Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.238/2001
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1P.238/2001

       Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
      **********************************************

                        2 avril 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Féraud et Catenazzi.
Greffier: M. Jomini.

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

la Ville de Genève, représentée par son Conseil adminis-
tratif, au nom de qui agit Christian Ferrazino, Conseiller
administratif,

                           contre

la décision prise le 29 mars 2001 par le Président du Tribu-
nal administratif de la République et canton de Genève, dans
la cause qui oppose la recourante au Département de l'aména-
gement, de l'équipement et du logement de la République et
canton de Genève, à la société anonyme SI LUELLA en liquida-
tion, représentée par Me Yves Jeanrenaud, avocat à Genève,
aux membres de l'hoirie Corminboeuf, soit Charly Corminboeuf,
Jean-Claude Corminboeuf, Monique Corminboeuf et A.-M.
Schopfer-Corminboeuf, p.a. Jean-Claude Corminboeuf, chemin de
la Remettaz 9, à Vessy, et à Robert Massey, représenté par Me
Jean-François Marti, avocat à Genève;

 (protection des monuments historiques, autonomie communale)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.-  Le 12 mars 2001, la Ville de Genève s'est
adressée au Département de l'aménagement, de l'équipement et
du logement de la République et canton de Genève (DAEL; ci-
après: le département cantonal) pour lui demander d'inscrire
trois bâtiments - les villas sises aux numéros 42, 44 et 46
de l'avenue de la Roseraie, à Genève - à l'inventaire canto-
nal des immeubles dignes d'être protégés. Cet inventaire est
prévu par la loi cantonale du 4 juin 1976 sur la protection
des monuments, de la nature et des sites (LPMNS).

   En demandant cette mise à l'inventaire, la Ville de
Genève a requis le département cantonal d'ordonner des mesu-
res conservatoires, à savoir d'interdire aux propriétaires
concernés - la société SI LUELLA en liquidation, les membres
de l'hoirie Corminboeuf et Robert Massey - de démolir ou de
modifier leurs bâtiments. Par une décision prise le 14 mars
2001, le président du département cantonal a refusé d'ordon-
ner les mesures conservatoires requises. En l'état, il n'a
pas encore statué sur la mise à l'inventaire.

   B.-  La Ville de Genève a recouru le 20 mars 2001
auprès du Tribunal administratif cantonal contre la décision
du département cantonal refusant les mesures conservatoires.
Dans son recours, elle a requis des mesures provisionnelles
urgentes, afin d'interdire toute atteinte aux trois bâtiments
précités.

   Le Président du Tribunal administratif a rendu le
29 mars 2001 une décision incidente, rejetant la requête de
mesures provisionnelles.

   Sur le fond, l'affaire est toujours pendante devant
le Tribunal administratif.

   C.-  Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, la Ville de Genève demande au Tribunal fédéral d'annu-
ler la décision incidente rendue le 29 mars 2001 par le Pré-
sident du Tribunal administratif. Elle se plaint d'une viola-
tion de l'autonomie communale.

   L'acte de recours, déposé le 30 mars 2001, contient
une requête de mesures provisionnelles urgentes. La recouran-
te demande au Tribunal fédéral d'ordonner aux intimés de
maintenir en l'état les trois bâtiments litigieux et de ne
procéder à aucune démolition partielle ou totale. Elle expose
que la société SI LUELLA en liquidation, propriétaire de
l'immeuble sis avenue de la Roseraie 42, dispose d'une auto-
risation de démolir ce bâtiment et que sans les mesures pro-
visionnelles requises, elle pourrait engager les travaux de
démolition dès le 2 avril 2001.

   Il n'a pas été demandé de réponses.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.-  a)  Le recours de droit public, au sens de
l'art. 84 al. 1 let. a OJ, est conçu pour la protection des
droits constitutionnels des citoyens. L'Etat - cantons, com-
munes ou leurs autorités, autres collectivités ou établisse-
ments de droit public - n'est en principe pas titulaire de
ces droits constitutionnels, qui existent précisément contre
lui (ATF 125 I 173 consid. 1b p. 175; 121 I 218 consid. 2a p.
219, et les arrêts cités). On admet cependant, pour les com-
munes, une exception à ce principe: elles peuvent, par la
voie du recours de droit public, se prévaloir de la garantie
de leur autonomie ou de leur existence (cf. art. 50 al. 1 et
189 al. 1 let. b Cst.; ATF 124 I 223 consid. 1b p. 226; 122 I
279 consid. 8 p. 290; 121 I 155 consid. 4 p. 159 et les ar-

rêts cités). En l'espèce, la recourante se plaint, précisé-
ment, d'une violation de son autonomie.

   Déterminer si, dans un domaine juridique particu-
lier, la commune jouit effectivement d'une autonomie, n'est
pas une question de recevabilité, mais constitue l'objet
d'une appréciation au fond (ATF 124 I 223 consid. 1b p. 226
et les arrêts cités). Dans la mesure où son autonomie est en
cause, la commune peut exiger de l'autorité cantonale qu'elle
respecte les limites de sa compétence et applique correcte-
ment les dispositions du droit fédéral, cantonal ou communal
qui règlent la matière, y compris les règles de procédure
(cf. ATF 126 I 133 consid. 2 p. 136).

   b)  La contestation porte, devant le Tribunal admi-
nistratif, sur des mesures conservatoires que le département
cantonal peut ordonner en vue d'assurer la protection de mo-
numents historiques. La décision attaquée ne traite pas du
bien-fondé du refus des mesures conservatoires requises, mais
uniquement, à ce stade-là, de la nécessité de prendre des me-
sures provisionnelles dans la procédure cantonale de recours.
A l'évidence, cette décision a un caractère incident: le re-
cours de droit public n'est donc recevable que pour autant
qu'un préjudice irréparable puisse en résulter (art. 87 al. 2
OJ). Cette question peut néanmoins demeurer indécise, vu le
sort à réserver, sur le fond, aux conclusions de la recouran-
te. Il n'est pas non plus nécessaire d'examiner les autres
conditions de recevabilité du recours de droit public.

   2.-  a)  Selon la jurisprudence, une commune béné-
ficie de la protection de son autonomie dans les domaines que
le droit cantonal ne règle pas de manière exhaustive, mais
dans lesquels il lui laisse une liberté de décision relative-
ment grande, soit en lui attribuant la compétence d'édicter
et d'appliquer ses propres prescriptions, soit en lui réser-
vant une latitude équivalente dans l'application du droit

cantonal ou fédéral (ATF 126 I 133 consid. 2 p. 136; 124 I
223 consid. 2b p. 226 et les arrêts cités). L'art. 50 al. 1
Cst., qui depuis le 1er janvier 2000 consacre expressément
au niveau fédéral la garantie de l'autonomie communale dans
les limites fixées par le droit cantonal, ne modifie pas la
portée de cette protection (cf. Andreas Auer, Giorgio
Malinverni, Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse,
vol. I, Berne 2000, p. 79 ss).

   b)  La recourante a demandé au département cantonal
d'inscrire les trois bâtiments litigieux à l'inventaire des
immeubles dignes d'être protégés, selon la procédure des art.
7 ss LPMNS. La mise à l'inventaire est une des mesures de
protection des monuments historiques ou des immeubles dignes
d'intérêt que prévoit la loi cantonale (art. 7 al. 1 LPMNS en
relation avec l'art. 4 LPMNS); elle a pour conséquence d'im-
poser le maintien et la préservation des immeubles inscrits
(art. 9 LPMNS).

   En vertu de l'art. 45 LPMNS, il appartient à une
autorité cantonale, désignée par le Conseil d'Etat, d'exécu-
ter cette loi: il s'agit du département de l'aménagement, de
l'équipement et du logement (art. 1 du règlement général
d'exécution de la loi sur la protection de la nature, des
monuments et des sites - RPMNS). Le Conseil d'Etat exerce
lui-même la haute surveillance dans ce domaine (art. 43
LPMNS). L'autorité compétente - le département cantonal -
décide donc de l'inscription à l'inventaire d'un immeuble
(art. 7 al. 1 LPMNS) et il peut prendre les mesures conser-
vatoires appropriées (art. 5 al. 1 LPMNS).

   Dans la procédure de mise à l'inventaire, la commune
du lieu de situation de l'immeuble n'a aucune compétence ré-
glementaire, ni aucun pouvoir de décision. Elle peut, en
vertu de l'art. 7 LPMNS, présenter au département cantonal
une requête motivée en vue d'une inscription - cette faculté

étant aussi reconnue à certaines associations d'importance
cantonale à but idéal - et elle doit dans tous les cas être
consultée par ce département (art. 8 LPMNS). On ne saurait
toutefois, comme le fait la recourante, déduire de ces droits
de pétition et de préavis l'existence d'une autonomie commu-
nale garantie par le droit cantonal. Il s'ensuit que le grief
de violation de l'autonomie communale est manifestement mal
fondé.

   3.-  Le recours de droit public doit en conséquence
être rejeté, dans la mesure où il est recevable, selon la
procédure simplifiée de l'art. 36a al. 1 OJ.

   Le rejet du recours rend sans objet la requête de
mesures provisionnelles.

   Le présent arrêt doit être rendu sans frais (art.
156 al. 2 OJ). Les intimés, n'ayant pas été invités à procé-
der devant le Tribunal fédéral, n'ont pas droit à des dépens
(art. 159 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

   1. Rejette le recours, dans la mesure où il est re-
cevable.

   2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire,
ni alloué de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux parties,
le cas échéant par leurs mandataires, et au Tribunal adminis-
tratif de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 2 avril 2001
JIA/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,