Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.518/2001
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001


1P.518/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        24 août 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

N.________, représenté par Me Eduardo Redondo, avocat-
stagiaire, à Vevey,

                           contre

l'arrêt rendu le 10 juillet 2001 par le Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 27 mars 2001, le Juge d'instruction de l'ar-
rondissement de l'Est vaudois (ci-après: le Juge d'instruc-
tion) a ouvert une enquête pénale, d'office et sur plainte, à
l'encontre de N.________, ressortissant italien né le 28 sep-
tembre 1966, prévenu de crime manqué de meurtre, subsidiaire-
ment de crime manqué de lésions corporelles simples quali-
fiées, de menaces et de voies de fait. Il est reproché à ce-
lui-ci d'avoir agressé verbalement A.________, de lui avoir
assené un coup de poing à la tempe et d'avoir tenté de lui
donner plusieurs coups de couteau, le 27 mars 2001, vers
17h30, à Vevey.

   A.________ a retiré sa plainte le 30 mai 2001. Au
cours de l'audience du même jour, N.________ a tenu des pro-
pos menaçants à l'encontre du Juge d'instruction, qui l'a en
conséquence placé sous mandat d'arrêt; il se trouve depuis
lors en détention préventive. Considérant par ailleurs qu'il
existait un doute sur la responsabilité pénale du prévenu, le
Juge d'instruction a ordonné, en date du 31 mai 2001, la mise
en oeuvre d'une expertise psychiatrique qu'il a confiée au Dr
C.________.

   B.- Par ordonnance du 21 juin 2001, le Juge d'ins-
truction a rejeté une demande de mise en liberté provisoire
de N.________ au motif qu'il convenait d'attendre que l'ex-
pert se détermine sur la dangerosité du prévenu avant d'envi-
sager une telle éventualité.

   Le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation) a confir-
mé cette décision au terme d'un arrêt rendu le 10 juillet
2001. Il a considéré qu'il existait des indices suffisants de

culpabilité à l'encontre du prévenu; il a retenu en outre que
ce dernier apparaissait potentiellement dangereux, vu son
comportement durant et après les faits incriminés et ses an-
técédents, qu'il était à craindre qu'il ne commette à nouveau
des infractions de même nature que celles qui lui étaient re-
prochées et que son maintien en détention se justifiait ainsi
par un risque de récidive; il a estimé que cette mesure s'im-
posait aussi pour les besoins de l'enquête dès lors que
N.________ avait refusé de se soumettre à l'expertise psy-
chiatrique. Il a enfin admis que le principe de la propor-
tionnalité était encore respecté, compte tenu de la durée de
la détention préventive déjà subie et de la gravité des faits
imputés au prévenu.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
N.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et
d'ordonner sa libération immédiate. Il conclut à titre subsi-
diaire au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nou-
velle décision au sens des considérants. Invoquant les art.
10 al. 2, 31 al. 1 Cst. et 5 CEDH, il reproche au Tribunal
d'accusation d'avoir retenu à tort que le risque de récidive
et les besoins de l'enquête justifiaient le maintien de la
détention. Il tient en outre le refus de sa mise en liberté
pour disproportionné. Il requiert l'assistance judiciaire.

   Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants
de son arrêt. Le Juge d'instruction a renoncé à déposer des
observations.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant est personnellement touché par
l'arrêt attaqué, qui confirme une décision refusant sa mise
en liberté provisoire, et a, partant, qualité pour recourir

selon l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision
prise en dernière instance cantonale, le recours répond aux
exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il
convient d'entrer en matière. La conclusion du recourant ten-
dant à sa libération immédiate est par ailleurs recevable
(ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333). Celle, subsidiaire,
tendant au renvoi de la cause au Tribunal d'accusation pour
nouvelle décision au sens des considérants est en revanche
superflue dès lors que le renvoi n'est que la conséquence
d'une annulation éventuelle (ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb p.
354).

   2.- Une mesure de détention préventive n'est compa-
tible avec la liberté personnelle, garantie par les art. 10
al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle repose sur une base légale
(art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 59
du Code de procédure pénale vaudois (CPP vaud.). Elle doit en
outre correspondre à un intérêt public et respecter le prin-
cipe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123
I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la priva-
tion de liberté doit être justifiée par les besoins de l'ins-
truction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
réitération (cf. art. 59 al. 1, 2 et 3 CPP vaud.). Préalable-
ment à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'inté-
ressé des charges suffisantes (ATF 116 Ia 143 consid. 3 p.
144). Cette dernière exigence coïncide avec la règle de
l'art. 5 § 1 let. c CEDH, qui autorise l'arrestation d'une
personne s'il y a des raisons plausibles de soupçonner
qu'elle a commis une infraction.

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une

grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 281
consid. 3 p. 283).

   3.- Le recourant ne conteste pas l'existence de
charges suffisantes à son encontre. Il nie en revanche la
persistance d'un risque de récidive propre à justifier son
maintien en détention.

   a) L'autorité appelée à statuer sur la mise en li-
berté provisoire d'un détenu peut, en principe, maintenir
celui-ci en détention s'il y a lieu de présumer, avec une
certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de récidive.
Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'apprécia-
tion d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon
la jurisprudence, le maintien en détention ne peut se justi-
fier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable
et que les délits dont l'autorité redoute la réitération sont
graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367;
124 I 208 consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et
les arrêts cités; voir aussi, arrêt de la CourEDH dans la
cause Clooth c. Belgique, du 12 décembre 1991, Série A vol.
225, § 40). Cependant, en présence de graves actes de violen-
ce, il n'y a pas lieu de se montrer trop exigeant dans l'ad-
mission d'un risque de récidive, sous peine d'exposer les
victimes potentielles à un danger dont la responsabilité ne
saurait être assumée; en pareil cas, il convient de tenir
compte de l'état psychique du prévenu, de son imprévisibilité
ou de son agressivité (ATF 123 I 268 consid. 2e p. 271). Le
principe de la proportionnalité impose en outre à l'autorité
qui estime se trouver en présence d'une probabilité sérieuse
de réitération d'examiner si l'ordre public pourrait être
sauvegardé par d'autres moyens que le maintien en détention,
tels que la mise en place d'une surveillance médicale,
l'obligation de se présenter régulièrement à une autorité ou
l'instauration d'autres mesures d'encadrement (ATF 123 I 268
consid. 2c in fine p. 271 et les arrêts cités).

   b) Dans le cas particulier, les faits reprochés au
recourant peuvent objectivement être qualifiés de graves. Il
ressort en effet des pièces du dossier qu'après avoir agressé
verbalement dans la rue sa victime, N.________ lui a assené
un coup de poing à la tempe, puis il l'a menacée avant de
chercher à la frapper à plusieurs reprises au moyen de son
couteau. Le fait qu'il ne soit pas parvenu à l'atteindre ne
minimise en aucune façon la gravité des actes qui lui sont
imputés, car seule la fuite de A.________ a permis d'éviter
une issue plus sérieuse et dommageable. De même, le fait que
le recourant a croisé plusieurs fois sa victime sur la voie
publique après les faits incriminés sans incident n'est pas
plus de nature à atténuer la gravité des actes qui lui sont
reprochés et à exclure tout risque de récidive. Au contraire,
N.________ a proféré des menaces à l'endroit du Juge d'ins-
truction, qui sont à l'origine de son incarcération et qui
confirment, s'il en était, son caractère potentiellement dan-
gereux. Par ailleurs, le comportement du recourant lors de
ses auditions tend à démontrer que celui-ci n'a pas pris
conscience de la gravité de ses actes, même s'il a présenté
des excuses à sa victime, qui l'ont amenée à retirer sa
plainte.

   Compte tenu de ces circonstances et du fait que le
recourant a été condamné le 13 décembre 1996 à une amende de
200 fr. pour lésions corporelles simples, l'autorité intimée
pouvait, sans violer les art. 10 al. 2 Cst. et 5 § 1 let. c
CEDH, retenir que ce dernier était potentiellement dangereux
et qu'un avis d'expert était nécessaire pour écarter toute
récidive.

   Le recours est dès lors mal fondé en tant qu'il por-
te sur l'existence d'un risque de réitération; le maintien en
détention se justifiant pour ce seul motif, il n'y a pas lieu
d'examiner si les besoins de l'enquête imposeraient également
cette mesure.

   4.- Le recourant considère que la durée de la déten-
tion préventive subie à ce jour serait excessive et justifie-
rait son élargissement immédiat.

   a) Les art. 31 al. 3 Cst. et 5 § 3 CEDH reconnais-
sent à toute personne arrêtée ou détenue le droit d'être ju-
gée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la
phase d'instruction préparatoire. Selon la jurisprudence, ce
droit est notamment violé lorsque la durée de la détention
préventive dépasse celle de la peine privative de liberté qui
pourrait, le cas échéant, être prononcée (ATF 126 I 172 con-
sid. 5a p. 176/177 et les arrêts cités). Celle-ci doit être
évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que
le juge de l'action pénale ne soit incité à prononcer une
peine excessive pour la faire coïncider avec la détention
préventive à imputer (ATF 116 Ia 143 consid. 5a p. 147).
Cette question doit être examinée au regard de l'ensemble des
circonstances concrètes d'espèce (ATF 126 I 172 consid. 5a p.
177; 124 I 208 consid. 6 p. 215; 123 I 268 consid. 3a p. 273;
116 Ia 143 consid. 5a p. 147; 107 Ia 256 consid. 1b p. 257;
arrêts de la CourEDH dans les causes Muller c. France, du 17
mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 p. 374, § 35
et W. c. Suisse, du 26 janvier 1993, Série A vol. 254, § 30).

   b) En l'espèce, le recourant se trouve en détention
préventive depuis le 30 mai 2001 sous l'inculpation notamment
de crime manqué de meurtre, selon la décision d'inculpation
prise le même jour à l'issue de son audition. On ne saurait
d'emblée exclure que les éléments constitutifs de cette in-
fraction soient réunis. Or, s'il devait effectivement être
reconnu coupable de crime manqué de meurtre, N.________ s'ex-
poserait à une peine ferme de réclusion d'au moins une année,
compte tenu de ses antécédents, excédant la détention préven-
tive subie à ce jour (art. 22 al. 1, 35, 65 et 111 CP), de
sorte que la durée de celle-ci n'apparaît pas excessive.

   Le principe de la proportionnalité est ainsi respec-
té de ce point de vue. La détention préventive constituant
une atteinte grave à la liberté personnelle, il importe que
l'expert psychiatre se prononce rapidement sur le risque de
récidive éventuel présenté par le recourant de manière à per-
mettre une nouvelle appréciation de la situation.

   5.- Le recours doit par conséquent être rejeté. Les
conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il y a lieu
de donner suite à la demande d'assistance judiciaire présen-
tée par le recourant et de statuer sans frais. Le conseil du
recourant, en sa qualité d'avocat-stagiaire, ne saurait en
principe prétendre à des honoraires pour la défense d'office,
selon la pratique constante du Tribunal fédéral relative à
l'art. 152 al. 2 OJ (cf. Jean-François Poudret, Commentaire
de la loi fédérale d'organisation judiciaire, Berne 1992,
vol. V, n. 7 ad art. 152, p. 126). Dans la mesure où le mé-
moire de recours a été contresigné pour accord par un avocat
patenté de l'étude, il peut toutefois être considéré comme
émanant d'un avocat au sens de l'art. 152 al. 2 OJ. Il con-
vient en conséquence de désigner celui-ci comme défenseur
d'office du recourant et de lui allouer une indemnité. Les
autorités concernées n'ont pas droit à des dépens (art. 159
al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours;

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire;

   3. Dit qu'il n'est pas prélevé d'émolument judiciai-
re, ni alloué de dépens;

   4. Désigne Me Pierre Chiffelle en qualité d'avocat
d'office du recourant et lui alloue une indemnité de 800 fr.
à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du Tribunal fédé-
ral;

   5. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement de
l'Est vaudois et au Tribunal d'accusation du Tribunal canto-
nal du canton de Vaud.

Lausanne, le 24 août 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,