Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.660/2001
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1P.660/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                      29 novembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Zimmermann.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________, à Moscou (RU), représenté par Me Jean-Marie
Crettaz, avocat à Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 23 août 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recou-
rant à Y.________, représentée par Me Bruno de Preux, avocat
à Genève, et au Procureur général du canton de Genève;

  (saisie conservatoire dans la procédure pénale cantonale)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- La République française a adressé à la Confédé-
ration plusieurs demandes d'entraide judiciaire pour les be-
soins de procédures ouvertes en France, concernant des mal-
versations commises dans la gestion du groupe Y.________
(ci-après: le Groupe), au détriment de celui-ci. Le juge
français a prononcé plusieurs mises en examen (correspondant
à des inculpations), dont celle de X.________.

   Sur la base des faits portés à la connaissance des
autorités suisses, deux procédures pénales ont été ouvertes à
Genève. Il s'agit de la procédure désignée sous la rubrique
P/9740/97, concernant des faits de blanchiment d'argent (pro-
cédure dite générale) et de la procédure P/1338/99, concer-
nant l'acquisition, par le Groupe, de la raffinerie
A.________.

   Le 4 mai 1998, le Juge d'instruction a ordonné la
perquisition des locaux de l'agence lausannoise de la société
Z.________ S.A. (ci-après: la Société), en vue de la saisie
conservatoire des documents et valeurs se rapportant aux man-
dats confiés à la Société notamment par X.________. Le 16 dé-
cembre 1998, le Juge d'instruction a levé partiellement cette
saisie, qu'il a confirmée et étendue le 7 mai 1999.

   Le 19 octobre 1999, X.________ a demandé la levée du
séquestre. Le 18 novembre 1999, le Juge d'instruction a reje-
té cette requête.

   Le Juge d'instruction a, le même jour, décidé de
dissocier l'enquête concernant X.________ de la procédure gé-
nérale, et d'ouvrir une nouvelle procédure, désignée sous la

rubrique P/14124/99, concernant les actes reprochés à
X.________ dans ses relations avec le Groupe. Simultanément,
le Juge d'instruction a fait verser au dossier de la procé-
dure P/14124/99 plusieurs pièces provenant de la procédure
générale.

   Le 23 mars 2000, le Juge d'instruction a inculpé
X.________ de blanchiment d'argent et d'escroquerie, subsi-
diairement de gestion déloyale.

   Le 22 novembre 2000, la Chambre d'accusation a reje-
té le recours formé par X.________ contre le refus de la le-
vée du séquestre. Elle a estimé que l'intérêt public lié à la
conduite efficace de la procédure pénale commandait de main-
tenir intégralement le séquestre, l'état de l'enquête ne per-
mettant pas de distinguer la part des fonds saisis pouvant
provenir d'une activité délictuelle. Pour le surplus, il pa-
raissait vraisemblable que X.________ n'avait pas de motif
légitime à conserver des montants importants reçus notamment
d'autres personnes impliquées dans l'affaire Y.________. Ce
soupçon était renforcé par les mécanismes financiers com-
plexes et insolites utilisés par X.________ pour le transfert
des fonds reçus. Cette décision est entrée en force.

   Le 25 janvier 2001, X.________ a demandé derechef la
levée du séquestre, en faisant valoir que les faits mis à sa
charge n'étaient pas établis. Le 2 avril 2001, le Juge d'ins-
truction a rejeté cette requête.

   Le 16 février 2001, à la requête du Procureur géné-
ral, l'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédé-
ral) a délégué à la France la poursuite pénale concernant
X.________ et ordonné la communication du dossier de la pro-
cédure P/14124/99 aux autorités françaises.

   Par arrêt du 23 avril 2001, le Tribunal fédéral a
déclaré irrecevable le recours de droit administratif formé
par X.________ contre cette décision (1A.64/2001). Il en a
fait de même, le 22 novembre 2001, s'agissant du recours de
droit administratif dirigé contre la transmission du dossier
de la procédure P/14124/99 aux autorités françaises (arrêt
1A.126/2001).

   Le 23 août 2001, la Chambre d'accusation a rejeté le
recours formé contre la décision du 2 avril 2001. Elle s'est
référée pour l'essentiel à sa décision du 22 novembre 2000,
en indiquant qu'il incomberait désormais aux autorités fran-
çaises de décider de la suite de la procédure, y compris pour
ce qui concerne le séquestre litigieux.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision
du 23 août 2001. Il invoque les art. 26, 29 et 36 Cst., ainsi
que les art. 6 par. 1 CEDH et 14 Pacte ONU II.

   La Chambre d'accusation se réfère à sa décision.

   Le Procureur général et le Groupe proposent le rejet
du recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 127 I 92 consid. 1 p. 93; 127 II 198 consid. 2
p. 201; 127 III 41 consid. 2a p. 42; 127 IV 150 consid. 1a
p. 151, 166 consid. 1 p. 168, et les arrêts cités).

   a) Le séquestre - notamment celui prononcé, comme en
l'espèce, en vue d'une confiscation au sens de l'art. 59 CP -
est une décision incidente causant à la personne privée tem-
porairement de la libre disposition des objets ou avoirs sé-
questrés un dommage irréparable au sens de l'art. 87 al. 2 OJ
(ATF 89 I 185 consid. 4 p. 187; cf. aussi ATF 118 II 369 con-
sid. 1 p. 371; 108 II 69 consid. 1 p. 71; 103 II 119 con-
sid. 1 p. 122). Le recours est recevable au regard de cette
disposition.

   b) Le recours de droit public exige un intérêt ac-
tuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée, res-
pectivement à l'examen des griefs soulevés (art. 88 OJ;
ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a
p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53, 488 consid. 1a p. 490 et
les arrêts cités). L'intérêt au recours doit encore exister
au moment où statue le Tribunal fédéral, lequel se prononce
sur des questions concrètes et non théoriques (ATF 127 III 41
consid. 2b p. 42; 125 I 394 consid. 4a p. 397; 125 II 86 con-
sid. 5b p. 97; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 118 Ia 488 con-
sid. 1a p. 490). Que le recourant se plaigne, comme en l'es-
pèce, d'un déni de justice formel, n'y change rien (ATF 120
Ia 165 consid. 1b p. 167). L'intérêt actuel nécessaire fait
défaut en particulier lorsque l'acte de l'autorité a été exé-
cuté ou est devenu sans objet (ATF 125 II 86 consid. 5b
p. 97; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 106 Ia 151 consid. 1a
p. 152/153; 104 Ia 487).

   La procédure P/14124/99 concernant le recourant est
terminée. Les autorités genevoises se sont dessaisies en fa-
veur des autorités françaises. La décision de délégation de
la poursuite pénale est entrée en force dans l'intervalle,
après le prononcé des arrêts rendus par le Tribunal fédéral
dans les causes 1A.64/2001 et 1A.126/2001. On peut dès lors
se demander si le recourant dispose encore d'un intérêt ac-

tuel, au sens de l'art. 88 OJ, pour contester le séquestre
ordonné dans le cadre de cette procédure désormais déléguée
aux autorités françaises. Dans ce cadre, le séquestre des ob-
jets et valeurs pourrait être régi par les art. 74 et 74a de
la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pé-
nale (EIMP; RS 351.1). Faute de précision à ce sujet, le
point de savoir si le recours est recevable au regard de
l'art. 88 OJ souffre de rester indécis, compte tenu aussi du
sort de la cause au fond.

   2.- Le recourant reproche à la Chambre d'accusation
d'avoir statué, le 23 août 2001, en se référant simplement à
sa décision du 22 novembre 2000. Elle aurait ainsi omis de
réexaminer la mesure contestée en tenant compte des dévelop-
pements de l'enquête. Le recourant se plaint d'un déni de
justice formel prohibé par l'art. 29 Cst. Tels qu'ils sont
invoqués, les art. 6 par. 1 CEDH et 14 Pacte ONU II n'ont pas
de portée propre à cet égard.

   a) Les parties ont le droit d'être entendues
(art. 29 al. 2 Cst.). Selon la jurisprudence relative à
l'art. 4 aCst., applicable à l'art. 29 al. 2 Cst., l'autorité
doit indiquer dans son prononcé les motifs qui la conduisent
à sa décision (ATF 123 I 31 consid 2c p. 34; 112 Ia 107 con-
sid. 2b p. 109). Elle n'est pas tenue de discuter de manière
détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle
n'est pas davantage astreinte à statuer séparément sur cha-
cune des conclusions qui lui sont présentées. Elle peut se
limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du
litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier correc-
tement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient
(ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c
p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149; 124 V 180 consid. 1a
p. 181, et les arrêts cités). Le procédé consistant, pour
l'autorité cantonale, à se référer à une décision précédente

ne heurte pas, comme tel, le droit d'être entendu (cf., pour
le renvoi aux motifs de la décision rendue par l'autorité in-
férieure, ATF 123 I 31 consid. 2c p. 34, et les arrêts ci-
tés).

   b) Le recourant se réfère à l'arrêt P., à teneur du-
quel l'autorité qui prononce un séquestre au sens de
l'art. 59 CP, doit veiller à ce que les conditions d'une
telle atteinte au droit de propriété subsistent; elle doit y
porter une attention renouvelée au fur et à mesure de l'avan-
cement de l'enquête (ATF 122 IV 91 consid. 4 p. 95/96).

   La décision attaquée se réfère à celle du 22 novem-
bre 2000, dont elle reproduit de larges extraits. Cela étant,
contrairement à ce qu'affirme le recourant, la Chambre d'ac-
cusation ne s'est pas bornée à un renvoi intégral, pour le-
quel une ligne aurait suffi. Elle a au contraire pris la
peine de préciser que les inculpations prononcées entre-temps
à l'encontre du recourant n'étaient pas de nature à changer
son appréciation, pas davantage qu'il n'y avait lieu de s'at-
tarder sur les différences de qualification des faits repro-
chés au recourant, en Suisse ou en France. De cette manière,
la Chambre d'accusation a pris en compte, certes succincte-
ment, les arguments soulevés dans le recours cantonal.

   Le grief de violation de l'art. 29 Cst. est ainsi
mal fondé.

   3.- Le recourant se plaint essentiellement de la
violation de son droit de propriété, garanti par l'art. 26
al. 1 Cst.

   a) Les restrictions à la propriété ne sont compati-
bles avec la Constitution que si elles reposent sur une base
légale, sont justifiées par un intérêt public suffisant et

respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1
à 3 Cst.; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221; pour la jurispru-
dence relative à l'art. 22ter aCst., cf. ATF 121 I 117 con-
sid. 3b p. 120; 120 Ia 126 consid. 5a p. 142, 270 consid. 3
p. 273; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353, et les arrêts cités).

   b) Le recourant expose qu'il serait poursuivi en
France pour abus de biens sociaux, abus de confiance et recel
aggravé d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux. Or,
ces chefs seraient assimilables, en droit suisse, tout au
plus à des délits, mais non point au crime auquel se réfère
l'art. 305bis CP. Partant, cette disposition ne trouverait
pas à s'appliquer, privant ainsi le séquestre de la base lé-
gale requise.

   Cette conception ne peut être partagée.

   En premier lieu, la mesure critiquée ne repose pas
sur l'art. 305bis CP, mais sur l'art. 59 CP qui évoque uni-
quement l'infraction, sans faire à cet égard de distinction
entre délit et crime.

   En second lieu, même à prendre en considération
l'art. 305bis CP, cette disposition s'applique aussi lorsque
l'infraction principale est commise à l'étranger (al. 3).
Telle est bien l'hypothèse envisagée en l'espèce, puisque le
recourant est soupçonné d'avoir blanchi ou aidé à blanchir en
Suisse le produit de malversations commises en France au dé-
triment du Groupe. La jurisprudence semble admettre que l'in-
fraction à l'étranger au sens de l'art. 305bis al. 3 CP doit
constituer un crime au regard des catégories du droit suisse
(ATF 126 IV 255 consid. 3b/aa p. 261). En l'occurrence, les
faits mis à la charge du recourant en France pourraient
s'analyser, en droit suisse, comme une escroquerie (art. 146
CP) ou une gestion déloyale (art. 158 CP) qui sont des cri-

mes, l'un comme l'autre (art. 9 CP). Le recourant conteste
les charges qui pèsent sur lui à ces titres, en alléguant que
l'instruction n'aurait pas permis d'étayer les faits qui lui
sont reprochés. Le recourant ne saurait toutefois tenter de
remettre en cause son inculpation au travers de la décision
relative au séquestre. Au demeurant, on peut admettre, avec
la Chambre d'accusation, qu'il existe en l'état suffisamment
d'éléments justifiant le maintien du séquestre au regard de
l'art. 59 CP. Sur ce point précis, il suffit de renvoyer le
recourant aux motifs de la décision attaquée (art. 36a al. 3
OJ, appliqué par analogie).

   4.- Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en
sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ), ainsi qu'une
indemnité en faveur du Groupe, à titre de dépens (art. 159
OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1.  Rejette le recours;

   2.  Met à la charge du recourant un émolument de
4000 fr., ainsi qu'une indemnité de 2000 fr. en faveur du
Groupe Y.________, à titre de dépens. Il n'est pas alloué de
dépens pour le surplus;

   3.  Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Procureur général et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève.

                         ___________

Lausanne, le 29 novembre 2001
ZIR/dxc

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,