Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.50/2001
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1P.50/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        29 mai 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Mme la Juge
suppléante Pont Veuthey. Greffier: M. Jomini.

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

X.________ , actuellement détenu à la prison de Champ-
Dollon, à Thônex, représenté par Me Cyril Aellen, avocat
à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 11 décembre 2000 par la Chambre pénale de
la Cour de justice de la République et canton de Genève,
dans la cause qui oppose le recourant au Procureur général
de la République et canton de  G e n è v e ;

                 (présomption d'innocence)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.-  Par arrêt du 11 décembre 2000, la Chambre pénale
de la Cour de justice de la République et canton de Genève
a confirmé le jugement rendu le 12 octobre 2000 par le Tri-
bunal de police à l'encontre de X.________, reconnaissant
celui-ci coupable d'infraction à l'art. 19 ch. 1 et ch. 2
let. a LStup et le condamnant à trente mois d'emprisonnement
et à cinq ans d'expulsion du territoire suisse.

     En résumé, la Cour cantonale a retenu les faits sui-
vants: X.________, ressortissant albanais majeur d'âge in-
connu, est arrivé en Suisse (à Genève) le 25 mai 2000, en
provenance d'Italie, pour y requérir l'asile. Le 25 juillet
2000, de concert avec le mineur Y.________, également res-
sortissant albanais, il a transporté de Zurich à Genève
824 g d'héroïne d'une pureté moyenne de 15 %. Y.________
portait la drogue dans un sac tandis que X.________, muni
d'un téléphone portable (appareil "natel" avec carte à pu-
ce), l'accompagnait afin de le surveiller et de s'assurer
que la drogue parvienne à destination.

     X.________ a été interpellé par la police sur le quai
de la gare de Cornavin, à Genève, alors qu'il sortait du
train arrivant de Zurich. Y.________, qui se trouvait immé-
diatement devant lui, a été interpellé au même moment. La
police a trouvé sur chacun des deux intéressés un billet
simple course Zurich-Genève, émis durant le trajet par
le contrôleur CFF (à 8.17 heures pour Y.________ et à
8.18 heures pour X.________).

     Les deux intéressés ont nié qu'ils se connaissaient.
Cela étant, la police cantonale a constaté l'existence d'une
pratique pour les transports de drogue de Zurich à Genève:

les convoyeurs se déplacent à deux (ou par paire); l'un, la
"mule", garde la drogue sur lui, tandis que le second, le
"superviseur", l'accompagne, muni d'un téléphone portable.
La Chambre pénale a considéré que ce scénario se trouvait,
en l'espèce, en tous points réalisé. Elle a retenu divers
indices à la charge de X.________, en particulier les numé-
ros appelés en Albanie depuis son téléphone portable, l'ab-
sence d'autres raisons valables de se rendre en Suisse alé-
manique, ou encore la provenance inexpliquée des ressources
pour acquérir l'appareil téléphonique et payer le voyage à
Zurich.

     La procédure pénale contre Y.________ a été menée de-
vant le Tribunal de la jeunesse.

     B.-  X.________ s'est pourvu en nullité contre l'arrêt
de la Chambre pénale. La Cour de cassation pénale du Tribu-
nal fédéral a rejeté ce pourvoi, dans la mesure où il était
recevable, par un arrêt rendu le 22 janvier 2001 (cause
6S.17/2001). Sur la base des faits retenus en dernière ins-
tance cantonale, elle a en substance considéré que le recou-
rant, en participant de façon déterminante à l'exécution du
transport de drogue, s'était rendu coupable, en qualité de
coauteur, de transport illicite de stupéfiants; elle a en
outre rejeté le grief de violation de l'art. 63 CP, s'agis-
sant de la fixation de la peine d'emprisonnement.

     C.-  Le 25 janvier 2001, X.________ a formé un recours
de droit public contre le même arrêt de la Chambre pénale.
Il demande au Tribunal fédéral de l'annuler, pour violation
du droit d'être entendu et de la présomption d'innocence,
ainsi que pour arbitraire dans l'appréciation des faits.

     Le Procureur général conclut au rejet du recours.

     La Chambre pénale se réfère à son arrêt, sans prendre
de conclusions.

     D.-  Le recourant, représenté par un avocat, demande
l'assistance judiciaire. Il n'a pas été statué sur cette re-
quête au cours de l'instruction; le recourant n'a cependant
pas été tenu de fournir des sûretés en garantie des frais
judiciaires présumés (cf. art. 150 al. 1 OJ).

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

     1.-  Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 III
41 consid. 2a p. 42; 126 I 207 consid. 1 p. 209 et les ar-
rêts cités).

     Contre un jugement en matière pénale rendu en dernière
instance cantonale, la voie du recours de droit public est
ouverte, à l'exclusion de celle du pourvoi en nullité, au
condamné qui se plaint de la violation de garanties consti-
tutionnelles, en contestant notamment les constatations de
fait de l'autorité cantonale (art. 84 al. 1 let. a, art. 86
al. 1 et art. 88 OJ; cf. consid. 1 de l'arrêt du 22 janvier
2001, sur le pourvoi formé par le recourant dans la même af-
faire). Le présent recours a été formé dans le délai légal
(art. 89 al. 1 OJ), suspendu durant les féries de l'art. 34
al. 1 let. c OJ. Il y a lieu d'entrer en matière (étant pré-
cisé que la recevabilité d'un des griefs, au regard des exi-
gences de motivation du recours de droit public, sera exami-
née plus bas - cf. consid. 3a).

     2.- a)  Le recourant invoque la présomption d'innocen-
ce. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette garan-
tie, consacrée à l'art. 32 al. 1 Cst. et à l'art. 6 par. 2

CEDH (ainsi que, en droit cantonal, à l'art. 5 du Code de
procédure pénale, sans que cette disposition ait une portée
indépendante), porte à la fois sur la répartition du fardeau
de la preuve dans le procès pénal, et sur la constatation
des faits et l'appréciation des preuves, d'autre part.

     En ce qui concerne le fardeau de la preuve, il incombe
entièrement et exclusivement à l'accusation d'établir la
culpabilité du prévenu, et non à celui-ci de démontrer qu'il
n'est pas coupable. La présomption d'innocence est violée
lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif
que l'accusé n'a pas prouvé son innocence. Lorsque le recou-
rant se plaint d'une telle violation, le Tribunal fédéral
examine librement s'il ressort du jugement, considéré objec-
tivement, que le juge a condamné l'accusé uniquement parce
qu'il n'avait pas prouvé son innocence.

     Quant à la constatation des faits, la présomption d'in-
nocence interdit au juge de prononcer une condamnation alors
qu'il éprouve des doutes sur la culpabilité de l'accusé. Des
doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles,
ne suffisent certes pas à exclure une condamnation. De ce
point de vue, dans la procédure du recours de droit public,
la présomption d'innocence n'offre pas de protection plus
étendue que l'interdiction d'une appréciation arbitraire des
preuves; cette interdiction découle déjà, en droit constitu-
tionnel fédéral, de l'art. 9 Cst. La présomption d'innocence
n'est invoquée avec succès que si le recourant démontre qu'à
l'issue d'une appréciation exempte d'arbitraire de l'ensem-
ble des preuves, le juge aurait dû éprouver des doutes sé-
rieux et irréductibles sur sa culpabilité (ATF 127 I 38
consid. 2a p. 40; 124 IV 86 consid. 2a p. 87; 120 Ia 31
consid. 2 p. 33).

     b)  Le recourant se plaint à la fois d'une violation de
la règle sur le fardeau de la preuve, et d'une appréciation

des preuves contraire à la présomption d'innocence. A l'ap-
pui de son premier grief, il prétend que la Chambre pénale
lui a reproché d'avoir gardé le silence ou de ne pas avoir
participé à l'établissement de la vérité. Or tel n'est pas
le sens de l'arrêt attaqué. La Cour cantonale n'a pas consi-
déré que, par son silence, le recourant avait renoncé à
prouver son innocence, ou avait échoué dans cette preuve;
celui-ci ne s'est du reste pas prévalu, en instance cantona-
le, de son droit de se taire (cf. art. 14 ch. 3 let. g du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
[RS 0.103.2]; ATF 121 II 257 consid. 4a p. 265; arrêt du 3
mai 2001 de la Cour européenne des droits de l'homme dans
l'affaire J.B. c. Suisse, §§ 64 ss). Les juges ont en revan-
che recueilli un ensemble d'éléments ou d'indices à charge
puis ils ont considéré qu'invité à s'expliquer à ce sujet,
le recourant avait fourni des versions fantaisistes ou sim-
plement renoncé à donner une justification. Dans ces condi-
tions, la règle sur le fardeau de la preuve n'a manifeste-
ment pas été violée. Seuls subsistent les griefs relatifs à
l'appréciation des preuves; à ce propos, comme cela vient
d'être exposé, la présomption d'innocence a la même portée
que l'interdiction de l'arbitraire selon l'art. 9 Cst.

     3.-  Le recourant se plaint d'arbitraire dans les
constatations de fait et l'appréciation des preuves, en
faisant valoir qu'il n'a été condamné que parce qu'il se
trouvait par coïncidence dans le même train qu'un compa-
triote transportant de la drogue et qu'il était lui-même
en possession d'un téléphone portable. Il reproche à la
Chambre pénale d'avoir insuffisamment motivé son jugement
au sujet du caractère probant de chaque élément à charge
et il se plaint à ce propos d'une violation du droit d'être
entendu.

     a)  Le grief de violation du droit d'être entendu est
présenté de manière peu explicite. Or, en vertu de l'art. 90

al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juri-
diques violés et préciser en quoi consiste la violation; le
Tribunal fédéral n'examine ainsi que les griefs exposés de
manière suffisamment claire et détaillée (cf. ATF 126 III
534 consid. 1b p. 536; 125 I 492 consid. 1b p. 495). La
question de la recevabilité du recours, de ce point de vue,
peut néanmoins demeurer indécise.

     Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2
Cst., oblige notamment le juge à indiquer dans son prononcé
les motifs qui l'ont conduit à sa décision. Il n'est pas te-
nu de discuter de manière détaillée tous les arguments sou-
levés par les parties et il peut se limiter à l'examen des
questions décisives, pour autant que le justiciable puisse
apprécier correctement la portée de la décision et l'atta-
quer en connaissance de cause (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa
p. 17; 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a
p. 149).

     Dans le cas particulier, il ne s'agissait pas d'exposer
en quoi chaque élément à charge, pris séparément, était
probant, mais au contraire d'apprécier un faisceau d'indi-
ces permettant globalement au juge pénal de se forger une
conviction. L'arrêt attaqué est à l'évidence suffisamment
motivé à ce propos, de sorte que le grief de violation du
droit d'être entendu est mal fondé.

     b)  Le recourant prétend qu'il était insoutenable, et
partant arbitraire (sur la notion d'arbitraire, cf. ATF 126
I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II
10 consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134 et les arrêts ci-
tés), de retenir qu'il suivait Y.________ sur le quai de la
gare de Genève lors de l'interpellation par la police. Or
cette constatation repose sur les déclarations de l'inspec-
teur de police Z.________, entendu par le Tribunal de pre-

mière instance, qui a procédé à cette interpellation. Le
fait que les deux intéressés étaient proches l'un de l'autre
à ce moment-là n'est du reste pas sérieusement contesté. Sur
ce point, les faits n'ont donc pas été établis de manière
arbitraire.

     c)  Le recourant fait valoir qu'il était arbitraire de
retenir contre lui, pour prouver son rôle de "superviseur",
sa présence dans une voiture d'un train où avait également
pris place une personne transportant de la drogue. La Cham-
bre pénale aurait déduit à tort de cette coïncidence qu'on
se trouvait face à un cas correspondant au "scénario" habi-
tuel décrit par la police. En outre, même si dans ce scéna-
rio, le "superviseur" est muni d'un téléphone portable, on
ne voit pas en quoi la possession d'un tel appareil est un
élément probant dans le cas particulier. Le recourant relève
par ailleurs que, dans l'arrêt attaqué, les circonstances de
l'acquisition de ce téléphone portable - acheté à Genève
huit jours avant l'interpellation, à une époque où il ne
bénéficiait plus de subsides publics en tant que requérant
d'asile - et de son utilisation - le recourant avait appelé
à diverses occasions un bureau de poste en Albanie, notam-
ment à deux reprises en quittant Zurich, et ce bureau était
situé dans la localité d'où provenait Y.________ - sont re-
tenues sans motifs comme des éléments à charge, car rien
n'indique que ce téléphone a été utilisé dans le cadre d'un
trafic de drogue; le contenu des conversations avec l'in-
terlocuteur en Albanie n'a du reste pas été transcrit.

     Ces critiques ne sont pas concluantes. Il ressort des
divers interrogatoires du recourant qu'il a menti, à plu-
sieurs reprises, sur des points importants. Aussi la Cour
cantonale pouvait-elle retenir qu'il avait fourni des ver-
sions "fantaisistes" des raisons de son déplacement à Zu-
rich. En ce qui concerne plus spécialement l'acquisition
et l'utilisation du téléphone portable, les explications

du recourant se sont révélées mensongères ou vagues, alors
que des pièces - quittance d'achat, listing des appels -
donnaient des indications précises. On peut, sans arbitrai-
re, en déduire une volonté du recourant de dissimuler des
indices permettant de mettre en évidence une organisation
préméditée du transport de drogue.

     Par ailleurs, plusieurs indices démontrent que le re-
courant et Y.________ agissaient de concert: les billets de
train ont été achetés au même moment; l'interlocuteur du re-
courant en Albanie - une personne qu'il présentait comme son
oncle - se trouvait au lieu d'origine de Y.________; le re-
courant a admis avoir déjà croisé Y.________ à Genève et
donc qu'il ne lui était pas entièrement inconnu. La Chambre
pénale a encore retenu d'autres indices d'une participation
au trafic de drogue, notamment l'absence d'explication cré-
dible quant à la provenance des ressources dont le recourant
disposait pour divers achats. En définitive, aucun des ar-
guments présentés par le recourant ne parvient à mettre en
évidence une erreur flagrante dans l'appréciation des preu-
ves, qui aurait dû conduire le juge à éprouver des doutes
sérieux et irréductibles sur sa culpabilité. Il apparaît
bien plutôt que les éléments à charge sont critiqués de
façon inconsistante, par de simples dénégations ou alléga-
tions, le recourant cherchant ainsi à exploiter les quel-
ques incertitudes subsistant sur des points secondaires. Le
grief d'arbitraire, ou de violation de la présomption d'in-
nocence, est en conséquence mal fondé.

     4.-  Il s'ensuit que le recours de droit public doit
être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Il appa-
raissait d'emblée dépourvu de chances de succès; aussi la
demande d'assistance judiciaire doit-elle également être
rejetée (art. 152 al. 1 OJ).

     Dans ces conditions, l'émolument judiciaire doit être
mis à la charge du recourant (art. 153, 153a et 156 al. 1
OJ).

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Rejette le recours, dans la mesure où il est receva-
ble;

     2. Rejette la demande d'assistance judiciaire;

     3. Met à la charge du recourant un émolument judiciaire
de 3'000 fr.;

     4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant, au Procureur général et à la Cour de justice
de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 29 mai 2001
JIA/mnv

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                       Le Président,

                        Le Greffier,