Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.24/2001
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1P.24/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       30 janvier 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

B.________, représenté par Me Kathrin Gruber, avocate à
Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 20 décembre 2000 par le Tribunal d'accusa-
tion du Tribunal cantonal du canton de Vaud;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- B.________, ressortissant italien né le 27 dé-
cembre 1952, se trouve en détention préventive depuis le 23
août 1999 sous la prévention de participation à une organisa-
tion criminelle et de blanchiment d'argent; il a par la suite
également été inculpé d'escroquerie, de faux dans les titres,
de fabrication et de mise en circulation de fausse monnaie,
d'infraction à la loi fédérale sur le séjour et l'établisse-
ment des étrangers ainsi que d'infraction à la loi fédérale
sur les stupéfiants.

   Il lui est reproché d'avoir mis sur pied, de concert
avec R.________, P.________ et C.________, une organisation
ayant fabriqué et mis en circulation de la fausse monnaie en
Suisse et à l'étranger, et ayant recyclé de l'argent prove-
nant d'activités illicites telles que la prostitution, le
jeu, le commerce de matières dangereuses ou la drogue. Il
aurait en outre participé à des escroqueries portant sur des
investissements à haut rendement et confectionné une fausse
garantie bancaire portant sur une somme de 9 millions de
francs suisses, sur la base d'un relevé de compte établi à
son nom, dont le solde était en réalité de 300 fr. Il est
enfin soupçonné d'avoir participé en 1997 à un important tra-
fic de cocaïne entre la Colombie et divers pays européens,
dont la Russie.

   B.- Le Juge d'instruction de l'arrondissement de
l'Est vaudois a rejeté plusieurs demandes de mise en liberté
formées par B.________ en raison des risques de récidive, de
fuite et de collusion. Par arrêt du 24 mars 2000, le Tribunal
d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-
après: le Tribunal d'accusation) a notamment confirmé l'or-

donnance rendue par ce magistrat le 6 mars 2000 sur recours
du prévenu.

   Par arrêt du 7 juillet 2000, le Tribunal fédéral a
rejeté un recours de droit public formé contre cet arrêt par
B.________. Il a notamment confirmé l'existence de présomp-
tions suffisantes de culpabilité pour les différents chefs
d'accusation retenus à l'encontre du prévenu ainsi que les
risques de collusion et de fuite.

   C.- Par ordonnance du 5 décembre 2000, le Juge
d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois a rejeté
une nouvelle demande de mise en liberté provisoire présentée
par B.________, décision que ce dernier a vainement contestée
devant le Tribunal d'accusation. Dans son arrêt du 20 décem-
bre 2000, cette autorité a justifié le maintien de la déten-
tion préventive par le risque de fuite et s'est référée pour
le surplus aux motifs exposés à l'appui de ses arrêts des 24
mars, 30 mai, 9 octobre et 23 novembre 2000 et de l'arrêt du
Tribunal fédéral du 7 juillet 2000, s'agissant des indices de
culpabilité à l'encontre de B.________, en l'absence d'élé-
ments nouveaux pertinents susceptibles de conduire à une ap-
préciation différente des faits. Elle a en outre considéré
que le principe de la proportionnalité était en l'état res-
pecté, mais que le prévenu devrait être mis en liberté aussi-
tôt qu'il sera en mesure d'offrir des sûretés suffisant à ga-
rantir sa présence aux débats, compte tenu de sa situation
financière. Enfin, elle a renouvelé l'invitation faite au ma-
gistrat instructeur, dans le cadre d'un arrêt non contesté du
23 novembre 2000, d'"instruire la cause sans désemparer afin
de clôturer l'enquête à bref délai, sous réserve d'éléments
nouveaux".

   D.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 9, 10 al. 2, 31 al. 1, 32 al. 1 et 36
Cst. ainsi que des art. 5 et 6 CEDH, B.________ demande au

Tribunal fédéral d'ordonner sa mise en liberté immédiate. Il
reproche au Tribunal d'accusation d'avoir violé son droit
d'être entendu en se référant aux motifs exposés à l'appui de
précédents arrêts pour rejeter sa demande de mise en liberté
provisoire. Il prétend par ailleurs que les éléments de la
procédure mentionnés dans l'arrêt attaqué ne constitueraient
pas, au stade actuel de l'enquête, des indices suffisants
pour conclure à sa culpabilité des chefs d'accusation retenus
à sa charge. Il voit en outre une violation du principe de la
célérité dans le fait que les investigations entreprises à
l'étranger sont au point mort et que l'inspecteur en charge
de l'enquête doit s'occuper d'un autre dossier. Il conteste
au surplus tout risque de fuite eu égard à la durée de la dé-
tention subie et s'oppose à une libération provisoire sous
caution. Il requiert l'assistance judiciaire.

   Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants
de son arrêt. Le Juge d'instruction de l'arrondissement de
l'Est vaudois n'a pas déposé d'observations.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant est personnellement touché par
l'arrêt attaqué, qui confirme une décision refusant sa mise
en liberté provisoire, et a, partant, qualité pour recourir
selon l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision
prise en dernière instance cantonale, le recours répond aux
exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il
convient d'entrer en matière. Les conclusions du recourant
tendant à sa libération immédiate sont par ailleurs receva-
bles (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

   2.- Une mesure de détention préventive n'est compa-
tible avec la liberté personnelle, garantie par l'art. 10 al.

2 Cst. et par l'art. 5 CEDH, que si elle repose sur une base
légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espè-
ce l'art. 59 du Code de procédure pénale vaudois (CPP vaud.).
Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et res-
pecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3
Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le
cas, la privation de liberté doit être justifiée par les be-
soins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de
collusion ou de réitération (cf. art. 59 al. 1, 2 et 3 CPP
vaud.). La gravité de l'infraction ne peut à elle seule fon-
der la prolongation de la détention préventive (ATF 106 Ia
404 consid. 4c p. 407), même si, compte tenu de l'ensemble
des circonstances, elle permet souvent de présumer l'existen-
ce d'un risque de fuite eu égard à l'importance de la peine
privative de liberté dont l'intéressé est menacé (ATF 117 Ia
69 consid. 4a p. 70 et les arrêts cités). Préalablement à ces
conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des
charges suffisantes (ATF 116 Ia 143 consid. 3 p. 144). Cette
dernière exigence coïncide avec la règle de l'art. 5 § 1 let.
c CEDH, qui autorise l'arrestation d'une personne s'il y a
des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une in-
fraction.

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 281
consid. 3 p. 283).

   3.- Le recourant voit une violation de son droit
d'être entendu dans le fait que l'autorité intimée s'est ré-
férée aux motifs exposés dans différents arrêts rendus par
ses soins ou par le Tribunal fédéral, pour étayer les indices
de culpabilité à son encontre, en l'absence de faits nouveaux

pertinents susceptibles de conduire à une appréciation diffé-
rente de la situation. Un tel procédé devrait être assimilé à
un renvoi au dossier incompatible avec l'obligation faite au
juge de motiver ses décisions; de plus, il ne tiendrait pas
compte de l'écoulement du temps et, en particulier, du fait
que l'enquête ne pourra être close à bref délai.

    a) La jurisprudence rendue sous l'empire de l'art.
4 aCst., mais qui garde toute sa valeur dans le cadre de
l'art. 29 al. 2 Cst., a déduit du droit d'être entendu
l'obligation pour l'autorité de motiver ses décisions, afin
que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses
droits de recours en connaissance de cause. Pour satisfaire
cette exigence, il suffit que l'autorité mentionne au moins
brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a
fondé sa décision. Elle n'a pas l'obligation d'exposer et de
discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués
par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux
qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF
125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 II 146 consid. 2a p. 149;
122 IV 8 consid. 2c p. 14/15; 121 I 54 consid. 2c p. 57 et
les arrêts cités).

   L'autorité saisie d'une demande de mise en liberté
provisoire doit statuer à bref délai. Cette règle implique
que les motifs soient communiqués rapidement, si la décision
n'est pas motivée en même temps qu'elle est prononcée. Il est
donc admissible, tout spécialement en cas de prolongations
successives d'une détention, que l'autorité renonce à une mo-
tivation détaillée, reprenant l'ensemble des circonstances de
fait et en droit; elle peut, au contraire, ne spécifier que
les éléments essentiels, que la personne détenue peut compre-
ndre sans l'assistance de son conseil. Dans cette mesure, il
est admis que l'autorité se borne à adhérer aux motifs de la
demande de prolongation de la détention (ATF 114 Ia 281 con-
sid. 4c p. 285), pour autant que le recourant ne fasse pas

valoir d'arguments nouveaux pertinents (ATF 103 Ia 407 con-
sid. 3a p. 409). En revanche, le renvoi pur et simple aux
actes de la procédure ne suffit pas (ATF 123 I 31 consid. 2c
p. 34 et les arrêts cités).

   b) En l'occurrence, l'autorité intimée ne s'est pas
limitée à renvoyer aux motifs exposés à l'appui de ses arrêts
des 24 mars, 30 mai, 9 octobre et 23 novembre 2000 et de
l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 juillet 2000 pour conclure à
l'existence d'indices suffisants de culpabilité à l'encontre
du recourant, mais elle a rappelé les diverses infractions
reprochées au prévenu en indiquant les actes de la procédure
qui fondaient, selon elle, ces indices, respectant ainsi son
obligation de motiver ses décisions. Au demeurant, le renvoi
à des jugements antérieurs ne viole pas nécessairement le
droit du détenu à titre préventif à une décision motivée,
pour autant que ce dernier ne fasse pas valoir d'éléments
nouveaux pertinents qui conduiraient à une appréciation dif-
férente des faits (cf. ATF 111 Ia 2 consid. 4a p. 4). Or, la
situation de fait n'a pas évolué de manière significative par
rapport à celle qui prévalait lorsque le Tribunal fédéral a
statué le 7 juillet 2000. Les investigations en cours à
l'étranger n'ont en effet pour l'heure révélé aucun indice à
charge ou à décharge. De même, les auditions auxquelles le
Juge d'instruction a procédé n'ont pas amené d'éléments nou-
veaux propres à modifier l'appréciation du Tribunal de céans
quant à l'existence d'indices suffisants de culpabilité à
l'endroit du recourant. Par ailleurs, il n'est pas établi que
tous les actes d'instruction envisageables auraient été ac-
complis, de sorte qu'il n'y a pas lieu de se montrer plus
strict, du fait de l'écoulement du temps, dans l'appréciation
de la valeur probante des éléments à charge et à décharge ré-
sultant du dossier.

   L'autorité intimée n'a par conséquent pas violé le
droit d'être entendu du recourant ni porté atteinte à la li-
berté personnelle garantie à l'art. 10 al. 2 Cst. en considé-
rant qu'il existait encore des indices suffisants de préven-
tion à son égard justifiant de le maintenir en détention.

   4.- Le risque de fuite, résultant de l'absence de
toute attache du recourant avec la Suisse, reste toujours ac-
tuel au regard des investigations en cours à l'étranger, qui
n'ont pour l'heure pas révélé d'éléments propres à faire ap-
paraître les charges retenues à l'endroit du prévenu comme
dénuées de tout fondement. La détention subie à ce jour n'est
pas de nature à l'écarter ou à l'atténuer dans une mesure
suffisante pour justifier en l'état la mise en liberté provi-
soire du recourant, au regard des infractions qui lui sont
reprochées. Pour le surplus, il appartiendra au Juge d'ins-
truction de statuer sur une éventuelle libération sous cau-
tion, en tenant compte des critères évoqués par la jurispru-
dence en ce domaine (cf. ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187).
Le grief tiré de l'absence de ressources financières pour
s'opposer à une telle mesure est, à cet égard, prématuré sous
l'angle de l'art. 86 al. 1 OJ.

   5.- Le recourant voit enfin une violation de son
droit à être jugé dans un délai raisonnable tel qu'il est ga-
ranti aux art. 5 § 3 CEDH et 31 al. 3 Cst. dans le fait que
le Tribunal d'accusation a réitéré l'invitation faite un mois
auparavant au magistrat instructeur à poursuivre la procédure
sans désemparer alors que celle-ci est au point mort et que
l'inspecteur chargé de l'enquête est occupé par un autre dos-
sier.

   a) Les art. 5 § 3 CEDH et 31 al. 3 Cst. reconnais-
sent à toute personne arrêtée ou détenue le droit d'être ju-
gée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la

phase d'instruction préparatoire. Ce droit découle plus lar-
gement des art. 6 § 1 CEDH et 29 al. 1 Cst., qui garantissent
à toute personne poursuivie pénalement le droit d'obtenir,
dans un délai raisonnable, une décision définitive sur le
bien-fondé de l'accusation dirigée contre elle (ATF 119 Ib
311 consid. 5b p. 325; 117 Ia 193 consid. 1c p. 197; 107 Ib
160 consid. 3b p. 164 et les arrêts cités; cf. ZBl 96/1995 p.
174 consid. 2). Selon la jurisprudence rendue sous l'empire
de l'art. 4 aCst., mais qui garde toute sa valeur sous l'an-
gle de l'art. 31 al. 3 Cst., le caractère raisonnable de la
durée d'une procédure pénale s'apprécie selon les circonstan-
ces particulières de la cause, eu égard à la complexité de
l'affaire, au comportement du requérant et à celui des auto-
rités compétentes, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour le pré-
venu (ATF 119 Ib 311 consid. 5b p. 325; 117 Ib 193 consid. 1c
p. 197; 117 IV 124 consid. 3 p. 126; ZBl 96/1995 p. 174; voir
aussi, arrêt de la CourEDH dans les causes Reinhardt et
Slimane-Kaïd c. France, du 31 mars 1998, Rec. 1998-II, p.
640, § 97 et les arrêts cités).

   b) En l'espèce, l'essentiel des actes d'instruction
en cours ont lieu à l'étranger. Or, ces investigations, dont
nul ne conteste la pertinence, ne progressent apparemment pas
malgré les interventions régulières du Juge d'instruction au-
près des autorités concernées. Même si elle n'est pas imputa-
ble au magistrat instructeur, cette situation ne saurait per-
durer, sous peine de violer les art. 5 § 3 CEDH et 31 al. 3
Cst. Le Tribunal fédéral n'est toutefois pas en mesure d'ap-
précier le temps nécessaire pour mener à terme les mesures
d'instruction entreprises à l'étranger et, partant, de véri-
fier si l'enquête pourrait être close dans un délai encore
compatible avec les exigences constitutionnelles et conven-
tionnelles. Afin de respecter le principe de la célérité, il
appartiendra au magistrat instructeur de réexaminer à bref
délai la situation, en tenant compte de l'état des recherches
entreprises à l'étranger et de leur durée probable, et de

prendre une nouvelle décision concernant le maintien du re-
courant en détention ou sa libération, le cas échéant sous
caution.

   6.- Le recours doit par conséquent être rejeté dans
la mesure où il est recevable, au sens des considérants. Les
conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient
de faire droit à la demande d'assistance judiciaire et de
statuer sans frais. Me Kathrin Gruber est désignée comme avo-
cate d'office du recourant pour la présente procédure et une
indemnité lui sera versée (art. 152 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable, au sens des considérants.

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire.

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

   4. Désigne Me Kathrin Gruber en qualité de manda-
taire d'office du recourant.

    5. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera à
la mandataire du recourant une indemnité de 1'500 fr. à titre
d'honoraires.

   6. Communique le présent arrêt en copie à la manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement
de l'Est vaudois et au Tribunal d'accusation du Tribunal can-
tonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 30 janvier 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,