Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.37/2001
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1P.37/2001

       Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
      **********************************************

                         3 mai 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Jomini.

           Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

la société anonyme Société du lac de la Petite Camargue S.A.,
à Port-Valais, représentée par Me Antoine Vuadens, avocat à
Monthey,

                           contre

l'arrêt rendu le 23 novembre 2000 par la Cour de droit public
du Tribunal cantonal du canton du Valais, dans la cause qui
oppose la recourante au Conseil d'Etat du canton du Valais;

                    (régale de la pêche)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- La société anonyme Société du lac de la Petite
Camargue S.A. (ci-après: la Société du lac) est propriétaire
de la parcelle n° 2422 au Bouveret (commune de Port-Valais).
Ce terrain, d'une surface de près de 6 ha, est en grande
partie recouvert d'un plan d'eau fermé, résultant de l'af-
fleurement de la nappe phréatique vers la fin des années
1970, à la suite de travaux de terrassement (étang ou lac de
la Petite-Camargue).

   Lors de son assemblée générale du 10 mai 1985, la
Société du lac a décidé de demander aux autorités compétentes
de considérer que la pêche dans son plan d'eau était "pri-
vée", ou en d'autres termes réservée à ses actionnaires. Des
démarches ont été faites dans ce sens auprès du conseil mu-
nicipal de Port-Valais ainsi qu'auprès du Service cantonal de
la chasse et de la pêche (SCP). Ce service a adressé à la So-
ciété du lac, en 1985, une note non datée dont le texte est
le suivant:

        L'exploitation des plans d'eau créés par l'ex-
     traction des graviers dans la plaine du Rhône sont
     placés sous la souveraineté communale. Ci-joint une
     copie de l'avis paru au Bulletin Officiel n° 25 du
     22 juin 1984. Le préavis favorable du conseil com-
     munal de Port-Valais est suffisant. Vous pouvez po-
     ser des affiches "Pêche privée".

   Le conseil municipal de Port-Valais avait préalable-
ment, le 14 juin 1985, informé le SCP que la demande de la
Société du lac avait obtenu un préavis favorable de sa part.

   L'avis officiel mentionné dans la note du SCP
concerne "les étangs de la plaine du Rhône" et il indique que
"les plans d'eau formés par la mise au jour de la nappe phré-

atique ensuite de l'exploitation de gravières sont placés
sous la souveraineté communale; l'exercice de la pêche dans
ces eaux relève donc de la compétence de la commune concer-
née, sous réserve de la police de la pêche qui, aussi bien
pour la qualité des poissons que pour leur capture, demeure
placée sous la responsabilité du Service cantonal de la
pêche".

   B.-  Le Grand Conseil du canton du Valais a adopté
le 15 novembre 1996 une nouvelle loi cantonale sur la pêche
(LcPê), abrogeant notamment l'ancienne loi du 14 mai 1915.
Cette loi détermine la régale cantonale de la pêche, en dé-
finissant notamment son étendue (art. 27 LcPê) et les modes
d'exploitation (art. 28 LcPê). Elle est entrée en vigueur le
1er janvier 1999.

   Le 13 mai 1998, la Société du lac a écrit au SCP
pour s'enquérir de l'interprétation par les autorités canto-
nales, dans son cas, des nouveaux art. 27 ss LcPê; elle fai-
sait valoir que si le canton estimait que la régale de la
pêche s'appliquait en principe à ce plan d'eau, il devrait
lui reconnaître un droit acquis à la pêche privée.

   Le Département cantonal de la sécurité et des insti-
tutions (ci-après: le Département) - auquel est rattaché le
SCP - a rendu, le 25 février 2000, une décision sur la requê-
te de la Société du lac. Le dispositif de celle-là est le
suivant:

        "Il est constaté que la pêche dans le lac de la
     Petite-Camargue à Port-Valais est soumise à la loi
     cantonale sur la pêche et que le droit de régale
     peut y être exercé, malgré la situation acquise
     dont a bénéficié la Société du lac de la Petite
     Camargue S.A. entre 1986 et 1999."

   La Société du lac a recouru auprès du Conseil d'Etat
contre cette décision. Ce recours a été rejeté par un pronon-
cé du 29 août 2000.

   La Société du lac a ensuite recouru auprès du Tribu-
nal cantonal. La Cour de droit public a rejeté ce recours par
un arrêt rendu le 23 novembre 2000. Elle a considéré, en
substance, que les eaux de l'étang de la Petite-Carmargue dé-
pendaient du domaine public communal et que, s'agissant
d'eaux publiques, elles étaient soumises à la régale cantona-
le de la pêche; la Société du lac ne pouvait opposer au can-
ton ni un droit acquis, ni une décision lui attribuant un
droit de pêche privé.

   C.-  Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, la Société du lac demande au Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt du Tribunal cantonal. Elle se prévaut de droits de
pêche privée, que les autorités cantonales et communales lui
auraient reconnus en 1985, et elle prétend que le Tribunal
cantonal, en maintenant les décisions du Département et du
Conseil d'Etat refusant de constater l'existence ou la sub-
sistance de ces droits après la révision de la législation
sur la pêche, a violé la garantie de la propriété (art. 26
Cst.)

   Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours, dans
la mesure où il est recevable. A l'appui de ses conclusions,
il produit un mémoire rédigé par le Département, où cet or-
gane prend position sur les moyens de la recourante.

   Le Tribunal cantonal a renoncé à répondre au re-
cours.

   La commune de Port-Valais a ensuite été invitée à se
déterminer, en tant que collectivité intéressée. Au terme de

brèves observations, elle déclare estimer que la pêche dans
le plan d'eau litigieux est privée.

   La recourante requiert la fixation d'un délai pour
le dépôt d'un mémoire complémentaire.

   D.-  Par une ordonnance du 13 février 2001, le Pré-
sident de la Ie Cour de droit public a admis la demande d'ef-
fet suspensif présentée par la recourante.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.-  Dans la procédure du recours de droit public,
un second échange d'écritures n'a lieu qu'exceptionnellement
(art. 93 al. 3 OJ). Il ne se justifie pas de déroger à cette
règle dans le cas particulier.

   2.-  Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127
III 41 consid. 2 p. 42; 126 I 207 consid. 1 p. 209 et les ar-
rêts cités).

   a)  Devant les autorités cantonales, la procédure a
été engagée par la recourante, qui a demandé une décision en
constatation au sujet de l'application de la loi cantonale
sur la pêche. L'intérêt de la recourante à obtenir une telle
décision n'a jamais été contesté.

   L'enjeu de la procédure, pour la recourante, est de
déterminer si la régale de la pêche, prévue à l'art. 27 LcPê,
s'étend aux eaux de son étang. Cette régale est un monopole
"historique", dont le canton jouit directement en vertu de la
loi cantonale (cf. Etienne Grisel, Liberté du commerce et de

l'industrie, vol. II, Berne 1995, p. 219 s.). Le propriétaire
d'un bien-fonds où se trouve un plan d'eau abritant des pois-
sons peut, en invoquant la garantie de la propriété (art. 26
al. 1 Cst.), prétendre que ce monopole légal ne s'applique
pas dans le périmètre de sa propriété; il en résulterait pour
lui la possibilité de définir librement les conditions
d'exercice de la pêche, sans notamment devoir requérir préa-
lablement, le cas échéant, l'affermage du droit de pêche aux
conditions fixées par l'Etat (cf. art. 37 ss LcPê). En l'es-
pèce, le recours de droit public pour violation de l'art. 26
Cst. (cf. art. 84 al. 1 let. a OJ) est donc recevable.

   b)  La réponse du Conseil d'Etat, qui contient des
conclusions et se réfère, pour l'argumentation, à un mémoire
séparé établi par l'administration cantonale, est elle aussi
recevable.

   3.-  La recourante se prévaut de "droits de pêche
privée", qui lui auraient été reconnus par le canton en 1985.
L'application des art. 27 ss LcPê, en d'autres termes la sou-
mission de son plan d'eau à la régale de la pêche, la prive-
rait de l'exercice de ces droits, composante du droit de pro-
priété garanti par l'art. 26 Cst. Selon elle, la nouvelle loi
cantonale sur la pêche ne représenterait pas une base légale
suffisante pour pareille restriction. La recourante invoque
encore à ce propos la protection à accorder aux "droits ac-
quis".

   a)  Aux termes de l'art. 27 al. 1 LcPê, "la régale
de la pêche s'étend aux eaux du lac Léman, du Rhône, des ri-
vières, des torrents et des canaux, aux plans d'eau de la
nappe phréatique, des lacs de montagne et des bassins d'accu-
mulation, ainsi qu'aux eaux publiques et aux eaux privées
dans lesquelles les poissons d'eaux publiques peuvent péné-
trer naturellement". Interprétant cette disposition, le Tri-

bunal cantonal a considéré que la régale s'appliquait à tous
les plans ou cours d'eau, à l'exception des eaux privées dans
lesquelles les poissons ne peuvent pas pénétrer naturelle-
ment.

   Pour distinguer entre les eaux publiques et les eaux
privées, le jugement attaqué mentionne des règles du Code ci-
vil. En substance, il retient que les sources - et les eaux
souterraines qui y sont assimilées - sont en principe des
eaux privées (partie intégrante du fonds - art. 704 al. 1 et
3 CC) mais que, conformément à la jurisprudence du Tribunal
fédéral (ATF 106 II 311), on peut considérer que l'art. 704
CC ne s'applique pas à un étang constitué par la mise au
jour, sur un fonds privé, de l'eau provenant de la nappe
phréatique et dégagée à l'air libre par des travaux d'excava-
tion dans une gravière. Aussi, conformément à l'art. 664 CC,
appartient-il au droit cantonal de régler le régime juridique
de ce genre de plan d'eau (cf. ATF 123 III 454 consid. 3b p.
457; 122 III 49 consid. 2a p. 51; 113 II 236 consid. 4 p.
238).

   Dans le canton du Valais, la loi d'application du
Code civil suisse (loi du 24 mars 1998, LACCS) prévoit que
"les régions impropres à la culture telles que rochers, ébou-
lis, névés et glaciers, lacs, cours d'eau dès la sortie du
fonds où ils ont leur source, rentrent dans le domaine public
des communes" et que "font de même partie du domaine public
communal les eaux souterraines d'un débit moyen supérieur à
300 litres/minute" (art. 163 al. 3 et 4 LACCS). Ainsi, comme
la plupart des lois cantonales, la loi valaisanne désigne
comme dépendances du domaine public les cours d'eau - y com-
pris les cours d'eau souterrains importants - et les plans
d'eau (cf. Denis Piotet, Traité de droit privé suisse, vol. I
tome II [Droit cantonal complémentaire], Bâle 1998, p. 202).
Le Tribunal cantonal en a déduit - en se référant encore, par

ailleurs, à la loi cantonale sur l'utilisation des forces hy-
drauliques, qui contient des règles sur le droit de disposer
des eaux publiques - que le lac ou plan d'eau de la recou-
rante faisait partie, en vertu du droit cantonal, des eaux
publiques. Cette interprétation de la législation cantonale à
laquelle renvoie l'art. 664 CC n'est pas sérieusement contes-
tée par la recourante.

   L'étang litigieux dépendant ainsi du domaine public,
la régale de la pêche y est applicable selon le texte clair
de l'art. 27 al. 1 LcPê, soit qu'on le considère comme un
"plan d'eau de la nappe phréatique", soit qu'on le rattache à
la notion plus générale d'"eaux publiques". Le Tribunal can-
tonal n'a manifestement pas violé cette disposition en se
prononçant dans ce sens à propos de la portée de la nouvelle
loi cantonale sur la pêche; tel était en effet l'objet de la
procédure introduite en 1998 par la requête de la recourante
auprès du service cantonal spécialisé.

   Au reste, la recourante ne conteste pas l'arrêt at-
taqué qui retient que l'étendue de la régale de la pêche,
selon l'ancienne loi cantonale (loi du 14 mai 1915, aLcPê),
était définie d'après des critères similaires et qu'elle
s'appliquait notamment aux eaux issues de l'affleurement de
la nappe phréatique. La modification législative intervenue
le 1er janvier 1999 n'entraîne donc pas la création d'un nou-
veau monopole cantonal ni, en principe, de nouvelles restric-
tions au droit de propriété.

   b)  La recourante prétend cependant que les autori-
tés cantonales auraient, en 1985, constitué un "droit acquis"
en sa faveur. La note du Service cantonal de la chasse et de
la pêche (SCP) serait une décision valable, reconnaissant le
caractère privé de son lac et de la pêche à cet endroit. Une
"nationalisation" des droits de pêche aurait nécessité une

règle explicite dans la nouvelle loi cantonale et, en outre,
l'octroi d'une indemnité pour expropriation.

   aa)  Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal a
nié l'existence, en Valais, de droits acquis pour l'exercice
de la pêche dans les plans d'eau de la nappe phréatique. La
notion de droits acquis s'applique à certaines situations
particulières, notamment à certains "droits immémoriaux", qui
ont pour caractéristique de ne pouvoir être ni supprimés ni
restreints par une loi postérieure (cf. André Grisel, Traité
de droit administratif, Neuchâtel 1984, vol. II p. 590). Cer-
tains cantons connaissent effectivement des droits immémo-
riaux de pêche dans les eaux publiques ("ehehafte Fischen-
zen"), mais il n'en est pas question dans le cas particulier
(cf. à ce propos Kathrin Klett, Verfassungsrechtlicher Schutz
«wohlerworbener Rechte» bei Rechtsänderungen, thèse Berne
1984 p. 34/35). La recourante, qui n'invoque pas d'autre élé-
ment qu'une prise de position d'un service cantonal en 1985,
ne saurait donc se prévaloir d'un véritable droit acquis, au
sens précité. L'arrêt attaqué est donc, sur ce point, fondé.

   bb)  Le Tribunal cantonal a encore évoqué les "si-
tuations acquises" mentionnées dans l'arrêté quinquennal du
12 décembre 1990 sur l'exercice de la pêche, ce texte per-
mettant aux personnes, à qui "l'exploitation d'une gouille"
avait été concédée, de se prévaloir encore de cette conces-
sion pendant dix ans. Or la recourante n'avait ni requis, ni
obtenu pareille concession de la part des autorités cantona-
les ou communales (cf. aussi art. 68 LcPê, qui réserve les
droits des particuliers résultant d'un contrat); elle ne sau-
rait donc bénéficier du régime transitoire découlant d'une
telle "situation acquise". Cette conclusion du Tribunal can-
tonal n'est pas contestée par la recourante.

   cc)  Il reste donc à examiner si la recourante était
fondée à obtenir, pour un autre motif, une dispense des obli-
gations découlant de la régale de la pêche. Elle-même voit
dans la note du SCP de 1985 une décision lui conférant des
droits, opposables au canton.

   Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal cantonal a consi-
déré que cette note consistait essentiellement en un rappel
de l'avis paru au Bulletin officiel du 22 juin 1984, au sujet
de l'exercice de la pêche dans les plans d'eau formés par la
mise au jour artificielle de la nappe phréatique, et que
l'indication au sujet des affiches "Pêche privée" n'était
qu'une interprétation donnée à titre informatif. Cette appré-
ciation quant au sens et à la portée de la note du SCP n'est
pas critiquable car on n'est à l'évidence pas en présence
d'une décision administrative ayant pour objet de créer des
droits ou de constater leur existence (cf. art. 5 al. 1 de la
loi cantonale sur la procédure et la juridiction administra-
tives). Du reste, en évoquant la "souveraineté communale" sur
l'étang litigieux, le service cantonal admettait implicite-
ment la nature publique du plan d'eau et, en ne s'opposant
pas à la pose d'affiches censées dissuader les pêcheurs non
autorisés par la recourante d'accéder au lac, il manifestait
alors son intention de laisser aux autorités communales le
soin de régler cette question. En d'autres termes, l'adminis-
tration cantonale n'a pas, à cette époque, donné à la recou-
rante une assurance formelle, qui l'engagerait éventuellement
en vertu du droit à la protection de la bonne foi (cf. notam-
ment ATF 126 II 377 consid. 3a p. 387 et les arrêts cités),
quant à une exemption actuelle et future des obligations ré-
sultant de la régale de la pêche.

   Il s'ensuit que les moyens de la recourante sont mal
fondés.

   4.-  La recourante, qui succombe, doit payer l'émo-
lument judiciaire conformément aux art. 153, 153a et 156 al.
1 OJ. L'Etat du Valais et la commune de Port-Valais (partie
intéressée) n'ont pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 et 2
OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours;

   2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge de la recourante;

   3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

   4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante, à la commune de Port-Valais ainsi
qu'au Conseil d'Etat et au Tribunal cantonal du canton du
Valais.

Lausanne, le 3 mai 2001
JIA/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,