Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.359/2001
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1P.359/2001

          Ie  C O U R  D E  D R O I T  P U B L I C
         ******************************************

                      1er octobre 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Favre.
Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

les époux H.________, représentés par Me Mauro Poggia, avocat
à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 10 avril 2001 par le Tribunal administratif
du canton de Genève, dans la cause qui oppose les recourants
à la Commission de surveillance des professions de la santé
du canton de Genève;

             (consultation d'un dossier médical)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le 25 mars 1998, les époux H.________ ont dé-
noncé à la Commission genevoise de surveillance des profes-
sions de la santé (ci-après: la commission) le docteur
L.________, psychiatre, reprochant à ce dernier de graves
fautes professionnelles dans le traitement de leur fille
M.________, décédée le 21 mars 1997.

   B.- Le 8 décembre 1998, le Département genevois de
l'action sociale et de la santé (ci-après: le département)
fit savoir qu'il avait classé la procédure. Selon le préavis
de la commission, aucun comportement incorrect ne pouvait
être reproché au Dr L.________.

   Après avoir requis en vain la commission de reconsi-
dérer sa position, les époux H.________ ont demandé, le 17
décembre 1999, la transmission de l'intégralité du dossier
médical de leur fille à un médecin tiers, à charge pour ce
dernier de leur en communiquer le contenu. Le département a
confirmé sa décision le 4 mars 1999. Les époux H.________ ont
également demandé à la commission de reconsidérer son pré-
avis, ce qui fut refusé le 6 décembre 1999.

   Le 15 mars 2000, le Dr L.________ a demandé à la
commission de lever le secret médical, les époux H.________
lui ayant demandé de leur transmettre l'intégralité du dos-
sier médical de leur fille. La commission refusa le 6 avril
2000. Le 9 août suivant, elle refusa de notifier aux époux
H.________ une décision motivée sur ce point: les parties à
la procédure de levée du secret médical étaient le patient et
le médecin, à l'exclusion de toute autre personne. La commis-
sion refusa par conséquent de rendre une décision formelle.

   C.- Les époux H.________ ont recouru auprès du Tri-
bunal administratif genevois. Ils se disaient parties à la
procédure de levée du secret médical, puisqu'il existait un
droit à prendre connaissance du dossier médical d'un proche
décédé. Ils relevaient que l'accès au dossier leur était né-
cessaire afin d'engager un procès en responsabilité civile
contre le médecin. M.________ n'avait jamais eu de secret
pour ses parents, lesquels disposaient d'un intérêt prépon-
dérant à la levée du secret médical.

   D.- Par arrêt du 10 avril 2001, le Tribunal adminis-
tratif a déclaré le recours irrecevable. Le secret médical
tendait à la seule protection du patient. Il était en prin-
cipe absolu et perdurait après le décès, en particulier
s'agissant d'un traitement relevant de la psychiatrie ou de
la psychothérapie, qui pouvait impliquer des confidences sur
l'intimité du patient et ses relations avec sa famille. Les
recourants avaient déjà eu une connaissance partielle du
dossier lors d'une entrevue avec un membre de la commission.
Le témoignage du médecin dans une procédure civile ou pénale
était par ailleurs réservé. Dans une procédure non conten-
tieuse, seules les personnes affectées directement dans leurs
droits et obligations avaient qualité de partie. Or, les re-
courants n'invoquaient pas un droit des patients qui leur
appartiendrait en propre en vertu du droit cantonal. La qua-
lité de partie devait aussi leur être déniée pour la phase
contentieuse de la procédure.

   E.- Les époux H.________ forment un recours de droit
public contre cet arrêt, dont ils demandent l'annulation.

   Le Tribunal administratif persiste dans les termes
et le dispositif de son arrêt. Considérant qu'elle était par-
tie à la procédure cantonale, en tant qu'auteur de la déci-
sion attaquée, la commission a répondu au recours à la place
du département. Elle conclut au rejet du recours dans la me-

sure où il serait recevable, avec suite de frais et dépens.
Les recourants ont répliqué.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- a) Le recours est formé contre un arrêt final de
dernière instance cantonale. Les recourants, dont le recours
cantonal a été déclaré irrecevable pour défaut de qualité,
peuvent entreprendre ce prononcé par la voie du recours de
droit public. L'examen du Tribunal fédéral est toutefois li-
mité au prononcé d'irrecevabilité, de sorte que les arguments
de fond relatifs au droit de consulter le dossier sont irre-
cevables.

   b) Les recourants désirent que la réponse de la
commission soit écartée du dossier, seul le département ayant
été invité à se prononcer. On ne voit toutefois pas ce qui
empêcherait cette autorité de déléguer à une entité qui lui
est administrativement rattachée la tâche de répondre au re-
cours de droit public. Cela étant, il n'y a pas à rechercher
si le département a été désigné par erreur comme partie à la
procédure, à la place de la commission.

   2.- Les recourants invoquent des garanties formel-
les, tels le droit d'être entendu (art. 29 et 30 Cst.) ainsi
que le droit d'accès à un Tribunal indépendant et impartial
(art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH). Les membres de la com-
mission, professionnels de la santé dans leur majorité, ne
présenteraient pas de garanties suffisantes d'impartialité et
d'indépendance, et la procédure devant le Tribunal adminis-
tratif n'aurait pas permis de réparer ce vice puisque la cour
cantonale a refusé d'entrer en matière. En définitive, leur
démarche n'aurait pas été examinée par une instance ayant un
plein pouvoir d'examen. Les recourants soutiennent que la pe-
sée des intérêts à laquelle a procédé la cour cantonale vio-
lerait les art. 10 al. 2 et 13 Cst., ainsi que l'art. 8 CEDH,

soit le droit au respect de leur cellule familiale, en proté-
geant le secret médical de façon absolue, méconnaissant que
M.________ n'avait pas de secret pour ses parents et que
seule était requise la transmission du dossier à un médecin,
chargé de filtrer les informations.

   a) Les recourants se plaignent pour l'essentiel
d'une violation de leur droit d'être entendus. La portée de
ce droit, ainsi que les modalités de sa mise en oeuvre, sont
tout d'abord régies par le droit cantonal, dont le Tribunal
fédéral examine l'application sous l'angle restreint de l'ar-
bitraire (ATF 125 I 257 consid. 3a p. 259 et les arrêts ci-
tés).

   b) Il ressort de la décision attaquée que la commis-
sion, puis le Tribunal administratif, ont fondé leurs déci-
sions respectives sur le fait que les recourants n'avaient
pas qualité de partie à la procédure. Celle-ci a été niée en
raison du défaut d'intérêt digne de protection. Selon la cour
cantonale, dans une procédure non contentieuse, telle la pro-
cédure de consultation du dossier - la cour cantonale a con-
sidéré que la demande de consultation n'avait pas pour cadre
la procédure de dénonciation, celle-ci s'étant achevée par un
classement par le département -, la qualité de partie n'était
reconnue qu'à celui qui se trouve dans le champ de protection
de la norme. Tel n'était pas le cas des recourants, dès lors
ceux-ci n'invoquaient aucun droit du patient que la loi gene-
voise concernant les rapports entre membres des professions
de la santé et patients, du 6 décembre 1987, leur conférerait
en propre. Par identité de motifs, la qualité pour agir ne
pouvait être reconnue aux recourants pour la procédure - con-
tentieuse - de recours.

   c) Les recourants argumentent, pour l'essentiel, sur
le fond. Ils insistent sur leur droit d'accéder au dossier
médical de leur fille, selon certaines modalités, mais n'in-

diquent pas en quoi la solution procédurale retenue par les
autorités cantonales serait arbitraire. La qualité de partie
dépend de l'existence d'un intérêt juridique, nié en l'espè-
ce, essentiellement sur la base d'une interprétation de la
loi cantonale sur les rapports entre membres des professions
de la santé et patients. Or, les recourants ne tentent pas de
démontrer que cette interprétation serait arbitraire. Sans
prétendre avoir hérité du droit de leur fille de consulter
son dossier médical (droit strictement personnel et intrans-
missible, cf. arrêt du 3 novembre 1989 dans la cause G., RDAF
1990 45), les recourants fondent leur intérêt sur leur devoir
de sauvegarder la mémoire de leur fille, et la volonté d'éta-
blir les causes de son décès. Ce faisant, ils n'établissent
pas l'existence d'un intérêt juridique indépendant à consul-
ter le dossier médical. La procédure disciplinaire a apparem-
ment pris fin par un prononcé du département contre lequel
les recourants n'ont pas recouru, alors qu'ils auraient pu
dans ce cadre requérir la consultation du dossier, en vertu
de leur droit d'être entendus. Par ailleurs, si les recou-
rants prétendent que le décès de leur fille est dû à une er-
reur du médecin, ils peuvent agir par la voie civile ou péna-
le, et leur droit de consulter le dossier médical devra être
examiné dans ce cadre. Une consultation du dossier en dehors,
ou préalablement à toute démarche juridique, correspond cer-
tes à un intérêt de fait, mais non de droit. En dehors de
toute démarche de ce type, les recourants ne peuvent guère
soutenir que l'existence d'un intérêt juridique leur aurait
été arbitrairement nié.

   d) Le droit d'être entendu permet par ailleurs à
tout justiciable de consulter son propre dossier. Ce droit
peut être exercé non seulement au cours d'une procédure, mais
également de manière indépendante, par exemple pour consulter
un dossier clôturé, voire un dossier indépendant d'une procé-
dure pendante ou clôturée. Dans ce dernier cas, l'intéressé
ne pouvant évidemment faire valoir ses droits de partie, doit

invoquer un intérêt digne de protection vraisemblable. Ce
droit de consulter un dossier clôturé peut également être re-
connu à un tiers, pour autant qu'il justifie lui-même d'un
tel intérêt. Le droit au respect de la vie privée et familia-
le offre des garanties équivalentes (arrêt du 26 avril 1995
dans la cause B., SJ 1996 293 et la jurisprudence citée). Il
impose une pesée soigneuse des intérêts, mettant en balance
d'une part l'intérêt à consulter le dossier médical d'un
proche décédé et, d'autre part, la protection du défunt, le-
quel doit en principe être assuré que les renseignements fi-
gurant dans son dossier ne seront pas divulgués après son dé-
cès. On ne saurait en effet présumer, comme semblent le faire
les recourants, que le défunt, même s'il était profondément
lié avec ses proches, ait de ce seul fait admis que son
dossier médical soit accessible sans restrictions à ceux-ci.
On ne saurait prétendre, à l'inverse, que le dossier médical
d'une personne décédée serait totalement inaccessible, car
cela empêcherait la succession de rechercher les éventuelles
responsabilités du corps médical. La consultation par le
biais d'un médecin, chargé d'en retransmettre le contenu
accessible aux intéressés, particulièrement lorsque le dos-
sier médical contient des données sur les rapports du patient
avec les membres de sa famille, apparaît comme une mesure
adéquate (arrêt précité, consid. 3b).

   Cette pesée d'intérêts pourra avoir lieu dans le ca-
dre des démarches juridiques que les recourants se proposent
d'intenter. Comme cela est relevé ci-dessus, ceux-ci ne se
prévalent pas d'un droit indépendant à l'information leur
permettant d'être simplement renseignés sur le contenu du
dossier. Ils justifient l'ensemble de leurs démarches par le
besoin d'établir si une erreur médicale a ou non été commise.
La solution procédurale retenue par la cour cantonale ne
viole donc pas non plus le droit d'être entendu.

   e) Quant au défaut d'indépendance et d'impartialité,
reproché à la commission, il n'a guère été invoqué devant le
Tribunal administratif, de sorte que le grief est irrecevable
pour défaut d'épuisement des instances cantonales (art. 86
al. 1 OJ). Il devrait de toute façon être écarté puisque les
recourants n'étaient pas partie à la procédure devant la com-
mission, celle-ci n'ayant au demeurant rendu aucune décision.
Le caractère purement administratif de la procédure permet au
surplus de douter de l'applicabilité de l'art. 6 par. 1 CEDH,
invoqué par les recourants (cf. arrêt G. du 3 novembre 1989
précité).

   3.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire
est mis à la charge des recourants, qui succombent. Il n'est
pas alloué de dépens.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est
recevable.

   2. Met à la charge des recourants un émolument
judiciaire de 2000 fr.

   3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants, à la Commission de surveillance des
professions de la santé, au Département de l'action sociale
et de la santé, ainsi qu'au Tribunal administratif du canton
de Genève.

Lausanne, le 1er octobre 2001
KUR/dxc

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,