Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.625/2001
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1P.625/2001/dxc

Arrêt du 23 janvier 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Reeb, Fonjallaz,
greffier Kurz.

X.________, recourant, représenté par Me André Gossin, avocat, case postale
259, 2740 Moutier,

contre

Juge d'instruction du Canton du Jura, Le Château, 2900 Porrentruy,
Procureur général du canton du Jura, Le Château, case postale 9, 2900
Porrentruy,
Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du Jura, Le Château, 2900
Porrentruy.

refus d'allouer une indemnité pour le préjudice et le tort moral liés à une
incarcération

(recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'accusation du
Tribunal cantonal du Jura du 24 août 2001)
Faits:

A.
X. ________ a été arrêté le 17 avril 1998 et placé en détention préventive
sous l'inculpation d'actes préparatoires délictueux (art. 260bis CP).
Confronté à une procédure de divorce difficile, devant notamment se défaire
de sa maison familiale, X.________ se serait montré menaçant envers son
ex-épouse et les personnes impliquées dans l'achat de sa maison. Il avait
acquis un pistolet-mitrailleur avec de la munition, et un couteau à cran
d'arrêt avait été trouvé dans son automobile. Alors qu'il avait déclaré
posséder encore deux carabines, jamais utilisées selon lui, un stock d'armes
avait été trouvé lors d'une perquisition à son domicile, le 22 avril 1998,
soit quatre pistolets, quatre carabines et trois pistolets-mitrailleurs, avec
accessoires et munitions.

X. ________ a été remis en liberté, sous conditions, le 11 mai 1998.

B.
Par ordonnance du 17 avril 2001, le Juge d'instruction du canton du Jura a
prononcé un non-lieu s'agissant de l'infraction d'actes préparatoires,
l'intention du prévenu à ce sujet n'ayant pu être démontrée. Il a néanmoins
refusé toute indemnité pour la détention subie, au motif, d'une part, que son
comportement (acquisition d'une arme, menaces et conflits entourant la
procédure matrimoniale) avait provoqué l'ouverture de l'instruction et,
d'autre part, qu'il n'y avait pas de préjudice lié à l'incarcération, les
démarches entreprises par l'autorité durant la détention ayant permis de
réduire certaines dettes du prévenu. Les frais ont été laissés à la charge de
l'Etat et le mandataire d'office du prévenu, qui avait présenté une note
d'honoraires de 6'597 fr., a été indemnisé à hauteur de 4'600 fr. pour son
activité jusqu'au renvoi. X.________ a été par ailleurs renvoyé en jugement
pour diverses infractions sur la personne de Y.________. La saisie définitive
du matériel prohibé a été confirmée, le sort des autres armes saisies devant
être tranché par l'autorité de jugement.

C.
Par arrêt du 24 août 2001, la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal
jurassien a annulé cette décision en ce qui concerne les mesures de saisie,
et l'a confirmée pour le surplus. La procédure opposant depuis 1995 les époux
X.________ était difficile et avait donné lieu à différentes plaintes pénales
faisant état d'un comportement violent du prévenu; celui-ci s'était montré
menaçant à l'égard de plusieurs personnes, et avait déclaré qu'on «entendrait
parler de son divorce dans toute la Suisse», ce qui pouvait être compris
comme la menace d'un acte exceptionnel dont les médias se feraient l'écho.
L'acquisition d'un pistolet-mitrailleur pouvait faire craindre un acte très
grave. Le fait d'avoir caché la détention de nombreuses autres armes pouvait
renforcer ces craintes, de sorte que le prévenu avait causé sa propre
arrestation, dont la durée n'était pas disproportionnée et durant laquelle le
juge d'instruction avait cherché à résoudre les problèmes du prévenu. La
réduction des honoraires de son avocat d'office, de 6'597 fr. à 4'600 fr.,
était justifiée.

D.
X.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont il
requiert l'annulation. Il demande l'assistance judiciaire et la nomination de
Me André Gossin comme avocat d'office pour la présente procédure.

La Chambre d'accusation conclut au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable, en précisant qu'elle aurait dû refuser d'entrer en matière sur le
grief relatif à l'indemnité de l'avocat d'office; celui-ci avait reçu,
conformément à la réglementation, les 2/3 des honoraires fixés selon le
tarif. Le Procureur général conclut également au rejet du recours dans la
mesure où il est recevable.
Le recourant a répliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre un arrêt rendu en
dernière instance cantonale. Le recourant, dont la démarche tend à
l'obtention d'une indemnité prévue par le droit cantonal, a qualité pour agir
au sens de l'art. 88 OJ.

2.
Le recourant se plaint d'une application arbitraire de l'art. 237 du code de
procédure pénale jurassien (CPP/JU), disposition relative à l'indemnisation
du prévenu libéré et qui permet de refuser ou de réduire l'indemnité si le
prévenu a provoqué par un comportement fautif son inculpation ou sa
détention. Il conteste avoir eu un quelconque comportement fautif: l'achat
d'une arme commandée chez un armurier près d'une année auparavant n'aurait
rien de répréhensible. Les plaintes pénales déposées contre lui en raison de
violences diverses, sur son ex-épouse notamment, auraient toutes été
retirées, et les autres témoignages de violences ou de menaces ne seraient
pas avérés. Le recourant n'avait aucun antécédent pénal. En déclarant qu'on
«entendrait parler» de son divorce, il voulait seulement indiquer qu'il
ferait appel aux médias, sans qu'on puisse en déduire l'intention de
commettre une infraction. On ne saurait non plus lui reprocher d'avoir tu,
dans un premier temps, le nombre important d'armes qu'il détenait, car tout
inculpé a le droit constitutionnel de se taire. Cette omission n'était
d'ailleurs pas causale sur sa mise et son maintien en détention. Le refus de
toute indemnité à raison des 25 jours de détention préventive apparaîtrait
ainsi arbitraire.

2.1 Selon l'art. 237 CPP/JU, l'acte de non-lieu précise si une indemnité est
due au prévenu pour le préjudice causé par l'instruction, en particulier
lorsqu'il a été arrêté et incarcéré (al. 1). L'indemnité, qui comprend le
préjudice matériel et moral ainsi que les frais de défense, peut être refusée
ou réduite si le prévenu a provoqué par un comportement fautif son
inculpation ou sa détention, ou entravé les opérations d'instruction, même
s'il a subi un préjudice important (al. 2).

Si l'indemnisation du prévenu ensuite d'une détention en soi licite mais qui
se révèle injustifiée, n'est imposée ni par le droit constitutionnel, ni par
le droit conventionnel, les cantons peuvent instituer une telle garantie,
dont le Tribunal fédéral examine alors la portée sous l'angle restreint de
l'arbitraire (ATF 119 Ia 221 consid. 6 p. 230). Lorsque l'indemnisation est,
comme en l'espèce, prévue par le droit cantonal, elle ne saurait être
refusée, notamment dans les cas de libération faute de preuve, au motif que
l'intéressé aurait néanmoins pu commettre l'infraction: une telle motivation
violerait la présomption d'innocence. Seul un comportement fautif en relation
de causalité avec le préjudice subi est propre à justifier un refus ou une
réduction de l'indemnité (ATF 114 Ia 299 consid. 2b et c p. 302).

2.2 En l'espèce, il y a lieu d'admettre, avec le recourant, que l'achat d'une
arme auprès d'un commerçant spécialisé ne constitue pas en soi un
comportement contraire à une règle juridique. Par ailleurs, les menaces et
violences dont il est fait état dans les diverses plaintes dirigées contre le
recourant n'ont pas abouti à une condamnation et ne sauraient dès lors être
considérées sans autre comme avérées. En outre, le silence du recourant à
propos de sa collection d'armes n'est pas la cause directe de son
incarcération, puisque celle-ci a eu lieu avant que l'intéressé ne soit
interrogé à ce sujet. Ce silence ne constitue d'ailleurs pas non plus, en
soi, un comportement fautif, puisque le droit de se taire est garanti à tout
inculpé; seul un abus de ce droit pourrait éventuellement conduire à un refus
d'indemnisation (ATF 116 Ia 162 consid.2d/aa p. 172).

2.3 Si un comportement contraire à la seule éthique ne peut justifier le
refus d'indemniser le prévenu libéré, la jurisprudence étend la notion de
comportement fautif à la violation de toute norme de comportement, écrite ou
non, résultant de l'ordre juridique suisse dans son ensemble (ATF 116 Ia 162
consid. 2c p. 168). Or il est interdit, en droit civil, de créer un état de
fait propre à causer un dommage à autrui sans prendre les mesures nécessaires
afin d'en éviter la survenance (ATF 126 III 113 consid. 2a/aa p. 115). De la
même manière, le droit de procédure interdit implicitement de créer sans
nécessité l'apparence qu'une infraction a été ou pourrait être commise, car
un tel comportement est susceptible de provoquer l'intervention des autorités
répressives et l'ouverture d'une procédure pénale et, partant, de causer à la
collectivité le dommage que constituent les frais liés à une instruction
pénale ouverte inutilement. Il y a comportement fautif, dans ce cas, lorsque
le prévenu aurait dû se rendre compte, sur le vu des circonstances et de sa
situation personnelle, que son attitude risquait de provoquer l'ouverture
d'une enquête pénale (arrêt du 31 mai 1994 dans la cause B., cité par Thélin,
L'indemnisation du prévenu acquitté en droit vaudois, JdT 1995 III p. 98-107,
par. 18 p. 104).

2.4 Tel est manifestement le cas en l'espèce. Même si les menaces et
violences reprochées au recourant par plusieurs personnes n'ont pas été
prouvées, il n'est pas contesté que la situation résultant de la procédure de
divorce était particulièrement tendue et que le recourant était craint, non
seulement par son ex-épouse, mais aussi par les personnes intervenues dans le
rachat de sa maison. Dans ce contexte, la déclaration du recourant selon
laquelle on «entendrait parler de son divorce dans toute la Suisse», en
relation avec l'acquisition d'un pistolet-mitrailleur et de 50 cartouches,
était propre à faire redouter la commission d'un acte de violence grave. Ces
craintes on pu être renforcées lorsqu'il est apparu que le recourant avait
menti sur le nombre d'armes qu'il possédait réellement. Ce comportement est
fautif dès lors qu'il ne pouvait échapper au recourant que, par son attitude,
il attirait sur lui de sérieux soupçons, susceptibles de justifier une
incarcération pour des motifs liés à la sécurité publique.
Le recourant passe également sous silence que, durant sa détention, le juge
d'instruction est intervenu activement auprès d'une banque, créancière
hypothécaire du recourant, et a obtenu une réduction de 34'000 fr. de ses
prétentions. Cette amélioration de la situation financière du recourant n'est
certes pas une conséquence directe de la détention, mais l'autorité ne serait
certainement pas intervenue de la même manière si le prévenu s'était trouvé
en liberté. Même si elles ne sont pas explicitement reprises par la cour
cantonale et, partant, non critiquées dans le recours, ces considérations
permettent de douter de l'existence d'un préjudice économique résultant de la
détention.
Sur le vu de ce qui précède, le refus de toute indemnité pour détention
injustifiée ne prête pas le flanc à la critique.

3.
Le recourant soutient ensuite que la cour cantonale serait tombée dans
l'arbitraire en réduisant de 6'597 fr. à 4'600 fr. le montant des honoraires
de son défenseur d'office. Ce dernier a été nommé le 20 avril 1998, et
l'ordonnance de renvoi a été rendue presque trois ans après. Un total de 26
heures de travail, soit environ un jour par année consacré à cette affaire,
serait justifié compte tenu de la lenteur manifestée par l'autorité - qui
aurait nécessité le dépôt de deux prises à partie -, de la participation à
huit audiences d'instruction, de la présentation de prises de position
écrites et des entretiens avec le client; l'ampleur du dossier et
l'intervention d'un expert démontreraient que la cause était suffisamment
complexe. La simple affirmation selon laquelle «le défenseur avait passé un
temps exagéré à cette affaire, soit 26 heures», constituerait par ailleurs
une motivation insuffisante au regard de l'art. 29 Cst.

3.1 A l'instar du Procureur général, la cour cantonale estime que le montant
de 4'600 fr. a été alloué, en réalité, à titre d'honoraires à l'avocat
d'office du recourant, et non à titre d'indemnité allouée au prévenu. Ce
montant correspondrait aux 2/3 des honoraires normaux, conformément à l'art.
27 du décret sur les honoraires des avocats. La cour cantonale admet ainsi
avoir commis une erreur dans sa motivation, puisqu'elle aurait dû refuser
d'entrer en matière sur la taxation, une voie de recours distincte étant
instituée dans le domaine de l'assistance judiciaire. Elle relève que le
recourant ne subirait toutefois aucun préjudice matériel car la totalité des
honoraires et débours réclamés auraient été admis.
Dans sa réplique, le recourant persiste à considérer que les honoraires de
son mandataire d'office auraient été alloués au titre d'indemnité partielle
fondée sur l'art. 237 CPP/JU, comme en attesterait l'absence de mention
concernant les droits de l'Etat et l'obligation de rembourser en cas de
meilleure fortune, ainsi que l'absence d'indication de la voie de recours
spéciale prévue à l'art. 19 du décret. La nouvelle motivation adoptée par
l'autorité intimée admettrait par ailleurs que les honoraires réclamés
étaient justifiés.

3.2 Tant la décision de non-lieu que l'arrêt attaqué ne sont pas dépourvus
d'ambiguïté quant à la nature de l'indemnité allouée à l'avocat du recourant.
Dans son dispositif, l'ordonnance prévoit le refus de toute indemnité «à
l'exclusion des honoraires du mandataire d'office du prévenu taxés à 4'600
fr., couvrant l'activité jusqu'au renvoi». Dans ses considérants, le juge
d'instruction rappelle que l'art. 237 CPP/JU prévoit l'indemnisation pour les
frais de défense (p. 6); il retient ensuite que le prévenu a été pourvu d'un
mandataire d'office devant être «indemnisé par l'Etat conformément au tarif
en la matière, étant précisé que les dépens du prévenu étaient ainsi
couverts, jusqu'à la clôture de l'instruction, pour toutes les procédures
concernées par l'instruction, y compris à raison des infractions faisant
l'objet du renvoi en jugement».

3.3 Les conditions d'indemnisation des frais de défense selon l'art. 237 al.
2 CPP/JU n'étant guère différentes de celles de l'indemnisation des
préjudices matériel et moral, on ne comprendrait pas pourquoi le juge
d'instruction aurait accordé l'une en refusant l'autre. On doit bien plutôt
considérer que le magistrat instructeur a taxé les honoraires de l'avocat
d'office, ce qui est confirmé par le fait que le montant de 4'600 fr.
représente bien les 2/3 du montant de la note d'honoraires, conformément à la
réglementation applicable en matière d'assistance judiciaire. Par conséquent,
si l'on admet la motivation par substitution de la cour cantonale -
indépendamment de la procédure suivie, par hypothèse irrégulière mais qui ne
fait pas l'objet du présent recours -, le montant alloué ne saurait être
qualifié d'arbitraire. Il ne le serait pas non plus, tout au moins dans son
résultat, au regard de l'art. 237 al. 2 CPP/JU, puisqu'en refusant toute
indemnité au prévenu fondée sur cette disposition, le juge d'instruction
pouvait également s'abstenir d'indemniser, sur cette même base, les frais de
défense.

4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté.
Compte tenu notamment de l'ambiguïté de l'arrêt attaqué quant à
l'indemnisation de l'avocat d'office, le recours n'apparaissait pas d'emblée
dépourvu de toute chance de succès, de sorte que l'assistance judiciaire peut
être accordée. Me Gossin est désigné comme avocat d'office du recourant, et
rémunéré par la Caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument
judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise, Me André Gossin est désigné
comme avocat d'office du recourant et un montant de 1'000 fr. lui est alloué
à titre d'honoraires, à verser par la Caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, ainsi qu'au Juge
d'instruction, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du Tribunal
cantonal du Jura.

Lausanne, le 23 janvier 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: