Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.179/2001
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1P.179/2001/viz

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
        ********************************************

                        1er mai 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-Président du Tribunal fédéral, Aeschlimann et Favre.
Greffier: M. Parmelin.

                        ___________

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

A.________ Compagnie d'assurances sur la vie, à Lausanne,
représentée par Me Edmond Perruchoud, avocat à Sierre,

                           contre

le jugement rendu le 28 novembre 2000 par la IIe Cour civile
du Tribunal cantonal du canton du Valais, dans la cause qui
oppose la recourante à B.________, à Veyras, représentée par
Me Marius-Pascal Copt, avocat à Martigny, et à C.________,
Juge au Tribunal cantonal du canton du Valais;

              (art. 30 al. 1 Cst.; récusation)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

     A.- Edmond Perruchoud, avocat à Sierre, représente
D.________ dans une procédure civile qui oppose celui-ci à
E.________, frère de C.________, Juge au Tribunal cantonal
du canton du Valais. Il assure également la défense de la
société anonyme A.________ dans un litige civil qui la divi-
se d'avec B.________. Les deux causes sont actuellement pen-
dantes devant le Tribunal cantonal.

     Le 26 septembre 2000, le Président de la IIe cour civi-
le du Tribunal cantonal (ci-après: la cour cantonale), à la-
quelle est rattachée C.________, a fixé au 28 novembre 2000
une audience de débats dans la cause opposant B.________ à
A.________. La composition de la cour n'était pas indiquée
dans la convocation. A l'audience du 28 novembre 2000,
voyant siéger C.________, Edmond Perruchoud a demandé la ré-
cusation de cette magistrate au motif qu'il était également
le mandataire de D.________ dans la cause pendante auprès du
Tribunal cantonal opposant son client au frère de celle-là.

     Statuant le même jour en l'absence de C.________, la
cour cantonale a rejeté la demande. Elle a retenu en subs-
tance que le motif invoqué ne constituait pas une cause
d'inhabilité ou de récusation au sens des art. 21 et 22 du
Code de procédure civile valaisan, du 22 novembre 1919 (aCPC
val.). Elle a en outre considéré que l'avocat de la requé-
rante devait connaître la composition de la cour, qu'il au-
rait dû soulever d'entrée de cause la demande de récusation
et que, ne l'ayant pas fait, il était censé y avoir tacite-

ment renoncé. Ce jugement a été notifié à la requérante le
31 janvier 2001 sous pli recommandé et retiré le 5 février
2001.

     B.- Par acte du 6 mars 2001, A.________ a formé un re-
cours de droit public auprès du Tribunal fédéral contre ce
jugement, dont elle demande l'annulation. Invoquant l'art.
29 al. 1 et 2 Cst., elle reproche à la cour cantonale
d'avoir commis un déni de justice formel et violé son droit
d'être entendue en examinant sa demande de récusation uni-
quement au regard du droit cantonal de procédure. Elle lui
fait en outre grief d'avoir violé son droit à un tribunal
impartial, tel qu'il est garanti aux art. 30 al. 1 Cst., 6
CEDH et 14 du Pacte ONU II, en refusant de voir une cause
objective de récusation dans l'existence d'une procédure
pendante divisant un tiers également représenté par son avo-
cat d'avec le frère de la juge visée par la requête. Elle
prétend enfin que sa demande de récusation n'était soumise à
aucun délai en vertu de l'art. 26 aCPC val. et que la cour
cantonale aurait fait une application arbitraire du droit
cantonal en la considérant comme tardive.

     Le Tribunal cantonal se réfère aux considérants de son
jugement. La Juge cantonale C.________ a renoncé à se déter-
miner. B.________ s'en rapporte à justice, en concluant à la
prise en charge des frais et de ses dépens par la recouran-
te.

          C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- Interjeté en temps utile contre une décision inci-
dente sur une demande de récusation, prise en dernière ins-
tance cantonale, qui ne peut être attaquée que par la voie

du recours de droit public et qui touche la recourante dans
ses intérêts juridiquement protégés, le recours est receva-
ble au regard des art. 84 ss OJ.

     2.- Dans un argument d'ordre formel qu'il convient de
traiter en premier lieu, la recourante fait grief à la cour
cantonale d'avoir violé son droit d'être entendue et d'avoir
commis un déni de justice en examinant sa demande de récusa-
tion uniquement au regard des art. 21 et 22 aCPC val. Elle
n'établit cependant pas que les art. 30 al. 1 Cst., 6 CEDH
et 14 du Pacte ONU II, qu'elle lui reproche de ne pas avoir
appliqué, lui accorderaient des prérogatives plus étendues
que le droit cantonal régissant la matière. La cour cantona-
le a d'ailleurs examiné la demande de récusation à l'aune
des principes dégagés par la jurisprudence rendue en appli-
cation de ces dispositions dans le cadre du motif de récusa-
tion de l'art. 22 ch. 2, 2ème phrase aCPC val., de sorte que
le recours est mal fondé en tant qu'il dénonce une violation
du droit d'être entendue constitutive d'un déni de justice.
Au demeurant, le Tribunal fédéral saisi d'un recours de
droit public en matière de récusation examine de toute ma-
nière librement si l'application non arbitraire du droit
cantonal de procédure est compatible avec les exigences dé-
duites du droit constitutionnel (cf. ATF 123 I 49 consid. 2b
p. 51), de sorte que le vice allégué devrait de toute maniè-
re être considéré comme réparé.

     3.- La recourante conteste ensuite avoir demandé tardi-
vement la récusation de la Juge cantonale C.________ en for-
mulant sa requête en ouverture des débats; le droit cantonal
de procédure prévoirait la prise en charge des frais causés
inutilement comme seule sanction d'une demande tardive et
non pas la péremption du droit de récuser.

     a) Selon une jurisprudence constante rendue sous l'em-
pire de l'ancien droit, mais qui garde toute sa valeur dans

le cadre de la nouvelle Constitution du 18 avril 1999 (ATF
126 I 235 consid. 2a p. 236), le grief tiré de la prévention
de l'un des membres d'une autorité doit être invoqué dès que
possible. Celui qui constate un tel vice et qui ne le dénon-
ce pas sans délai, mais laisse le procès se dérouler sans
intervenir, voit se périmer son droit de se prévaloir ulté-
rieurement d'une telle violation (ATF 121 I 30 consid. 5f in
fine p. 38, 225 consid. 3 p. 229; 119 Ia 221 consid. 5a p.
228 et les références citées). En particulier, il est con-
traire à la bonne foi d'attendre l'issue d'une procédure
pour tirer ensuite argument, à l'occasion d'un recours, de
la composition incorrecte de l'autorité qui a statué, alors
que le motif de récusation était déjà connu auparavant (ATF
126 III 249 consid. 3c p. 253/254; 124 I 121 consid. 2 p.
123 et la jurisprudence citée). La garantie du juge naturel
comprend donc aussi le droit d'être informé de la composi-
tion du tribunal compétent, mais cela ne signifie pas encore
que l'identité des juges appelés à statuer doive nécessaire-
ment être communiquée de manière expresse au justiciable; il
suffit en effet que leur nom ressorte d'une publication gé-
nérale facilement accessible, par exemple un annuaire offi-
ciel. La partie assistée d'un avocat est en tout cas présu-
mée connaître la composition régulière du tribunal (ATF 117
Ia 322 consid. 1c p. 323 et les références citées).

     b) Certes, il appartient en premier lieu au droit can-
tonal de définir les conditions d'exercice du droit de récu-
ser; s'il doit, ce faisant, respecter les garanties minima-
les découlant du droit constitutionnel fédéral et du droit
conventionnel, rien ne l'empêche d'accorder au justiciable
une protection plus étendue. Il peut ainsi renoncer à la pé-
remption en cas de requête tardive et se contenter de pré-
voir une condamnation aux frais, à l'instar de l'art. 25 al.
3 OJ (cf. Jean-François Poudret, Commentaire de la loi fédé-
rale d'organisation judiciaire, Berne 1990, p. 133).

     L'art. 26 aCPC val., que le recourant reproche à la
cour cantonale d'avoir interprété de manière arbitraire,
prévoit que la demande de récusation d'un magistrat de l'or-
dre judiciaire peut être faite en tout état de cause. Le de-
mandeur est toutefois passible des frais, lorsque, par sa
faute, il a occasionné une audience frustratoire.

     Selon la jurisprudence, il n'y a pas arbitraire du sim-
ple fait qu'une autre solution serait envisageable, voire
même préférable; le Tribunal fédéral n'annule une décision
cantonale que lorsqu'elle apparaît manifestement insoutena-
ble, en particulier lorsqu'elle viole de manière flagrante
une règle ou un principe juridique clair ou lorsqu'elle con-
tredit d'une manière choquante le sentiment de la justice ou
de l'équité. Pour être sanctionné, l'arbitraire doit enfin
résider tant dans la motivation de l'acte attaqué que dans
son résultat (ATF 126 I 168 consid. 3a p. 170).

     L'interprétation retenue dans le jugement attaqué s'op-
pose au sens qu'on peut a priori déduire de l'art. 26 aCPC
val. Elle n'apparaît toutefois pas totalement incompatible
avec le texte de cette disposition, qui se rapporte aux
frais liés à la demande de récusation tardive, sans toute-
fois exclure expressément l'irrecevabilité de cette der-
nière. La condamnation aux frais frustratoires pourrait
ainsi être considérée non comme le substitut mais comme la
conséquence de l'irrecevabilité de la demande de récusation,
en application de la règle générale selon laquelle les frais
d'une procédure sont mis à la charge de la partie dont les
conclusions sont écartées (cf. dans le même sens, s'agissant
de l'art. 46 du Code de procédure civile vaudois, arrêt non
publié du 6 avril 1994 dans la cause S. contre Cour adminis-
trative du Tribunal cantonal du canton de Vaud, consid. 2b).
En définitive, si l'interprétation que la recourante donne à
cette disposition apparaît également soutenable, cela ne
suffit pas encore pour qualifier d'arbitraire la solution

adoptée par la cour cantonale. Le jugement attaqué n'est pas
non plus arbitraire dans son résultat, puisque l'irrecevabi-
lité d'une demande de récusation tardive est compatible avec
les principes rappelés ci-dessus.

     Il reste dès lors uniquement à examiner si la cour can-
tonale a considéré à juste titre que la demande de récusa-
tion était tardive parce qu'elle n'avait été formée qu'à
l'ouverture des débats.

     c) En l'espèce, le nom de C.________ figurait sur la
liste des juges de la Cour civile II publiée dans le Rapport
sur l'administration de la Justice du canton du Valais, état
au 15 mars 2000, communiqué à chaque avocat du canton. Con-
formément aux arrêts précités, la recourante, représentée
par un avocat valaisan, était censée connaître l'identité
des juges appelés à statuer sur sa demande, de sorte qu'elle
devait solliciter la récusation de C.________ si ce n'est
d'entrée de cause, à tout le moins dès le 26 septembre 2000,
date à laquelle le Président de la IIe Cour civile avait
fixé une audience de débats. S'agissant d'un cas de récusa-
tion facultative, la recourante ne pouvait en effet sans au-
tre présumer que la magistrate concernée se récuserait d'of-
fice si elle était appelée à fonctionner dans la cause. Elle
devait au contraire se montrer d'autant plus vigilante que
la IIe Cour civile n'est composée que de quatre juges, ce
qui impliquait la possibilité que cette magistrate fasse
partie de la composition de la cour chargée de juger le li-
tige la divisant d'avec B.________. Ainsi, l'autorité inti-
mée n'a pas violé l'art. 30 al. 1 Cst. en retenant que la
requête de récusation était tardive.

     4.- Même si cette dernière avait été formulée en temps
utile, la cour cantonale pouvait l'écarter sans porter at-
teinte ni au droit cantonal déterminant (art. 22 ch. 2, 2ème

phrase, aCPC val.), ni aux droits constitutionnel et conven-
tionnel que la recourante lui reproche de ne pas avoir ap-
pliqués.

     a) A cet égard, la garantie d'un tribunal indépendant
et impartial, conférée tant par l'art. 30 al. 1 Cst. que par
l'art. 6 § 1 CEDH, permet au plaideur de s'opposer à une ap-
plication arbitraire des règles cantonales sur l'organisa-
tion et la composition des tribunaux, qui comprennent les
prescriptions relatives à la récusation des juges. Elle per-
met aussi, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la ré-
cusation d'un juge dont la situation ou le comportement est
de nature à faire naître un doute sur son impartialité (ATF
126 I 68 consid. 3a p. 73 et les arrêts cités); elle tend
notamment à éviter que des circonstances extérieures à la
cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au dé-
triment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seule-
ment lorsqu'une prévention effective du juge est établie,
car une disposition interne de sa part ne peut guère être
prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence
de la prévention et fassent redouter une activité partiale
du magistrat. Seules des circonstances constatées objective-
ment doivent être prises en considération; les impressions
purement individuelles d'une des parties au procès ne sont
pas décisives (ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122; 124 I 255
consid. 4a p. 261 et les arrêts cités).

     D'après la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme, l'impartialité doit s'apprécier selon une
démarche subjective, essayant de déterminer la conviction et
le comportement personnels de tel juge en telle occasion, et
aussi selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il
offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard
tout doute légitime (cf. arrêts de la CourEDH dans les cau-
ses D.N. c. Suisse du 29 mars 2001, § 46, Tierce et autres
c. Saint-Marin du 25 juillet 2000, § 75, et Ciraklar c. Tur-

quie du 29 octobre 1998, § 38). S'agissant de la démarche
subjective, l'impartialité personnelle d'un magistrat se
présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt de la CourEDH
dans la cause Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998,
§ 44). Quant à l'appréciation objective, elle consiste à se
demander si, indépendamment de la conduite personnelle du
juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter
l'impartialité de ce dernier. En la matière, même les appa-
rences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la con-
fiance que les tribunaux d'une société démocratique se doi-
vent d'inspirer aux justiciables et notamment aux prévenus.
Doit donc se récuser tout juge dont on peut légitimement
craindre un manque d'impartialité. Pour se prononcer sur
l'existence, dans une affaire donnée, d'une raison légitime
de redouter la partialité d'un juge, l'optique du justicia-
ble entre en ligne de compte, mais ne joue pas un rôle dé-
cisif; l'élément déterminant consiste à savoir si les ap-
préhensions de l'intéressé peuvent passer pour objectivement
justifiées (arrêts de la CourEDH dans les causes Castillo
Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, § 45; Incal c. Turquie
du 9 juin 1998, § 71 et Ferrantelli et Santangelo c. Italie
du 7 août 1996, § 58).

     b) En l'occurrence, le fait que la juge concernée est
la soeur d'une partie adverse d'un autre client de l'avocat
de la recourante n'est pas de nature à susciter un doute ob-
jectivement fondé sur son impartialité, même si cette procé-
dure est difficile et se prolonge. Un magistrat doit être en
mesure de faire la distinction entre la position et les in-
térêts des plaideurs eux-mêmes, par rapport à ceux de leurs
mandataires, de même d'ailleurs que l'avocat ne doit pas
s'identifier aux intérêts de ses clients successifs. Ainsi,
ce n'est pas le conseil de la recourante, Edmond Perruchoud,
qui est en litige avec E.________, mais bien son client
D.________. Au demeurant, la cause dont est saisie la cour à
laquelle appartient C.________ n'oppose pas D.________, par-
tie adverse du frère de celle-ci dans une autre procédure, à
B.________, mais bien A.________. En conséquence, la juge
C.________ ne saurait nourrir un parti pris contre la recou-
rante, pour la seule raison que cette dernière a choisi le
même mandataire que D.________, sans perdre toute crédibili-
té et toute dignité dans l'exercice de sa fonction, tout
d'abord à l'égard de ses deux collègues, et ensuite vis-à-
vis des justiciables et de l'institution judiciaire dans son
ensemble.

     A défaut d'indices contraires rendant vraisemblable une
participation de C.________ aux affaires de son frère, la
cour cantonale pouvait tenir le motif de récusation pour
infondé sans violer les dispositions pertinentes du droit
cantonal, constitutionnel fédéral et conventionnel.

     5.- Le recours doit par conséquent être rejeté, aux
frais de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1, 153 et
153a OJ). Cette dernière versera en outre une indemnité de
dépens réduite à B.________, qui s'est référée à la décision
entreprise, en l'appuyant par divers motifs sur le fond, et
qui a conclu à l'allocation de dépens, quand bien même elle
s'en est formellement rapportée à justice (art. 159 al. 1
OJ).

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Rejette le recours.

     2. Met à la charge de la recourante un émolument de
2'000 fr. ainsi qu'une indemnité de 600 fr. à verser à
B.________, à titre de dépens.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux parties et
au Tribunal cantonal du canton du Valais.

                       _____________

Lausanne, le 1er mai 2001
PMN

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                       Le Président,

                        Le Greffier,