Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.719/2001
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1P.719/2001/viz

Arrêt du 18 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Fonjallaz, Pont Veuthey, juge suppléante,
greffier Parmelin.

A.________, recourant, représenté par Me Claudio Fedele, avocat, quai
Gustave-Ador 26, case postale, 1211 Genève 6,

contre

B.________, représentée par Me Cyril Aellen, avocat, boulevard Georges-Favon
19, 1204 Genève, intimée,
Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale; appréciation des preuves

(recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de
Genève du 12 octobre 2001)
Faits:

A.
Le 23 novembre 1999, B.________, ressortissante philippine née le 1er février
1978, a déposé plainte contre inconnu pour contrainte sexuelle et menaces.
Elle exposait avoir été abordée deux jours auparavant, vers 18h00, par un
inconnu dans la galerie marchande de la gare de Cornavin, à Genève; ce
dernier aurait proposé de la raccompagner en voiture à Morges, après avoir
passé brièvement à son appartement aux fins d'y prendre un objet; une fois à
son domicile, il l'aurait empoignée par la taille et embrassée sur le cou
avant de lui proposer sans succès de faire l'amour contre rémunération; il se
serait alors saisi d'un couteau qu'il a déposé sur une table, en menaçant de
s'en servir si elle refusait d'obtempérer; il aurait ensuite ouvert le
manteau qu'elle portait et lui aurait caressé les seins sur ses vêtements,
puis il aurait baissé ses pantalons dans l'intention d'abuser d'elle
sexuellement; elle aurait réussi à s'enfuir avant que celui-ci ne parvienne à
ses fins; il l'aurait rejointe à un arrêt de bus et l'aurait menacée de mort
si elle le dénonçait.
Le 26 novembre 1999, B.________ a indiqué à la police la porte de
l'appartement dans lequel la tentative de viol se serait déroulée et a
formellement reconnu A.________, locataire des lieux, dans la personne de son
agresseur. Ce dernier a nié les faits qui lui étaient reprochés et a déclaré
n'avoir jamais vu la plaignante bien qu'elle ait pu faire un croquis détaillé
de  l'appartement.
Le 29 novembre 1999, B.________ a subi un examen médical auprès du Docteur
C.________, médecin-assistant en gynécologie à l'Hôpital cantonal
universitaire de Genève. Celui-ci n'a fait aucune constatation qui puisse
être mise en relation avec une agression sexuelle, relevant toutefois la
présence d'une bactérie sexuellement transmissible sans pouvoir indiquer la
date exacte de cette contamination.
Le 2 décembre 1999, B.________ a précisé avoir été violée en déclarant ne pas
avoir osé l'avouer dans sa plainte parce qu'elle était sous le choc et très
effrayée. Sur la base de ces déclarations, A.________ a également été inculpé
de viol. Il a été confronté le 24 janvier 2001 à la plaignante, qui a réitéré
ses accusations.

B.
Par arrêt du 15 juin 2001, la Cour d'assises du canton de Genève a reconnu
A.________ coupable de viol aggravé et l'a condamné à quatre ans de
réclusion. Elle l'a en outre astreint à verser à B.________ la somme de
10'000 fr. à titre de réparation morale, réservant les droits de la victime
pour le surplus.
Les premiers juges se sont déclarés convaincus de la crédibilité des
déclarations de la plaignante, qui ont été constantes sur l'essentiel. Ils
ont en particulier admis que l'épreuve vécue par la jeune femme, l'état de
choc dans lequel celle-ci se trouvait et le sentiment de honte qu'elle
ressentait pouvaient expliquer les raisons pour lesquelles elle n'avait dans
un premier temps évoqué qu'une tentative de viol, de même que les variations
dans ses déclarations relatives aux pièces de l'appartement où certains faits
s'étaient produits. Ils ont en revanche acquitté A.________ du chef
d'accusation de délit manqué de contrainte parce qu'en l'absence de témoins
et de langue commune entre les deux protagonistes, il n'était pas prouvé que
l'accusé avait proféré des menaces de mort à l'encontre de la plaignante.
La Cour de cassation du canton de Genève (ci-après: la Cour de cassation) a
rejeté le pourvoi interjeté contre ce jugement par le condamné au terme d'un
arrêt rendu le 12 octobre 2001. Elle a considéré que les contradictions dans
les déclarations de la jeune femme quant à l'endroit précis où celle-ci se
trouvait lorsque l'accusé aurait saisi le couteau, puis ôté le pantalon et la
culotte de la plaignante, portaient sur des points secondaires, qu'elles
pouvaient effectivement s'expliquer par l'état traumatique de la victime,
attesté par différents témoins, et qu'elles n'entamaient pas la crédibilité
de ses accusations. Elle a en outre souligné qu'il n'existait aucun motif
plausible pour expliquer l'attitude de la plaignante autrement que par les
faits retenus par les premiers juges. Elle a enfin estimé qu'il n'y avait pas
d'incohérence à acquitter l'accusé du chef de délit manqué de contrainte et à
le condamner pour viol car il n'était pas nécessaire de se faire comprendre
de sa victime pour réaliser cette dernière infraction, dont la réalité
reposait par ailleurs sur des indices objectifs et sérieux.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, qui violerait le principe « in dubio
pro reo » tant sous l'angle de la répartition du fardeau de la preuve que de
l'appréciation des preuves, et de renvoyer la cause devant la Cour de
cassation pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
La Cour de cassation se réfère à son arrêt. B.________ conclut principalement
à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet; elle requiert
l'assistance judiciaire. Le Procureur général du canton de Genève propose
également de rejeter le recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral n'est
pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves et des
constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83) ou
pour invoquer la violation directe d'un droit constitutionnel ou
conventionnel, tel que la présomption d'innocence consacrée aux art. 32 al. 1
Cst. et 6 § 2 CEDH et son corollaire, le principe « in dubio pro reo » (ATF
120 Ia 31 consid. 2b p. 35/36). Au vu des arguments soulevés, seul le recours
de droit public est recevable en l'occurrence.
Le recourant est directement touché par l'arrêt attaqué qui le condamne à
quatre ans de réclusion; il a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé à ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité pour recourir
selon l'art. 88 OJ. Interjeté en temps utile contre une décision finale prise
en dernière instance cantonale, le recours répond au surplus aux réquisits
des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

2.
Le recourant prétend que dès l'instant où elle a acquis la certitude qu'il
avait menti en déclarant n'avoir jamais vu la plaignante, la Cour de
cassation aurait arbitrairement conclu que toutes les déclarations de la
jeune femme étaient vraies, lui reprochant ainsi implicitement de ne pas
avoir prouvé son innocence en violation du principe « in dubio pro reo ».

2.1 En tant que règle de répartition du fardeau de la preuve, la maxime « in
dubio pro reo » signifie qu'il appartient à l'accusation d'établir la
culpabilité du prévenu et non à ce dernier de démontrer son innocence. Cette
garantie est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul
motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence ou lorsqu'il résulte à tout
le moins de la motivation du jugement que le juge s'est inspiré d'une telle
répartition erronée du fardeau de la preuve pour condamner. A cet égard, la
maxime « in dubio pro reo » garantit à l'accusé une protection plus étendue
que celle offerte par l'interdiction de l'arbitraire déduite de l'art. 9 Cst.
Saisi de ce grief, le Tribunal fédéral examine librement s'il ressort du
jugement considéré que le juge a condamné l'accusé uniquement parce qu'il
n'avait pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40 et la
jurisprudence citée).

2.2 Contrairement à ce que soutient le recourant, la Cour d'assises n'a pas
déduit du fait qu'il avait menti en affirmant ne pas connaître la plaignante
que toutes les déclarations de la jeune femme étaient vraies puisqu'elle n'a
précisément pas retenu à sa charge le chef d'accusation de délit manqué de
contrainte. De même, elle n'a pas tenu les accusations de viol formulées par
la plaignante pour fondées parce que le recourant avait déclaré
mensongèrement ne jamais avoir vu sa victime, en dépit du fait que celle-ci
avait donné une description détaillée et exacte de son apparence physique et
de l'appartement dans lequel elle prétend avoir été abusée sexuellement sous
la menace d'un couteau. Cet élément a certes joué un rôle dans l'appréciation
des preuves à laquelle se sont livrés les premiers juges. Ceux-ci ont
cependant clairement indiqué les autres éléments qui les ont amenés à tenir
les accusations de la plaignante pour crédibles; ils ont également
soigneusement expliqué les raisons pour lesquelles ils n'ont pas vu matière à
ébranler leur conviction dans les divergences entre les déclarations
successives de la plaignante quant au déroulement du viol. On ne discerne
ainsi dans le jugement de la Cour d'assises aucun renversement inadmissible
du fardeau de la preuve au détriment du recourant. Il ne ressort pas plus de
l'arrêt querellé que la Cour de cassation aurait exigé de ce dernier qu'il
démontre son innocence ou qu'elle aurait suivi une argumentation de nature à
penser qu'elle aurait confirmé le jugement attaqué devant elle parce que
l'accusé n'avait pas apporté la preuve de son innocence. Elle a au contraire
également respecté le principe de la présomption d'innocence sous cet angle
en précisant en quoi ce jugement résistait au grief d'arbitraire au regard
des arguments développés par le recourant. Le fait qu'elle ait tenu les
déclarations de la plaignante pour crédibles malgré les divergences, jugées
secondaires, qui les caractérisaient ne signifie nullement qu'elle aurait
reproché à l'accusé, fût-ce de manière implicite, de ne pas avoir apporté la
preuve de son innocence. Sur ce point, le recours est manifestement mal
fondé.

3.
Le recourant reproche également à la cour cantonale d'avoir violé le principe
« in dubio pro reo » en examinant séparément et non pas dans leur ensemble
les éléments de faits qui auraient dû amener à douter de sa culpabilité.

3.1 En tant qu'elle a trait à la constatation des faits et à l'appréciation
des preuves, la maxime « in dubio pro reo » est violée lorsque l'appréciation
objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute
insurmontable sur la culpabilité de l'accusé (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41;
124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Saisi d'un recours
de droit public mettant en cause l'appréciation des preuves, le Tribunal
fédéral examine seulement si le juge cantonal a outrepassé son pouvoir
d'appréciation et établi les faits de manière arbitraire (ATF 127 I 38
consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38;
118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts cités). Une constatation de fait
n'est pas arbitraire pour la seule raison que la version retenue par le juge
ne coïncide pas avec celle de l'accusé ou du plaignant; encore faut-il que
l'appréciation des preuves soit manifestement insoutenable, en contradiction
flagrante avec la situation effective, qu'elle constitue la violation d'une
règle de droit ou d'un principe juridique clair et indiscuté, ou encore
qu'elle heurte de façon grossière le sentiment de la justice et de l'équité
(ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30).
Dans le cadre d'un recours de droit public pour arbitraire contre une
décision prise en dernière instance cantonale par une autorité qui statuait
elle-même sous cet angle restreint, le Tribunal fédéral vérifie si c'est à
tort ou à raison que cette autorité a nié l'arbitraire du jugement de
première instance et, de ce fait, enfreint l'interdiction du déni de justice
matériel, question qu'il lui appartient d'élucider à la seule lumière des
griefs soulevés dans l'acte de recours (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p.
495; 111 Ia 353 consid. 1b in fine p. 355).

3.2 Le recourant prétend que les nombreuses divergences dans la version des
faits de la plaignante ne pouvaient s'expliquer uniquement par des raisons
d'ordre psychologique et qu'un examen d'ensemble des incohérences émaillant
les déclarations successives de la jeune femme aurait dû amener la Cour
d'assises, puis la Cour de cassation, à concevoir un doute raisonnable sur sa
culpabilité. Il est douteux qu'ainsi motivé, le grief soit recevable au
regard des exigences déduites de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 127 I 38
consid. 3c p. 43). Peu importe en définitive car le recours est de toute
manière mal fondé sur ce point. B.________ a en effet expliqué n'avoir fait
état dans sa plainte que d'une tentative de viol parce qu'elle était sous le
choc et très effrayée et qu'elle craignait de faire part de la situation à sa
famille et à son mari resté aux Philippines. Des sentiments de peur mêlés de
honte se rencontrent fréquemment auprès des victimes de viol ou d'autres
crimes à connotation sexuelle; aussi, les autorités cantonales n'ont pas fait
preuve d'arbitraire en refusant de voir dans cette circonstance un élément
propre à mettre en doute les accusations de viol portées à l'encontre du
recourant.
La plaignante a certes varié dans sa relation des faits quant à la pièce dans
laquelle elle se trouvait lorsque celui-ci aurait saisi le couteau dont il se
serait servi pour la menacer et quant à sa position lorsqu'il lui aurait ôté
de force le pantalon et la culotte qu'elle portait. La Cour de cassation n'a
cependant pas fait preuve d'arbitraire en considérant qu'il s'agissait de
contradictions mineures ou secondaires par rapport au déroulement des faits
dans leur intégralité, qui pouvaient être mises sur le compte de l'émotion
dans laquelle se trouvait la jeune femme et du traumatisme consécutif à une
telle épreuve, ce d'autant que c'était la première fois qu'elle pénétrait
dans l'appartement du recourant et que les faits se sont déroulés très
rapidement. En répondant point par point aux arguments du recourant
développés à l'encontre du jugement de la Cour d'assises, la Cour de
cassation s'est cantonnée au rôle qui lui est dévolu en tant qu'autorité de
recours contre les jugements de la Cour d'assises (cf. SJ 1992 p. 225 consid.
4c/bb p. 230/231; Jacques Droin, Le pouvoir d'examen de la Cour genevoise de
cassation à la lumière d'arrêts récents, in Etudes en l'honneur de Dominique
Poncet, Genève 1997, p. 34); on ne saurait admettre qu'elle aurait éprouvé ou
qu'elle aurait dû éprouver un doute sur la culpabilité du recourant si elle
avait examiné globalement les contradictions dans les dires de la plaignante.
Au demeurant, à supposer que la Cour de cassation n'ait effectivement pas
procédé à un tel examen d'ensemble, ce qui ne ressort pas expressément de
l'arrêt attaqué, les premiers juges l'ont fait en précisant que les quelques
variations sur les lieux où se seraient produits certain faits n'étaient pas
de nature à ébranler leur conviction. De ce point de vue, le grief est mal
fondé.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté aux frais du recourant qui
succombe (art. 156 al. 1 OJ). Ce dernier versera une indemnité de dépens à
l'intimée qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire
professionnel (art. 159 al. 1 OJ). Les autorités concernées ne sauraient en
revanche prétendre à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens est allouée à B.________, à la
charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au
Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 18 janvier 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: