Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.486/2001
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1P.486/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       15 octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

F.________ , à Genève, représenté par Mes Christian Lüscher
et Shahram Dini, avocats à Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 19 juin 2001 par la Chambre d'accusa-
tion du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recou-
rant au Juge d'instruction et au Procureur général du canton
de  G e n è v e ;

      (procédure pénale; décision de saisie)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 23 mars 2001, F.________ a été inculpé de
faux renseignements sur des entreprises commerciales, de
gestion déloyale, subsidiairement de gestion déloyale des
intérêts publics et de faux dans les titres, dans le cadre
d'une procédure pénale ouverte contre lui pour des actes de
gestion commis du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1999, en sa
qualité de directeur général de la Banque X.________.

   Il lui est notamment reproché d'avoir comptabilisé
des provisions insuffisantes pour les exercices 1994 à 1999,
de n'avoir pas mis en place la structure indispensable propre
à "retracer la corrélation existant entre les risques identi-
fiés et les provisions constituées", d'avoir organisé le
transfert d'environ 230 immeubles à des entités de "portage"
en vue de masquer les besoins de provisions pour ces immeu-
bles, d'avoir diminué économiquement la valeur patrimoniale
de la banque alors qu'une étude sérieuse du bilan exigeait sa
correction, d'avoir mis en péril la capacité bénéficiaire de
la banque et sa pérennité en faisant apparaître dans les
comptes des bénéfices et des propositions de dividendes en
contradiction avec la situation financière réelle de cet éta-
blissement, d'avoir occulté la nécessité d'engager des mesu-
res d'assainissement par la présentation de comptes fausse-
ment bénéficiaires, d'avoir participé à l'élaboration de
comptes annuels de la banque ne reflétant pas la réalité et
attestant faussement d'un bénéfice, d'avoir donné des ren-
seignements faux ou incomplets sur la situation patrimoniale
de la banque au public et aux actionnaires et d'avoir lésé
les intérêts publics qu'il avait la mission de défendre en
tant qu'organe d'une entité à actionnariat majoritairement

public, bénéficiant d'une garantie de l'Etat et dont les mem-
bres de l'organe supérieur étaient nommés par le Conseil
d'Etat.

   Par ordonnance de perquisition et de saisie du 10
avril 2001, l'un des Juges d'instruction du canton de Genève
en charge du dossier a invité l'ensemble des établissements
bancaires de la place genevoise à lui remettre d'ici au 23
avril 2001 les documents d'ouverture de comptes (y compris
les "profils clients", notes de visites de clients, notes
d'entretiens, notes internes, etc.), les relevés de comptes
et les relevés de placements, de dépôts-titres, comptes mé-
tal, dépôts fiduciaires ou safes, cartes de signatures rela-
tifs aux éventuels comptes bancaires de F.________ et de ses
coinculpés, et ce dès le 1er janvier 1994.

   Le 27 avril 2001, F.________ a recouru contre cette
décision auprès de la Chambre d'accusation du canton de
Genève (ci-après: la Chambre d'accusation), en invoquant le
caractère injustifié et disproportionné de cette mesure.

   Statuant par ordonnance du 19 juin 2001, la Chambre
d'accusation a déclaré le recours irrecevable en tant qu'il
visait la perquisition ordonnée par le Juge d'instruction.
Elle l'a rejeté dans la mesure où il était dirigé contre la
saisie probatoire des documents visés par la décision du 10
avril 2001, après avoir considéré qu'il existait des soupçons
fondés d'enrichissement illégitime à l'encontre du prévenu,
que seule la mesure litigieuse était de nature à écarter.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 10, 13, 26, 35 et 36 Cst., F.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler cette décision. Selon
lui, l'ordonnance de perquisition et de saisie revêtirait un
caractère exploratoire prohibé, en l'absence de tout soupçon

fondé et préexistant d'un quelconque enrichissement illégi-
time, et serait disproportionnée.

   La Chambre d'accusation se réfère aux considérants
de sa décision. Le Procureur général du canton de Genève con-
clut au rejet du recours. Le Juge d'instruction propose éga-
lement son rejet, dans la mesure où il est recevable.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une
pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 127 I 92 consid. 1 p. 93; 127 II 198 consid. 2 p.
201 et les arrêts cités).

   a) L'arrêt attaqué confirme la saisie probatoire de
documents bancaires ordonnée en application de l'art. 181 du
Code de procédure pénale genevois (CPP gen.). Il ne s'agit
pas d'une confiscation définitive au sens des art. 58 et 59
CP, dont la violation devrait être invoquée par la voie du
pourvoi en nullité (art. 269 PPF; ATF 108 IV 154). Seule la
voie du recours de droit public est en l'occurrence ouverte.

   b) Selon l'art. 87 OJ, le recours de droit public
est recevable contre les décisions préjudicielles et inci-
dentes sur la compétence et sur les demandes de récusation,
prises séparément. Ces décisions ne peuvent être attaquées
ultérieurement (al. 1). Le recours de droit public est rece-
vable contre d'autres décisions préjudicielles et incidentes
prises séparément s'il peut en résulter un préjudice irrépa-
rable (al. 2). Lorsque le recours de droit public n'est pas
recevable en vertu de l'alinéa 2 ou qu'il n'a pas été utili-
sé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être
attaquées avec la décision finale (al. 3).

   L'ordonnance de perquisition et de saisie litigieuse
est une décision incidente, car elle ne met pas fin à la pro-
cédure pénale au cours de laquelle elle a été prise (ATF 123
I 325 consid. 3b p. 327 et les arrêts cités). Cette décision
est de nature à causer un dommage irréparable au recourant
dans la mesure où elle astreint les banques concernées à pro-
duire des documents privés couverts par le secret bancaire
(arrêt du 26 octobre 1998 dans la cause SFC contre Tribunal
des prud'hommes du canton de Genève, consid. 1b/bb reproduit
à la SJ 1999 I p. 188). Le recourant ne fait cependant pas
valoir une violation des règles de procédure destinées à sau-
vegarder le secret bancaire, mais il conteste la pertinence
des documents saisis pour atteindre le but recherché; dans
cette mesure, il est douteux qu'il puisse prétendre à l'exis-
tence d'un dommage irréparable, car il aura l'occasion de
faire valoir ultérieurement ce grief devant le juge du fond,
voire, plus tard, à l'occasion d'un recours de droit public
dirigé contre la décision finale (cf. art. 87 al. 3 OJ; SJ
1999 I p. 186 consid. 1b/bb précité). L'atteinte à la réputa-
tion et à la sphère privée du recourant qu'une telle mesure
est susceptible de provoquer est par ailleurs un pur dommage
de fait, et non un dommage juridique, qui n'est pas suffisant
pour établir un préjudice irréparable (cf. sur cette notion,
ATF 126 I 207 consid. 2 p. 210). La recevabilité du recours
au regard de l'art. 87 OJ peut cependant demeurer ouverte vu
l'issue du recours.

   2.- a) A l'instar des autres mesures de contrainte
comportant une atteinte au droit de propriété et à la sphère
privée de l'individu, la saisie probatoire ordonnée par le
Juge d'instruction en application de l'art. 181 CPP gen. doit
reposer sur une base légale, répondre à un intérêt public
prépondérant et ne pas aller au-delà de ce qu'exige la sauve-
garde de cet intérêt (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; pour la juris-
prudence relative à l'art. 22ter aCst., ATF 126 I 50 consid.

5a p. 61; 125 II 129 consid. 8 p. 141; 121 I 117 consid. 3b
p. 120).

   Le recourant ne conteste ni la base légale de la
saisie litigieuse ni l'intérêt public à la répression des
infractions pénales qui sous-tend cette mesure (cf. Walter
Haller, Commentaire de la Constitution fédérale de la Con-
fédération suisse du 29 mai 1874, Liberté personnelle, n.
139). Il prétend en revanche qu'elle revêtirait un caractère
investigatoire prohibé et qu'elle serait disproportionnée. Le
principe de la proportionnalité suppose que soient mis en ba-
lance l'atteinte portée à la sphère privée des titulaires des
biens soumis au secret bancaire et l'intérêt public à la ma-
nifestation de la vérité, en tenant compte de la gravité de
l'infraction poursuivie et de l'importance des moyens de
preuve requis par l'enquête, étant précisé que les recherches
indiscriminées ou exploratoires sont interdites (ATF 126 II
86 consid. 5a p. 90; 106 IV 413 consid. 7c p. 424; RDAT 1995
II n° 21 p. 60 consid. 3c p. 64; arrêt du 31 janvier 1996 re-
produit in Pra 1996 n° 198 p. 751 consid. 3a/aa).

   b) En l'occurrence, la Chambre d'accusation a vu
l'existence de soupçons fondés d'enrichissement illégitime à
l'encontre du recourant dans le fait que la Banque X.________
avait renoncé à des créances qu'elle avait vis-à-vis de tiers
et qu'elle avait octroyé ou renouvelé des prêts sans intérêts
à des taux inférieurs à ceux du marché. Le recourant ne
conteste pas que de telles opérations ont eu lieu, ni
qu'elles revêtiraient en soi un caractère insolite propre à
susciter un doute sur leur légitimité et, partant, qu'elles
pouvaient amener les autorités pénales à s'assurer que les
organes ou les dirigeants de la Banque X.________ n'en
avaient pas retiré des avantages illicites. Le recours n'est
donc pas motivé sur ce point conformément aux exigences de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 126 III 534 consid. 1b p.
536).

   Pour le surplus, les reproches adressés à la mesure
critiquée sont infondés. F.________ est notamment inculpé de
gestion déloyale et de faux dans les titres. La première de
ces infractions est passible d'une peine aggravée s'il est
établi que l'auteur a agi dans un dessein d'enrichissement
illégitime (art. 158 ch. 1 al. 3 CP). La seconde n'est réali-
sée que si l'auteur a agi dans le dessein de se procurer un
avantage illicite (art. 251 ch. 1 al. 1 CP). Or, le seul
moyen de s'assurer que le recourant n'a effectivement retiré
aucun avantage pécuniaire des actes de gestion déloyale, le
cas échéant des faux dans les titres, qui lui sont reprochés,
consistait dans la production et la saisie provisoire des do-
cuments bancaires litigieux. La mesure attaquée est donc jus-
tifiée par un intérêt public suffisant qui l'emporte en l'oc-
currence sur l'intérêt privé du recourant à s'opposer à la
saisie de ceux-ci. Cet intérêt n'impose pas non plus en
l'Etat des restrictions aux documents à verser à la procé-
dure, en application du principe de la proportionnalité, dans
la mesure où seule une production intégrale des relevés des
comptes bancaires du recourant et des pièces y relatives con-
cernant la période durant laquelle celui-ci a fonctionné en
qualité de directeur de la Banque X.________ permettra de
constater l'existence éventuelle de versements de fonds
illicites. La décision attaquée, qui confirme la saisie des
différents documents visés dans l'ordonnance du 10 avril
2001, se révèle ainsi compatible avec les principes jurispru-
dentiels régissant la levée du secret bancaire et ne porte
pas une atteinte inadmissible ni au droit de propriété ni à
la sphère privée du recourant.

   3.- Le recours doit ainsi être rejeté, dans la mesu-
re où il est recevable, aux frais du recourant qui succombe
(art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens
aux parties civiles qui n'ont pas été invitées à répondre, ni
aux autorités intimées (art. 159 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

   2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 3'000 fr.;

   3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

   4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires du recourant, au Juge d'instruction, au Procureur gé-
néral et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 15 octobre 2001
PMN/dxc

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                  Le Greffier,