce jugement, excepté pour l'infraction à la LSEE. Les
déclarations de K.________ n'étaient pas fiables. La peine a été ramenée à 45
jours d'emprisonnement.

B.
Le 10 août 2001, C.________ s'est adressé à la Chambre pénale genevoise en
demandant  notamment une indemnité de 83'960 fr. avec intérêts, à raison de
la procédure pénale et de la détention préventive subie. L'indemnité
comprenait 40'000 fr. de tort moral (120 jours à 120 fr. puis 154 jours à 100
fr.), 21'000 fr. de frais d'avocat (soit 60 heures au tarif usuel de 350 fr.;
le requérant bénéficiait de l'assistance judiciaire mais courait le risque de
devoir rembourser l'Etat en cas de retour à meilleure fortune) et 22'960 fr.
de perte de gain (loyer, assurance, déménagement, mise en fourrière d'une
moto, augmentation d'intérêts débiteurs). Le requérant demandait aussi une
indemnité pour la procédure d'indemnisation.
Par arrêt du 26 novembre 2001, la Chambre pénale a alloué 24'725 fr.
d'indemnité, plus une participation aux honoraires d'avocat de 3'000 fr. pour
la procédure d'indemnisation. L'indemnité, allouée sur la base de l'art. 379
du code de procédure pénale genevois (CPP/GE), n'était pas destinée à couvrir
intégralement le dommage mais était fixée ex aequo et bono. Le requérant ne
pouvait prétendre à être indemnisé à raison des 45 jours de détention
correspondant à la condamnation pour violation de la LSEE. Sans cette
infraction, il n'aurait pas été arrêté en Suisse. Son attitude silencieuse
avait par ailleurs compliqué la procédure. Le cas était toutefois
exceptionnel et justifiait un dépassement du plafond de 10'000 fr. prévu par
la loi. L'indemnité pour tort moral a été fixée à 20'000 fr. Le loyer,
couvert par son employeur, les primes d'assurance et la taxe d'habitation,
dues indépendamment de la détention, les cotisations sociales, pour la
période durant laquelle le requérant était en liberté ou licitement détenu,
la pension alimentaire, que le requérant n'acquittait que sporadiquement, et
un prêt personnel, qui n'était pas un dommage direct, n'ont pas été
indemnisés. Les frais de déménagement, par 1'214 fr. ont été couverts, ainsi
qu'un emprunt de 15'100 FF, que le requérant n'avait pu rembourser en raison
de sa détention. Les frais relatifs à un scooter (remise en état et frais de
fourrière) ont été refusés, car le véhicule avait été récupéré tardivement et
sa saisie était la conséquence de l'entrée irrégulière en Suisse. Le
requérant avait bénéficié de l'assistance juridique, et la note d'honoraires
n'était pas détaillée; on ignorait si elle avait été transmise au service
d'assistance juridique. Au total, c'est une indemnité de 24'725 fr. qui a été
allouée au requérant, plus une indemnité de 3'000 fr. pour la procédure
d'indemnisation.

C.
C.________ forme un recours de droit public contre cet arrêt. Il en demande
l'annulation, ainsi que le renvoi de la cause à la cour cantonale. Il
requiert l'assistance judiciaire.
La Chambre pénale et le Procureur général se réfèrent aux considérants de
l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt final
rendu en dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche tend à
l'obtention d'une indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité pour agir
au sens de l'art. 88 OJ.

2.
Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 379 CPP/GE,
dont la teneur est la suivante:
1 Une indemnité peut être attribuée, sur demande, pour préjudice résultant de
la détention ou d'autres actes de l'instruction, à l'accusé qui a bénéficié
d'un non-lieu ou d'un acquittement dans la procédure de jugement ou après
révision.
2 Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut dépasser 10'000 fr.
Si des circonstances particulières l'exigent, notamment à raison d'une
détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats,
l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à titre
exceptionnel une indemnité supplémentaire. Le juge peut décider d'un autre
mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au
requérant. (...)
5 L'indemnité peut être refusée ou réduite si la conduite répréhensible de
l'accusé a provoqué ou entravé les opérations de l'instruction. (...)
Le recourant admet que l'indemnisation fondée sur cette disposition est en
principe fixée librement. Toutefois, dans sa pratique récente, la cour
cantonale prendrait en considération l'ensemble du dommage, en lui appliquant
le cas échéant les facteurs de réduction. En l'espèce, tout en admettant que
la situation justifiait un dépassement de la limite de 10'000 fr., la cour
cantonale aurait arbitrairement réduit l'indemnité en raison du comportement
du recourant. En allouant 20'000 fr. pour 274 jours de détention, elle aurait
appliqué un tarif de 73 fr. par jour, alors qu'en général, elle alloue au
moins 100 fr. par jour. Le recourant conteste avoir provoqué ou entravé
l'enquête. La violation de l'art. 23 LSEE, admise d'emblée, ne nécessitait
aucune mesure d'instruction. Pour le surplus, le comportement du recourant
n'était pas répréhensible: il n'avait gardé le silence que durant les
premiers jours suivant son arrestation et s'était entièrement expliqué dès sa
première confrontation avec K.________.

2.1 Si l'indemnisation du prévenu ensuite d'une détention en soi licite mais
qui se révèle injustifiée, n'est imposée ni par le droit constitutionnel, ni
par le droit conventionnel, les cantons peuvent instituer une telle garantie,
dont le Tribunal fédéral examine alors la portée sous l'angle restreint de
l'arbitraire (ATF 119 Ia 221 consid. 6 p. 230). Lorsque l'indemnisation est,
comme en l'espèce, prévue par le droit cantonal, elle ne saurait être
refusée, notamment dans les cas de libération faute de preuve, au motif que
l'intéressé aurait néanmoins pu commettre l'infraction: une telle motivation
violerait la présomption d'innocence. Seul un comportement fautif en relation
de causalité avec le préjudice subi est propre à justifier un refus ou une
réduction de l'indemnité (ATF 114 Ia 299 consid. 2b et c p. 302).

2.2 En dépit de la réduction fondée sur le comportement du recourant, la cour
cantonale est allée au-delà du plafond de 10'000 fr., en allouant le double
de ce montant. Au regard du droit genevois qui ne prévoit, quoi qu'en
prétende le recourant, qu'une indemnisation partielle (consid. 3.1
ci-dessous), le recours n'expose pas en quoi le montant finalement accordé
serait arbitraire dans son résultat. La recevabilité du grief est dès lors
douteuse sous l'angle de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Cela étant, la réduction
opérée par la Chambre pénale était en l'espèce admissible.

2.3 La cour cantonale n'a d'aucune manière laissé entendre que le recourant
serait malgré tout coupable de l'infraction pour laquelle il a été acquitté.
Elle a toutefois retenu que son entrée en Suisse était illégale, et que son
silence avait compliqué le déroulement de la procédure.

2.4 Le silence de l'inculpé ne constitue pas, en soi, un comportement fautif,
puisque le droit de se taire est garanti à tout inculpé; seul un abus de ce
droit pourrait éventuellement conduire à un refus d'indemnisation (ATF 116 Ia
162 consid.2d/aa p. 172), et un tel abus n'est pas démontré en l'occurrence.
Cela étant, si un comportement contraire à la seule éthique ne peut justifier
le refus d'indemniser le prévenu libéré, la jurisprudence étend la notion de
comportement fautif à la violation de toute norme de comportement, écrite ou
non, résultant de l'ordre juridique suisse dans son ensemble (ATF 116 Ia 162
consid. 2c p. 168). Or il est interdit, en droit civil, de créer un état de
fait propre à causer un dommage à autrui sans prendre les mesures nécessaires
afin d'en éviter la survenance (ATF 126 III 113 consid. 2a/aa p. 115). De la
même manière, le droit de procédure interdit implicitement de créer sans
nécessité l'apparence qu'une infraction a été ou pourrait être commise, car
un tel comportement est susceptible de provoquer l'intervention des autorités
répressives et l'ouverture d'une procédure pénale et, partant, de causer à la
collectivité le dommage que constituent les frais liés à une instruction
pénale ouverte inutilement. Il y a comportement fautif, dans ce cas, lorsque
le prévenu aurait dû se rendre compte, sur le vu des circonstances et de sa
situation personnelle, que son attitude risquait de provoquer l'ouverture
d'une enquête (arrêt du 31 mai 1994 dans la cause B., cité par Thélin,
L'indemnisation du prévenu acquitté en droit vaudois, JdT 1995 III p. 98-107,
par. 18 p. 104).

2.5 En l'espèce, le recourant s'est rendu en Suisse au mépris d'une
interdiction d'entrée. Il s'est ensuite rendu chez K.________, avec qui il
avait rendez-vous. Ce dernier ayant été arrêté en possession de drogue, le
soupçon s'est naturellement formé, en raison de l'entrée illicite du
recourant et d'une précédente condamnation pour trafic grave de stupéfiants,
que celui-ci pourrait s'adonner à de semblables agissements. Dans ces
circonstances, il eût appartenu au recourant d'expliquer d'emblée les raisons
de son entrée en Suisse et de son rendez-vous avec K.________. Son silence
initial est fautif dès lors qu'il ne pouvait lui échapper que, par son
attitude, il entretenait de sérieux soupçons. Les explications tardives,
après que le recourant ait été mis en cause par K.________, auraient été
davantage crédibles si elles avaient été données d'emblée, et non pour
répondre aux accusations proférées contre lui. Le recourant ne tente
d'ailleurs pas d'expliquer les raisons de son silence. Dans ces conditions,
la réduction opérée par la cour cantonale n'apparaît pas arbitraire.

3.
Le recourant tient aussi pour arbitraire le refus de l'indemniser pour la
perte de salaire subie pendant la détention. Contrairement à ce que retient
la Chambre pénale, il disposait d'un revenu mensuel de 7000 FF, ce qui
ressortait des pièces produites, ainsi que du jugement d'acquittement. Les
dépenses courantes mentionnées dans la requête d'indemnisation étaient
censées attester l'étendue du dommage causé par la perte effective de revenus
durant la détention. Le loyer, payé par l'employeur, constituait une partie
de son salaire, non perçu durant la détention. L'autorité intimée aurait
également omis d'allouer des intérêts moratoires, alors que si la demande
d'indemnisation a été déposée tardivement, c'est à cause d'un retard à
statuer en matière d'assistance juridique.

3.1 Le recourant part de la prémisse, erronée, que la Chambre pénale serait
tenue d'établir, puis d'indemniser, l'intégralité du dommage. Or, la cour
cantonale rappelle que le législateur genevois n'a pas voulu instituer une
réparation pleine et entière en recourant à la notion d'indemnité équitable.
L'autorité d'indemnisation peut fixer librement le montant de l'indemnité,
selon son appréciation et sous la seule réserve de l'interdiction de
l'arbitraire, sans qu'il soit absolument nécessaire d'établir avec précision
l'étendue du dommage et l'existence d'un lien de causalité avec la détention
et la procédure pénale. Le recourant prétend que la pratique actuelle irait
dans le sens d'une indemnisation complète, mais cela ne ressort pas du tout
de l'arrêt attaqué. Certes, la cour cantonale exige-t-elle du requérant qu'il
allègue son dommage de manière précise et détaillée. Il ne s'agit là
toutefois, dans le système d'une indemnisation partielle, que d'un élément
nécessaire à la prise en compte des circonstances du cas concret, dans le
cadre de l'exercice du pouvoir d'appréciation de l'autorité. Cela ne signifie
pas pour autant que chaque poste du dommage doit être couvert par une
indemnité équivalente. Dès lors, l'argumentation de détail fournie par le
recourant tombe à faux.

3.2 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le recourant, sa demande
d'indemnité ne précisait pas clairement à quel titre il entendait obtenir le
remboursement des dépenses courantes tels que loyer, primes d'assurance et
divers frais. Il expliquait avoir « dû payer » ces sommes  « malgré l'absence
de salaire »; il évoque certes une « perte de gain » à ce propos, mais
qualifie ces dépenses de « damnum emergens » (p. 16 de la requête). La cour
cantonale pouvait dès lors en déduire, sans arbitraire, que le recourant
entendait ainsi obtenir le remboursement de ces dépenses, et non, comme il le
prétend maintenant être indemnisé à raison d'une perte de revenus. Le
recourant n'ayant pas fourni d'explications complètes sur l'ensemble de ses
revenus, alors que la charge de l'allégation et de la preuve lui incombait,
il ne saurait reprocher à la cour cantonale de s'être fondée sur ses propres
déclarations ainsi que sur les pièces figurant au dossier. Le grief doit, lui
aussi, être écarté en tant qu'il est recevable.

3.3 S'agissant des intérêts moratoires, le recourant se borne à évoquer
certaines décisions allouant des intérêts. Il ne démontre pas que l'autorité
intimée aurait rompu avec une pratique constante, commettant notamment une
inégalité de traitement. Il ne prétend pas non plus que la cour cantonale
aurait commis un déni de justice formel en omettant de statuer sur ses
conclusions. Quoi qu'il en soit, ne pouvant prétendre à une indemnisation
complète sur le principal, le recourant ne saurait qualifier d'arbitraire le
refus d'allouer des intérêts.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Cette issue était d'emblée prévisible, le
recourant persistant à ignorer le caractère incomplet de l'indemnisation
instaurée à l'art. 379 CPP/GE. Dès lors, l'assistance judiciaire doit être
refusée, sans qu'il y ait lieu d'instruire sur la question de l'indigence. Un
émolument judiciaire est mis à la charge du recourant qui succombe,
conformément à l'art. 156 al. 1 OJ.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 1000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 15 février 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier: