Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.525/2001
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1P.525/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        27 août 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

R.________, représenté par Pierre-Yves Brandt, avocat à
Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 25 juillet 2001 par le Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- R.________, ressortissant suisse et français né
en 1960, se trouve depuis le 29 août 2000 en détention pré-
ventive sous l'inculpation de meurtre, faux témoignage et in-
fraction à la LSEE. Le 6 août 1999, A.________, avec qui
R.________ vivait alors, a été retrouvée morte dans le box de
son cheval. Elle s'y était rendue de nuit afin de s'occuper
de l'animal, et son décès était apparemment dû à des coups de
sabot à la tête. Le 2 mars 2001, le Juge d'instruction de
l'arrondissement de la Côte a rendu une ordonnance de non-
lieu, considérant que le décès était accidentel. Par la sui-
te, il est apparu que R.________ avait chargé un détective
privé de suivre son amie, qui désirait rompre avec lui. Un
rapport complémentaire du Directeur du Haras fédéral d'Aven-
ches faisait apparaître des anomalies concernant l'emplace-
ment des traces de sang, la position de la victime et l'état
du box. Le 5 septembre 2000, R.________ a déclaré à la police
"être impliqué" dans la mort de son amie. Ils s'étaient ren-
dus ensemble à l'écurie. Demeuré à l'extérieur du box pendant
que A.________ était blessée par le cheval, il s'était en-
suite approché et avait placé sa main sur la bouche et le nez
de la victime durant trente secondes à une minute, car il ne
voulait pas "qu'elle revienne", en raison des brimades et hu-
miliations qu'elle lui aurait fait subir. Le 6 septembre
2000, il précisa avoir mis une certaine force à son geste, et
confirma ses déclarations devant le juge d'instruction. Le 14
septembre 2000, il est revenu sur ses dires, affirmant être
arrivé après les faits, et s'être limité à vérifier si la
victime respirait encore. Il contesta par la suite s'être
rendu sur les lieux avec la victime.

   B.- Par décision du 26 février 2001, confirmée le 2
avril 2001 par le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal
vaudois, le juge d'instruction a refusé la mise en liberté de

R.________, en raison du risque de fuite et des besoins de
l'instruction.

   C.- Le 13 juin 2001, le juge d'instruction a rejeté
une nouvelle demande de mise en liberté. Les rapports de po-
lice étaient attendus pour le mois d'août 2001, et le prévenu
devrait alors être réentendu. Le risque de fuite n'était pas
exclu, compte tenu de la nationalité française de l'inculpé.

   Par arrêt du 25 juillet 2001, le Tribunal d'accusa-
tion a confirmé cette décision, en reprenant les présomptions
de culpabilité exposées dans son arrêt du 2 avril 2001, et en
retenant que le prévenu ne disposait pas d'attaches avec la
Suisse où il séjournait illégalement sans y exercer d'activi-
té lucrative. R.________ n'avait pas cherché à s'enfuir après
le décès de A.________, mais il n'était pas encore soupçonné
de meurtre. Le Tribunal cantonal a précisé que le risque de
fuite constituait le seul motif de détention, excluant impli-
citement les besoins de l'enquête à ce stade.

   D.- R.________ forme un recours de droit public con-
tre ce dernier arrêt. Il en demande l'annulation, et conclut
à sa libération immédiate. Il requiert l'assistance judi-
ciaire.

   Le juge d'instruction a renoncé à se déterminer. Le
Tribunal d'accusation et le Ministère public se réfèrent aux
considérants de l'arrêt attaqué.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Le recours de droit public est formé en temps
utile contre un arrêt de dernière instance cantonale. Le re-
courant, personnellement touché par l'arrêt attaqué, qui con-
firme le refus de sa mise en liberté provisoire, a qualité
pour recourir selon l'art. 88 OJ. Les conclusions tendant à

sa libération immédiate sont recevables (ATF 124 I 327 con-
sid. 4b/aa p. 333).

   2.- Le recourant soulève des griefs d'ordre formel
qu'il y a lieu d'examiner préalablement au fond. Il se plaint
en particulier d'un défaut de motivation qui entacherait
l'arrêt attaqué. La cour cantonale aurait omis d'examiner
l'argument selon lequel les rapports d'expertise conforte-
raient la thèse de l'accident. Par ailleurs, le recourant
voit une contradiction manifeste dans le fait que la cour
cantonale a retenu le risque de fuite comme seul motif de dé-
tention, sans que l'on sache s'il existe des charges suffi-
santes.

   a) Composante du droit d'être entendu garanti par
l'art. 29 al. 2 Cst., l'obligation de motiver impose à l'au-
torité d'examiner les arguments qui lui sont soumis, et dont
dépend l'issue de la procédure. Le justiciable doit ainsi sa-
voir pourquoi l'autorité ne l'a pas suivi dans son argumenta-
tion. L'autorité doit exposer les raisons qui ont conduit au
prononcé, afin de permettre à l'intéressé de recourir en con-
naissance de cause (ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102).

   b) En l'espèce, la cour cantonale ne s'est pas con-
tredite en affirmant que le risque de fuite constituait le
seul motif de détention préventive. La cour cantonale visait
ainsi les motifs spécifiques de détention, et a manifestement
voulu exclure les besoins de l'instruction; la lecture de
l'arrêt fait clairement apparaître que l'existence de charges
suffisantes, condition préalable à la détention, a été égale-
ment reconnue par la cour cantonale. Celle-ci s'est fondée,
pour l'essentiel, sur les aveux du recourant, considérant
pour le surplus que le résultat des différentes expertises
mises en oeuvre n'étaient pas en contradiction avec les faits
reprochés au prévenu. Une telle motivation permet de compren-

dre les raisons ayant conduit au prononcé attaqué. Le droit
d'être entendu est par conséquent respecté.

   3.- Une mesure de détention préventive n'est compa-
tible avec la liberté personnelle, garantie par l'art. 10 al.
2 Cst. et par l'art. 5 CEDH, que si elle repose sur une base
légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espè-
ce l'art. 59 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD).
Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et res-
pecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3
Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le
cas, la privation de liberté doit être justifiée par les be-
soins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de
collusion ou de réitération (cf. art. 59 ch. 1, 2 et 3
CPP/VD). La gravité de l'infraction - et l'importance de la
peine encourue - n'est, à elle seule, pas suffisante (ATF 117
Ia 70 consid. 4a). Préalablement à ces conditions, il doit
exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes
(art. 5 par. 1 let. c CEDH; ATF 116 Ia 144 consid. 3).

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 283
consid. 3, 112 Ia 162 consid. 3b).

   4.- Contestant l'existence de charges suffisantes,
le recourant expose les faits qui, selon lui, plaideraient
pour un décès accidentel. La victime se serait comportée im-
prudemment en pénétrant de nuit dans le box du cheval, sans
allumer la lumière. Le traumatisme cérébral avec fracture
multiple du crâne serait la cause directe du décès, le crâne
de la victime présentant des traces de métal compatibles avec
celles provenant d'un fer à cheval; les autres blessures -

heurts et morsures - seraient également imputables au cheval.
Les experts n'auraient pas mis en évidence des indices de
strangulation ou d'étouffement. Compte tenu de la personnali-
té fragile et instable du recourant, ses aveux ne constitue-
raient pas une preuve absolue et rien ne permettrait de pen-
ser que le geste du recourant -  pour autant qu'il ait été
commis - soit la cause du décès. Le recourant reproche aussi
à la cour cantonale d'avoir renversé le fardeau de la preuve
en se référant à son arrêt du 2 avril 2001, en exigeant la
preuve de son innocence et en ne tenant pas compte des élé-
ments recueillis ultérieurement, alors que l'enquête touche
maintenant à son terme. L'expertise complémentaire ordonnée
peu avant le prononcé de l'arrêt attaqué démontrerait l'exis-
tence d'un doute en sa faveur.

   a) L'intensité des charges susceptibles d'autoriser
un maintien en détention préventive n'est pas la même aux di-
vers stades de l'instruction pénale; si des soupçons encore
peu précis peuvent être suffisants dans les premiers temps de
l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître
vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction
envisageables (arrêt non publié F. du 27 novembre 1991, non
reproduit sur ce point in SJ 1992, 191).

   b) Cela étant, le recourant confond manifestement
les conditions de maintien en détention préventive, soit
l'existence d'indices suffisants de culpabilité, et les con-
ditions auxquelles une condamnation peut être prononcée, soit
l'absence de doutes sérieux quant à la culpabilité de l'accu-
sé. S'agissant de la détention préventive, les charges re-
cueillies contre le recourant sont manifestement suffisantes.
Elles sont fondées sur les aveux passés devant la police le
5 septembre 2000, et confirmés le lendemain devant le juge
d'instruction. A suivre ces déclarations, après que
A.________ eût été blessée par son cheval, le recourant au-
rait appliqué sa main sur la bouche et le nez de la victime

afin de l'empêcher de revenir à elle. Le recourant ne sou-
tient pas que ces aveux aient été obtenus par une quelconque
pression des enquêteurs. Il invoque sa personnalité instable,
mais cela n'explique pas qu'il se soit pareillement accablé
par des déclarations dont le caractère déterminant ne pouvait
manifestement lui échapper. Sur le vu de cet élément de preu-
ve essentiel, la cour cantonale pouvait se borner à constater
que les autres éléments du dossier, soit les diverses exper-
tises effectuées, ne contredisaient pas ces aveux. Il n'y a
pas, en effet, contradiction entre les blessures infligées
par le cheval, et l'intervention ultérieure du recourant.
L'existence de charges suffisantes pouvait être admise à ce
stade, sans qu'il y ait renversement inadmissible du fardeau
de la preuve.

   5.- Le recourant conteste ensuite l'existence d'un
risque de fuite.

   a) Selon la jurisprudence, ce risque ne peut s'ap-
précier sur la seule base de la gravité de l'infraction même
si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la perspec-
tive d'une longue peine privative de liberté permet souvent
d'en présumer l'existence; il doit s'analyser en fonction
d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéres-
sé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le
poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger (ATF 117 Ia 69
consid. 4 et les arrêts cités).

   b) La cour cantonale s'est fondée sur l'ensemble de
ces différents critères, sans s'arrêter à la seule nationali-
té du recourant. On ne saurait du reste méconnaître que, sous
l'angle du risque de fuite, la nationalité est un élément dé-
terminant dont il peut être tenu compte sans qu'il y ait iné-
galité de traitement avec les ressortissants suisses ayant
toutes leurs attaches dans leur pays d'origine. Le recourant
part en outre de la prémisse, erronée, qu'il n'y aurait pas

d'indices de culpabilité à son encontre. Pour le surplus, il
ne conteste pas sérieusement qu'il ne dispose d'aucune atta-
che avec la Suisse où il séjournait illégalement sans y avoir
d'activité lucrative. Il avait par ailleurs évoqué clairement
la possibilité d'un départ pour la France, pays dont il est
également ressortissant, dans l'hypothèse d'une mise en li-
berté. Ces éléments sont suffisants pour admettre le risque
de fuite.

   6.- Sur le vu de ce qui précède, le recours doit
être rejeté. Quand bien même l'issue de la procédure appa-
raissait pour le moins incertaine, les conditions de l'assis-
tance judiciaire peuvent être considérées comme réunies. Me
Pierre-Yves Brandt est désigné comme avocat d'office du re-
courant et une indemnité lui est versée par la caisse du Tri-
bunal fédéral, à titre d'honoraires (art. 152 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours.

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire, désigne
Me Pierre-Yves Brandt en qualité d'avocat d'office du recou-
rant, et lui alloue une indemnité de 1'000 fr. à titre d'ho-
noraires, à verser par la caisse du Tribunal fédéral.

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire,
ni alloué de dépens.

   4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement
de la Côte, au Ministère public et au Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 27 août 2001
KUR/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,