Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.559/2001
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1P.559/2001/col

Arrêt du 25 février 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aeschlimann, juge présidant la Ire Cour de droit public,
Reeb, Pont-Veuthey, juge suppléante,
greffier Kurz.

la banque X.________ SA, recourante, représentée par
Me Jean-Marc Siegrist, avocat, quai des Bergues 23,
1201 Genève,

contre

ASLOCA, Association genevoise de défense des locataires, 1205 Genève,
intimée, représentée par Me Romolo Molo, avocat, boulevard Helvétique 27,
case postale 3055, 1211 Genève 3,
Commission de recours en matière de constructions du canton de Genève,
boulevard Helvétique 27, 1207 Genève,
Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République
et Canton de Genève, rue David-Dufour 5, case postale 22, 1211 Genève 8,
Tribunal administratif du canton de Genève, rue des Chaudronniers 3, 1204
Genève.

art. 26 Cst.; autorisation d'aliéner un appartement

(recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton
de Genève du 26 juin 2001)
Faits:

A.
L'immeuble sis au 23, rue des Pâquis à Genève est soumis au régime de la
propriété par étage depuis 1983. En sa qualité de créancière gagiste, la
banque X.________ a obtenu la réalisation forcée de trois lots de PPE
correspondant à des appartements de quatre pièces chacun qui avaient fait
l'objet d'une acquisition en bloc par E.________ et K.________ en 1989. Les
trois lots furent mis séparément aux enchères publiques le 24 novembre 1999.
La banque X.________ acquit une part. Deux autres acquéreurs se virent
adjuger chacun un lot.

Le 28 avril 2000, le Département cantonal de l'aménagement, de l'équipement
et du logement (DAEL) autorisa la banque X.________ à vendre l'appartement
qu'elle avait acquis. Sur recours de l'Association genevoise de défense des
locataires (Asloca), cette décision fut annulée le 19 janvier 2001 par la
Commission cantonale de recours en matière de constructions. Selon une
jurisprudence cantonale connue de la banque X.________, la vente aux enchères
était soumise à autorisation. La banque n'était donc pas de bonne foi
lorsqu'elle avait requis la réalisation forcée.

B.
Par arrêt du 26 juin 2001, le Tribunal administratif a rejeté un recours
formé par la banque X.________ contre ce prononcé. Après avoir rappelé les
conditions de restriction à la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.),
l'autorité cantonale a considéré que la loi sur les démolitions,
transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996
(mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi, LDTR)
poursuivait un intérêt public prépondérant en cherchant à combattre la
pénurie de logements locatifs. Le refus d'autoriser la vente d'un appartement
était le seul moyen adapté et nécessaire pour atteindre l'objectif visé. La
vente envisagée par la banque X.________ ne remplissait pas les conditions
d'autorisation fixées à l'art. 39 al. 4 LDTR. L'intérêt privé de la banque
était purement économique et devait céder le pas à l'intérêt public protégé
par la législation cantonale. Il n'y avait pas d'inégalité de traitement avec
l'un des autres acquéreurs autorisé ultérieurement à revendre l'un des lots
acquis dans les mêmes circonstances que la banque X.________: la banque était
créancière gagiste et avait elle-même provoqué la vente aux enchères forcée à
l'occasion de laquelle elle avait acquis le logement litigieux. En outre,
elle n'était pas de bonne foi, ne pouvant ignorer qu'en acquérant ce logement
elle risquait de se voir refuser une revente ultérieure. Il n'y avait pas
arbitraire du fait que la recourante se trouvait dans l'impossibilité de
procéder à une vente "en bloc" car rien ne l'obligeait à revendre
l'appartement, dont elle conservait le droit de jouissance. Enfin, la
validité de la vente aux enchères n'empêchait pas qu'une vente subséquente
soit interdite.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, la banque X.________ demande
au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. L'Asloca conclut au rejet du
recours. Le Tribunal administratif persiste dans les considérants et le
dispositif de son arrêt, tandis que le DAEL s'en rapporte à dire de justice,
tout en déclarant approuver la décision attaquée.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al.
1 OJ) et déposé dans les formes et délai légaux (art. 89 et 90 OJ), le
recours est recevable. Au demeurant, la banque X.________, qui est touchée
par la décision attaquée, a qualité pour recourir (art. 88 OJ). Elle n'est
toutefois par légitimée à invoquer l'intérêt de tiers, notamment des
personnes susceptibles d'acquérir l'appartement à un prix raisonnable.

Dans le recours de droit public, l'allégation de faits nouveaux et le dépôt
de pièces nouvelles sont en principe prohibés et par conséquent irrecevables
(ATF 118 III 37). Tel est le cas de l'allégation que l'appartement en cause
"n'était pas loué au moment de la décision, ni offert à la location, et par
conséquent, ne faisait pas, à proprement parler, partie du parc locatif"; une
telle constatation ne ressort pas de l'arrêt attaqué, et la recourante ne
fait pas grief à la cour cantonale d'avoir méconnu ce fait.

2.
Les restrictions de droit public à la propriété ne sont compatibles avec
l'art. 26 al. 1 Cst. que si elles reposent sur une base légale, sont
justifiées par un intérêt public suffisant et respectent les principes de la
proportionnalité et de l'égalité devant la loi (art. 36 Cst.; ATF 126 I 219
consid. 2a p. 221 et les arrêts cités). Quel que soit l'intérêt public que le
législateur cantonal considère comme légitime pour restreindre le droit de
propriété des destinataires de la norme, il doit veiller à sauvegarder les
facultés essentielles de disposition, d'usage et de jouissance qui découlent
du droit de propriété et ne pas porter atteinte à la substance de celles-ci
en tant qu'institution fondamentale de l'ordre public suisse (art. 36 al. 4
Cst.; ATF 116 Ia 401). Le Tribunal fédéral examine librement si l'intérêt
public est assez important pour prévaloir sur les intérêts privés opposés, et
si la restriction envisagée ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la
réalisation du but visé. Il fait toutefois preuve de retenue dans
l'appréciation des questions de pure appréciation, ou des circonstances
locales que les autorités inférieures sont mieux à même de connaître (ATF 126
I 219 consid. 1c p. 222 et les arrêts cités).
Le Tribunal fédéral a déjà jugé, notamment dans une affaire où l'la banque
X.________ était partie, que la LDTR avait pour but de préserver l'habitat et
les conditions de vie existant, ainsi que le caractère actuel de l'habitat
dans les zones de construction mentionnées dans la LDTR, en restreignant le
changement d'affectation des maisons d'habitation et l'aliénation des
appartements destinés à la location (art. 1er al. 1 et 2 let. a et c LDTR).
Cette politique procède d'un intérêt public important (ATF 113 Ia 134 et 111
Ia 26). Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un
motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas
contraire au principe de la proportionnalité, pourvu que l'autorité
administrative puisse effectuer une pesée des intérêts en présence, et
évaluer l'importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés
en jeu (ATF 113 Ia 137; arrêt non publié du 19 avril 1999, dans la cause la
banque X.________).

3.
Le Tribunal administratif a considéré que la recourante ne contestait pas que
la vente litigieuse était soumise à la LDTR et qu'elle ne remplissait pas les
conditions de l'art. 39 al. 4 LDTR aux termes desquelles une autorisation
d'aliéner doit être accordée. Dans son recours, la banque X.________ ne
soutient pas le contraire. Elle ne prétend pas en particulier que la vente ne
tomberait pas sous le coup de la LDTR ou que cette opération réaliserait les
conditions de l'art. 39 al. 4 let. b aux termes desquelles le département
autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci "était, le 30 mars 1985,
soumis au régime de la propriété par étage ou à une forme de propriété
analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée". La
recourante soutient uniquement que le refus d'autoriser la vente de
l'appartement qu'elle a acquis viole la garantie constitutionnelle de la
propriété car il l'empêcherait d'aliéner ce bien pour une "période indéfinie"
et la condamnerait à "rester définitivement propriétaire de l'appartement
litigieux".

3.1 Avec cette argumentation, la banque X.________ ne fait pas valoir une
situation différente de celle de n'importe quel autre propriétaire qui se
trouve dans la même situation qu'elle et qui se heurte à un refus, fondé sur
la LDTR, d'autoriser la vente d'un logement dont il est le propriétaire. En
réalité, la recourante met ainsi en cause la constitutionnalité de la LDTR
dont il est rappelé ci-dessus qu'elle vise à protéger un intérêt public
important (préserver l'habitat et les conditions de vie existant) et qu'elle
n'est pas en soi contraire au principe de la proportionnalité, à la condition
que l'autorité administrative puisse effectuer une pesée des intérêts en
présence, ce que prévoit d'ailleurs expressément l'art. 39 al. 2 LDTR.

3.2 Le Tribunal administratif a justement procédé à cette pesée des intérêts
en considérant que l'intérêt privé de la banque X.________ était purement
économique et qu'il devait, dès lors, céder le pas à l'intérêt public
protégé. Selon la cour cantonale, la vente de l'appartement ne représentait
pas une nécessité pour la banque, qui conservait le droit d'usage et de
jouissance de la propriété dans la mesure où elle pouvait toujours louer ou
utiliser ledit appartement. La banque X.________ ne critique pas cette
motivation. La recourante ne prétend pas non plus qu'elle aurait fait valoir
devant l'autorité cantonale des intérêts privés prépondérants dont la cour
cantonale n'aurait pas tenu compte.
Le grief tiré de la violation de l'art. 26 al. 1 Cst. est par conséquent mal
fondé.

4.
La recourante semble croire que le refus de l'autorisation prononcé par
l'autorité cantonale serait définitif en ce sens qu'une approbation ne serait
possible qu'en cas de "vente en bloc de plusieurs parts de propriété du même
immeuble". Or, comme elle n'est propriétaire que d'un seul logement sis dans
le même bâtiment, il lui serait impossible de remplir cette condition.
Cet argument doit être rejeté. En effet, il ne ressort pas du jugement
attaqué que le Tribunal administratif aurait posé une telle condition. Il est
vrai que l'arrêt mentionne la question de la "vente en bloc d'appartements"
mais uniquement dans la mesure où elle était soulevée par l'Asloca et la
recourante, sans toutefois en tirer des conséquences dans le cas d'espèce.
Contrairement à ce que semble croire la banque X.________, le Tribunal
administratif n'a pas non plus appliqué par anticipation la nouvelle version
de l'art. 39 al. 4 LDTR qui envisage "l'autorisation de vente en bloc", mais
qui n'était pas encore en vigueur au moment de la décision entreprise. Le
grief de violation du principe de la légalité soulevé par la banque
X.________ doit donc être écarté. Il en va de même du reproche d'arbitraire
que la recourante voit dans la situation, absurde selon elle, créée par
l'obligation qui lui serait faite de procéder à une vente en bloc. Comme on
l'a vu, une telle condition ne ressort pas de la décision du Tribunal
administratif qui n'a pas non plus remis en question la validité de
l'acquisition faite par la banque X.________ lors de la vente aux enchères
forcée. Au demeurant, la banque ne peut s'en prendre qu'à elle-même si elle
juge absurde la situation d'être propriétaire d'un logement alors qu'elle n'a
"pas la vocation de détenir des appartements en PPE".

5.
La banque X.________ conteste qu'elle n'aurait pas agi de bonne foi en se
portant acquéreur de la part de PPE qu'elle souhaite revendre aujourd'hui. Le
Tribunal administratif ne s'est prononcé sur l'attitude de la recourante que
dans le cadre de l'examen du grief d'inégalité de traitement que celle-ci
avait soulevé devant lui. Dans son recours de droit public, bien qu'elle
mentionne en passant le fait qu'un autre des trois lots acquis aux enchères
aurait fait l'objet d'une autorisation ultérieure de vente, la recourante ne
soulève plus ce grief. Au demeurant, comme on l'a vu, personne ne remet en
cause la validité de la vente aux enchères et la banque ne prétend pas que
cette opération correspondrait à une vente individualisée au sens de l'art.
39 al. 4 let. b LDTR justifiant une autorisation.

6.
Mal fondé, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à la
charge de la recourante qui succombe, de même qu'une indemnité de dépens
allouée à l'Asloca, intimée, qui obtient gain de cause (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 4000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée à l'Asloca, à la charge de la
recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la
Commission de recours en matière de constructions, au Département de
l'aménagement, de l'équipement et du logement et au Tribunal administratif du
canton de Genève.

Lausanne, le 25 février 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant: Le greffier: