Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.370/2001
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1P.370/2001

          Ie  C O U R  D E  D R O I T  P U B L I C
         ******************************************

                       18 juillet 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Kurz.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

P.________, représenté par Me Jean Lob, avocat à Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 10 janvier 2001 par la Cour de cassation pé-
nale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause
qui oppose le recourant à C.________, représenté par Me Alain
Thévenaz, avocat à Lausanne, et au Ministère public du canton
de Vaud;

                     (procédure pénale;
            désignation d'un défenseur d'office)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Par jugement du 4 décembre 2000, le Tribunal
correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois a condamné
P.________ à six mois d'emprisonnement pour lésions corporel-
les simples, escroquerie et faux dans les titres. Il a été
retenu que P.________ avait, le 11 juillet 1998, asséné deux
violents coups de tête à C.________, devant une discothèque
lausannoise; par ailleurs, P.________ aurait incité son amie,
D.________, à obtenir un crédit de 25'000 fr. en présentant à
la banque une carte d'identité sur laquelle ne figurait par
erreur que son deuxième prénom, L.________, et en fournissant
de faux justificatifs sur le montant de son loyer (1'115 fr.
au lieu de 2'230 fr.) et une feuille de paie d'une entreprise
dans laquelle elle avait travaillé temporairement. Le tribu-
nal a alloué 800 fr. de dépens à C.________, à la charge de
P.________, et a mis une partie des frais, soit 2000 fr., à
la charge de ce dernier.

   B.- P.________ a formé contre ce jugement un recours
en réforme et en nullité auprès de la Cour de cassation pé-
nale du Tribunal cantonal vaudois. Il se plaignait de ne pas
avoir été pourvu d'un défenseur d'office, alors que la cause
présentait des difficultés en fait et en droit. Le seul fait
d'avoir incité son amie à demander un prêt sous un faux pré-
nom n'était pas constitutif d'instigation à escroquerie.

   C.- Par arrêt du 10 janvier 2001, notifié le 11 mai
2001, la Cour de cassation a confirmé le jugement. Les condi-
tions d'une défense d'office n'étaient pas réunies: la peine
encourue par le recourant n'excluait pas l'octroi du sursis
et une mesure au sens des art. 42 ss CP n'était pas envisa-

geable; la cause ne présentait pas de difficultés particuliè-
res en fait ou en droit; condamné plusieurs fois pour escro-
querie, P.________ disposait d'une formation de conseiller en
assurances, de sorte qu'il pouvait faire face aux difficultés
toutes relatives de la cause. Il n'était d'ailleurs pas éta-
bli qu'il ait demandé un défenseur d'office. L'usage d'une
fausse identité et de documents falsifiés, à la confection
desquels le recourant avait participé, était constitutif
d'astuce.

   D.- P.________ forme un recours de droit public con-
tre cet arrêt, dont il demande l'annulation. Il requiert
l'effet suspensif et l'octroi de l'assistance judiciaire.

   La cour cantonale se réfère aux considérants de son
arrêt. Le Ministère public a renoncé à se déterminer.
C.________ conclut au rejet du recours.

   L'effet suspensif a été accordé par ordonnance pré-
sidentielle du 2 juillet 2001.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Le recourant invoque les art. 104 du code de
procédure pénale vaudois (CPP/VD), 29 al. 3 Cst. et 6 par. 3
let. c CEDH. Il se plaint de ne pas s'être vu désigner un
avocat d'office. La cause était grave, puisqu'elle a abouti à
sa condamnation à six mois d'emprisonnement; elle était déli-
cate: le sursis n'était pas exclu, les faits remontaient à
1994; les questions de savoir si l'usage d'une carte d'iden-
tité véritable, mais comportant une erreur de prénom, pouvait
être constitutif d'astuce, et si une feuille de paie sans si-
gnature, mais avec un timbre humide constituait un titre,

étaient délicates. S'agissant des lésions corporelles sim-
ples, un retrait de plainte aurait pu être négocié. Les con-
damnations pénales déjà subies ne constituaient pas une "so-
lide expérience dans le domaine juridique", mais une raison
supplémentaire de pourvoir le recourant d'un défenseur d'of-
fice, lequel aurait pu requérir une expertise psychiatrique.

   a) Le principe, l'étendue et les limites du droit à
l'assistance judiciaire gratuite sont déterminés en premier
lieu par les prescriptions du droit cantonal de procédure,
dont le Tribunal fédéral ne revoit l'application et l'inter-
prétation que sous l'angle restreint de l'arbitraire. Dans
tous les cas cependant, l'autorité cantonale doit respecter
les garanties minimales déduites de l'art. 29 al. 3 Cst.,
dont le Tribunal fédéral vérifie librement si elles ont été
observées (ATF 126 I 165 consid. 3; 124 I 1 consid. 2 p. 2,
304 consid. 2c p. 306). En l'espèce, le recourant invoque
l'art. 104 CPP/VD, sans toutefois prétendre que cette dispo-
sition garantirait un droit à l'assistance judiciaire plus
étendu que celui qui découle des art. 29 al. 3 Cst. et 6
par. 1 let. c CEDH. Les conditions particulières de l'art.
104 al. 1 CPP/VD (détention préventive de plus de trente
jours et intervention du Ministère public) ne sont pas réali-
sées en l'espèce. C'est donc à la lumière des seules disposi-
tions conventionnelle et constitutionnelle qu'il y a lieu
d'examiner le présent recours.

   b) L'art. 6 par. 3 let. c CEDH donne à tout accusé
le droit de se défendre lui-même ou avec l'assistance d'un
défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémuné-
rer un défenseur, de pouvoir être assisté gratuitement par un
avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exi-
gent. Ces garanties ont pour objet de rendre la défense con-
crète et effective. L'art. 29 al. 3 Cst., qui ne fait que re-
prendre les principes posés dans ce domaine par la jurispru-
dence (ATF 126 I 194 consid. 3a p. 195/196), garantit à l'ac-

cusé démuni le droit de se faire désigner un défenseur d'of-
fice "dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le re-
quiert". La désignation d'un défenseur d'office dans la pro-
cédure pénale est en tout cas nécessaire lorsque l'accusé est
exposé à une longue peine privative de liberté ou qu'il est
menacé d'une peine qui ne peut être assortie du sursis (cas
grave). Elle peut aussi l'être, selon les circonstances, même
lorsque l'accusé n'encourt une peine privative de liberté que
de quelques semaines à quelques mois (cas intermédiaire); il
convient notamment de tenir compte de l'état mental et psy-
chologique de l'accusé, et de la complexité que présente la
cause en fait et en droit (ATF 115 Ia 103 consid. 4 p. 106).
En revanche, l'assistance d'un défenseur peut être refusée
pour les cas de peu d'importance, passibles d'une amende ou
d'une légère peine de prison (ATF 120 Ia 43 consid. 2 p.
44-46, 115 Ia 103, consid. 4, p. 104/105, et les arrêts ci-
tés).

   2.- Sans apparaître comme un cas bagatelle, les ac-
cusations portées contre le recourant n'étaient pas d'une
gravité particulière. Contrairement à ce que soutient le re-
courant, une condamnation à six mois d'emprisonnement ne jus-
tifiait pas à elle seule l'assistance d'un défenseur d'office
(cf. arrêt du 29 septembre 2000 dans la cause M.). On ne sau-
rait certes, comme le fait la cour cantonale, considérer que
le recourant disposait d'une "solide expérience dans le do-
maine juridique" en raison des condamnations prononcées pré-
cédemment contre lui. Il apparaît toutefois que les difficul-
tés de la cause ne justifiaient pas l'intervention d'un avo-
cat d'office.

   a) La cause ne présentait aucun problème de faits,
ceux-ci étant admis pour l'essentiel. L'ordonnance de renvoi
portait sur des infractions de lésions corporelles simples,
faux dans les titres et escroquerie. La qualification juri-

dique ne posait pas non plus de problèmes. S'agissant de
l'escroquerie et des faux dans les titres, le recourant tente
de mettre en doute l'existence de l'astuce par la présenta-
tion d'une carte d'identité inexacte, et la qualité de titre
d'une feuille de paie non signée. Le recourant perd de vue
que l'astuce a été retenue en raison de l'usage de différents
documents falsifiés, soit une feuille de paie et un contrat
de bail destinés à faire croire à un revenu régulier et à un
loyer modéré, la présentation de la carte d'identité inexacte
permettant de dissimuler le fait que D.________ avait déjà
contracté d'autres emprunts. Il ne fait aucun doute qu'un tel
édifice de mensonge est constitutif d'escroquerie. On ne voit
d'ailleurs pas en quoi l'absence de signature sur une feuille
de paie, par ailleurs munie du timbre de l'entreprise, enlè-
verait à ce document la qualité de titre au sens de l'art.
110 ch. 5 CP (cf. Corboz, Les principales infractions, Berne
1997, vol. 1 p. 315 et la référence à Trechsel). En dépit de
ses objections, le recourant ne parvient pas à démontrer que
sa cause présentait des difficultés juridiques particulières.
Disposant d'une certaine formation - il a suivi des cours de
conseiller en assurances et a travaillé trois ans dans un bu-
reau de courtage -, le recourant pouvait dès lors assurer
lui-même sa propre défense.

   b) Il y a lieu également de relever que le recourant
était assisté d'un avocat à l'occasion de son recours en nul-
lité et en réforme. La Cour de cassation était certes liée
par les faits retenus en première instance, mais elle pouvait
revoir librement l'application du droit. Or, c'est essentiel-
lement sur ces points que le recourant voit la nécessité de
l'intervention d'un avocat. Le grief tombe dès lors à faux.

   c) Quant à la possibilité de négocier un retrait de
la plainte pour lésions corporelles, elle ne saurait justi-
fier la nomination d'un défenseur d'office, car cela s'impo-
serait dans tous les cas d'infractions qui se poursuivent sur

plainte. Le recourant prétend aussi que les conditions du
sursis étaient réalisées, mais on ne comprend pas qu'il ait
omis de soulever ce grief à l'occasion de son recours canto-
nal, pour lequel un avocat l'a assisté. Le recourant évoque
enfin la possibilité de requérir une expertise psychiatrique,
compte tenu des nombreuses condamnations dont il a déjà fait
l'objet. Cette possibilité n'est, elle non plus, pas mention-
née dans le recours cantonal. Le recourant ne précise d'ail-
leurs pas dans quel but une telle expertise aurait pu être
ordonnée. La dernière condamnation du recourant remontait à
1993, et ni le comportement adopté depuis lors, ni le mode de
commission des infractions ne permettent d'envisager l'appli-
cation des art. 10 ou 11 CP, voire 42 ss CP.

   d) Compte tenu des circonstances particulières du
cas d'espèce (absence de difficultés de fait ou de droit,
formation de l'intéressé, assistance d'un avocat pour le re-
cours en cassation), l'assistance d'un avocat d'office ne se
justifiait pas, en dépit de la peine d'emprisonnement qui me-
naçait le recourant.

   3.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public doit être rejeté. Le recourant a demandé l'assistance
judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral. Les
conditions en sont réunies. Me Lob est désigné comme défen-
seur d'office, et rétribué par la caisse du Tribunal fédéral.
L'octroi de l'assistance judiciaire ne dispense toutefois pas
le recourant de payer à l'intimé C.________ une indemnité de
dépens.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

    1. Rejette le recours.

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire, désigne
Me Lob comme défenseur d'office et lui alloue 1500 fr. d'ho-
noraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

   4. Met à la charge du recourant une indemnité de
1500 fr. à titre de dépens, à verser à l'intimé C.________.

   5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires du recourant et de l'intimé, au Ministère public et à
la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de
Vaud.

                         __________

Lausanne, le 18 juillet 2001
KUR/vlc

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,