Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.755/2001
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1P.755/2001/col

Arrêt du 11 mars 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb,
greffier Jomini.

A. ________,
B.________, recourants,

contre

Département des infrastructures du canton de Vaud (section des monuments
historiques et archéologie), 1014 Lausanne, intimé, représenté par Me Benoît
Bovay, avocat, place Benjamin-Constant 2, 1002 Lausanne,
Municipalité de la commune de Ferreyres, 1313 Ferreyres, autorité intéressée,

Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014
Lausanne.

procédure administrative, frais et dépens

(recours de droit public contre la décision de classement prise le 1er
novembre 2001 par le Juge instructeur du Tribunal administratif du canton de
Vaud)

Faits:

A.
Le 3 mai 2001, la Municipalité de la commune de Ferreyres a accordé à
B.________ et A.________ l'autorisation de transformer un bâtiment leur
appartenant, sur le territoire de cette commune. Le Département des
infrastructures du canton de Vaud, par sa section monuments historiques et
archéologie, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif
cantonal. Me Benoît Bovay, avocat à Lausanne, a été mandaté par le
Département pour conduire cette procédure.

Un recours au Tribunal administratif a été également formé contre
l'autorisation de construire par deux personnes qui s'étaient opposées au
projet, C.________ et D.________.

B.
Après que le Tribunal administratif a été saisi, des échanges de
correspondance et des discussions ont eu lieu entre le Département et les
constructeurs B.________ et A.________. Ces derniers ont modifié leur projet
(modifications concernant les ouvertures en toiture et en façade), qui a été
soumis à une nouvelle enquête publique, ou enquête complémentaire, du 31 août
au 20 septembre 2001.

C.
Le 29 octobre 2001, le Département a retiré son recours au Tribunal
administratif.

L'autre recours pendant, formé par C.________ et D.________, avait été retiré
quelques jours auparavant, à l'échéance du délai qui avait été fixé aux
recourantes pour l'avance des frais.

D.
Par une décision rendue le 1er novembre 2001, le Juge instructeur du Tribunal
administratif, prenant acte du retrait des deux recours - celui du
Département et celui de C.________ et D.________ -, a « rayé la cause du rôle
» (ch. I du dispositif), mis à la charge de B.________ et A.________ un
émolument de justice de 1'000 fr. (ch. II du dispositif) et condamné les deux
personnes précitées à verser à l'Etat de Vaud une indemnité de 1'200 fr. à
titre de dépens (ch. III du dispositif); enfin, il a refusé d'allouer des
dépens à C.________ et D.________ (ch. IV du dispositif).

Cette décision a été expédiée aux parties par la poste.

E.
Le 28 novembre 2001, B.________ et A.________ ont adressé au Tribunal fédéral
un recours contre la décision du 1er novembre 2001, en déclarant « faire
opposition » aux ch. II, III et IV du dispositif. Ils ont complété ce recours
par un autre acte portant le même intitulé, mis à la poste le 17 décembre
2001; dans cet acte, ils concluent à la réforme de la décision de classement
« en ce sens qu'aucun frais, émolument et dépens n'est mis à la charge des
propriétaires A.________ et B.________ (décision II et III du Tribunal
administratif du 1er novembre 2001) ».

Le Département des infrastructures et le Tribunal administratif concluent au
rejet du recours.

La Municipalité de Ferreyres a renoncé à répondre au recours.

F.
Le Tribunal administratif a été invité à fournir une preuve de la
notification de la décision attaquée. Il a répondu qu'elle avait été expédiée
sous pli simple.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 127 III 41 consid. 2a p. 42; 126 I 207 consid. 1 p.
209 et les arrêts cités).

1.1  La décision attaquée est une décision du magistrat instructeur,
compétent
en cas de retrait du recours pour rayer la cause du rôle et statuer sur les
frais et dépens (art. 52 al. 1 de la loi cantonale vaudoise sur la
juridiction et la procédure administratives [LJPA]). Elle n'est pas
susceptible de recours au Tribunal administratif (art. 50 LJPA); il s'agit
donc d'une décision finale prise en dernière instance cantonale qui peut
faire l'objet d'un recours de droit public au Tribunal fédéral, pour
violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84ss, 86 al. 1 OJ).
La partie condamnée au paiement des frais et des dépens a manifestement
qualité pour recourir contre cette décision (art. 88 OJ).

1.2  Conformément à l'art. 89 al. 1 OJ, l'acte de recours doit être déposé
devant le Tribunal fédéral dans les trente jours dès la communication, selon
le droit cantonal, de la décision attaquée. Celle-ci étant datée du 1er
novembre 2001, le premier acte de recours, déposé le 28 novembre 2001 (en
l'occurrence remis à cette date à La Poste Suisse à l'adresse du Tribunal
fédéral - cf. art. 32 al. 3 OJ) n'est manifestement pas tardif. S'agissant du
second recours - qui est en fait un mémoire complétant le premier recours -,
la question de l'observation du délai de l'art. 89 al. 1 OJ est plus
délicate, en l'absence de preuve de la notification de la décision dans le
dossier du Tribunal administratif (lequel n'a pas utilisé, pour l'expédition
par la poste, le moyen de l' « acte judiciaire avec accusé de réception », ni
celui de la « lettre signature »).

Il ressort du dossier, en l'occurrence d'une lettre d' « opposition »
adressée par les recourants au Tribunal administratif avant qu'ils ne
déposent leur première écriture destinée au Tribunal fédéral, qu'ils avaient
eu connaissance de la décision de classement le 15 novembre 2001 au plus
tard; au cas où cette décision leur aurait été notifiée ce jour-là, le délai
de l'art. 89 al. 1 OJ prenait fin le lundi 17 décembre 2001, date du dépôt de
leur second mémoire (cf. art. 32 al. 2 OJ). Aucun élément probant ne permet
de qualifier cet acte de tardif. Aussi le mémoire complétif doit-il être
considéré comme déposé dans le délai légal.

2.
Dans leur argumentation, les recourants critiquent d'une part la mise à leur
charge d'un émolument judiciaire (ch. II du dispositif de la décision
attaquée), et d'autre part leur condamnation à payer des dépens à l'Etat de
Vaud (ch. III du dispositif). Ils se réfèrent par ailleurs à plusieurs
reprises au recours formé contre leur premier permis de construire, devant le
Tribunal administratif, par C.________ et D.________, en critiquant la
manière dont l'instruction a été menée jusqu'au retrait de ce recours. Or on
ne voit pas en quoi cette procédure connexe aurait influencé les frais et
dépens mis à la charge des actuels recourants (intimés dans la procédure
cantonale). Il ressort en effet clairement des considérants de la décision
attaquée, qui contient une motivation séparée pour chaque recours, que ces
frais et dépens concernent uniquement la procédure de recours introduite par
le Département des infrastructures.

3.
3.1 Dans la décision attaquée, le Juge instructeur a considéré que les
constructeurs (les actuels recourants) devaient s'acquitter d'un émolument
correspondant à des « frais de justice réduits » parce qu'ils succombaient.
Ils s'étaient en effet engagés à modifier leur projet afin de prendre en
compte les conclusions présentées par le Département dans son recours contre
l'autorisation de construire, ils avaient déposé de nouveaux plans en vue
d'une enquête publique complémentaire et d'une nouvelle décision de la
municipalité puis, sur cette base, le Département, fort des assurances
données par les constructeurs et satisfait des modifications apportées au
projet initial, avait retiré son recours. D'après cette décision, le
Département aurait ainsi obtenu gain de cause.

Les recourants ne contestent pas les circonstances du désistement du
Département. Dans une argumentation peu claire - dont il est au demeurant
douteux qu'elle réponde aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf.  ATF
127 I 38 consid. 4 p. 43; 125 I 71 consid. 1c p. 76; 117 Ia 412 consid. 1c p.
414 et les arrêts cités) - ils se plaignent des « retards et complications »
de la procédure devant le Tribunal administratif, qui ne leur seraient pas
imputables, et ils prétendent qu'ils n'auraient pas succombé mais transigé.

3.2  En cas de retrait du recours, le magistrat instructeur qui doit statuer
sur les frais, conformément à l'art. 52 al. 1 LJPA, peut appliquer mutatis
mutandis la règle de l'art. 55 al. 1 LJPA, relative à la répartition des
frais en cas de liquidation de l'affaire par un arrêt du Tribunal
administratif. Selon cette règle, les frais sont en principe supportés par la
ou les parties qui succombent. La décision attaquée se réfère implicitement à
cette norme.

En critiquant la mise à leur charge de l'émolument de justice, les recourants
se plaignent en définitive d'une application arbitraire, ou contraire à
l'art. 9 Cst., de l'art. 52 al. 1 LJPA. En pareil cas, le Tribunal fédéral
n'annulera la décision attaquée que si elle méconnaît gravement une norme ou
un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière
choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. En d'autres termes, le
Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance
cantonale que si elle est insoutenable, en contradiction manifeste avec la
situation effective, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en
violation d'un droit certain. Il ne suffit pas que la motivation de la
décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son
résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 III 438 consid. 3 p. 440; 125 I
166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134 et
les arrêts cités).

3.3  En l'espèce, on peut considérer qu'en modifiant leur projet de
construction en cours de procédure devant le Tribunal administratif, les
recourants ont implicitement admis que les griefs du Département étaient au
moins partiellement fondés. S'ils n'ont pas à proprement parler succombé, ils
ont néanmoins provoqué une modification de la décision municipale, après une
enquête publique complémentaire (cf. art. 52 al. 2 LJPA). Il appartenait au
Tribunal administratif, en pareil cas, d'apprécier les chances de succès du
recours contre le premier permis de construire, et de répartir les frais en
fonction de cette appréciation. La décision qu'il a prise sur cette base
n'est arbitraire ni dans son principe, ni quant au montant de l'émolument
fixé.

4.
4.1 Les recourants se plaignent en outre d'avoir été condamnés à contribuer
aux frais d'avocat du Département cantonal. La décision attaquée met en effet
à leur charge une indemnité de 1'200 fr. à payer au Département à titre de
dépens. Dans ses considérants, elle se borne à retenir que cette autorité
cantonale a droit à des dépens, ayant procédé par l'intermédiaire d'un
avocat. La question à examiner en premier lieu n'est pas de savoir si les
recourants, parce qu'ils ont « succombé », pouvaient être condamnés à des
dépens - de même qu'ils ont été condamnés au paiement des frais de justice
(art. 55 al. 1 LJPA en relation avec l'art. 52 al. 1 LJPA; cf. supra, consid.
3) -, mais bien de savoir si le droit cantonal permet l'allocation de dépens
à l'Etat de Vaud lorsqu'un de ses départements, en tant qu'autorité de
surveillance, recourt au Tribunal administratif.

4.2  L'art. 55 al. 1 LJPA pose le principe selon lequel les dépens sont
supportés par la ou les parties qui succombent, et l'art. 55 al. 2 LJPA
prévoit la possibilité d'allouer des dépens aux communes. Même si cela n'est
pas précisé dans la loi - qui mentionne exclusivement les communes comme
créancières de l'indemnité -, il est évident que des dépens peuvent être
alloués aux particuliers (par opposition aux collectivités publiques, ou aux
organismes chargés de tâches de droit public) qui obtiennent gain de cause.
La question est plus délicate quand le Tribunal administratif admet les
conclusions d'une autorité cantonale.

L'allocation de dépens à la partie qui obtient gain de cause ne découle pas
des principes généraux du droit ni des garanties de procédure de la
Constitution fédérale; cela relève de la seule législation de procédure (ATF
104 Ia 9 consid. 1 p. 13; arrêt P.1719/1984 in ZBl 86/1985 p. 508 consid.
2a). Il convient donc, en l'espèce, d'interpréter - sous l'angle de
l'arbitraire (cf. supra, consid. 3.2) - le texte de l'art. 55 al. 2 LJPA, qui
n'est pas clair. En d'autres termes, il faut déterminer si, en mentionnant
les communes, le législateur entendait permettre a fortiori l'allocation de
dépens à d'autres collectivités publiques, ou s'il voulait plutôt exclure, a
contrario, que l'Etat de Vaud puisse être le bénéficiaire de telles
indemnités quand l'administration cantonale prend des conclusions dans une
procédure de recours.

4.3  L'art. 55 al. 2 LJPA a été adopté à l'occasion d'une révision de la loi,
le 26 février 1996. L'exposé des motifs du Conseil d'Etat au sujet de cette
révision contient un chapitre intitulé « Frais, dépens et émoluments pour les
collectivités publiques » qui évoque le régime précédent ainsi que le but de
la nouvelle réglementation (Bulletin du Grand Conseil [BGC], 19 février 1996,
p. 4491). Il en ressort que « la jurisprudence des juridictions
administratives vaudoises consacre le principe selon lequel l'Etat ne
supporte pas de frais et n'obtient pas de dépens lorsque le recours est
rejeté » et que le système actuel doit être maintenu car « il n'apparaît pas
admissible que l'Etat puisse obtenir des dépens lorsqu'il agit dans le cadre
de l'exercice de la puissance publique, sans que ses intérêts pécuniaires
soient en jeu » (ibid.). La révision de la loi tendait donc exclusivement à
régler l'allocation de dépens à une catégorie de collectivités publiques, à
savoir les communes (ibid. et rapport de la commission p. 4534; l'art. 55
révisé a été adopté sans discussion - p. 4549). Il s'ensuit que seule une
interprétation a contrario de l'art. 55 al. 2 LJPA est admissible: à
l'exception des communes, les collectivités publiques du droit cantonal
agissant dans l'exercice de leurs attributions officielles, sans que leurs
intérêts pécuniaires ne soient en jeu, n'ont pas droit à des dépens.
La décision attaquée, en tant qu'elle alloue des dépens à l'Etat de Vaud à la
suite du recours d'un de ses Départements agissant dans l'exercice de ses
attributions officielles en matière de police des constructions ou de
protection des monuments et des sites, est dès lors arbitraire.

5.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être partiellement admis, le
ch. III du dispositif de la décision attaquée devant être annulé.

Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ). Ni les
recourants, qui n'étaient pas assistés d'un avocat, ni le Département
cantonal, ni encore la Municipalité de Ferreyres n'ont droit à des dépens
(art. 159 al. 1 et 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est partiellement admis et le chiffre III du
dispositif de la décision prise le 1er novembre 2001 par le Juge instructeur
du Tribunal administratif du canton de Vaud est annulé; le recours est rejeté
pour le surplus.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux recourants, au mandataire du
Département des infrastructures du canton de Vaud, à la Municipalité de la
commune de Ferreyres et au Tribunal administratif du canton de Vaud.

Lausanne, le 11 mars 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: