Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.781/2001
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1P.781/2001/viz

Arrêt du 7 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Reeb, Pont Veuthey, juge suppléante,
greffier Kurz.

A.________, recourant, représenté par Me Jean Lob, avocat, rue du Lion-d'Or
2, case postale 3133, 1002 Lausanne,

contre

Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale,
1014 Lausanne,
Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale, 1014 Lausanne.

art. 30 Cst. (procédure pénale; appréciation des preuves; droit à un tribunal
impartial)

(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du
Tribunal cantonal du canton de Vaud du 9 août 2001)
Faits:

A.
Par jugement du 2 avril 2001, le Tribunal criminel de l'arrondissement de
Lausanne a condamné A.________, ressortissant albanais né en 1965, à 12 ans
de réclusion sous déduction de 733 jours de détention préventive, à quinze
ans d'expulsion de Suisse et au paiement de 60'000 fr. de créance
compensatrice en faveur de l'Etat, ainsi qu'au paiement des frais de la
cause, par 55'984,40 fr. A.________ s'était trouvé à la tête d'un trafic
portant sur au moins trois kg d'héroïne et un kg de cocaïne à des degrés de
pureté divers, impliquant les dénommés B.________, C.________ et D.________,
coaccusés.

B.
Par arrêt du 9 août 2001, le Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois a rejeté un recours en réforme et en nullité formé par A.________.
Celui-ci soutenait que la Présidente du Tribunal criminel, ainsi qu'un juge,
avaient pris part au jugement du Tribunal correctionnel de Lausanne du 28
novembre 2000 concernant les dénommés E.________, F.________ et G.________;
des extraits de ce jugement démontraient que ces magistrats le tenaient déjà
pour coupable. La Cour de cassation a toutefois considéré que la composition
de la Cour criminelle était connue depuis le mois de décembre 2000, et que le
jugement du 28 novembre 2000 avait été produit, de sorte que le motif de
récusation était connu à l'ouverture des débats, le 26 mars 2001. Aucune
récusation n'ayant été demandée en temps utile, le moyen soulevé était
contraire aux règles de la bonne foi. A.________ reprochait aussi au Tribunal
criminel de s'être référé au jugement du 28 novembre 2000 pour retenir que la
personne chargée de retranscrire les écoutes téléphoniques et de les traduire
était capable de reconnaître les voix et n'avait identifié que les personnes
dont elle était certaine de l'identité. Sur ce point, il n'y avait pas eu de
débat contradictoire. Pour la Cour de cassation, le moyen de preuve contesté
était la transcription des écoutes, qui figurait bel et bien au dossier. Le
recourant n'avait pas demandé l'audition du traducteur, dont l'identité
devait par ailleurs rester secrète pour des raisons de sécurité.
L'identification des interlocuteurs téléphoniques était fondée sur d'autres
preuves, notamment une analyse des connexions téléphoniques par un expert
entendu aux débats, ainsi que des indices matériels, aveux, témoignages et
observations de la police. Sur recours en réforme, la quotité de la peine a
été confirmée.

C.
Par acte du 17 décembre 2001, A.________ a formé un recours de droit public
contre ce dernier arrêt, reprenant les motifs de son recours cantonal et
présentant une argumentation à décharge. Auparavant, le 12 décembre 2001, il
avait requis l'assistance judiciaire et la nomination d'un avocat d'office.
Par décision du 7 janvier 2002, la cour de céans a admis la demande
d'assistance judiciaire et désigné Me Lob comme avocat d'office. Ce dernier a
produit, le 15 janvier 2002, un mémoire complétif.

D.
La Cour de cassation se réfère aux considérants de son arrêt. Le Ministère
public conclut au rejet du recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Formé en temps et dans les formes utiles contre un arrêt final rendu en
dernière instance cantonale, le recours est recevable. La qualité pour agir
du recourant est incontestable (art. 88 OJ).

2.
Dans son recours initial, le recourant reprend les arguments soumis à la cour
cantonale à propos de la récusation des juges du Tribunal criminel et de
l'utilisation des déclarations du traducteur, faites en son absence. Il
présente également une argumentation à décharge qui apparaît nouvelle;
celle-ci est irrecevable, faute d'épuisement des instances cantonales (art.
86 OJ), ainsi qu'en raison de son caractère purement appellatoire (art. 90
al. 1 let. b OJ).

3.
Le recourant reprend ses griefs à propos de l'impartialité de la Présidente
et d'un des membres du Tribunal criminel. Il cite de longs passage du
jugement du 28 novembre 2000, décrivant le rôle qu'il aurait joué dans le
trafic de stupéfiants. Il en ressortirait que les deux magistrats l'avaient
déjà jugé à l'avance, ce qui constituait un cas de récusation. Le recourant
admet n'avoir pas prêté attention à la composition du Tribunal criminel,
alors que l'art. 34 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD) impose que
la demande de récusation soit formée dès que possible. Il relève toutefois le
caractère fondamental du droit à un juge impartial, qui doit être respecté
d'office et, le cas échéant, corrigé par la juridiction de recours, quelle
que soit l'attitude antérieure de la défense.

3.1 Indépendamment des règles cantonales sur l'organisation et la composition
des tribunaux, qui comprennent les prescriptions relatives à la récusation
des juges et dont le justiciable peut exiger une application exempte
d'arbitraire, la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée
par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30
al. 1 Cst., permet au plaideur d'exiger la récusation d'un juge dont la
situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son
impartialité. Elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures
à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une
partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention
effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut
guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la
prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat (ATF 125 I
119 consid. 3a p. 122 et les arrêts cités). La garantie du juge impartial
permet notamment de s'opposer à la participation d'un magistrat qui a déjà
précédemment connu de la cause, ou qui a déjà émis son opinion de manière
définitive (ATF 127 I 196 consid. 2d p. 199 et la jurisprudence citée;
CourEDH, arrêt D.N. c. Suisse du 29 mars 2001).

3.2 Contrairement à ce que laisse entendre le recourant, ces prétentions ne
sont, en dépit de leur caractère fondamental, ni absolues ni
inconditionnelles; elles doivent être invoquées conformément au droit de
procédure applicable, pour autant toutefois que ce dernier n'en entrave pas
indûment l'exercice. Ainsi, selon la jurisprudence, le grief tiré de la
prévention du juge doit être soulevé aussitôt que possible. Celui qui omet de
dénoncer immédiatement un tel vice et laisse le procès se dérouler sans
intervenir est réputé avoir renoncé tacitement à s'en prévaloir (ATF 119 Ia
228 ss consid. 5a, 118 Ia 284 consid. 3a, 116 Ia 138 consid. 2d). La
jurisprudence considère également que l'inaction du plaideur entraîne la
péremption de son droit (ATF 126 III 249 consid. 3c p. 253/254; 121 I 225
consid. 3 p. 229; 120 Ia 19 consid. 2c/aa p. 24; 118 Ia 282 consid. 3a p. 284
et les arrêts cités). Dans tous les cas, il est contraire à la bonne foi
d'attendre l'issue de la procédure pour se prévaloir de la composition
incorrecte de l'autorité, à l'occasion d'un recours, alors que le motif de
récusation était déjà connu auparavant (ATF 119 Ia 221 consid. 5a p. 227-229
et les arrêts cités).

3.3 Tel est le sens de l'art. 34 CPP/VD, qui prévoit que sauf dispositions
contraires, la récusation doit être demandée aussitôt que la partie a
connaissance des faits qu'elle invoque et au plus tard à l'ouverture des
débats. Comme l'admet le recourant, le jugement du 28 novembre 2000 a été
remis formellement à la défense à fin janvier 2001, et c'est par inadvertance
que l'identité des magistrats, qui figure en-tête du jugement, n'a pas été
relevée. Une telle inadvertance n'est pas explicable, compte tenu de la
gravité du motif de récusation invoqué. Le recourant a par ailleurs été
entendu comme témoin par le Tribunal correctionnel à l'occasion de cette
précédente procédure, et ne pouvait manquer de constater, de visu, en tout
cas à l'ouverture des débats comme l'exige l'art. 34 CPP/VD, que les mêmes
magistrats, en particulier leur présidente, faisaient partie des deux
juridictions. La Cour de cassation n'a par conséquent violé ni le droit
constitutionnel, ni le droit conventionnel en retenant que le moyen tiré de
la prévention des juges était soulevé contrairement aux règles de la bonne
foi. Ce premier grief doit être écarté.

4.
Le recourant invoque ensuite les art. 6 CEDH et 29 Cst. Il reproche au
Tribunal criminel d'avoir retenu sa participation aux conversations
téléphoniques surveillées en se référant au jugement du 28 novembre 2000. Ce
dernier retient que la personne chargée de procéder aux écoutes, de les
retranscrire et de les traduire était très expérimentée dans ce domaine.
Entendue à huis-clos, elle avait assuré qu'elle n'avait pas donné de nom
lorsqu'elle n'était pas absolument certaine de l'identité de l'interlocuteur.
Le recourant y voit une preuve administrée en son absence, puisqu'il n'avait
pu participer à la procédure précédente et qu'une expertise des voix lui
avait constamment été refusée lors de l'instruction. La Cour de cassation a
retenu pour sa part que l'identification de sa voix n'était pas le seul moyen
de preuve à ce sujet; un expert, entendu aux débats, avait notamment affirmé
que malgré l'usage de douze cartes SIM différentes, le même boîtier IMEI
avait toujours été utilisé. Selon le recourant, cela ne suffirait pas pour
admettre qu'il en était l'utilisateur. Les autres indices retenus par le
Tribunal criminel ne permettaient pas d'établir l'ampleur du trafic qui lui
est imputé.

4.1 Aspect particulier du droit à un procès équitable au sens de l'art. 6
par. 1 CEDH, l'art. 6 par. 3 let. d CEDH garantit le droit à pouvoir
interroger, aux mêmes conditions, les témoins à charge et à décharge. Ce
droit ne vaut pas seulement à l'égard des témoins au sens classique du terme,
mais à l'encontre de toute personne qui fait des dépositions à charge. Les
éléments de preuve doivent en principe être produits en présence de l'accusé
lors d'une audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Il est
toutefois possible de prendre en compte des dépositions recueillies durant la
phase de l'enquête dans la mesure où l'accusé a disposé d'une occasion
adéquate et suffisante pour contester ces témoignages à charge et pour
interroger ou faire interroger leur auteur. L'art. 6 par. 3 let. d CEDH
n'exclut pas de refuser l'interrogatoire d'un témoin parce que la déposition
sollicitée n'est pas pertinente, parce que les faits sont déjà établis à la
suite d'une appréciation anticipée des preuves (ATF 121 I 306 consid. 1b p.
308 s.), parce qu'il n'est plus possible de procéder à une audition
contradictoire en raison du décès ou d'un empêchement durable du témoin, ou
parce qu'il est introuvable ou refuse de témoigner. Dans ces derniers cas
toutefois, il faut que l'accusé puisse se déterminer sur la déposition, que
celle-ci soit examinée avec soin et, enfin, qu'elle soit corroborée par
d'autres éléments de preuve (ATF 125 I 127 consid. 6 p. 131 s.; 124 I 274
consid. 5b p. 284 s. et les arrêts cités, en particulier CourEDH, arrêts
Unterpertinger c/ Autriche du 24 novembre 1986, Série A p. 110 par. 32 s.,
Asch c/ Autriche du 26 avril 1991, Série A p. 203 par. 28 s., Saïdi c/ France
du 20 septembre 1993, Série A p. 261C par. 41 s.). Enfin, la jurisprudence
s'emploie à rechercher si la procédure, examinée dans son ensemble, revêt un
caractère équitable (CourEDH arrêt van Mechelen c/ Pays-Bas du 30 octobre
1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 p. 2426 par. 50).

4.2 En l'espèce, on ne saurait contester que la déclaration de la personne
chargée de réaliser les écoutes téléphoniques, puis de les retranscrire et de
les traduire (ci-après: l'interprète) était d'une importance certaine,
puisqu'il s'agissait de savoir avec quel degré de certitude la voix du
recourant avait été reconnue sur les enregistrements. Le Tribunal criminel
s'est fondé sur les indications de cette personne pour définir l'ampleur du
trafic imputé au recourant. La Cour de cassation a toutefois opposé quatre
arguments distincts au grief soulevé sur ce point par le recourant: le moyen
de preuve utilisé consistait non pas dans la déclaration proprement dite de
l'interprète, mais la transcription des écoutes, qui figurait au dossier.
S'agissant de la fiabilité de l'interprète, le tribunal n'avait fait "que se
référer à son expérience". Bien qu'elle ne soit pas directement critiquée par
le recourant, cette première considération prête le flanc à la critique, dès
lors que le recourant se plaignait d'une déclaration faite par l'interprète,
qui constituait manifestement un élément supplémentaire par rapport aux
écoutes proprement dites, et que l'"expérience" dont il est fait état découle
d'un élément de preuve qui n'avait pas été administré de manière
contradictoire. La cour cantonale a également retenu que l'interprète ne
voulait pas être connu des accusés pour des raisons de sécurité, ce qui se
comprenait sur le vu des craintes manifestées par les autres témoins. Le
recourant ne critique pas non plus ce point, alors que les risques évoqués
auraient vraisemblablement pu être évités par des mesures techniques
adéquates, comme cela paraît avoir été le cas à l'occasion du jugement
précédent. La cour cantonale a toutefois également relevé, avec plus de
pertinence, que le recourant aurait eu la possibilité de demander la présence
du traducteur à l'audience: celle-ci avait été requise par lettre du
Ministère public du 29 janvier 2001, avec référence à la précédente affaire,
et il avait été répondu que cela était impossible pour des motifs de santé,
ce dont le recourant avait été informé. La cour cantonale a enfin estimé que
l'identification du recourant était fondée sur d'autres éléments de preuve
que les déclarations de l'interprète, soit les analyses de connexions par un
expert entendu aux débats, des indices matériels, des témoignages et des
observations de la police.

4.3 En présence de plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou
subsidiaires, toutes suffisantes, le recourant doit démontrer en quoi chacune
d'elles viole le droit constitutionnel (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 119 Ia
13 consid. 2 p. 16). Outre qu'il n'argumente guère à propos des deux
premières motivations rappelées ci-dessus, le recourant se contente
d'insister sur l'importance des déclarations recueillies en son absence, sans
aucunement critiquer les deux derniers arguments retenus par la cour
cantonale. Il est en particulier totalement muet sur la possibilité de
requérir une nouvelle fois la présence de l'interprète, alors qu'il avait été
informé de la présence de celui-ci lors du précédent jugement, et pouvait
facilement présumer l'importance de ce témoignage. Le recourant ne présente
pas non plus d'argumentation permettant de revenir sur l'appréciation des
preuves qui, selon la cour cantonale, permettaient de fonder la conviction
des premiers juges indépendamment de la déposition critiquée. Il en résulte
que le recours est, sur ce point, irrecevable.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté,
dans la mesure où il est recevable. L'assistance judiciaire ayant été
accordée au recourant, les honoraires alloués à son avocat d'office sont
supportés par la caisse du Tribunal fédéral, et il n'est pas perçu
d'émolument judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Une indemnité de 2000 fr. est allouée à Me Lob, avocat d'office du recourant,
à titre d'honoraires payés par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire d'office du recourant,
au Procureur général et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du
canton de Vaud.

Lausanne, le 7 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: