Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.227/2001
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1P.227/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        28 août 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Catenazzi et Favre.
Greffier: M. Thélin.
                         __________

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

A.________SA, représentée par Me Robert Wuest, avocat à
Sierre,

                           contre

le jugement rendu le 29 mars 2000 par la IIe Cour pénale du
Tribunal cantonal du canton du Valais dans la cause qui op-
pose la recourante à B.________, représentée par Me Stéphane
Jordan, avocat à Sion;

                   (droit d'être entendu)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

        A.- Le 12 janvier 1995, l'Office des poursuites et
faillites de Sierre a délivré un acte de défaut de biens au
montant de 1'043'491 fr.95 à B.________, à la suite d'une
poursuite que cette dernière avait entreprise contre son
ex-mari C.________. Le débiteur poursuivi n'avait pas fait
opposition au commandement de payer; par la suite, lors de
la saisie, il avait déclaré n'avoir pour tout bien qu'une
rente AVS insaisissable.

        Sur plainte de la poursuivante, le juge d'instruc-
tion compétent a ouvert une enquête pénale contre
C.________, prévenu de fraude dans la saisie (art. 163 CP),
et contre son épouse actuelle D.________, prévenue de com-
plicité de cette infraction. Par jugement du 17 décembre
1998, le Juge I du district de Sierre les a tous deux recon-
nus coupables; il leur a infligé, respectivement, huit et
quatre mois d'emprisonnement avec sursis.

        B.- Ce prononcé fut frappé d'appel par chacun des
condamnés et par la plaignante. Cette dernière a requis le
séquestre des biens des prévenus, en vue de l'exécution
d'une créance compensatrice au montant de l'acte de défaut
de biens; elle cédait à l'Etat ses propres prétentions, à
concurrence de ce qui lui serait alloué.

        Le 30 mars 1999, la Présidente de la IIe Cour pé-
nale du Tribunal cantonal a ordonné le séquestre de divers
biens qui paraissaient constituer des actifs dissimulés par
les prévenus; il s'agissait notamment d'actions appartenant
à la société A.________. Par la suite, l'administrateur
unique de cette société, le notaire E.________, demanda
l'autorisation de vendre ces titres pour le prix de

400'000 fr., montant qui demeurerait consigné par lui. La
plaignante ayant donné son accord, la Présidente a autorisé
cette opération le 8 juin 1999.

        La Cour pénale a statué le 29 mars 2000. Elle a
confirmé la condamnation de C.________ et lui a infligé
quinze mois d'emprisonnement avec sursis; elle a acquitté
son épouse. La Cour a ordonné le remplacement des actifs
soustraits à la poursuite par une créance compensatrice au
montant de 1'043'492 fr., à payer par A.________ à concur-
rence de 400'000 fr., par le condamné à concurrence de
321'476 fr. et par son épouse à concurrence de la même som-
me; elle a alloué cette créance à la plaignante et a ordonné
le maintien des séquestres en garantie de son recouvrement.

        C.- C.________ a recouru sans succès à la Cour de
cassation pénale du Tribunal fédéral, qui a rejeté son pour-
voi en nullité et son recours de droit public par arrêts du
6 septembre 2000 (6S.324/2000 et 6P.70/2000). Son épouse
D.________ a elle aussi recouru; son pourvoi en nullité a
abouti à l'annulation du jugement, dans la mesure où celui-
ci la condamnait au paiement d'une créance compensatrice, au
motif qu'aucuns des actifs soustraits à la poursuite ne lui
avaient été transférés d'une manière juridiquement efficace;
la cause était renvoyée à la juridiction cantonale pour
nouvelle décision (arrêt 6S.325/2000, du même jour).

        D.- B.________ a agi par voie de poursuite contre
A.________, afin d'obtenir le montant de 400'000 fr. mis à
la charge de cette société. Celle-ci s'est opposée au com-
mandement de payer, puis à la demande de mainlevée défini-
tive de son opposition. Le Juge III du district de Sierre a
rejeté cette demande par décision du 3 janvier 2001, au mo-
tif que la société poursuivie n'avait pas été partie au pro-
cès terminé par le jugement du 29 mars 2000, que ce jugement

ne lui avait pas été notifié et qu'il n'avait donc pas
acquis force exécutoire contre elle.

        A la suite de cette décision, par courrier du 23
février 2001, la Cour pénale a notifié ledit jugement à
A.________.

        E.- Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, A.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler le
jugement, dans la mesure où il est dirigé contre elle. Elle
se plaint notamment de violation du droit d'être entendu et
de violation du droit à un procès équitable, en tant que son
administrateur unique, seul habilité à gérer les affaires de
la société, n'a eu aucune occasion de prendre position avant
que la condamnation à verser 400'000 fr. à la plaignante, à
titre de créance compensatrice, ne soit prononcée. Elle fait
valoir que la somme actuellement séquestrée constitue son
seul actif et doit couvrir les impôts consécutifs à une ven-
te d'immeubles en 1997, impôts qui ne sont pas encore taxés
et dont l'administrateur, selon la législation fiscale va-
laisanne, est solidairement débiteur.

        Invités à répondre, la plaignante et intimée a dé-
claré s'en remettre à justice sur le sort du recours; la
Cour pénale et le Ministère public cantonal ont renoncé à
déposer des observations.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

        1.- En vertu de l'art. 84 al. 2 OJ, le recours de
droit public n'est recevable que dans la mesure où les
griefs soulevés ne peuvent pas être présentés au Tribunal
fédéral par un autre moyen de droit, tel que le pourvoi en
nullité à la Cour de cassation du Tribunal fédéral. Celui-ci

est ouvert contre les jugements de dernière instance canto-
nale relatifs à des infractions de droit pénal fédéral (art.
247 al. 1, 268 ch. 1 PPF); il peut être formé pour violation
du droit fédéral, sauf les droits constitutionnels (art. 269
PPF; ATF 124 IV 137 consid. 2e p. 141). En l'occurrence, la
recourante se plaint exclusivement de violation du droit
d'être entendu et du droit à un procès équitable, sans met-
tre en cause l'application des dispositions du code pénal
concernant la créance compensatrice; son recours de droit
public est donc recevable.

        2.- Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29
al. 2 Cst. confère à toute personne - y compris aux person-
nes morales (ATF 119 Ia 337 consid. 4c in fine p. 340) - le
droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à
son détriment, d'avoir accès au dossier, d'offrir des preu-
ves quant aux faits de nature à influer sur la décision, de
participer à l'administration des preuves et de se détermi-
ner à leur propos (ATF 124 II 132 consid. 2b p. 137; 123 I
63 consid. 2a p. 66).

        a) Il est incontestable que la recourante est gra-
vement lésée par le jugement attaqué, en tant que celui-ci
met à sa charge le paiement d'un montant de 400'000 fr., et
qu'elle devait donc être entendue préalablement. Or, son ad-
ministrateur unique, qui était la seule personne légalement
habilitée à la représenter en justice, ou à constituer, à
cette fin, un mandataire, n'a pas été appelé aux débats de
la Cour pénale, et il n'a eu aucune autre occasion de pren-
dre position sur le prononcé envisagé par cette juridiction.

        b) Selon le jugement attaqué (consid. 13d in fine),
le droit d'être entendu de A.________ est néanmoins respec-
té, car les deux prévenus ont pu faire valoir leurs argu-
ments non seulement sur les faits constitutifs de l'infrac-

tion qui leur était reprochée, mais également sur la créance
compensatrice demandée contre eux ou contre la société.

        Il ressort du jugement (consid. 5) que C.________ a
été actionnaire et administrateur unique de A.________ de
1980 à 1989; il a ensuite cédé gratuitement toutes les
actions à son épouse D.________, le poste d'administrateur
étant désormais confié au notaire E.________. De 1983 à
1991, il a progressivement apporté des sommes considérables
à la société, en finançant lui-même des achats de terrain et
des travaux de construction. La nouvelle actionnaire
n'intervenait pas dans les affaires de A.________; c'est es-
sentiellement son mari qui a continué de s'en occuper et qui
a disposé en fait des actifs sociaux: il s'est notamment
fait remettre des titres hypothécaires qu'il a utilisés pour
garantir ses engagements personnels.

        De cet état de faits, on ne peut aucunement inférer
que la prévenue D.________ ait pu valablement, dans le
procès pénal, prendre position au nom de la société. On
pourrait peut-être retenir que C.________ était, lui, un
administrateur de fait, compte tenu de l'influence qu'il
paraît avoir exercée sur la gestion des affaires sociales,
même après qu'il eut cédé les actions. Celui qui se trouve
dans une telle position, par rapport à une société anonyme,
est soumis à l'art. 754 CO et doit, s'il manque à ses
devoirs, répondre du dommage qu'il cause ainsi à la société
ou aux tiers (ATF 107 II 349 consid. 5a p. 353; 102 II 353
consid. 3a p. 359). Cependant, cette position est occulte et
elle ne comporte donc, en elle-même, aucun pouvoir de
représentation; il convient de souligner, à ce sujet, que
même un administrateur dûment nommé et inscrit au registre
du commerce n'est pas obligatoirement doté de ce pouvoir
(cf. art. 718 CO).

        L'autorité ne peut pas valablement entendre une
personne morale autrement que par l'intermédiaire d'une per-
sonne dotée d'un pouvoir de représentation. Cette considéra-
tion s'impose spécialement en rapport avec le procès pénal,
qui est de toute manière soumis à un formalisme rigoureux
dans l'intérêt de la justice et des prévenus. On peut atten-
dre du juge qu'il fasse remettre une citation, en prévision
des débats, à l'organe statutaire de la société anonyme, se-
lon les indications du registre du commerce, lorsqu'il est
envisagé que cette société soit tenue au paiement d'une
créance compensatrice. En l'occurrence, cette éventualité
était clairement reconnue dès avant les débats, puisque des
biens de A.________ avaient été placés sous séquestre. Ad-
mettre une solution différente, où l'on pourrait se conten-
ter d'entendre une personne morale par le biais de personnes
en relation informelle avec elle, relation dont la nature
exacte n'est d'ailleurs pas déterminée avant le jugement fi-
nal,  créerait le risque d'une incertitude quant aux effets
du jugement à l'égard de cette personne morale, et donc le
risque d'une contestation à ce sujet; la présente affaire en
constitue précisément un exemple.

        c) L'intimée s'abstient de prendre des conclusions
tendant au rejet du recours de droit public; néanmoins, elle
invoque le principe selon lequel la dualité juridique de la
société anonyme et de l'actionnaire unique ne doit pas être
prise en considération lorsqu'il y a abus de droit à l'invo-
quer (ATF 102 III 165 consid. 2 in fine p. 169; voir aussi
ATF 113 III 139 consid. 4b p. 139). Ce principe peut certes
autoriser que des prétentions contre l'actionnaire soient
éventuellement satisfaites au moyen de biens appartenant à
la société, mais, en l'état de la jurisprudence, il ne si-
gnifie nullement que la procédure à suivre dans ce but puis-
se se dérouler sans que la société ne soit valablement en-
tendue.

        d) La recourante se plaint ainsi à bon droit de
n'avoir pas été entendue dans le procès pénal, de sorte que
le recours de droit public doit être admis, sans qu'il soit
nécessaire d'examiner la portée des autres droits constitu-
tionnels invoqués par elle; il appartiendra à la Cour pénale
de statuer à nouveau sur les conclusions de la plaignante et
intimée tendant à l'attribution d'une créance compensatrice.

        3.- Compte tenu de la position adoptée par cette
partie dans la présente procédure, il se justifie de renon-
cer à l'émolument judiciaire et de mettre les dépens à la
charge du canton du Valais.

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Admet le recours et annule le jugement attaqué dans
la mesure où il condamne la recourante au paiement d'une
créance compensatrice.

     2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

     3. Dit que le canton du Valais versera une indemnité de
1'500 fr. à la recourante à titre de dépens.

     4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties, au Ministère public du canton du Valais et à la
IIe Cour pénale du Tribunal cantonal valaisan.

                         __________

Lausanne, le 28 août 2001
THE/moh

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                       Le Président,

                        Le Greffier,