Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.698/2001
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1P.698/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                      19 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

D.________, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat à
Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 26 octobre 2001 par la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- D.________, ressortissant guinéen né le 1er jan-
vier 1979, a été arrêté le 14 juillet 2001 et placé en déten-
tion préventive sous l'inculpation d'infraction grave à la
loi fédérale sur les stupéfiants, pour avoir livré, de con-
cert avec A.________, plusieurs dizaines, voire centaines de
grammes de cocaïne à S.________ entre les mois de mai et juin
2001. Au cours de l'instruction, D.________ a reconnu avoir
transporté entre le 13 février et le 15 avril 2001 quatre pa-
quets de drogue, dont il ignorait la quantité exacte, entre
Zurich et Genève, et avoir effectué des transports d'argent
provenant de ce trafic entre Genève et Zurich, pour une somme
d'environ 2'000 francs qu'il destinait, selon ses dires, à la
préparation de son mariage avec une Suissesse de dix-huit
ans, N.________, célébré le 7 mai 2001.

   B.- Par ordonnance du 16 octobre 2001, la Chambre
d'accusation du canton de Genève (ci-après: la Chambre d'ac-
cusation) a prolongé la détention de D.________ pour une du-
rée de deux mois. Elle a considéré que le risque de réitéra-
tion restait d'actualité, bien que l'instruction fût terminée
s'agissant du prévenu, compte tenu du fait que ce dernier
n'avait aucune source légale et propre de revenu. Elle a tenu
le risque de fuite pour établi, nonobstant les attaches de
l'inculpé en Suisse du fait de son mariage et de l'obtention
d'un permis B, car les liens sociaux affectifs noués avec des
personnes domiciliées en Suisse étaient trop récents et trop
ténus pour admettre qu'il ne se soustraira pas à la justice.
Elle a en outre admis que le principe de la proportionnalité
de la détention était respecté au regard de la peine encou-
rue.

   Le 23 octobre 2001, D.________ a requis sa mise en
liberté provisoire, le cas échéant moyennant le dépôt de son
passeport et l'annonce à des intervalles réguliers au "Kreis-
büro" de son domicile aussi longtemps qu'il resterait sans
emploi. Il a produit divers documents attestant sa prise en
charge financière par sa femme et sa belle-mère ainsi que des
démarches entreprises pour assurer son intégration sociale et
professionnelle.

   Le 25 octobre 2001, le Juge d'instruction en charge
du dossier (ci-après: le Juge d'instruction) a rejeté cette
requête en raison d'un risque de récidive et d'un danger de
fuite. La Chambre d'accusation en a fait de même aux termes
d'une ordonnance rendue le 26 octobre 2001. Se référant à sa
précédente décision de prolongation de la détention du 16 oc-
tobre 2001, elle a estimé que le fait pour le prévenu de vi-
vre entièrement à la charge et au domicile de sa belle-mère,
dont les revenus étaient modestes, ne suffisait pas pour neu-
traliser le risque concret de réitération résultant de la na-
ture des infractions reprochées et de l'absence de moyens de
subsistance propres. Elle a également vu des circonstances
supplémentaires permettant de redouter la fuite du prévenu
dans le fait que ce dernier avait de la famille proche en
Hollande et qu'il disposerait d'une maison en Guinée.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 10 al. 2, 31 al. 1 Cst. et 5 CEDH,
D.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette déci-
sion et d'ordonner sa mise en liberté provisoire, le cas
échéant, assortie de la condition du dépôt de son passeport
en mains du Procureur général du canton de Genève et à l'an-
nonce, à intervalles réguliers, au "Kreisbüro" du lieu de son
domicile à Zurich, aussi longtemps qu'il reste sans emploi.
Il reproche à la Chambre d'accusation d'avoir retenu l'exis-
tence d'un risque de récidive et de fuite sur la base d'une

appréciation incomplète et arbitraire des faits. Il requiert
l'assistance judiciaire.

   La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de sa décision. Le Juge d'instruction conclut au rejet du re-
cours. Le Procureur général n'a pas déposé d'observations.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant est personnellement touché par la
décision attaquée qui refuse sa mise en liberté provisoire et
a, partant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ. Formé
en temps utile contre une décision prise en dernière instance
cantonale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1
et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.
La conclusion du recourant tendant à sa libération immédiate,
le cas échéant sous diverses conditions, est par ailleurs re-
cevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

   2.- Une mesure de détention préventive est compati-
ble avec la liberté personnelle, garantie par les art. 10 al.
2 Cst. et 5 CEDH, pour autant qu'elle repose sur une base lé-
gale, qu'elle réponde à un intérêt public et qu'elle respecte
le principe de la proportionnalité (art. 31 al. 1 et 36 al. 1
à 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit
le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les
besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de
collusion ou de réitération, comme le souligne l'art. 154 du
Code de procédure pénale genevois (CPP gen.). Préalablement à
ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des
charges suffisantes (ATF 116 Ia 143 consid. 3 p. 144; cf.
art. 34 et 145 CPP gen.). Cette dernière exigence coïncide
avec la règle de l'art. 5 § 1 let. c CEDH, qui autorise l'ar-

restation d'une personne s'il y a des raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis une infraction.

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 281
consid. 3 p. 283).

   3.- Le recourant ne conteste pas la base légale de
sa détention, ni l'existence de charges suffisantes à son en-
contre. Il nie en revanche la présence d'un risque de récidi-
ve et d'un danger de fuite propres à s'opposer à sa relaxa-
tion immédiate.

   a) L'autorité appelée à statuer sur la mise en li-
berté provisoire d'un détenu peut, en principe, maintenir
celui-ci en détention s'il y a lieu de présumer, avec une
certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de récidive.
Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'apprécia-
tion d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon
la jurisprudence, le maintien en détention ne peut se justi-
fier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable
et que les délits dont l'autorité redoute la réitération sont
graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367;
124 I 208 consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et
les arrêts cités; voir aussi l'arrêt de la CourEDH dans la
cause Clooth c. Belgique, du 12 décembre 1991, Série A vol.
225, § 40). Le principe de la proportionnalité impose en ou-
tre à l'autorité qui estime se trouver en présence d'une pro-
babilité sérieuse de réitération d'examiner si l'ordre public
pourrait être sauvegardé par d'autres moyens que le maintien
en détention, tels que la mise en place d'une surveillance
médicale, l'obligation de se présenter régulièrement à une

autorité ou l'instauration d'autres mesures d'encadrement
(ATF 123 I 268 consid. 2c in fine p. 271 et les arrêts ci-
tés).

   b) En l'espèce, l'autorité intimée a fondé le risque
concret de récidive sur la nature des infractions reprochées
au recourant et l'absence de moyens de subsistance propres.
D.________ est inculpé d'infraction grave à la loi fédérale
sur les stupéfiants pour avoir livré, de concert avec
A.________, plusieurs dizaines, voire centaines de grammes de
cocaïne à S.________. Il admet pour sa part avoir transporté
à quatre reprises de la drogue entre Zurich et Genève entre
la mi-février et la mi-avril 2001 et d'avoir effectué des
transports d'argent à destination de Zurich. Les délits dont
l'autorité intimée redoute la réitération sont donc graves.
Le recourant ayant agi par appât du gain, il n'est pas exclu
que si la nécessité financière devait se faire sentir, il
commette à nouveau des actes de même nature. Cette possibili-
té doit cependant se révéler vraisemblable compte tenu de
l'ensemble des circonstances du cas.

   Le recourant, il est vrai, n'exerce aucune activité
lucrative et n'a pas de moyens de subsistance propres; il n'a
cependant pas de dettes avérées et peut compter sur l'aide
financière conjuguée de son épouse et de sa belle-mère qui
serait prête à loger gratuitement le couple; certes, les res-
sources disponibles, après déduction des charges, seraient
proches du minimum vital, mais elles n'excluraient pas de
faire vivre un ménage de quatre personnes, si l'on tient
compte du frère cadet de N.________, à tout le moins le temps
pour le recourant de trouver un emploi. L'absence de ressour-
ces propres ne constitue dès lors pas un élément de nature à
rendre vraisemblable une récidive, compte tenu des circons-
tances de l'espèce. Le recourant n'a par ailleurs pas d'anté-
cédents judiciaires en Suisse et en Guinée. Son rôle déclaré
dans le trafic de cocaïne auquel il est mêlé s'est limité à

des transports de drogue et d'argent pour le compte de ses
coïnculpés, sur une période de quelques mois, même si une
participation plus importante ne peut en l'état être totale-
ment exclue. En outre, il a semble-t-il cessé toute activité
délictueuse depuis son mariage, contracté le 7 mai 2001, sous
réserve d'un transport d'argent effectué au mois de juin
2001, et se trouvait en recherche d'emploi lorsqu'il a été
arrêté. Enfin le fait que le principal fournisseur de drogue
de A.________ ait été arrêté constitue un obstacle sérieux à
une éventuelle récidive. Ces circonstances ne permettent pas
de poser un pronostic très défavorable quant à la commission
de nouvelles infractions à la loi sur les stupéfiants, malgré
la gravité des faits reprochés au recourant.

   Le recours est dès lors bien fondé en tant qu'il
porte sur l'existence d'un risque de réitération. Il reste
ainsi à examiner ce qu'il en est du danger de fuite.

   c) Selon la jurisprudence, un tel danger ne doit pas
s'apprécier sur la seule base de la gravité de l'infraction
même si la perspective d'une longue peine privative de liber-
té permet souvent d'en présumer l'existence (ATF 125 I 60
consid. 3a p. 62 et les arrêts cités); il doit s'analyser en
fonction d'un ensemble de critères, tels que le caractère de
l'intéressé, sa moralité, ses liens familiaux, sa situation
financière, ses ressources économiques, ses liens avec l'Etat
qui le poursuit et ses contacts avec l'étranger, qui font ap-
paraître le risque de fuite non seulement possible, mais éga-
lement probable (ATF 117 Ia 69 consid. 4 p. 70 et les arrêts
cités). Il est sans importance, pour apprécier le risque de
fuite, que l'extradition du prévenu puisse être obtenue (ATF
123 I 31 consid. 3d p. 36/37).

   Par ailleurs, conformément à l'art. 5 § 3 dernière
phrase CEDH, le prévenu a le droit d'être libéré s'il lui est
possible de fournir des sûretés propres à garantir sa présen-

ce aux débats et, s'il y a lieu, sa soumission au jugement,
lorsque l'incarcération n'a plus d'autre justification que le
seul risque de fuite (cf. art. 155 et 156 CPP gen.). Le mon-
tant des sûretés doit alors être apprécié d'après les res-
sources du prévenu et ses liens avec les personnes appelées à
servir, le cas échéant, de cautions: il faut que la perspec-
tive de la perte de cette somme agisse sur lui comme un frein
suffisant à écarter toute velléité de fuite (cf. arrêts de la
CourEDH du 27 juin 1968 dans la cause Neumeister c. Autriche,
Série A n° 8, § 14, et du 25 avril 2000 dans la cause Punzelt
c. République tchèque, § 86; ATF 105 Ia 186 consid. 4a p.
187). De même, le prévenu peut être astreint à se présenter
régulièrement à un office déterminé, à déposer ses papiers
d'identité ou à se soumettre à d'autres obligations propres à
écarter le risque de fuite (art. 157 CPP gen.; cf. ATF 51 I
388 consid. 2 p. 392).

   En l'espèce, le recourant est inculpé d'infraction
grave à la loi fédérale sur les stupéfiants. S'il devait être
reconnu coupable de ce chef d'accusation, il serait passible
d'une peine d'emprisonnement nettement supérieure à la déten-
tion subie (cf. art. 19 ch. 1 al. 9 LStup), dont il n'y a pas
lieu d'examiner si elle pourrait être assortie du sursis (ATF
125 I 60 consid. 3d p. 62 et l'arrêt cité); la gravité de la
peine à laquelle le recourant s'expose représente un élément
important en faveur d'un risque de fuite. En revanche, sur le
plan personnel, D.________ peut se prévaloir d'attaches im-
portantes et sérieuses avec la Suisse. Il a en effet épousé
le 7 mai 2001 une Suissesse de quatre ans sa cadette, dont il
a fait la connaissance en octobre 1999, et les relations
qu'il entretient avec sa femme et avec sa belle-mère peuvent
être qualifiées de solides, sur la base des pièces versées au
dossier. Le recourant a certes ses parents et des frères et
soeurs en Guinée ainsi que deux demi-frères en Hollande,
qu'il a visités à la faveur d'un séjour d'une semaine à la
fin décembre 1999. Le risque qu'il se réfugie dans l'un ou

l'autre de ces pays ne doit certes pas être négligé, au re-
gard notamment de la peine encourue. Cependant, les relations
qu'il entretient avec son épouse et sa belle-mère permettent
de relativiser un tel risque, dès lors que l'on peut raison-
nablement exclure que sa femme accepte de quitter la Suisse,
où elle poursuit un apprentissage d'employée de commerce. En
outre, même s'il n'exerce aucune activité lucrative et n'a
pas de ressources propres, il n'a pas de dettes établies et
peut compter sur l'aide financière conjuguée de son épouse et
de sa belle-mère; enfin, lorsqu'il a été arrêté, il était en
recherche d'emploi et était inscrit à l'Ecole Bénédict, à
Zurich, pour suivre des cours commerciaux. Ces éléments ten-
dent à atténuer le risque de fuite résultant des circonstan-
ces évoquées par l'autorité intimée dans une mesure qui, en
l'absence de faits nouveaux justifiant une appréciation plus
sévère, permet de prononcer une mise en liberté provisoire
sous diverses conditions qu'il n'appartient toutefois pas au
Tribunal fédéral, mais à la Chambre d'accusation, voire au
Juge d'instruction de préciser eu égard à la diversité des
mesures offertes par le droit cantonal de procédure (art. 155
à 157 CPP gen.), du large pouvoir d'appréciation dont ces au-
torités disposent dans le choix de celles-ci et dans leur or-
ganisation.

   d) Vu ce qui précède, la décision attaquée doit être
annulée et le dossier renvoyé à la Chambre d'accusation à
charge pour elle d'ordonner elle-même ou d'inviter le Juge
d'instruction à ordonner les mesures les plus adéquates pour
parer au risque de fuite relativement ténu qui subsiste. Dans
l'intervalle, le recourant devra être maintenu en détention
préventive, ce qui conduit au rejet de la requête de mise en
liberté provisoire.

   4.- Le recours doit par conséquent être partielle-
ment admis au sens des considérants, ce qui rend sans objet
la demande d'assistance judiciaire. Il est statué sans frais.

Le canton de Genève versera au recourant une indemnité à ti-
tre de dépens (art. 159 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Admet partiellement le recours au sens des consi-
dérants et annule la décision attaquée; rejette le recours
pour le surplus.

   2. Rejette la demande de mise en liberté provisoire;

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire;

   4. Alloue au recourant une indemnité de dépens de
1'200 fr. à la charge du canton de Genève;

   5. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant ainsi qu'au Juge d'instruction, au Procureur
général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 19 novembre 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,