Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.234/2001
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1P.234/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        25 juin 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Favre et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

P.________, représenté par Me Jérôme Bassan, suppléé par Me
Raphaël Quinodoz, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 19 février 2001 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de Genève, dans la cause qui oppose
le recourant à W.________, représentée par Me Olivier
Carrard, avocat à Genève, et au Procureur général du canton
de Genève;

       (appréciation des preuves en procédure pénale)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Par jugement du 9 novembre 2000, le Tribunal de
police du canton de Genève a condamné P.________ à deux mois
d'emprisonnement avec sursis, pour lésions corporelles graves
par négligence au préjudice de W.________. Le 4 juin 1999,
circulant en direction de Chambésy avec à son bord deux pas-
sagères, R.________ - à l'arrière du véhicule - et W.________
- à ses côtés -, P.________ a obliqué à gauche alors que la
signalisation lumineuse correspondante était au rouge. Son
véhicule a été heurté par celui, venant en sens inverse, de
G.________, puis par celui de B.________. Les deux chocs suc-
cessifs ont projeté hors du véhicule P.________ et
W.________. Après deux jours de coma, cette dernière a souf-
fert d'une hémiplégie temporaire du côté droit, d'une légère
fracture du crâne et d'une fracture du poignet droit; elle
subissait encore des troubles de l'élocution et de la mémoi-
re, avec un état dépressif. Le tribunal s'est fondé sur les
déclarations de R.________ et d'autres témoins pour retenir
que le feu était au rouge pour la voiture de P.________, et
au vert pour les véhicules venant en sens inverse. Il s'est
fondé sur le témoignage de R.________ pour considérer que
W.________ avait attaché sa ceinture de sécurité, contrai-
rement aux affirmations de P.________ et aux conclusions du
rapport de police du 15 août 1999.

   B.- Sur appel de P.________, la Chambre pénale gene-
voise a, par arrêt du 19 février 2001, réduit la peine à un
mois d'emprisonnement, compte tenu des antécédents de l'inté-
ressé, des blessures subies par celui-ci et des suites écono-
miques de l'accident. En revanche, elle a retenu que
W.________ avait attaché sa ceinture, compte tenu des affir-
mations catégoriques de R.________ sur ce point. Les deux
chocs successifs et plusieurs tête-à-queue pouvaient expli-

quer que la victime ait été éjectée, la passagère ayant pu
glisser sous la ceinture de sécurité.

   C.- P.________ forme un recours de droit public
contre ce dernier arrêt. Il conclut à son annulation et au
renvoi de la cause à l'instance cantonale afin qu'elle pro-
cède au sens des considérants.

   La cour cantonale se réfère aux considérants de son
arrêt. Le Ministère public conclut à sa confirmation.
W.________ conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiai-
rement à son rejet, avec suite de frais et dépens.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recours de droit public est formé en temps
utile contre un arrêt final rendu en dernière instance can-
tonale. Le recourant, dont la condamnation se trouve confir-
mée par l'arrêt attaqué, a qualité (art. 88 OJ) pour se
plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves. Les con-
clusions allant au-delà de la simple annulation de l'arrêt
attaqué sont irrecevables.

   2.- a) Saisi d'un recours de droit public dirigé
contre une condamnation pénale, le Tribunal fédéral ne revoit
l'appréciation des preuves que sous l'angle de l'arbitraire;
il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation
à celle du juge de la cause. A cet égard, la présomption
d'innocence, garantie actuellement par les art. 32 al. 1 Cst.
et 6 par. 2 CEDH, ne fait que reprendre les principes posés
dans ce domaine par la jurisprudence rendue à propos de
l'art. 4 aCst. L'entrée en vigueur de l'art. 9 Cst., qui
prohibe l'arbitraire, n'a rien changé au pouvoir d'examen du
Tribunal fédéral dans ce domaine (ATF 127 I 38). Le recourant

doit démontrer qu'à l'issue d'une appréciation exempte d'ar-
bitraire de l'ensemble des preuves, le juge aurait dû éprou-
ver des doutes sérieux et irréductibles sur sa culpabilité
(ATF 127 I 38 consid. 2 p. 41, 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88,
120 Ia 31 consid. 2e p. 38 et 4b p. 40).

   L'appréciation des preuves est arbitraire lors-
qu'elle heurte d'une manière choquante le sentiment de la
justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral n'invalide la
solution retenue par le juge de la cause que si elle apparaît
insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation
effective ou adoptée sans motifs objectifs. L'appréciation
doit apparaître arbitraire tant dans ses motifs que dans son
résultat. Il ne suffit pas qu'une solution différente puisse
être tenue pour également concevable ou apparaisse même pré-
férable (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41 et les arrêts cités).

   b) Au terme d'une argumentation de type appellatoire
dont la recevabilité paraît douteuse au regard de l'art. 90
al. 1 let. b OJ, le recourant soutient qu'il existait un
"doute suffisant" sur le point de savoir si W.________ avait
ou non attaché sa ceinture de sécurité. La cour cantonale
s'est fondée sur les déclarations de R.________, elle-même
choquée par l'accident, alors qu'il ressortait du rapport de
police du 15 août 1999 et du rapport technique du 16 juin
1999 que les ceintures avaient été trouvées ouvertes, ce qui
ne pouvait s'expliquer par une défectuosité; cela impliquait
que ni le conducteur, ni sa passagère n'avaient attaché leur
ceinture.

   c) Le Tribunal de police, puis la Chambre pénale,
n'ont pas méconnu que l'éjection des deux occupants du véhi-
cule se conciliait mal avec le port de la ceinture de sécuri-
té. La Cour de justice s'est toutefois fondée sur un élément
de preuve important et objectif, soit le témoignage direct
de R.________, qui a affirmé de manière catégorique, lors de

l'audience du 30 octobre 2000, que W.________ avait bouclé sa
ceinture de sécurité. La Cour a ensuite retenu que celle-ci
pouvait avoir passé sous la ceinture, en raison des deux
chocs successifs et des violents mouvements subis par le
véhicule. Une telle explication n'est pas incompatible avec
les constatations faites par la police. Le recourant ne tente
d'ailleurs pas de démontrer que cette version des faits
serait totalement invraisemblable, ce qui pourrait la faire
apparaître arbitraire. Comme cela est rappelé ci-dessus, il
n'y a pas arbitraire du simple fait qu'une autre solution -
celle préconisée par le recourant - puisse être envisagée.

   3.- Le recours doit par conséquent être rejeté, en
tant qu'il est recevable. Un émolument judiciaire (légèrement
réduit compte tenu de la situation financière du recourant)
est mis à la charge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1
OJ). L'intimée, qui a procédé avec un avocat et obtient gain
de cause, a droit à une indemnité de dépens, à la charge du
recourant (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

   1. Rejette le recours en tant qu'il est recevable.

   2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 2500 fr.

   3. Alloue à l'intimée W.________ une indemnité de
dépens de 1500 fr., à la charge du recourant.

   4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Procureur général et à la Chambre
pénale de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 25 juin 2001
KUR/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,