Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.545/2001
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1P.545/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       30 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.________, représenté par Me Charles Guerry, avocat à
Fribourg,

                           contre

l'arrêt rendu le 25 janvier 2001 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause
qui oppose le recourant au Procureur général du canton de
V a u d ;

        (procédure pénale; appréciation des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 18 mars 1998, vers 20h30, une patrouille de
la gendarmerie vaudoise a eu son attention attirée par un
véhicule circulant sur la route cantonale Lausanne-Berne à
une vitesse excessive. Après avoir rattrapé l'automobiliste
qui le précédait, le conducteur de ce véhicule, A.________,
l'a suivi sur quelque 2'000 mètres à une distance de l'ordre
de cinq mètres, jusqu'à la hauteur de l'entreprise Fotolabo,
à Ropraz. Lorsque celui-ci eut quitté la route principale, il
accéléra fortement pour circuler à une vitesse moyenne nette
de 163 km/h, selon une première mesure de vitesse effectuée
par la gendarmerie sur une distance de 2'951 mètres au moyen
d'un tachygraphe avec calculatrice "Multagraph T 21" dûment
homologué et étalonné. Un second contrôle de vitesse a été
effectué une trentaine de secondes plus tard, à la hauteur de
la gravière de Syens, sur une distance de 1'094 mètres. Selon
le relevé de mesures, A.________ circulait à une vitesse
moyenne de 172 km/h, après déduction de la marge de sécurité
prévue par les Instructions concernant les contrôles de vi-
tesse dans la circulation routière, édictées le 15 décembre
1994 par le Département fédéral de justice et police (ci-
après: les instructions du DFJP), lors d'un contrôle de vi-
tesse en distance libre.

   B.- A la suite de ces faits, le Juge d'instruction
de l'arrondissement de l'Est vaudois a, par ordonnance du
22 juin 1998, condamné A.________ à une peine de dix jours
d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans et à une amende
de 800 francs, pour violation grave des règles de la circula-
tion.

   Statuant sur opposition le 9 octobre 1998, le Tribu-
nal de police du district d'Oron a reconnu A.________ coupa-

ble de violation grave des règles de la circulation et l'a
condamné à une amende de 2'500 francs avec délai d'épreuve et
de radiation de deux ans. Il s'est déclaré convaincu que
l'accusé avait roulé à une vitesse de 163 km/h nette sur le
premier tronçon ayant fait l'objet d'une mesure de vitesse;
il n'a cependant pas retenu la vitesse de 172 km/h en raison
du doute qui subsistait, après l'audition de l'appointé de
gendarmerie I.________, sur la manière dont la seconde mesure
de vitesse avait été effectuée. La Cour de cassation pénale
du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la Cour de
cassation pénale) a confirmé ce jugement par arrêt du 26 no-
vembre 1998.

   Le Tribunal fédéral a admis le recours de droit pu-
blic de A.________ et annulé cet arrêt au terme d'un arrêt
rendu le 30 juin 1999. Il a considéré que la cour cantonale
avait versé dans l'arbitraire en confirmant le jugement du
Tribunal de police du district d'Oron du 9 octobre 1998 sans
expliquer les raisons pour lesquelles la divergence constatée
entre la distance séparant les deux points de mesure calculée
par la gendarmerie et celle déduite de la lecture d'une carte
de la région au 1:25'000 ne faisaient naître un doute sur le
respect des instructions du DFJP qu'à l'égard de la seconde
mesure de vitesse, alors même que cette divergence concernait
le tronçon ayant servi à la réalisation de la première mesure
de vitesse.

   Par arrêt du 27 septembre 1999, la Cour de cassation
pénale a annulé le jugement rendu le 9 octobre 1998 par le
Tribunal de police du district d'Oron et renvoyé la cause de-
vant le Tribunal de police du district d'Yverdon pour nou-
velle instruction et nouveau jugement.

   Statuant le 27 novembre 2000, le Tribunal de police
de l'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois (ci-après:
le Tribunal de police) a condamné A.________, pour violation

grave des règles de la circulation, à dix jours d'emprisonne-
ment, avec sursis pendant deux ans, et à une amende de 800
francs. Se fondant notamment sur les constatations retenues
dans le rapport de gendarmerie confrontées aux explications
claires et cohérentes du caporal C.________, qui conduisait
le véhicule de gendarmerie, il s'est déclaré convaincu que
l'accusé avait effectivement roulé aux vitesses mesurées par
les gendarmes et dépassé la vitesse maximale prescrite de 83
km/h, puis de 92 km/h.

   Saisie d'un recours en nullité du condamné, la Cour
de cassation pénale a confirmé ce jugement par arrêt du 25
janvier 2001. Elle a retenu en substance que le conducteur du
véhicule suiveur avait expliqué de façon claire et cohérente
que les deux mesures de vitesse avaient été relevées confor-
mément aux instructions du DFJP, de sorte qu'il n'existait
aucun doute sérieux quant aux dépassements de vitesse repro-
chés.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt.
Invoquant les art. 9, 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH, il repro-
che à la Cour de cassation pénale d'avoir procédé à une ap-
préciation arbitraire des faits et violé la maxime "in dubio
pro reo" en préférant le témoignage du conducteur du véhicule
de gendarmerie, enregistré le 27 novembre 2000, à celui de
son collègue l'appointé I.________, intervenu six mois et de-
mi après les faits incriminés.

   Le Procureur général du canton de Vaud conclut au
rejet du recours. La Cour de cassation pénale se réfère aux
considérants de son arrêt.

   D.- Le Président de la Ie Cour de droit public a ac-
cordé l'effet suspensif au recours par ordonnance du 13 sep-
tembre 2001.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Formé en temps utile contre une décision finale
prise en dernière instance cantonale, qui ne peut être atta-
quée que par la voie du recours de droit public en raison des
griefs soulevés, et qui touche le recourant dans ses intérêts
juridiquement protégés, le recours est recevable au regard
des art. 84 ss OJ (cf. arrêt non publié du 30 juin 1999 entre
les mêmes parties, consid. 1).

   2.- Le recourant reproche à la Cour de cassation pé-
nale d'avoir procédé à une appréciation arbitraire des faits
et violé la maxime "in dubio pro reo" en préférant le témoi-
gnage du conducteur du véhicule de gendarmerie à celui de son
collègue, l'appointé I.________, entendu par le Tribunal de
police du district d'Oron.

   a) En tant qu'elle a trait à la constatation des
faits et à l'appréciation des preuves, la maxime "in dubio
pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective de l'en-
semble des éléments de preuve laisse subsister un doute in-
surmontable sur la culpabilité de l'accusé (ATF 127 I 38 con-
sid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid.
2c p. 37). Saisi d'un recours de droit public mettant en cau-
se l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral examine
seulement si le juge cantonal a outrepassé son pouvoir d'ap-
préciation et établi les faits de manière arbitraire (ATF 127
I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31
consid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts
cités). Une constatation de fait n'est pas arbitraire pour la
seule raison que la version retenue par le juge ne coïncide
pas avec celle de l'accusé ou du plaignant; encore faut-il
que l'appréciation des preuves soit manifestement insoutena-
ble, en contradiction flagrante avec la situation effective,
qu'elle constitue la violation d'une règle de droit ou d'un

principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle
heurte de façon grossière le sentiment de la justice et de
l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30), ce qu'il appar-
tient au recourant d'établir (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495
et les arrêts cités). L'art. 32 al. 1 Cst., entré en vigueur
le 1er janvier 2000, qui consacre spécifiquement la notion de
la présomption d'innocence, ne fait que reprendre les princi-
pes posés dans ce domaine par la jurisprudence (FF 1997 I 1
ss, notamment p. 188/189; ATF 127 I 38 consid. 2b p. 41/42).

   b) En l'espèce, entendu le 9 octobre 1998 dans le
cadre de la procédure portant sur les mêmes faits et terminée
par l'arrêt du Tribunal fédéral du 30 juin 1999, l'appointé
I.________ n'a pu certifier, pour la seconde mesure de vites-
se effectuée, que la distance entre le véhicule en infraction
et le véhicule suiveur avait été égale du début à la fin de
la mesure, conformément aux instructions du DFJP applicables
au moment des faits incriminés. A l'opposé, le caporal
C.________ a déclaré à l'audience du 27 novembre 2000 que
"les mesures ont été faites alors que le véhicule suiveur
était à une distance d'environ 100 mètres du véhicule suivi,
distance qui a été relativement constante et, surtout, qui a
été plus grande à la fin qu'au début".

   Même si le jugement du Tribunal de police du 27 no-
vembre 2000 ne précise pas la mesure de vitesse à laquelle
fait référence le caporal C.________, on peut raisonnablement
déduire du résumé de ses déclarations qu'il vise les deux
opérations successives. Toutefois, cette dernière déposition,
enregistrée trente-deux mois après les faits incriminés, est
en contradiction avec celle de l'appointé I.________, articu-
lée six mois et demi après l'excès de vitesse du 18 mars
1998. Le rapport de gendarmerie, établi trois jours après la
constatation des contraventions, n'apporte aucun élément per-
mettant de dire laquelle des deux dépositions est la plus
proche de la réalité. Il se limite en effet à reproduire les

indications du tachygraphe, soit la longueur sur laquelle ont
porté les deux mesures successives, les vitesses enregistrées
et celles prises en considération par déduction d'une marge
de sécurité de 6% dans le premier cas et de 8% dans le se-
cond, pour retenir les valeurs de 163 km/h et 172 km/h. A cet
égard, le Tribunal de police s'est borné à relever que les
explications du caporal C.________ étaient claires et cohé-
rentes, sans examiner la contradiction existant entre les
dépositions des agents dans les deux phases de la procédure,
à propos de la question de la conformité de la seconde mesure
de vitesse aux instructions du DFJP.

   Le recourant a pourtant relevé cette contradiction
dans son recours en nullité, de sorte que la Cour de cassa-
tion pénale ne pouvait se fonder uniquement sur la déposition
du caporal C.________ pour considérer que le Tribunal de po-
lice, dans son prononcé du 27 novembre 2000, n'avait pas ap-
précié arbitrairement les preuves. Elle ne pouvait en parti-
culier écarter les déclarations de l'appointé I.________, ré-
sumées dans le jugement du Tribunal de police du district
d'Oron du 9 octobre 1998, au motif que le recourant n'avait
pas requis la réaudition de ce témoin à l'audience du 22 no-
vembre 2000. Selon l'art. 445 du Code de procédure pénale
vaudois, le tribunal de première instance saisi d'une cause
par un arrêt de nullité l'instruit à nouveau, puis statue li-
brement. Il peut en particulier se fonder sur les pièces et
les moyens de preuve recueillis dans le cadre du premier ju-
gement, sans qu'il soit nécessaire de les renouveler. Il en
résulte que le Tribunal de police devait également prendre en
compte le témoignage de l'appointé I.________, résumé dans le
jugement du 9 octobre 1998, à l'appui de son nouveau jugement
rendu à la suite des arrêts du Tribunal fédéral, puis de la
Cour de cassation pénale.

   En ne faisant aucun cas de la déposition de l'ap-
pointé I.________, beaucoup plus proche des faits incriminés

que celle de son collègue, le Tribunal de police n'a pas éta-
bli un fait déterminant pour en tirer des conclusions juridi-
ques et a apprécié les preuves de manière insoutenable; la
Cour de cassation pénale a versé à son tour dans l'arbitraire
en ne sanctionnant pas le jugement de première instance pour
ce motif.

   c) Le Tribunal fédéral n'annule l'arrêt attaqué que
lorsque celui-ci est arbitraire dans son résultat. Si la me-
sure de la vitesse sur le second tronçon est douteuse, il ré-
sulte des constatations, concordantes sur ce point, des deux
agents que le recourant circulait sur la totalité du parcours
à une allure équivalant environ au double de celle autorisée,
ce qui suffit à retenir une infraction grave aux règles de la
circulation au sens de l'art. 90 ch. 2 LCR (ATF 123 II 37
consid. 1b p. 38/39; 122 IV 173 consid. 2d p. 177). Cepen-
dant, même si la situation est relativement claire à ce su-
jet, il n'appartient pas au Tribunal fédéral de substituer
les motifs de la décision attaquée, car la détermination du
genre de peine et de la quotité de celle-ci revient au juge
du fond, en fonction d'une évaluation prudente de la vitesse
sur la base des éléments réunis au dossier, des critères po-
sés à l'art. 63 CP et, éventuellement, de l'écoulement du
temps (ATF 124 I 336 consid. 4d p. 343 et les arrêts cités).

   3.- Les considérants qui précèdent conduisent à
l'admission du recours et à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Le canton de Vaud est dispensé de l'émolument judiciaire
(art. 156 al. 2 OJ). En revanche, il versera une indemnité à
titre de dépens au recourant, qui obtient gain de cause avec
l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Admet le recours et annule l'arrêt rendu le
25 janvier 2001 par la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal du canton de Vaud;

   2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire;

   3. Alloue au recourant une indemnité de 1'000 fr. à
titre de dépens, à la charge du canton de Vaud;

   4. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant, au Procureur général et à la Cour de cassa-
tion pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 30 octobre 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                  Le Greffier,