Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.620/2001
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001


1P.620/2001/svc

Arrêt du 21 décembre 2001
Ire Cour de droit public

Les Juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et       vice-président
du Tribunal fédéral,
Féraud, Favre,
greffier Parmelin.

La société A.________ S.A., recourante, représentée par Me Jean-Emmanuel
Rossel, avocat, Grand-Rue 89, 1110 Morges,

contre

Juge d'instruction de l'arrondissement de La Côte, place Saint-Louis 4, case
postale 136, 1110 Morges 1,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

procédure pénale; qualité de partie civile

(recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud du 16 juillet 2001)

Faits:

A.
Le 15 mai 2001, vers 16h00, X.________ a été très grièvement brûlé à la suite
de l'explosion, puis de l'incendie de sa voiture, au lieu-dit « Châtel », à
Essertines-sur-Rolle. Il est décédé le lendemain à l'Hôpital cantonal de
Zurich, à 03h15, des suites de ses brûlures.
Par ordonnance du 26 juin 2001, le Juge d'instruction de l'arrondissement de
La Côte a admis l'intervention de l'ex-épouse de la victime, Y.________, et
de leur fils, Z.________, dans la procédure pénale, en qualité de parties
civiles. Il a en revanche refusé de recevoir la société A.________ S.A. en
cette qualité parce que cette société, dont X.________ était l'un des
administrateurs et le directeur, n'avait pas démontré quel était son intérêt
civil à la cause et que la responsabilité pénale de ses dirigeants pouvait
éventuellement être engagée.
Par arrêt du 16 juillet 2001, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation ou la cour cantonale) a
rejeté le recours formé par la société A.________ S.A. contre cette décision.
Il a considéré en substance que la société ne subissait qu'un dommage
indirect par la mort du président de son conseil d'administration et
directeur, qui connaissait seul l'ensemble des clients, car le préjudice
invoqué ne résultait pas directement de l'infraction soupçonnée, mais
découlait de l'organisation de la société et de la répartition des tâches en
son sein. De plus, il a vu dans la double qualité de Me Jean-Emmanuel Rossel
de membre du conseil d'administration de la société A.________ S.A., d'une
part, et d'avocat de Y.________ et Z.________, d'autre part, le risque d'un
conflit d'intérêts latent qui devrait l'amener à renoncer au mandat confié
par le fils et l'ex-épouse de la victime.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, la société A.________ S.A.
demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Elle reproche au Tribunal
d'accusation d'avoir constaté arbitrairement les faits en considérant qu'elle
ne subissait qu'un dommage indirect des suites du meurtre présumé de son
gestionnaire principal, alors qu'elle ne pouvait fonctionner sans lui. Elle
lui fait en outre grief d'avoir violé le droit cantonal en lui déniant la
qualité de partie civile, alors que les conditions d'application de l'art. 93
du Code de procédure pénale vaudoise (CPP vaud.) étaient réalisées. Elle voit
également une atteinte à son droit à l'égalité de traitement et un déni de
justice formel dans le refus d'admettre son intervention dans la procédure en
qualité de partie civile. Elle tient enfin le risque de conflit d'intérêts de
son mandataire pour infondé.
Le Tribunal d'accusation et le Juge d'instruction de l'arrondissement de La
Côte se réfèrent aux considérants de l'arrêt attaqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seul le recours de droit public est ouvert pour se plaindre d'une application
arbitraire du droit cantonal de procédure régissant la qualité d'un tiers
pour intervenir à titre de partie civile dans un procès pénal (arrêt non
publié du 4 mai 1999, dans la cause Banque X. en liquidation contre Tribunal
cantonal du canton de Vaud, traduit à la Pra 2000 n° 111 p. 645 consid. 1a p.
646) ou pour faire valoir une violation de ses droits constitutionnels (ATF
120 IV 113 consid. 1a p. 114).
Le plaignant ou l'intervenant qui se prétend lésé par un acte délictueux sans
pouvoir se prévaloir de la qualité de victime au sens de la législation sur
l'aide aux victimes d'infractions n'a en principe pas qualité pour recourir
au sens de l'art. 88 OJ contre une décision de classement de la procédure
pénale (ATF 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b p. 255 et les
arrêts cités). Il est en revanche habilité à dénoncer la violation de règles
de procédure destinées à sa protection, équivalant à un déni de justice
formel (ATF 120 Ia 220 consid. 2a p. 222 et les arrêts cités). La recourante
peut donc se plaindre du fait que l'autorité cantonale a refusé d'admettre
son intervention à la procédure en qualité de partie civile au terme d'une
interprétation prétendument arbitraire du droit cantonal (Pra 2000 n° 111 p.
645 consid. 2b p. 647; RDAT 1999 I n° 54 p. 91 consid. 2a).
Formé en temps utile contre une décision finale rendue en dernière instance
cantonale, le recours répond au surplus aux exigences des art. 86 al. 1 et 89
al. 1 OJ, de sorte qu'il convient d'entrer en matière sur le fond.

2.
2.1L'art. 93 CPP vaud. dispose que celui qui a un intérêt civil au procès
peut y intervenir en tout état de cause, et jusqu'à la clôture des débats, en
se constituant partie civile, même s'il s'agit d'une contravention portée
devant l'autorité judiciaire ensuite d'opposition au prononcé préfectoral. La
partie civile est en règle générale définie comme la personne qui est lésée
de façon immédiate dans son bien juridique par un acte punissable et qui
requiert la condamnation de l'auteur à des dommages-intérêts en réparation du
préjudice que lui a causé l'infraction (Gérard Piquerez, Procédure pénale
suisse, Zurich 2000, no 1327, p. 295/296). Seule la victime qui est atteinte
de manière directe dans ses intérêts juridiquement protégés par la commission
d'une infraction peut se constituer partie civile et demander réparation du
préjudice. La lésion n'est immédiate que si le lésé, ou ses ayants cause, ont
subi l'atteinte directement et personnellement, ce qui interdit aux tiers qui
ne sont qu'indirectement touchés (par contrecoup ou ricochet; dommage
réfléchi) par un acte punissable de se constituer parties civiles. Les
atteintes indirectes ne suffisent pas. Sont ainsi exclus les cessionnaires,
les actionnaires, les personnes subrogées, ex lege ou ex contractu, sauf si
la législation cantonale le prévoit expressément, ou dans des situations
particulières, comme par exemple pour le créancier-gagiste hypothécaire dans
le cas de l'incendie intentionnel, ou pour les héritiers de la victime d'un
meurtre (Gérard Piquerez, op. cit., no 2761-2764, p. 600/601; Niklaus Schmid,
Strafprozessrecht, 3e éd., Zurich 1997, no 503-509, p. 142/143). Il en va de
même des compagnies d'assurances privées, subissant une diminution de
patrimoine uniquement en exécution d'une obligation contractuelle
préexistante (JdT 2000 III p. 61 et les références citées; Robert
Hauser/Erard Schweri, Schweizerisches Strafprozessrecht, 3e éd., Bâle 1997,
p. 128).
La jurisprudence vaudoise a admis que justifiait d'un intérêt civil celui qui
rendait vraisemblable l'existence d'un rapport de causalité - directe ou
indirecte - entre les actes dont le prévenu doit répondre et un dommage dont
le lésé réclame la réparation pécuniaire (Bovay/Dupuis/Moreillon/Piguet,
Procédure pénale vaudoise, Lausanne 1995, n. 1.2, ad art. 93, p. 80). Plus
récemment, le Tribunal d'accusation retient comme victime la personne
physique ou morale lésée de façon immédiate dans ses biens juridiquement
protégés, ce qui peut donner à penser que la jurisprudence cantonale ne
considère désormais plus que le dommage direct, ainsi que le lien de
causalité directe entre l'acte punissable et le préjudice subi (JdT 2000 III
p. 64). Une telle conception, qui correspond à la notion de lésé généralement
admise par la doctrine et la jurisprudence du Tribunal fédéral, que ce soit
dans la cadre de l'art. 270 al.1 PPF (ATF 117 Ia 135 consid. 2a p. 137 et les
références citées) ou de l'art. 28 al. 1 CP (ATF 118 IV 209 consid. 2), ne
saurait en principe être tenue pour arbitraire (cf. arrêt du 3 novembre 1993
dans la cause B. contre Tribunal cantonal du canton du Valais, cité à la RVJ
1993, p. 216).
Par ailleurs, la déclaration par laquelle le tiers non plaignant entend se
constituer partie civile doit être motivée (art. 95 al. 1 CPP vaud.); on peut
donc attendre d'un intervenant qu'il fournisse spontanément, s'ils
n'apparaissent pas d'emblée évidents, les éléments de fait propres à établir
son « intérêt civil au procès », avec les moyens de preuve dont il dispose
(ATF 125 IV 109 consid. 1b p. 111; 123 IV 254 consid. 1 p. 256; 122 IV 139
consid. 1 p. 141; 120 Ia 101 consid. 2 p. 104; cf. Sabine Derisbourg-Boy, La
position du lésé dans la procédure pénale et ses possibilités d'obtenir un
dédommagement, thèse Lausanne 1992, p. 33-34). Cela n'exclut cependant pas
qu'en cas de doute, le Juge d'instruction ou, s'il lui appartient de statuer,
le Tribunal d'accusation (cf. art. 96 al. 2 CPP vaud.), doive éventuellement
demander à l'intervenant des justifications supplémentaires; cette démarche
peut être nécessaire, en particulier, lorsque les autres parties ont été
interpellées et qu'elles soulèvent des objections (Pra 2000 n°  111 p. 645
consid. 2c in fine p. 649).

2.2 En l'occurrence, la recourante a fait valoir qu'elle ne pouvait pas
fonctionner sans le président de son conseil d'administration, qui était en
même temps le directeur de la société et qui avait seul les relations de
confiance avec la clientèle, les autres administrateurs n'exerçant
pratiquement aucune tâche de gestion; elle n'a en revanche fourni aucune
indication quant aux prétentions qu'elle entendait faire valoir à l'égard de
l'auteur du meurtre ou de l'assassinat  éventuellement commis contre
X.________. Celles-ci ne sont pas évidentes et ne peuvent être sans autre
déduites de la nature des infractions pouvant raisonnablement entrer en ligne
de compte, dans la mesure où seuls les membres de la famille du défunt ou les
personnes privées de leur soutien sont en principe habilités à réclamer des
dommages-intérêts et une réparation pour tort moral en cas de mort d'homme
(art. 45 al. 3 et 47 CO; cf. Zbl 102/2001 p. 492 consid. 3 et les références
citées). La recourante devait donc étayer sa demande d'intervention sur ce
point et ne pouvait se contenter de faire état du préjudice dont elle
prétendait être la victime, fût-il ou non immédiat; en l'absence de toute
motivation à ce sujet, le Juge d'instruction, puis le Tribunal d'accusation
n'avaient aucune obligation d'élucider d'office les faits; n'ayant pas établi
ou rendu vraisemblable qu'elle détenait une prétention juridique en
réparation du dommage allégué contre l'auteur du meurtre éventuellement
commis sur la personne du président de son conseil d'administration, la
recourante aurait également dû se voir dénier la qualité de partie civile
pour ce motif, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la pertinence
de l'argumentation principale retenue pour écarter sa demande d'intervention.
L'arrêt attaqué n'est donc pas arbitraire, si ce n'est dans sa motivation, à
tout le moins dans son résultat, ce qui suffit pour rejeter le recours (cf.
ATF 127 I 54 consid. 2b in fine p. 56 et les arrêts cités).

3.
Vu l'issue du recours, les frais judiciaires seront mis à la charge de la
recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu à
l'allocation de dépens (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument de 3'000 fr. est mis à la charge de la société A.________ S.A.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au
Juge d'instruction de l'arrondissement de La Côte et au Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 21 décembre 2001

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: