Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.654/2001
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1P.654/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       31 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________, représenté par Me Vincent Spira, avocat à Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 5 octobre 2001 par la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- X.________, ressortissant français né le 9 juil-
let 1979, se trouve en détention préventive depuis le 24 août
2001 sous les inculpations de séquestration, d'enlèvement et
d'actes d'ordre sexuel avec des enfants. Il lui est reproché
d'avoir pris en voiture Y.________, âgée de 8 ans, sous un
prétexte fallacieux, de l'avoir contrainte à rester dans son
véhicule et de lui avoir prodigué des attouchements sur le
sexe par-dessus ses vêtements, après lui avoir vainement pro-
posé d'entretenir des rapports intimes contre de l'argent.

   X.________ a d'emblée admis les faits qui lui
étaient reprochés, déclarant éprouver depuis environ un mois
une attirance sexuelle pour les fillettes. Il a également re-
connu s'être rendu à cinq ou six reprises dans la région de
Meyrin pour rechercher des jeunes filles et avoir tenté sans
succès d'en aborder trois, dans des circonstances analogues,
deux semaines environ avant les faits incriminés. Il a en ou-
tre précisé avoir eu des actes d'ordre sexuel avec son cousin
du même âge, alors qu'il avait dix ans et qu'il était "obsédé
par cela" depuis lors. Il vit à S.________, dans le départe-
ment limitrophe de l'Ain, en concubinage avec une jeune femme
de vingt ans, dont il a eu une fille de six mois. Le couple
connaît de grandes difficultés financières et est principale-
ment soutenu par les parents du prévenu.

   Le 24 septembre 2001, le Juge d'instruction en char-
ge du dossier a confié au Dr A.________, médecin interne au
Département de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de
Genève, la mission de procéder à une expertise psychiatrique
du prévenu.

   B.- Le 3 octobre 2001, X.________ a requis sa mise
en liberté provisoire assortie d'un suivi psychiatrique am-
bulatoire auprès du Centre médical de Divonne-les-Bains et du
versement d'une caution de 3'500 fr.

   Par ordonnance du 5 octobre 2001, la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève (ci-après: la Chambre d'accusa-
tion) a rejeté cette requête. Elle a motivé le maintien en
détention par l'existence d'un risque concret de fuite et
d'un danger de réitération, fondé sur les déclarations du
prévenu admettant n'avoir pas pu résister à ses pulsions, que
seule l'expertise psychiatrique ordonnée par le juge d'ins-
truction était en mesure d'écarter. Elle a en outre admis que
la détention était proportionnée au regard de la peine sanc-
tionnant les infractions dénoncées.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation de l'art. 10 Cst., X.________ demande au Tri-
bunal fédéral d'annuler cette décision et d'ordonner sa mise
en liberté provisoire. Il reproche à la Chambre d'accusation
d'avoir retenu à tort que les risques de récidive et de fuite
justifiaient le maintien de la détention. Il tient en outre
le refus de sa mise en liberté pour disproportionné. Il re-
quiert l'assistance judiciaire.

   La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de sa décision. Le Procureur général du canton de Genève
conclut au rejet du recours.

   Invité à répliquer, X.________ a produit le rapport
d'expertise établi le 16 octobre 2001 par le Dr A.________.
Ce dernier conclut à l'existence d'un trouble de la préféren-
ce sexuelle et d'un trouble de l'adaptation avec réaction
anxieuse et dépressive, impliquant une responsabilité légère-
ment restreinte du prévenu. Il tient le risque de récidive
pour faible comparé à celui présenté par d'autres délinquants

sexuels, sans toutefois pouvoir l'exclure. Pour écarter tout
risque de réitération et assurer une stabilité dans les rela-
tions affectives et sociales ainsi que dans les activités
professionnelles du prévenu, il préconise la mise en oeuvre
d'un traitement médical ambulatoire pratiqué par un théra-
peute disposant d'une expérience particulière dans la prise
en charge des délinquants sexuels accompagné d'une psycho-
thérapie.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant est personnellement touché par la
décision attaquée qui refuse sa mise en liberté provisoire et
a, partant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ. Formé
en temps utile contre une décision prise en dernière instance
cantonale, le recours répond aux exigences des art. 86 al. 1
et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.
La conclusion du recourant tendant à sa libération immédiate
est par ailleurs recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p.
333).

   2.- Une mesure de détention préventive est compati-
ble avec la liberté personnelle, garantie par les art. 10 al.
2 Cst. et 5 CEDH, pour autant qu'elle repose sur une base lé-
gale, qu'elle réponde à un intérêt public et qu'elle respecte
le principe de la proportionnalité (art. 31 al. 1 et 36 al. 1
à 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit
le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les
besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de
collusion ou de réitération (cf. art. 154 du Code de procé-
dure pénale genevois; CPP gen.). Préalablement à ces condi-
tions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges
suffisantes (ATF 116 Ia 143 consid. 3 p. 144; cf. art. 34 CPP
gen.). Cette dernière exigence coïncide avec la règle de

l'art. 5 § 1 let. c CEDH, qui autorise l'arrestation d'une
personne s'il y a des raisons plausibles de soupçonner
qu'elle a commis une infraction.

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 281
consid. 3 p. 283).

   3.- Le recourant ne conteste pas la base légale de
son maintien en détention, ni l'existence de charges suffi-
santes à son encontre. Il nie en revanche la présence d'un
risque de récidive et d'un danger de fuite propres à justi-
fier son maintien en détention.

   a) L'autorité appelée à statuer sur la mise en li-
berté provisoire d'un détenu peut, en principe, maintenir
celui-ci en détention s'il y a lieu de présumer, avec une
certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de récidive.
Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'apprécia-
tion d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon
la jurisprudence, le maintien en détention ne peut se justi-
fier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable
et que les délits dont l'autorité redoute la réitération sont
graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367;
124 I 208 consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et
les arrêts cités; voir aussi, arrêt de la CourEDH dans la
cause Clooth c. Belgique, du 12 décembre 1991, Série A vol.
225, § 40). Cependant, en présence de délits de violence gra-
ves ou de délits sexuels, il n'y a pas lieu de se montrer
trop exigeant dans l'admission d'un risque de récidive, sous
peine d'exposer les victimes potentielles à un danger dont la
responsabilité ne saurait être assumée; en pareil cas, il

convient de tenir compte de l'état psychique du prévenu, de
son imprévisibilité ou de son agressivité (ATF 123 I 268
consid. 2e p. 271; arrêt du Tribunal fédéral non publié du 19
octobre 1999 dans la cause Z. contre Ministère public du can-
ton d'Argovie, consid. 5b in fine). Le principe de la propor-
tionnalité impose en outre à l'autorité qui estime se trouver
en présence d'une probabilité sérieuse de réitération d'exa-
miner si l'ordre public pourrait être sauvegardé par d'autres
moyens que le maintien en détention, tels que la mise en pla-
ce d'une surveillance médicale, l'obligation de se présenter
régulièrement à une autorité ou l'instauration d'autres mesu-
res d'encadrement (ATF 123 I 268 consid. 2c in fine p. 271 et
les arrêts cités).

   b) En l'occurrence, les infractions reprochées au
recourant sont relativement graves, même si les actes qu'il a
reconnu avoir commis ne se sont pas accompagnés de violence.
Il ne s'agit pas d'un épisode isolé puisque X.________ avait
déjà cherché à attirer sans succès des petites filles âgées
de six à neuf ans, quelques semaines avant les faits incrimi-
nés. Le recourant a d'ailleurs déclaré ressentir une atti-
rance sexuelle envers les fillettes qui le faisait rechercher
activement depuis un mois l'occasion d'entretenir des rela-
tions intimes avec elles. Il a certes dit regretter ses agis-
sements et manifesté une envie réelle et sincère de s'amender
et de reprendre une vie normale en procédant aux démarches
nécessaires à la mise en place d'un suivi psychologique ambu-
latoire, accompagné d'un soutien familial et professionnel,
dans l'hypothèse de son élargissement. L'ensemble de ces dé-
marches, qu'il convient de qualifier de positives, ne sau-
raient toutefois masquer le fait que le recourant a cherché
activement depuis un mois à assouvir ses pulsions sexuelles
sans pouvoir y résister. Le juge de la détention doit se mon-
trer particulièrement prudent dans l'appréciation d'un éven-
tuel risque de récidive à l'égard des auteurs de délits
sexuels, au regard notamment des séquelles physiques et

psychologiques auxquelles ce type de délits expose ses victi-
mes, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes enfants. Il n'est en
règle générale pas en mesure d'apprécier un tel risque et
doit s'entourer d'un avis médical qui faisait défaut lorsque
la Chambre d'accusation a statué. Celle-ci n'a donc pas éva-
lué le risque de récidive de manière incorrecte dans la si-
tuation qui prévalait lorsqu'elle a pris sa décision.

   L'expert a certes rendu son rapport dans l'interval-
le. L'allégation de faits nouveaux n'est cependant pas admis-
sible dans les recours de droit public soumis à l'exigence de
l'épuisement des instances cantonales (ATF 118 Ia 20 consid.
5a p. 26). Il est dès lors impossible de prendre en considé-
ration cette nouvelle pièce. Au demeurant, l'expert n'exclut
pas un risque concret de récidive; pour l'écarter, il préco-
nise la mise en oeuvre d'un traitement médical ambulatoire
pratiqué par un thérapeute ayant une expérience particulière
dans la prise en charge des délinquants sexuels accompagné
d'une psychothérapie destinée à assurer au recourant une sta-
bilité dans ses relations affectives et sociales, ainsi que
dans ses activités professionnelles. Si, à dires d'expert, un
traitement médical ambulatoire suffirait donc pour garantir
la sécurité publique à la condition que le prévenu soit suivi
par un spécialiste, il n'est pas établi que le médecin auquel
le recourant s'est adressé dispose des connaissances spécifi-
ques nécessaires à répondre aux exigences de l'expert; aussi,
même si l'on voulait tenir compte de l'expertise du 26 octo-
bre 2001, celle-ci ne pourrait en l'état conduire à la re-
laxation immédiate du recourant moyennant la mise en oeuvre
d'un suivi thérapeutique ambulatoire auprès du Centre médical
de Divonne-les-Bains.

   Le recours est dès lors mal fondé en tant qu'il por-
te sur l'existence d'un risque de réitération; le maintien en
détention se justifiant pour ce seul motif, il n'y a pas lieu

d'examiner si cette mesure s'impose également en raison d'un
danger de fuite.

   4.- Le recourant considère que la durée de la déten-
tion préventive subie à ce jour serait excessive au regard de
la peine à laquelle il s'exposerait et justifierait son élar-
gissement immédiat.

   a) Les art. 31 al. 3 Cst. et 5 § 3 CEDH reconnais-
sent à toute personne arrêtée ou détenue le droit d'être ju-
gée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la
phase d'instruction préparatoire. Selon la jurisprudence, ce
droit est notamment violé lorsque la durée de la détention
préventive dépasse celle de la peine privative de liberté qui
pourrait, le cas échéant, être prononcée (ATF 126 I 172 con-
sid. 5a p. 176/177 et les arrêts cités). Celle-ci doit être
évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que
le juge de l'action pénale ne soit incité à prononcer une
peine excessive pour la faire coïncider avec la détention
préventive à imputer (ATF 116 Ia 143 consid. 5a p. 147).
Cette question doit être examinée au regard de l'ensemble des
circonstances concrètes d'espèce (ATF 126 I 172 consid. 5a p.
177; 124 I 208 consid. 6 p. 215; 123 I 268 consid. 3a p. 273;
116 Ia 143 consid. 5a p. 147; 107 Ia 256 consid. 1b p. 257;
arrêts de la CourEDH dans les causes Muller c. France, du 17
mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 p. 374, § 35
et W. c. Suisse, du 26 janvier 1993, Série A vol. 254, § 30).

   b) En l'espèce, le recourant se trouve en détention
préventive depuis le 24 août 2001 sous les inculpations de
séquestration, d'enlèvement de mineur et d'actes d'ordre
sexuel avec des enfants. Or, s'il devait effectivement être
reconnu coupable de ces infractions, qui entrent en concours,
X.________ s'exposerait à une peine excédant la détention
préventive subie à ce jour, même si l'on devait tenir compte
d'une responsabilité restreinte, dans la mesure où la ques-

tion du sursis n'entre pas en considération (ATF 125 I 60
consid. 3d p. 64). Dans ces conditions, la durée de la déten-
tion n'apparaît à ce jour pas excessive.

   Le principe de la proportionnalité est ainsi respec-
té de ce point de vue. La détention préventive constituant
une atteinte grave à la liberté personnelle, il importe que
l'autorité intimée réexamine sans délai les risques de réci-
dive et de fuite présentés par le recourant, en fonction du
résultat du rapport d'expertise du 16 octobre 2001.

   5.- Le recours doit ainsi être rejeté au sens des
considérants. Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant
réunies, il convient de faire droit à la demande d'assistance
judiciaire et de statuer sans frais. Me Vincent Spira est
désigné comme avocat d'office du recourant pour la présente
procédure et une indemnité lui sera versée (art. 152 al. 2
OJ). Il n'y a pas lieu à l'octroi de dépens (art. 159 al. 2
OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours au sens des considérants;

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire;

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire,
ni alloué de dépens;

   4. Désigne Me Vincent Spira en qualité d'avocat
d'office du recourant et lui alloue une indemnité de
1'000 fr. à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du
Tribunal fédéral;

   5. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant ainsi qu'au Procureur général et à la Chambre
d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 31 octobre 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,