Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.417/2001
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1P.417/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                      7 septembre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Favre et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Parmelin.

                          ________

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

A.________, représenté par Me Charles Guerry, avocat à Fri-
bourg,

                           contre

l'arrêt rendu le 15 mai 2001 par la Cour d'appel pénal du
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, dans la cause qui
oppose le recourant à B.________, représentée par Me Paul
Marville, avocat à Lausanne;

  (procédure pénale; appréciation arbitraire des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

        A.- Le 25 mai 1999, vers 14h00, B.________ circu-
lait sur la route desservant le quartier des Esserts (ci-
après: la route des Esserts) vers la route communale reliant
Bouloz à Porsel. Quelques mètres avant le débouché sur cette
dernière artère, elle a marqué un ralentissement important
au milieu de la chaussée, pour regarder dans le miroir placé
au bout de la route des Esserts si un véhicule venait de
Bouloz par la route communale. Puis, elle a obliqué à gau-
che, en prenant le virage à la corde, soit en plaçant son
véhicule sur le côté gauche de la route des Esserts. S'étant
engagée sur la route communale, elle est entrée en collision
avec un véhicule arrivant de Bouloz, conduit par dame
A.________. L'accident n'a causé que des dégâts matériels.

        Par ordonnance pénale du 22 juin 1999, le Préfet du
district de la Veveyse a condamné B.________ à une amende de
250 fr. pour ne pas avoir observé la priorité.

        Statuant le 19 octobre 1999 sur opposition de la
contrevenante, le Juge de police de l'arrondissement de la
Veveyse l'a condamnée à une amende de 400 fr. et au paiement
des frais pénaux, pour avoir circulé à gauche et violé la
priorité. Il a mis à sa charge une indemnité de 300 fr. à
verser à A.________, détenteur du véhicule conduit par son
épouse, pour ses frais de constitution de partie civile et
de comparution ainsi que les dépens, prenant en outre acte
de ses réserves civiles.

        B.- Par jugement du 13 septembre 2000, la Cour
d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg
(ci-après: la Cour d'appel pénal ou la cour cantonale) a
rejeté le recours formé par B.________ contre ce pronon-

cé. Elle a retenu que la route communale reliant Bouloz à
Porsel était une route de transit, contrairement à la route
des Esserts, de sorte que leur jonction ne constituait pas
une intersection au sens de l'art. 36 al. 2 LCR. B.________
ne bénéficiait dès lors pas de la priorité et, partant,
n'était pas autorisée à circuler à gauche. Par ailleurs,
elle ne pouvait se prévaloir d'une erreur de droit au sens
de l'art. 20 CP.

        Par arrêt du 22 février 2001, la Cour de cassation
pénale du Tribunal fédéral a admis le pourvoi en nullité
formé contre ce jugement par B.________. Elle a estimé que
la jonction entre la route des Esserts et la route communale
reliant Bouloz à Porsel constituait une intersection et que
la jeune femme bénéficiait de la priorité, de sorte que le
jugement attaqué devait être annulé en tant qu'il la con-
damnait pour inobservation de la priorité. Elle a toutefois
renvoyé la cause à la cour cantonale afin qu'elle vérifie si
B.________ n'avait pas contrevenu aux règles de la circu-
lation routière, en particulier si elle avait satisfait à
ses obligations de conductrice prioritaire en accordant
toute l'attention nécessaire au côté gauche de la route com-
munale, d'où venait dame A.________, et si, comme elle le
soutenait, les circonstances la légitimaient à "prendre le
virage à la corde", voire même si la collision pouvait être
imputée à une faute de l'autre conductrice.

        C.- Statuant à nouveau par arrêt du 15 mai 2001, la
Cour d'appel pénal a acquitté B.________ de la prévention
d'inobservation de la priorité au sens de l'art. 36 al. 2
LCR et rejeté les conclusions civiles prises par A.________,
avec dépens; pour le surplus, elle l'a condamnée à une amen-
de de 100 fr., pour avoir circulé à gauche de la chaussée et
pris un virage à la corde, en violation des art. 34 al. 1
LCR et 13 al. 4 OCR. Elle a motivé le rejet des conclusions
civiles de A.________ par le fait que les infractions aux

règles de la circulation routière pour lesquelles B.________
avait été condamnée étaient sans relation de causalité avec
l'accident.

        D.- Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet
arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions civiles. Invo-
quant l'art. 9 Cst., il prétend que si B.________ avait tenu
sa droite et n'avait pas pris le virage à la corde, son
épouse aurait pu la voir plus tôt et éviter l'accident, de
sorte que la Cour d'appel pénal ne pouvait pas, sans verser
dans l'arbitraire, rejeter ses conclusions civiles sous pré-
texte que les infractions retenues à la charge de l'intimée
n'étaient pas en relation de causalité avec l'accident.

        La Cour d'appel pénal et le Ministère public de
l'Etat de Fribourg ont renoncé à déposer des observations.
B.________ conclut au rejet du recours.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

        1.- Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation
pénale du Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre
d'une appréciation arbitraire des preuves et des constata-
tions de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a
p. 83). En particulier, la constatation d'un rapport de cau-
salité naturelle dans un cas concret est une question de
fait qui ne peut être revue que dans le cadre d'un recours
de droit public, sous l'angle de l'arbitraire (ATF 125 IV
195 consid. 2b p. 197). Au vu des arguments invoqués, seule
cette voie de droit est ouverte en l'occurrence.

        Le recourant est directement touché par l'arrêt at-
taqué qui rejette ses conclusions civiles; il a un intérêt

personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cet ar-
rêt soit annulé et a, partant, qualité pour recourir selon
l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision fi-
nale rendue en dernière instance cantonale, le recours ré-
pond au surplus aux réquisits des art. 86 al. 1 et 89 al. 1
OJ.

        2.- Le recourant reproche à la cour cantonale
d'avoir procédé à une appréciation arbitraire des faits en
considérant que B.________ n'avait commis aucune infraction
en relation de causalité avec l'accident et en rejetant ses
conclusions civiles pour ce motif.

        a) La jurisprudence rendue en application de l'art.
4 aCst., mais qui garde toute sa valeur sous l'empire de
l'art. 9 Cst., reconnaît au juge un important pouvoir d'ap-
préciation dans la constatation des faits et leur apprécia-
tion (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a
p. 88; 120 Ia 31 consid. 4b p. 40). Le Tribunal fédéral
n'intervient en conséquence pour violation de l'art. 9 Cst.
que si celui-ci a abusé de ce pouvoir et établi les faits de
manière arbitraire, en particulier lorsqu'il admet ou nie un
fait pertinent en se mettant en contradiction évidente avec
les pièces et les éléments du dossier, lorsqu'il méconnaît
des preuves pertinentes ou qu'il n'en tient arbitrairement
pas compte, lorsque les constatations de fait sont manifes-
tement fausses ou encore lorsque l'appréciation des preuves
se révèle insoutenable (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30; 117
Ia 133 consid. 2c p. 39, 292 consid. 3a p. 294; sur la no-
tion d'arbitraire, voir ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60
consid. 5a p. 70).

        b) En l'espèce, la Cour d'appel pénal a estimé
que B.________ n'avait aucun motif légitime de circuler au
milieu de la route des Esserts, puis de prendre le virage à
la corde pour s'engager sur la route communale reliant Bou-

loz à Porsel. Elle l'a condamné, à raison de ces faits, pour
violation des art. 34 al. 1 LCR et 13 al. 4 OCR, à une amen-
de de 100 fr. Elle a toutefois jugé que ces infractions
n'étaient pas en relation de causalité avec l'accident et
qu'il ne se justifiait dès lors pas de faire droit aux con-
clusions civiles prises par A.________.

        Le recourant tient cette dernière constatation pour
arbitraire. Il prétend que par son comportement injustifié,
B.________ aurait nettement réduit la visibilité sur les vé-
hicules venant de la route des Esserts et, partant, le temps
de réaction de son épouse, qui circulait sur la route
communale en direction de Porsel. Il en conclut que si l'in-
timée avait agi conformément à la loi, en tenant sa droite
et en ne coupant pas le virage, l'accident aurait pu être
évité.

        Selon la jurisprudence, il n'existe de causalité
naturelle entre le comportement fautif de l'auteur et le ré-
sultat dommageable que si l'on doit admettre que ce résultat
ne se serait très probablement pas produit en l'absence de
ce comportement (ATF 125 IV 195 consid. 2b p. 197; 122 IV 17
consid. 2c/aa p. 23 et les arrêts cités). Le droit de prio-
rité n'est pas levé par un comportement illicite de son bé-
néficiaire (ATF 106 IV 58 consid. 1 p. 59 et l'arrêt cité).
Aux intersections, le droit de priorité du véhicule venant
de droite s'étend sur toute la surface de l'intersection des
routes en cause, sous réserve de la présence de signaux et
de marques (ATF 116 IV 157 consid. 1 p. 158 et l'arrêt ci-
té); le débiteur de la priorité doit ainsi s'abstenir de gê-
ner le conducteur prioritaire sur toute cette surface et, en
particulier, pouvoir s'arrêter avant le début de l'intersec-
tion (art. 14 al. 1 OCR; ATF 116 IV 157 consid. 2 p. 158/159
et l'arrêt cité).

        En l'occurrence, dame A.________, qui se croyait à
tort prioritaire, a déclaré n'avoir pas vu le véhicule de
l'intimée dans le miroir, alors qu'il était parfaitement
visible à l'emplacement où B.________ déclare avoir for-
tement ralenti, selon les constatations non contestées
faites lors de l'audience de jugement du 19 octobre 1999;
elle a freiné dès qu'elle a vu le véhicule, après s'être
déportée vers la gauche pour l'éviter, l'impact de la col-
lision se situant dans la surface d'intersection des routes
concernées. Dans ces circonstances, la cour cantonale n'a
pas méconnu la notion de causalité naturelle en considérant
que l'accident serait de toute manière très probablement
survenu, même si l'intimée avait tenu sa droite sur la route
des Esserts et n'avait pas pris le virage à la corde pour
obliquer à gauche et que, par conséquent, la contravention
aux art. 34 al. 1 LCR et 13 al. 4 OCR n'était pas causale.
Partant, elle n'a pas versé dans l'arbitraire en rejetant
pour ce motif les conclusions civiles du recourant. Pour le
surplus, en l'absence de tout grief à ce sujet, il n'y a pas
lieu d'examiner si le fait que B.________ a marqué un fort
ralentissement avant d'obliquer à gauche aurait pu conforter
dame A.________ dans sa conviction qu'elle était prioritaire
et, partant, si ce comportement pouvait être imputé à une
faute de l'intimée.

        3.- Le recours doit par conséquent être rejeté, aux
frais du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Ce der-
nier versera en outre à l'intimée, qui obtient gain de cause
avec l'aide d'un avocat, une indemnité de dépens (art. 159
al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'octroyer des dépens aux auto-
rités concernées (art. 159 al. 2 OJ).

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

        1. Rejette le recours;

        2. Met à la charge du recourant un émolument ju-
diciaire de 2'000 fr.;

        3. Alloue à B.________ une indemnité de
1'000 fr., à titre de dépens, à la charge du recourant;

        4. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties, ainsi qu'au Ministère public et à la
Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal de l'Etat de Fri-
bourg.
                          __________

Lausanne, le 7 septembre 2001
PMN/moh

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                       Le Président,

                        Le Greffier,