Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.533/2001
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1P.533/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       17 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

Société S.________, représentée par Me Jérôme Bénédict,
avocat à Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 1er juin 2001 par le Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause qui op-
pose la recourante à K.________, représenté par Me Michel
Dupuis, avocat à Lausanne, et au Juge d'instruction du canton
de Vaud;

                (refus de lever un séquestre)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 19 juin 1998, le juge d'instruction du canton
de Vaud a séquestré, sur un compte global exploité par la
Banque P.________ auprès de la Banque V.________, la somme
d'environ 9 millions d'US$, représentant la contre-valeur de
deux chèques tirés par la société M.________ auprès de la
Banque B.________, et présentés par K.________. Ce dernier
avait annoncé le vol des chèques, en réalité saisis par la
douane française.

   B.- La société S.________  est intervenue dans la
procédure pénale, alléguant que la somme séquestrée pro-
viendrait, après différents transferts, mélanges, prélève-
ments et remboursements, d'une escroquerie à l'investissement
dont elle avait été victime. Celle-ci a obtenu le déblocage
et la restitution de plusieurs montants de 2'073'235 et
2'500'000 US$, ainsi que des intérêts.

   C.- Le 27 mars 2001, la société S.________ a requis
le déblocage de 1'750'000 US$, parvenus le 5 septembre 1995
sur le compte de la société B.________ auprès de la Banque
C.________. La société L.________ avait versé 2,5 millions
d'US$ à Société Y.________ en vue d'investissements. La somme
avait été versée sur un compte à Monaco, puis avait été
transférée, à hauteur de 1'750'000 US$, en faveur de la
société B.________. Le 14 septembre suivant, le compte de la
société B.________, composé alors exclusivement des fonds de
la société S.________, avait été débité de 2'500'000 US$ afin
de rembourser la société L.________.

   Par ordonnance du 19 avril 2001, le juge d'instruc-
tion a refusé la libération requise. L'art. 59 CP ne permet-
tait pas de restituer à la société S.________ des fonds pro-

venant d'un tiers (Société L.________), même si celui-ci
avait été désintéressé par les fonds de celle-là.

   D.- Par arrêt du 1er juin 2001, le Tribunal d'accu-
sation du Tribunal cantonal vaudois a confirmé cette déci-
sion. Une restitution fondée sur l'art. 59 ch. 1 al. 1 CP
n'était envisageable que si les droits effectifs des person-
nes lésées étaient établis avec certitude. Tel n'était pas le
cas en l'espèce, car même si les fonds de la société
S.________ avaient été employés à désintéresser la société
L.________, des prétentions de tiers n'étaient pas exclues à
ce stade de l'enquête.

   E.- La société S.________ forme un recours de droit
public, pour violation de la garantie de la propriété et ar-
bitraire, contre ce dernier arrêt. Elle en demande l'annula-
tion et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nou-
velle décision dans le sens des considérants du Tribunal fé-
déral. Elle soutient en substance qu'en dépit de la complexi-
té de la cause, ses prétentions sur la somme séquestrée se-
raient établies, aucun tiers n'étant intervenu dans les
transactions en cause, et la société L.________ ayant été en-
tièrement désintéressée. Le maintien du séquestre serait dis-
proportionné au regard, notamment, des difficultés économi-
ques que lui cause cette immobilisation, et on ne verrait pas
quel élément de preuve pourrait encore être recueilli à ce
propos.

   La cour cantonale se réfère aux considérants de son
arrêt. Le juge d'instruction a renoncé à se déterminer.
K.________ n'a pas été invité à répondre au recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité du recours de droit public (ATF 127 I 92
consid. 1 p. 93).

   a) Selon l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit pu-
blic n'est recevable contre les décisions incidentes que s'il
peut en résulter un préjudice irréparable. Comme l'admet la
recourante, la décision de refus de levée du séquestre pénal,
qui s'inscrit dans le cadre de l'instruction sans mettre un
terme à la procédure, est de nature incidente au même titre
que la décision de saisie proprement dite (ATF 123 I 325
consid. 3b p. 327 et les arrêts cités).

   b) Pour qu'un dommage soit irréparable au sens de
l'art. 87 OJ, la décision incidente doit causer à l'intéressé
un préjudice juridique que la décision finale, par hypothèse
favorable à celui-ci, ne ferait pas entièrement disparaître.
Est exposé à un tel dommage le justiciable qui court le ris-
que d'une atteinte à sa position juridique quant aux voies de
droit à sa disposition, par l'impossibilité d'un contrôle
constitutionnel (ATF 123 I 325 consid. 3c; 117 Ia 247 consid.
3, 251 consid. 1b p. 253/254 et 396 consid. 1 p. 398/399). Un
dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure
ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considé-
ré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 123 I
325 consid. 3c). Il appartient au recourant non seulement
d'alléguer, mais encore d'établir le risque de la survenance
d'un dommage irréparable, à moins que cette possibilité ne
laisse pas place au doute (ATF 116 II 80 consid. 2c in fine).

   c) La jurisprudence admet généralement qu'un séques-
tre pénal est de nature à causer un dommage irréparable à la
personne qui est privée temporairement de la libre disposi-

tion des objets ou avoirs séquestrés, en raison de l'atteinte
portée à son droit de propriété ou, tout au moins, à sa fa-
culté de disposer (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101 et les ar-
rêts cités).

   En l'espèce, même en l'absence de séquestre, la re-
courante n'aurait guère eu la libre disposition des avoirs
qu'elle revendique, puisque les sommes saisies sont déposées
sur un compte global exploité par la Banque P.________ auprès
de la Banque V.________, représentant la contre-valeur de
deux chèques présentés par K.________ et restitués à celui-ci
avant que l'intéressé ne prétende que les chèques lui avaient
été dérobés. On ne voit pas quel droit la recourante pourrait
faire directement valoir sur cette somme, versée par un tiers
et dont le détenteur direct est une banque. Pour que la re-
courante recouvre les fonds qu'elle revendique, la levée du
séquestre aurait dû être assortie d'une décision de restitu-
tion au lésé. Dès lors qu'en l'absence de séquestre, la re-
courante n'aurait pu faire valoir aucun droit sur les sommes
déposées, et encore moins en disposer directement, l'inconvé-
nient qui résulte du refus du juge d'instruction ne constitue
pas un préjudice juridique. Il n'est au demeurant pas irrépa-
rable car une décision relative à l'attribution au lésé
pourra avoir lieu dans le cours ultérieur de la procédure.
Dans ce cas, le préjudice allégué cesserait totalement. L'im-
mobilisation prolongée des fonds, avec les inconvénients qui
en résultent pour la recourante, ne constitue pas à elle
seule un préjudice irréparable.

   2.- Le recours de droit public est par conséquent
irrecevable. Un émolument judiciaire est mis à la charge de
la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'est pas
alloué de dépens.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

   1. Déclare le recours irrecevable;

   2. Met à la charge de la recourante un émolument
judiciaire de 2000 fr.;

   3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

   4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Juge d'instruction et au Tribunal
d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 17 octobre 2001
KUR/dxc

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,