Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.306/2001
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1P.306/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        15 juin 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-Président du Tribunal fédéral, Favre et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.         , actuellement détenu aux Etablissements
pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe, à Orbe,

                           contre

l'arrêt rendu le 23 octobre 2000 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause
qui oppose le recourant au Ministère public du canton de
V a u d;

   (procédure pénale; appréciation arbitraire des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Par jugement du 14 juillet 2000, le Tribunal
correctionnel du district de Moudon a condamné A.________
pour infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants à
la peine de 8 ans de réclusion, sous déduction de 779 jours
de détention préventive, et à son expulsion du territoire
suisse pour une durée de 15 ans.

   Les premiers juges ont retenu en substance
qu'A.________ avait, entre le 11 avril 1998 et le 28 mai
1998, livré à neuf reprises à des tiers une quantité totale
indéterminée d'héroïne, mais au minimum 2,350 kilos, d'un
taux de pureté compris entre 23,3% et 28,8%, et d'avoir né-
gocié la livraison d'un kilo d'héroïne, dont il n'a pas été
établi si elle avait eu lieu. Pour asseoir leur conviction,
ils se sont notamment fondés sur les retranscriptions des
écoutes téléphoniques opérées en cours d'enquête et les pho-
tographies produites aux débats par le dénonciateur.

   Par arrêt du 23 octobre 2000, la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la
Cour de cassation pénale ou la cour cantonale) a rejeté le
recours formé par A.________ contre ce jugement. Elle a esti-
mé que les premiers juges n'avaient pas violé le droit d'être
entendu de l'accusé en forgeant leur conviction sur des pho-
tographies dont celui-ci avait pu prendre connaissance et à
la production desquelles il ne s'était pas opposé lors de
l'audience de jugement, par voie incidente. De même, elle a
relevé que les premiers juges n'avaient pas violé de règles
essentielles de la procédure en prenant en considération les
écoutes téléphoniques opérées légalement en cours d'enquête
et qu'ils n'avaient pas procédé à une appréciation arbitraire
des preuves.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral de réduire sa peine de
manière à ce qu'elle ne dépasse pas cinq ans et demi de ré-
clusion et de renvoyer la cause à un autre tribunal de pre-
mière instance. Il voit une double violation de son droit
d'être entendu dans le fait qu'il n'a pas eu accès aux écou-
tes téléphoniques, sur lesquelles les premiers juges se sont
fondés pour admettre sa culpabilité, et dans la production de
photographies à l'audience de jugement, à laquelle il n'a pu
s'opposer et sur lesquelles il n'a pu valablement s'exprimer.
Il se plaint également d'une inégalité de traitement dans la
fixation de sa peine par rapport à celle infligée au chef du
réseau de trafiquants de drogue. Il sollicite l'assistance
judiciaire.

   La Cour de cassation pénale se réfère à son arrêt.
Le Ministère public du canton de Vaud conclut au rejet du
recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127
III 41 consid. 2a p. 42 et les arrêts cités).

   a) Dans la mesure où le recourant reproche à la
cour cantonale une appréciation arbitraire des preuves et des
constatations de fait qui en découlent, seule la voie du
recours de droit public est ouverte à l'exclusion du pourvoi
en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral
(ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les arrêts cités). En
revanche, lorsqu'il se plaint de la quotité de la peine,
qu'il juge excessive en comparaison de celle infligée à un
autre coaccusé, le recourant invoque une violation de l'art.

63 CP, soit une règle de droit pénal fédéral matérielle, dont
il ne peut faire revoir l'application et l'interprétation
qu'au moyen du pourvoi en nullité à la Cour de cassation
pénale du Tribunal fédéral (art. 269 al. 1 PPF; cf. ATF 120
IV 136 consid. 3a p. 144; 116 IV 292 consid. 2 p. 293/294).
En vertu de la règle de la subsidiarité du recours de droit
public ancrée à l'art. 84 al. 2 OJ, le présent recours est
donc irrecevable sur ce point comme recours de droit public.
Par ailleurs, sa conversion en un pourvoi en nullité n'entre
pas en considération dès lors que le recourant n'a pas déposé
de déclaration de pourvoi dans les dix jours suivant la
communication du dispositif de l'arrêt attaqué, conformément
à l'art. 272 al. 1 PPF, dans sa teneur alors en vigueur.

   b) Le recourant est directement touché par l'arrêt
cantonal qui confirme sa condamnation à une peine de 8 ans de
réclusion et à son expulsion du territoire suisse pour une
durée de 15 ans; il a un intérêt personnel, actuel et juridi-
quement protégé à ce que ce jugement soit annulé et a, par-
tant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ.

   Interjeté en temps utile contre une décision finale
rendue en dernière instance cantonale, le recours répond au
surplus aux réquisits des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.

   c) Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recours de
droit public doit contenir l'énoncé des faits essentiels et
un bref exposé démontrant quels droits constitutionnels ou
quels principes juridiques ont été violés par la décision
attaquée, et dans quelle mesure. Le Tribunal fédéral n'exa-
mine que les motifs soulevés de façon claire et détaillée. Il
n'entre pas en matière sur les griefs développés de manière
insuffisante et sur de pures critiques appellatoires du ju-
gement entrepris (ATF 126 III 534 consid. 1b p. 536). Le re-
courant ne peut en particulier pas se limiter à une critique
globale de l'arrêt attaqué, en prétendant que ce dernier est

arbitraire. Il doit bien davantage démontrer que l'apprécia-
tion des preuves à laquelle a procédé le Tribunal cantonal
est manifestement insoutenable, se trouve en contradiction
grossière avec la situation de fait, qu'elle lèse une règle
ou un principe juridique incontestés ou qu'elle heurte de
façon choquante le sentiment de la justice. Dans la mesure où
le recourant invoque la maxime "in dubio pro reo" en tant que
règle d'appréciation des preuves, il doit également démontrer
que la cour cantonale a versé dans l'arbitraire en le condam-
nant, bien qu'il subsistât, selon une appréciation objective
du résultat de l'administration des preuves, des doutes mani-
festement sérieux et irréductibles quant à sa culpabilité
(ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495/496 et les arrêts cités).

   Ces principes valent aussi lorsque le recours est
intenté par une personne qui ne dispose pas d'une formation
juridique; ils peuvent toutefois être assouplis dans ce cas,
pour autant que le Tribunal fédéral puisse déduire de la mo-
tivation, même brève et maladroite, l'atteinte à un droit ou
à un principe constitutionnel (ATF 115 Ia 12 consid. 2b p.
14).

   d) Vu la nature cassatoire du recours de droit pu-
blic, les conclusions qui vont au-delà de la simple demande
d'annulation de la décision attaquée sont irrecevables, sauf
exceptions non réalisées dans le cas présent (ATF 127 II 1
consid. 2c p. 5 et la jurisprudence citée).

   2.- Le recourant voit une violation de son droit
d'être entendu dans le fait qu'il n'aurait pas eu accès aux
écoutes téléphoniques et que l'agent de police dénonciateur a
produit à l'audience de jugement différentes photographies à
propos desquelles il n'aurait pas pu valablement s'exprimer.
Il n'invoque sur ce point aucune norme du droit cantonal, de
sorte que le mérite de son grief doit être tranché au regard
des garanties minimales déduites directement de l'art. 29

al. 2 Cst., dont le Tribunal fédéral examine librement si
elles ont été observées (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les
arrêts cités).

   a) Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.,
le droit d'être entendu comprend, de manière générale, le
droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de
prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné
suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à
l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins
de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à
influer sur la décision à rendre (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa
p. 16 et les arrêts cités). Il découle notamment du droit
d'être entendu que les enregistrements de conversations
téléphoniques et leurs transcriptions, destinés à servir
d'éléments de preuve dans le cadre d'une procédure pénale,
doivent figurer dans le dossier et être accessibles aux
parties, afin que le prévenu ou son défenseur puissent les
consulter et, à tout le moins pendant l'audience de jugement,
se déterminer à leur sujet (ATF 109 Ia 273 consid. 11 p. 297;
cf. Leo Staub, Tonaufnahmen als Mittel zur Aufdeckung von
Straftaten, thèse Zurich 1985, p. 192).

   b) Les enregistrements téléphoniques sont relatés
dans le rapport de synthèse de la police de sûreté vaudoise,
avec l'identité des locuteurs, leurs numéros d'appel et le
contenu des conversations. Ce document a régulièrement été
versé à la procédure et le recourant ou son conseil avaient
ainsi tout loisir, en consultant le dossier, de prendre
connaissance de celles-ci et de s'exprimer à leur sujet
durant l'instruction, puis au cours des débats. Il aurait
également pu demander qu'il soit procédé à l'audition des
enregistrements susceptibles d'être retenus à sa charge à
l'audience de jugement, ce qu'il n'a pas fait. Le grief de
violation du droit d'être entendu est donc mal fondé, pour ce
qui est de l'accès au contenu desdites écoutes téléphoniques.

   Pour le surplus, en tant qu'il concerne la fiabilité
de celles-ci, en raison de l'impossibilité de déterminer avec
certitude l'emplacement et l'identité du locuteur, le grief
relève non pas de la violation du droit d'être entendu, mais
de l'appréciation des preuves.

   c) Par ailleurs, les photographies litigieuses ont
été produites à la demande du tribunal lors des débats et les
accusés ont pu en prendre connaissance. Ils ont ainsi pu tout
d'abord s'exprimer sur le fait de verser à la procédure ces
photographies, circonstance qu'ils ont admise puisqu'ils ne
se sont pas opposés à leur apport. Ensuite, ils ont pu, au
cours des débats, puis lors des plaidoiries, faire valoir
leurs moyens sur ces photographies et les événements à la
preuve desquels elles étaient censées contribuer. Dans ce
sens, le droit d'être entendu du recourant a été pleinement
observé.

   Ce dernier rattache au même grief la façon dont le
Président du Tribunal correctionnel du district de Moudon a
requis la production de ces photographies, soit hors audience
et en aparté avec le dénonciateur. A cet égard, le moyen
soulevé ne répond pas aux exigences, même assouplies, de
l'art. 90 al. 1 let. b OJ pour que le Tribunal fédéral puisse
entrer en matière. Il n'est notamment pas possible de
discerner dans l'argumentation du recourant un reproche de
violation de l'art. 30 al. 1 Cst. par la Cour de cassation
pénale, moyen qui serait de toute manière tardif (ATF 126 III
249 consid. 3c p. 253; 124 I 121 consid. 2 p. 123; 119 Ia 221
consid. 5a p. 228 et les références citées).

   3.- a) En tant qu'elle a trait à la constatation des
faits et à l'appréciation des preuves, la maxime "in dubio
pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective de
l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute
insurmontable sur la culpabilité de l'accusé (ATF 127 I 38

consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31
consid. 2c p. 37). Saisi d'un recours de droit public mettant
en cause l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral
examine seulement si le juge cantonal a outrepassé son pou-
voir d'appréciation et établi les faits de manière arbitraire
(ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211;
120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et
les arrêts cités). Une constatation de fait n'est pas arbi-
traire pour la seule raison que la version retenue par le
juge ne coïncide pas avec celle de l'accusé; encore faut-il
que l'appréciation des preuves soit manifestement insoutena-
ble, en contradiction flagrante avec la situation effective,
qu'elle constitue la violation d'une règle de droit ou d'un
principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle
heurte de façon grossière le sentiment de la justice et de
l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30), ce qu'il appar-
tient au recourant d'établir (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495
et les arrêts cités). L'art. 32 al. 1 Cst., entré en vigueur
le 1er janvier 2000, qui consacre spécifiquement la notion de
la présomption d'innocence, ne fait que reprendre les princi-
pes posés dans ce domaine par la jurisprudence (FF 1997 I 1
ss, notamment p. 188/189; ATF 127 I 38 consid. 2b p. 41/42).

   Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de
recours avait, sur les questions posées dans le recours de
droit public, une cognition semblable à celle du Tribunal fé-
déral, ce dernier porte concrètement son examen sur l'arbi-
traire allégué du jugement de l'autorité inférieure, à la lu-
mière des griefs soulevés dans l'acte de recours. Cependant,
pour se conformer aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ,
le recourant ne peut pas simplement reprendre les critiques
qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de
cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière
aurait refusé à tort de qualifier d'arbitraire l'appréciation
des preuves par l'autorité de première instance. Le Tribunal
fédéral se prononce librement sur cette question (ATF 126 III

534 consid. 1b p. 536; 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495
et les arrêts cités).

   b) Il est douteux que le recours réponde sur ce
point aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ en tant
qu'il se borne à reprendre les arguments présentés à l'appui
du recours cantonal. Peu importe en définitive.

   Les premiers juges ont minutieusement procédé à
l'examen des dix cas pris en considération pour retenir la
culpabilité du recourant du chef d'accusation d'infraction
grave à la loi fédérale sur les stupéfiants, en se fondant
sur les écoutes téléphoniques, indiquées avec précision, sur
les photographies, concernant le quatrième cas, du 12 mai
1998, sur l'utilisation d'un même véhicule, pour les quatriè-
me et dixième cas, ainsi que sur les déclarations des coaccu-
sés. De plus, chaque fois que la quantité de drogue n'a pu
être déterminée, ils l'ont expressément mentionné, le doute
profitant aux accusés sur ce point. Au vu de l'ensemble des
indices et des éléments de preuve recueillis au cours de
l'enquête, puis discutés lors des débats, les premiers juges
ont pu forger leur conviction au terme d'une appréciation
objective de toutes ces données, en accord avec les faits
retenus dans le dossier, de sorte qu'aucun doute ne subsis-
tait quant à la culpabilité de l'intéressé. Ils ont également
fait bénéficier celui-ci du doute quant à l'ampleur des quan-
tités de drogue livrées, avec les conséquences d'une telle
position sur le jugement de la gravité des infractions.

   L'appréciation des preuves à laquelle se sont livrés
les premiers juges échappe ainsi au grief d'arbitraire. Il en
va de même de l'arrêt attaqué qui aboutit au même constat.

   4.- Les considérants qui précèdent conduisent en
conséquence au rejet du recours dans la mesure où il est
recevable.

   Celui-ci étant d'emblée dénué de toute chance de
succès, le recourant ne saurait être mis au bénéfice de
l'assistance judiciaire (art. 152 al. 1 OJ). Toutefois, en
application de l'art. 154 OJ, il peut être dispensé à titre
exceptionnel des frais judiciaires.

   Les autorités intimées n'ont pas droit à des dépens
(art. 159 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable;

   2. Rejette la demande d'assistance judiciaire;

   3. Dit qu'il est statué sans frais;

   4. Communique le présent arrêt en copie au recou-
rant, au Ministère public et au Tribunal cantonal du canton
de Vaud.

Lausanne, le 15 juin 2001
PMN/BMH
            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                  Le Greffier,