Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.196/2001
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1P.196/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        18 avril 2001

Composition de la Cour: MM. les juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Nay et Aeschlimann.
Greffier: M. Thélin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

M.________ , actuellement détenu à la prison de Champ-Dollon,
à Thônex, représenté par Me Robert Assael, avocat à Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 13 février 2001 par la Chambre d'accu-
sation du canton de Genève;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.-  Le 16 juin 1999, M.________ a été arrêté en
Hongrie à la demande des autorités judiciaires genevoises,
puis extradé à la Suisse et remis auxdites autorités; il
était inculpé d'escroqueries commises au préjudice de la ban-
que roumaine Dacia Felix. M.________ est actuellement encore
maintenu en détention préventive, car il n'est pas en mesure
de verser la caution de 150'000 fr. exigée pour sa mise en
liberté.

   M.________ a été jugé le 18 novembre 2000 par la
Cour correctionnelle du canton de Genève. Cette juridiction
l'a reconnu coupable des escroqueries dénoncées par la
banque; elle l'a condamné à trois ans et demi de réclusion et
à l'expulsion de suisse pour cinq ans.

   L'arrêt de la Cour correctionnelle retient que le
condamné a souscrit avec la banque, de fin 1992 à fin 1994,
onze conventions aux termes desquelles celle-ci lui confiait
des sommes d'argent qu'il devait placer, puis restituer avec
rémunération; les durées convenues variaient entre trois et
douze mois. Le condamné a ainsi reçu 33'000'000 de dollars au
moins. Pour capter la confiance des organes de la banque et
obtenir un siège dans son conseil d'administration, il a no-
tamment pris - ou fait prendre par des sociétés dominées par
lui - d'importantes participations à son capital social; il
n'a toutefois libéré les actions correspondantes que de façon
fictive, au moyen des fonds que la banque lui remettait pour
être placés. En réalité, aucun placement n'est intervenu et
les sommes reçues à cette fin n'ont été que très partielle-
ment remboursées; la banque a subi un préjudice évalué à
26'000'000 de dollars au moins.

   Le condamné conteste toute culpabilité et a saisi la
Cour de cassation cantonale; son recours est actuellement
pendant. Parmi d'autres arguments, il soutient que les con-
ventions passées avec la banque lui laissaient la plus
complète liberté pour l'affectation des fonds, de sorte que,
à son avis, il n'a aucunement trompé cet établissement; il
soutient également que celui-ci ne subit aucun préjudice par-
ce que le montant de ses propres participations au capital
social est, prétendument, supérieur à celui de sa dette.

   B.-  M.________ a présenté une demande de mise en
liberté sans caution que la Chambre d'accusation du canton de
Genève a rejetée par ordonnance du 13 février 2001, en raison
du risque de fuite.

   C.-  Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, M.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce
prononcé et d'ordonner sa mise en liberté sans caution. Il se
plaint d'une décision qu'il tient pour insuffisamment moti-
vée, contraire à la garantie de la liberté personnelle et ar-
bitraire. Il a, par la suite, présenté une demande d'assis-
tance judiciaire.

   La Chambre d'accusation a renoncé à déposer des
observations; le Procureur général du canton de Genève propo-
se le rejet du recours. Autorisé à déposer un mémoire supplé-
mentaire, M.________ a maintenu ses conclusions.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recours de droit public ne peut en principe
tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée. La personne
qui recourt contre une décision ordonnant ou prolongeant sa
détention préventive, ou contre une décision rejetant une

demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requé-
rir du Tribunal fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liber-
té ou d'inviter l'autorité cantonale à le faire après avoir,
au besoin, fixé certaines conditions (ATF 124 I 327 consid.
4b/en p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257 consid.
1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi
recevables.

   2.-  a) La détention préventive est une restriction
de la liberté personnelle qui est actuellement garantie, no-
tamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle n'est ad-
missible que dans la mesure où elle repose sur une base léga-
le, répond à un intérêt public et respecte le principe de la
proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 124 I 203 con-
sid. 2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147
consid. 2b p. 150, 119 Ia 221 p. 233 in media). La deuxième
condition suppose notamment qu'il existe des raisons plausi-
bles de soupçonner la personne concernée d'avoir commis une
infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH). En outre, l'incarcé-
ration doit être justifiée par les besoins de l'instruction
ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de
l'ordre public. Il faut qu'en raison des circonstances,
l'élargissement du prévenu fasse naître un risque concret de
fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de l'infrac-
tion ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de
la détention, même si elle permet souvent de présumer un dan-
ger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le
prévenu est menacé (ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64
consid. 3 p. 67, 107 Ia 3 consid. 5 p. 6).

   b) Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29
al. 2  Cst. confère à toute personne le droit de s'expliquer
avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir
accès au dossier, d'offrir des preuves quant aux faits de
nature à influer sur la décision, de participer à l'adminis-
tration des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF
124 II 132 consid. 2b p. 137, 123 I 63 consid. 2a p. 66). La
disposition précitée confère également le droit d'exiger, en
principe, qu'une telle décision soit motivée. Cette garantie-
ci tend à donner à la personne touchée les moyens d'apprécier
la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y
a lieu, devant une instance supérieure. Elle tend aussi à
éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considéra-
tions subjectives ou étrangères à la cause; elle contribue,
par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la
précision des indications que l'autorité doit fournir dépend
de la nature de l'affaire et des circonstances particulières
du cas. En principe, plus la personne concernée subit une at-
teinte grave, plus la motivation doit être complète et dé-
taillée. Néanmoins, en règle générale, il suffit que l'auto-
rité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont gui-
dée, sans qu'elle soit tenue de répondre à tous les arguments
présentés (ATF 112 Ia 109 consid. b; voir aussi ATF 126 I 97
consid. 2b p. 102, 125 II 369 consid. 2c p. 372, 124 II 146
consid. 2a p. 149). Cela concerne notamment les décisions
consécutives à une demande de mise en liberté, sur laquelle
l'autorité doit statuer à bref délai; il est d'ailleurs admis
que celle-ci peut se borner à adhérer aux motifs d'une déci-
sion antérieure ou d'une demande de prolongation de la déten-
tion (ATF 123 I 31 consid. 2 p. 33).

   3.-  a) Le recourant conteste l'existence d'indices
de culpabilité propres à justifier son maintien en détention
préventive. Il reconnaît toutefois, de façon au moins impli-
cite, avoir souscrit les conventions et reçu les sommes men-
tionnées dans l'arrêt de la Cour correctionnelle. Les argu-
ments qu'il développe dans la présente procédure ne démentent
pas qu'il ait alors trompé la banque au sujet de sa capacité
et de sa volonté de restituer ces sommes, aux échéances et
avec la rémunération convenues. Le recourant tente seulement
de démontrer que la banque n'a, prétendument, pas subi d'at-
teinte à son patrimoine, de sorte que l'escroquerie retenue

contre lui ne serait pas réalisée. Devant la Chambre d'accu-
sation, il a produit des pièces provenant de l'administrateur
judiciaire de la banque, qui se trouve apparemment en liqui-
dation. Sur la base de ces documents, il soutient que deux
des sociétés dominées par lui ont détenu d'importantes créan-
ces contre cet établissement, créances que ce dernier aurait
éteintes par compensation en septembre 1999. Or, tout cela
est d'emblée inapte à exclure avec une certaine vraisemblance
que la banque ait subi une atteinte patrimoniale pertinente
au regard de l'art. 146 CP: une atteinte de ce genre survient
dès que la victime s'expose, sous l'emprise de l'erreur, à un
risque patrimonial excédant les risques normaux inhérents à
la transaction considérée; par ailleurs, une atteinte seule-
ment provisoire est également suffisante (ATF 121 IV 104
consid. 2c p. 107/108, 121 IV 26 consid. 2 in fine p. 29, 120
IV 122 consid. 6b p. 134). Il est également sans importance
que les prétentions de la banque contre les sociétés du re-
courant soient peut-être encore comptabilisées à l'actif de
son bilan.

   L'escroquerie étant poursuivie d'office, c'est éga-
lement en vain que le recourant met en doute la validité de
la plainte pénale et de la constitution de partie civile dé-
posées par la banque.

   b) Le recourant peut raisonnablement prévoir que son
recours en cassation sera rejeté et que la condamnation pro-
noncée contre lui deviendra exécutoire. Il n'a par ailleurs
aucune attache avec la Suisse. Dans ces conditions, la Cham-
bre d'accusation peut légitimement redouter qu'il ne prenne
la fuite à l'étranger, s'il était mis en liberté sans cau-
tion, pour se soustraire à l'incarcération qu'il devra proba-
blement encore subir jusqu'à son éventuelle libération condi-
tionnelle, en octobre prochain.

   c) Compte tenu que la demande de mise en liberté
n'était appuyée que par des arguments inconsistants et que
cela ne pouvait guère échapper au conseil du recourant, la
Chambre d'accusation n'a pas violé le droit d'être entendu en
s'abstenant de motiver son ordonnance de façon détaillée.

   4.- Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut
accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que
celle-ci soit dans le besoin et que ses conclusions ne pa-
raissent pas d'emblée vouées à l'échec. Il n'est pas néces-
saire de vérifier si le recourant est effectivement dépourvu
de ressources car, de toutes manières, la procédure entrepri-
se devant le Tribunal fédéral n'avait manifestement aucune
chance de succès. La demande d'assistance judiciaire doit dès
lors être rejetée.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours.

   2. Rejette la demande d'assistance judiciaire.

   3. Met un émolument judiciaire de 1'500 fr. à la
charge du recourant.

   4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, ainsi qu'au Procureur général et à la
Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 18 avril 2001
THE/BMH

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,