Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.314/2001
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1P.314/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       2 juillet 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Zimmermann.
                         _________

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

A.________, représenté par Me Eric Stauffacher, avocat à
Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 8 mars 2001 par la Cour administrative du
Tribunal cantonal du canton de Vaud, dans la cause qui op-
pose le recourant à B.________, C.________, D.________ et
E.________, tous les 4 Juges pénaux du Tribunal d'arrondis-
sement de l'Est vaudois, à F.________, représentée par Me
Jacques Michod, avocat à Lausanne, à G.________ et
H.________, représentées par Me Christian Favre, avocat à
Lausanne, à I.________ et J.________, représentés par Me
Laure Chappaz, avocate à Aigle, ainsi qu'au Ministère public
du canton de  V a u d;

      (art. 30 Cst. et 6 par. 1 CEDH; récusation dans
               la procédure pénale cantonale)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

     A.- A.________ a été renvoyé devant le Tribunal cor-
rectionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois, comme pré-
venu d'attentat à la pudeur des enfants, alternativement
d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de contrainte
sexuelle, de viol, d'actes d'ordre sexuel commis sur une
personne incapable de discernement ou de résistance, qu'il
aurait commis à l'égard de ses filles G.________ et
H.________. A.________ a partiellement admis les faits
reprochés, pour ce qui concerne sa fille G.________
uniquement.

     L'audience de jugement s'est tenue les 12 et 13 février
2001. Le Tribunal correctionnel était composé de K.________,
magistrat professionnel et président du Tribunal
correctionnel, ainsi que d'B.________, C.________,
D.________ et E.________, juges laïcs.

     Lors de l'audience du 12 février 2001, après l'audition
d'un témoin de moralité ayant dit grand bien de l'accusé, le
Président K.________ a fait remarquer qu'il se disait aussi
qu'Hitler avait pu être un homme charmant et courtois. Lors
de l'audience du 13 février 2001, le Président K.________ a
procédé à l'interrogatoire de l'accusé. Alors que celui-ci
niait avoir commis des actes délictueux à l'égard de sa fil-
le H.________, le Président K.________ lui a dit: "Quand on
a commis des attouchements sur ses filles, on devrait s'en
souvenir".

     A.________ a demandé séance tenante la récusation du
Tribunal correctionnel pris dans son ensemble, à raison des
propos tenus par le Président.

     Par arrêt du 8 mars 2001, le Tribunal cantonal du can-
ton de Vaud a admis la demande de récusation en tant qu'elle
visait le Président K.________ (ch. I du dispositif de cet
arrêt) et l'a rejetée s'agissant des Juges A.________,
B.________, C.________, D.________ et E.________ (ch. II).

     B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler le ch. II
du dispositif de l'arrêt du 8 mars 2001. Il invoque les art.
30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH.

     Le Tribunal cantonal se réfère à son arrêt. Le Minis-
tère public, ainsi que I.________ et J.________, parties ci-
viles, concluent au rejet du recours. Les autres parties ne
se sont pas déterminées.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

     1.- Selon l'art. 30 al. 1 Cst. - qui, de ce point de
vue, a la même portée que l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 126 I 68
consid. 3a p. 73, 228 consid. 2a/aa p. 230, 235 consid. 2a
p. 236, et les arrêts cités) -, toute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue par un tribunal établi par la
loi, compétent, indépendant et impartial, c'est-à-dire par
des juges qui offrent la garantie d'une appréciation par-
faitement objective de la cause (ATF 123 I 49 consid. 2b
p. 51). Lorsque, comme en l'espèce, le recourant n'invoque
pas les prescriptions du droit cantonal, le Tribunal fédéral
examine librement la compatibilité de la procédure suivie
avec les garanties offertes par les art. 30 al. 1 Cst. et 6

par. 1 CEDH (ATF 126 I 68 consid. 3b p. 73; 123 I 49 consid.
2b p. 51; 118 Ia 282 consid. 3b p. 284/285, et les arrêts
cités).

     Des circonstances extérieures au procès ne doivent in-
fluer sur le jugement d'une manière qui ne serait pas objec-
tive, en faveur ou au préjudice d'une partie, car celui qui
se trouve sous de telles influences ne peut être un "juste
médiateur" (ATF 125 I 209 consid. 8a p. 217; 123 I 49 con-
sid. 2b p. 51). Cette garantie est assurée en premier lieu
par les règles cantonales relatives à la récusation. Mais,
indépendamment de ces dispositions cantonales, la Constitu-
tion et la Convention assurent à chacun que seuls des juges
qui ne font pas d'acception de personnes statuent sur son
litige. Si la simple affirmation de la partialité ne suffit
pas, mais doit reposer sur des faits objectifs, il n'est pas
davantage nécessaire que le juge soit effectivement prévenu;
la suspicion est légitime même si elle ne se fonde que sur
des apparences, pour autant que celles-ci résultent de cir-
constances examinées objectivement (ATF 124 I 121 consid. 3a
p. 123/124; 122 I 18 consid. 2b/bb p. 24; 120 Ia 184 consid.
2b p. 18, et les arrêts cités). Selon la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'homme, l'impartialité doit
s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de dé-
terminer la conviction et le comportement personnels de tel
juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objecti-
ve, amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffi-
santes pour exclure à cet égard tout doute légitime (arrêts
de la Cour européenne des droits de l'homme Wettstein c.
Suisse du 21 décembre 2000, par. 42; Ciraklar c. Turquie du
29 octobre 1998, par. 38; Castillo Algar c. Espagne du 28
octobre 1998, par. 43; Incal c. Turquie du 9 juin 1998, par.
65; Gautrin c. France du 20 mai 1998, par. 58; De Haan c.
Pays-Bas du 26 août 1997, par. 49 et les arrêts cités).
S'agissant de la démarche subjective, l'impartialité person-

nelle d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire
(arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Castillo
Algar, précité, par. 44). Quant à l'appréciation objective,
elle consiste à se demander si, indépendamment de la condui-
te personnelle du juge, certains faits vérifiables autori-
sent à suspecter l'impartialité de ce dernier. En la matiè-
re, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il
y va de la confiance que les tribunaux d'une société démo-
cratique se doivent d'inspirer aux justiciables et notamment
aux prévenus. Doit donc se récuser tout juge dont on peut
légitimement craindre un manque d'impartialité. Pour se pro-
noncer sur l'existence, dans une affaire donnée, d'une rai-
son légitime de redouter la partialité d'un juge, l'optique
de l'accusé entre en ligne de compte, mais ne joue pas un
rôle décisif; l'élément déterminant consiste à savoir si les
appréhensions de l'intéressé peuvent passer pour objective-
ment justifiées (arrêts Wettstein, précité, par. 44; Castil-
lo Algar, précité, par. 45; Incal, précité, par. 71; Ferran-
telli et Santangelo c. Italie du 7 août 1996, par. 58; Sa-
raiva de Carvalho c. Portugal du 22 avril 1994, Série A,
vol. 286 par. 35, et les arrêts cités).

     D'éventuelles erreurs de procédure ou d'appréciation
commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement
un soupçon de prévention. Seules des fautes particulièrement
graves et répétées pourraient avoir cette conséquence; même
si elles paraissent contestables, des mesures inhérentes à
l'exercice normal de la charge du juge ne permettent pas de
suspecter celui-ci de partialité (ATF 113 Ia 407 consid. 2
p. 408-410; 111 Ia 259 consid. 3b/aa p. 264). Si des réac-
tions d'impatience sont inévitables de la part d'êtres hu-
mains exerçant des fonctions judiciaires, le juge doit veil-
ler à garder son sang-froid en toutes circonstances, sans
que cela ne l'empêche toutefois de porter des appréciations

critiques sur la manière dont une partie mène le procès, de
telles remarques pouvant même s'inscrire dans les devoirs du
juge lorsqu'elles apparaissent propres à éviter des abus de
procédure (arrêts non publiés A. du 30 mars 1999 et L. du 9
juillet 1993). En revanche, le juge doit s'abstenir tout à
fait de remarques blessantes ou dépréciatives - même ironi-
ques - visant la personne même du justiciable, et non un
comportement ou un acte déterminé qui pourrait objectivement
lui être reproché. En effet, celui qui se voit ainsi disqua-
lifié en tant que personne peut légitimement éprouver des
doutes quant à l'impartialité du juge (arrêt non publié F.
du 19 juillet 2000).

     2.- a) Dans les affaires où la peine privative de li-
berté paraît devoir dépasser quatre ans, le tribunal correc-
tionnel est, d'office ou à la requête d'une partie, formé du
président du tribunal d'arrondissement et de quatre juges
désignés par lui (art. 10 CPP vaud.). Seul le président est
un magistrat professionnel (art. 17 al. 1 LOJ vaud. a con-
trario).

     b) Sur le vu de la jurisprudence qui vient d'être rap-
pelée, le Tribunal cantonal devait ordonner, comme il l'a
fait, la récusation du Président K.________, notamment à
cause de l'allusion faite à Adolf Hitler. Seul reste en
discussion le point de savoir si les autres juges du Tribu-
nal correctionnel devaient ipso facto être récusés et cela
uniquement à raison des propos tenus par le Président
K.________, puisqu'il est constant que ces juges n'ont pas
pris la parole lors des audiences des 12 et 13 février 2001
et que le recourant ne soulève pas à leur égard d'autres
motifs de récusation que ceux adressés au Président
K.________.

     c) En l'occurrence, le Tribunal cantonal s'est borné à
indiquer que rien ne permettrait de mettre en doute l'impar-

tialité des Juges B.________, C.________, D.________ et
E.________. Il n'a pas examiné, de manière séparée, l'ar-
gument soulevé par le recourant dans sa prise de position du
5 mars 2001, selon lequel les autres membres du Tribunal
correctionnel, assesseurs laïcs, ne seraient plus en mesure
de se détacher de l'appréciation négative émise à son égard
par le Président K.________, seul juriste et juge profes-
sionnel du tribunal. Cette prévention subsisterait, selon le
recourant, y compris après son renvoi devant le même tribu-
nal statuant dans la même composition sous la direction d'un
nouveau président.

     Sur ce point, le recours n'est pas absolument clair. Le
recourant reproche au Tribunal cantonal d'avoir omis d'exa-
miner l'impartialité des autres membres du Tribunal correc-
tionnel, selon la démarche objective découlant de l'art. 6
par. 1 CEDH. Il n'en tire cependant aucun grief déduit de la
violation du droit d'être entendu, liée à une motivation in-
suffisante sur ce point de l'arrêt attaqué (cf. ATF 126 I 15
consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II
146 consid. 2a p. 149, et les arrêts cités). Toutefois, même
à supposer qu'un tel grief ait été soulevé, il faudrait ad-
mettre que le Tribunal cantonal a implicitement écarté tout
motif de récusation à l'égard des autres juges du Tribunal
correctionnel, y compris celui tiré de la démarche objec-
tive.

     d) L'aptitude des juges laïcs à se prononcer sur une
cause de manière impartiale et indépendante ne saurait être
mise en doute par principe (ATF 115 Ia 224 consid. 7b/bb
p. 230). En l'espèce, il n'existe entre les membres du Tri-
bunal correctionnel, professionnel et laïcs, tous nommés par
le Tribunal cantonal (art. 24 LOJ vaud.), aucune relation
hiérarchique ou de subordination, à part le fait que le pré-
sident désigne les juges laïcs appelés à former avec lui le
tribunal. Hormis cela, les juges laïcs sont des magistrats à

part entière et leur voix compte autant, dans la délibéra-
tion, que celle du président. Ils sont en mesure, comme tout
magistrat, de se placer constamment au-dessus des parties et
de forger leur propre opinion au sujet de la cause déférée
au tribunal. On ne saurait en tout cas prétendre, comme le
fait le recourant, que par une sorte d'effet de contamina-
tion, les juges laïcs devraient se récuser automatiquement
dès qu'un motif de récusation est réalisé dans la personne
du magistrat professionnel présidant l'autorité de jugement,
en raison de l'ascendant qu'il exercerait sur eux. Selon la
jurisprudence qui vient d'être rappelée, le point de vue du
justiciable n'est pas à lui seul déterminant. La récusation
- qui doit rester l'exception - dépend de l'appréciation des
circonstances examinées objectivement.

     A ce propos, le recourant fait valoir que si les Juges
B.________, C.________, D.________ et E.________ devaient
siéger à nouveau dans le Tribunal correctionnel dirigé par
un nouveau président, ils ne pourraient se défaire du pré-
jugé négatif exprimé à son encontre par le Président
K.________, auquel ils seraient en outre attachés par des
liens de collégialité. Le recourant redoute ainsi d'être
exposé au risque concret d'être renvoyé devant un tribunal
n'offrant pas toutes les conditions d'impartialité requises
par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH.

     Ces arguments ne sont pas décisifs. Ils procèdent en
premier lieu d'une pétition de principe selon laquelle les
Juges B.________, C.________, D.________ et E.________
seraient désormais incapables d'entendre la cause impartia-
lement. En deuxième lieu, le recourant s'enferme dans une
contradiction découlant de sa façon abstraite de concevoir
la récusation. Si, comme il le soutient, le président du
tribunal, en sa qualité de seul juriste de l'autorité de
jugement, joue dans le procès un rôle à ce point primordial

que celui des juges laïcs est réduit à néant, le recourant
n'aurait rien à craindre par avance d'un tribunal dirigé par
un nouveau président qui exercerait à son tour, selon la
prémisse qui sous-tend le raisonnement du recourant, une
emprise totale sur les juges laïcs. Enfin, le recourant part
du présupposé que le tribunal devant lequel il sera renvoyé
dervait nécessairement être formé des Juges B.________,
C.________, D.________ et E.________, sous la direction d'un
nouveau président. Or, cette assertion n'est pas démontrée.
En tout cas, à teneur du texte légal, rien n'empêche le pré-
sident appelé à remplacer le Président K.________ de compo-
ser le Tribunal correctionnel en y appelant d'autres juges
que ceux qui ont participé aux audiences des 12 et 13 fé-
vrier 2001. En cela, les craintes du recourant sont prématu-
rées. Pour le cas où, comme il le redoute, les Juges
B.________, C.________, D.________ et E.________ devraient
siéger dans le Tribunal correctionnel appelé à reprendre le
procès, le recourant resterait de toute manière libre de
demander leur récusation, du moins pour d'autres motifs que
ceux qui ont conduit au prononcé de l'arrêt attaqué.

     3.- Le recours doit ainsi être rejeté. Les frais en
sont mis à la charge du recourant (art. 156 OJ), ainsi
qu'une indemnité à verser aux intimés Pilet, à titre de
dépens (art. 159 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens
pour le surplus.

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Rejette le recours.

     2. Met à la charge du recourant un émolument de
2000 fr., ainsi qu'une indemnité de 1000 fr. en faveur des
intimés I.________ et J.________, à titre de dépens. Dit
qu'il n'est pas alloué de dépens pour le surplus.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux parties, au
Ministère public et à la Cour administrative du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.

                         __________

Lausanne, le 2 juillet 2001
ZIR/moh

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                       Le Président,

                        Le Greffier,