Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.682/2001
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1P.682/2001/dxc

Arrêt du 22 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les Juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Reeb, Fonjallaz,
greffier Kurz.

A.________, 1208 Genève, recourant, représenté par Me Christian Lüscher,
avocat, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève,

contre

Yves Grandjean, Président de la Chambre d'accusation, case postale 3108, 1211
Genève 3,
Antoinette Stalder, Juge à la Chambre d'accusation, case postale 3108, 1211
Genève 3,
Michel Criblet, Juge à la Chambre d'accusation, case postale 3108, 1211
Genève 3, intimés,
Plenum de la Cour de justice du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

art. 30 Cst., art. 6 CEDH (récusation)

(recours de droit public contre la décision du Plenum de la Cour de justice
du canton de Genève du 10 septembre 2001)

Faits:

A.
Dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre les organes de la Banque
cantonale de Genève, le juge chargé de l'instruction de la cause a admis, le
4 avril 2001, l'Etat de Genève en qualité de partie civile. Cette décision a
fait l'objet de recours auprès de la Chambre d'accusation genevoise de la
part des inculpés, dont B.________ et A.________.

Pour des raisons de surcharge, la Chambre d'accusation a décidé, le 31 mai
2001, de ne traiter dans un premier temps que le recours de B.________, le 6
juin 2001, les autres recours devant être appointés à une audience
ultérieure. Par ordonnance du 18 juin 2001, le recours de B.________ a été
rejeté.

B.
Par lettre du 3 août 2001, A.________ s'est plaint auprès de la Chambre
d'accusation de ce que son recours n'ait pas encore été plaidé. Il relevait
que ses arguments différaient pour partie de ceux soulevés dans le recours de
B.________ et invitait les trois juges ayant statué sur ce dernier à se
déporter; il en demandait, le cas échéant, la récusation.

C.
Par décision du 10 septembre 2001, le Plenum de la Cour de justice a rejeté
la demande de récusation. L'art. 91 let. c de la loi genevoise d'organisation
judiciaire (OJ/GE) permettait la récusation de juges ayant connu la cause
dans une autre juridiction, mais non lorsqu'ils avaient été appelés à statuer
dans une même juridiction. Le fait que les jugements n'aient pas été rendus
simultanément ne permettait pas d'exiger un changement de magistrats. Même si
A.________ n'avait pas pu s'exprimer à l'occasion du premier recours, il
pourrait le faire à propos de son propre recours.

D.
A.________ forme un recours de droit public contre cette dernière ordonnance.
Il en demande l'annulation, ainsi que la constatation du bien-fondé des cas
de récusation soulevés.

Le Plenum persiste dans les termes de sa décision. Les trois magistrats visés
n'ont pas formulé d'observations, l'un d'entre eux ayant entre-temps quitté
la juridiction. Le recourant a pu prendre connaissance des pièces produites
par le Plenum, et répliquer.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le recours de droit public est immédiatement recevable contre les
décisions relatives à la récusation des magistrats, indépendamment de
l'existence d'un préjudice irréparable (art. 87 al. 1 OJ).

1.2 Le recours de droit public est de nature cassatoire. Le recourant ne peut
par conséquent demander autre chose que l'annulation de la décision attaquée,
en particulier l'admission de sa demande de récusation, ou une constatation
allant dans ce sens.

2.
Le recourant reproche à l'autorité intimée d'avoir limité son examen au cas
de récusation visé à l'art. 91 let. c OJ/GE (cas du magistrat ayant connu de
la cause dans une autre juridiction), en ignorant les hypothèses mentionnées
aux lettres a) et e) de cette disposition (magistrat ayant donné conseil,
plaidé ou écrit sur le différend, ou ayant manifesté son avis avant de
statuer). L'art. 91 OJ/GE n'était certes évoqué que de manière générale dans
la demande de récusation, mais l'autorité devait examiner d'office
l'existence de tous les cas de récusation. En rejetant le recours de
B.________, les juges de la Chambre d'accusation avaient «écrit sur le
différend», «et manifesté leur opinion» avant d'examiner le recours formé par
le recourant. Le 12 septembre 2001, la présidente de la Chambre d'accusation
avait d'ailleurs relevé que la décision rendue sur recours de B.________
était définitive, de sorte que l'issue de son propre recours était
prédéterminée.

2.1 Le droit d'être entendu, qui impose notamment à l'autorité d'examiner
tous les arguments pertinents qui lui sont soumis, n'a pas été violé. Dans sa
demande de récusation, le recourant invoquait l'art. 91 OJ/GE de manière
toute générale, sans préciser quel cas de récusation était selon lui réalisé.
Point n'est besoin, cela étant, de rechercher si, comme le prétend le
recourant, l'autorité intimée devait examiner d'office l'ensemble des cas de
récusation définis par la loi. En effet, la décision attaquée est fondée sur
une interprétation a contrario de l'art. 91 let. c OJ/GE, selon laquelle un
magistrat ne serait pas récusable lorsqu'il a connu de la cause dans une même
juridiction. Cela permettait logiquement d'exclure l'application de l'art. 91
let. a et e OJ/GE. Par ailleurs, l'opinion selon laquelle plusieurs
coïnculpés ne pouvaient exiger que leurs recours respectifs soient examinés
par des juges différents, même si les jugements ne sont pas rendus
simultanément, était elle aussi applicable à l'ensemble des cas de récusation
prévus par le droit cantonal.

2.2 En présence d'une requête de récusation dont les motifs n'étaient guère
explicites, l'autorité intimée a répondu de manière pertinente aux griefs
soulevés. Le recourant prétend que l'autorité intimée devait rechercher
d'office si un cas de récusation prévu par la loi était réalisé; il n'indique
toutefois pas quelle disposition du droit cantonal imposait un tel examen
d'office. En matière de récusation, la règle est en principe que celui qui
entend se soustraire à son juge naturel doit agir de bonne foi en invoquant
le motif de récusation dès qu'il se présente, et en précisant les motifs de
sa démarche.  En l'espèce, le Plenum a nié, de manière pertinente,
l'existence d'un cas de récusation, et a même recherché, alors que cette
question n'était pas soulevée, si l'examen préalable du recours de B.________
pouvait léser le droit d'être entendu du recourant. Il n'y a pas, par
conséquent, violation de l'obligation de motiver.

3.
Sur le fond, le recourant persiste à considérer que les juges de la Chambre
d'accusation seraient récusables tant en vertu du droit cantonal que des
garanties découlant de la Constitution et de la CEDH: en ayant statué
préalablement sur le recours de B.________, ils auraient manifesté leur
opinion prématurément au sujet de son propre recours.

3.1 Le recourant se plaint d'une application arbitraire de l'art. 91 OJ/GE: à
l'occasion du recours de B.________, les juges de la Chambre d'accusation
auraient à tout le moins écrit sur le différend (art. 91 let. a OJ/GE), et
émis leur opinion prématurément (art. 91 let. e OJ/GE). Le Plenum a
toutefois, au moins implicitement, écarté cette argumentation en relevant
qu'une interprétation a contrario de l'art. 91 let. c) OJ/GE excluait la
récusation des magistrats qui avaient précédemment connu de la cause dans la
même juridiction. Or, le recourant n'expose pas, comme l'exige l'art. 90 al.
1 let. b OJ, en quoi cette interprétation, qui est du reste conforme au texte
de la disposition précitée, serait arbitraire.

3.2 Selon la garantie d'impartialité, qui découle tant de l'art. 30 Cst. que
de l'art. 6 par. 1 CEDH, est récusable un magistrat présentant une apparence
de prévention en raison de ses déclarations ou de son comportement.
L'intervention d'un magistrat à plusieurs stades d'une même procédure peut
également constituer un motif de récusation, suivant les diverses fonctions
exercées par le magistrat et les questions qu'il a été appelé à résoudre dans
ce cadre. En revanche, le fait qu'un magistrat ait précédemment statué, dans
une cause différente mais sur un même état de fait, ne saurait imposer sa
récusation (cf. ATF 115 Ia 40).

3.3 En l'espèce, la Chambre d'accusation s'est prononcée, le 18 juin 2001,
sur un recours formé par un coïnculpé contre l'admission d'une constitution
de partie civile. Même si la décision attaquée était la même, la Chambre
d'accusation ne s'est pas prononcée, à proprement parler, sur la cause du
recourant.

La thèse de celui-ci conduirait à la récusation de tout juge ayant eu, à une
occasion précédente, à trancher une question semblable ou proche de celle qui
lui est soumise. Elle permettrait au justiciable d'exiger la récusation d'un
magistrat s'étant déjà, à une quelconque occasion, prononcé dans un sens
défavorable aux arguments qu'il soutient. Elle empêcherait aussi un tribunal
saisi d'une série de recours portant sur un même objet de statuer sur un
premier cas (leading case), et de liquider les autres affaires
ultérieurement, solution qui présente des avantages indéniables au niveau de
l'économie de procédure.

La procédure suivie par la Chambre d'accusation n'est d'ailleurs pas
défavorable au recourant, car celui-ci connaît maintenant les arguments
retenus dans un premier temps et peut tenter, contrairement à l'auteur du
premier recours, de les contredire. Il peut également faire valoir d'autres
arguments que ceux qui étaient soulevés dans le premier recours, et rien
n'indique que les juges de la Chambre d'accusation n'examineront pas avec
sérieux toute nouvelle argumentation pertinente qui pourrait leur être
soumise. En relevant que l'ordonnance rendue sur le recours de B.________
était définitive, la Chambre d'accusation lui a certes accordé, avec raison,
valeur de précédent, sans toutefois exclure un réexamen à la lumière de
nouveaux griefs.

3.4 Le recourant soutient encore que son propre recours aurait été ignoré,
voire même considéré comme liquidé par la Chambre d'accusation qui a déjà
statué sur deux autres incidents soulevés entre-temps. Même s'il peut
paraître surprenant que les recours formés par les autres coïnculpés n'aient
pas encore été traités après le prononcé de la première ordonnance, il ne
s'ensuit pas nécessairement une prévention apparente à l'égard du recourant,
mais tout au plus un éventuel retard à statuer. Si le recourant entendait se
plaindre d'un déni de justice formel, il devait agir par la voie propre à ce
moyen, et non par celle de la récusation.

Quant aux fausses indications que la Présidente de la Chambre d'accusation
aurait, selon le recourant, données au sujet du traitement de la demande de
récusation, elles ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de
la décision du Plenum et l'impartialité des juges de la Chambre d'accusation.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté,
dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un
émolument est mis à la charge du recourant qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Plenum de la Cour
de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 22 janvier 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier: