Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.145/2001
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1P.145/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        18 juin 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Aeschlimann, Féraud,
Catenazzi et Favre. Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

les époux W.________, représentés par Me Mauro Poggia, avocat
à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 9 janvier 2001 par le Tribunal administratif
du canton de Genève, dans la cause qui oppose les recourants
au Chef de la police de sûreté du canton de Genève;

              (légalité d'un ordre d'autopsie)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- A.________, âgée de 11 ans, a été victime d'un
accident de la circulation survenu le 2 avril 1999. Transpor-
tée d'urgence à l'Hôpital cantonal universitaire de Genève,
elle y est décédée le lendemain d'un traumatisme cérébral
grave. Le premier constat de décès a été posé le 3 avril 1999
à 10 heures 23, le second à 18 heures 30.

   Conformément à la volonté de leur fille, les époux
W.________ ont proposé de faire don de ses organes; les pré-
lèvements ont été prévus pour le dimanche de Pâques, 4 avril
1999. Les parents se sont rendus à l'Hôpital à cette date,
afin de se recueillir auprès du corps. Il leur fut répondu
qu'une autopsie avait été ordonnée par le Chef de la police
de sûreté, et que le corps avait été transporté à l'Institut
universitaire de médecine légale, à l'insu des médecins hos-
pitaliers. L'autopsie a été pratiquée le 6 avril 1999.

   Selon une note du 9 mars 2000 du Chef de la police
au juge d'instruction chargé de la cause pénale - et trans-
mise pour information aux époux W.________ à la fin du mois
de juin 2000 -, l'autopsie avait été ordonnée en vertu d'une
directive de l'état-major de la police du 2 octobre 1989, se-
lon laquelle une telle mesure est requise lors de tout acci-
dent de la circulation ou de chantier, afin de définir si le
décès est causé par l'accident, le retard des secours ou des
erreurs médicales.

   B.- Le 17 juillet 2000, les époux W.________ ont
saisi le Conseil d'Etat genevois d'un recours coutumier, afin
qu'il soit constaté que l'ordre d'autopsie était injustifié.
Il devait, selon eux, être fait abstraction de l'exigence
d'un intérêt actuel, l'ordre d'autopsie ne pouvant être atta-
qué qu'après avoir été exécuté. Sur le fond, ils soutenaient

que l'accord des parents aurait dû être préalablement requis.
L'autorité s'était fondée sur une directive interne, sans
s'interroger sur l'opportunité d'une autopsie, alors qu'en
l'occurrence, les causes du décès étaient d'ores et déjà éta-
blies.

   La cause a été transmise le 24 octobre 2000 au Tri-
bunal administratif genevois, car, dans le cadre de la réfor-
me de la juridiction administrative genevoise, le recours
coutumier avait été supprimé, le Tribunal administratif deve-
nant l'autorité supérieure de recours en matière administra-
tive.

   C.- Par arrêt du 9 janvier 2001, le Tribunal admi-
nistratif a déclaré irrecevables tant le recours dirigé
contre l'ordre d'autopsie que l'éventuelle action en consta-
tation. L'ordre d'autopsie était un acte de la police accom-
pli en vertu des art. 13 de la loi genevoise sur la police et
112A du code de procédure pénale genevois; la loi genevoise
sur la procédure administrative ne s'appliquait pas à un tel
acte. Les recourants ne disposaient en outre plus d'un inté-
rêt à agir, puisque l'ordre contesté avait déjà été exécuté.
L'arrêt a été communiqué au Procureur général, en tant qu'au-
torité de surveillance de la police.

   D.- Les époux W.________ forment un recours de droit
public contre cet arrêt, dont ils demandent l'annulation.

   Le Tribunal administratif persiste dans les termes
de son arrêt.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Le recours est formé contre une décision rendue
en dernière instance cantonale. Même si l'arrêt a été commu-
niqué au Procureur général genevois, en tant qu'autorité de
surveillance de la police, la procédure de recours a été dé-
finitivement close par l'arrêt d'irrecevabilité; cette trans-
mission n'implique d'ailleurs aucune obligation de statuer de
la part de cette autorité, qui n'est pas une autorité de re-
cours mais de surveillance. L'arrêt attaqué revêt donc un ca-
ractère final. Les recourants, dont le recours cantonal a été
déclaré irrecevable, ainsi que la demande de constatation,
ont qualité, au sens de l'art. 88 OJ, pour se plaindre d'une
violation de leur droit - formel - à obtenir une décision ju-
diciaire. Indépendamment du fond de la cause, ils disposent
d'un intérêt actuel à faire valoir cet argument.

   2.- Les recourants invoquent la liberté personnelle
(art. 10 Cst.), qui comprend le droit au respect de l'inté-
grité corporelle, protégé après le décès d'une personne. Ils
en déduisent que le Tribunal fédéral devrait intervenir avec
un plein pouvoir d'examen. Il n'en est toutefois rien s'agis-
sant des griefs relatifs à l'application du droit cantonal,
car le pouvoir d'examen est limité sur ce point à l'arbitrai-
re.

   3.- Les recourants soutiennent que l'arrêt attaqué
violerait le droit cantonal de procédure. Il serait insoute-
nable qu'une décision aussi importante qu'un ordre d'autopsie
puisse être prise, sans l'accord de la famille, sans pouvoir
être soumise à une autorité judiciaire. Le Procureur général
ne serait pas une autorité de recours, et ses propres déci-
sions ne pourraient pas non plus être attaquées devant la
Chambre d'accusation. En définitive, il n'existerait aucune
voie de recours cantonale contre un tel ordre. Le Tribunal
administratif aurait donc dû entrer en matière, puisqu'il

dispose d'un pouvoir général de juridiction en vertu de
l'art. 56A de la loi genevoise d'organisation judiciaire ge-
nevoise (OJ/GE). L'art. 2 let. b de la loi genevoise sur la
procédure administrative (LPA/GE) exclurait l'application des
règles de procédure administrative aux actes de police judi-
ciaire, mais n'exclurait pas la compétence de la cour canto-
nale. Les recourants invoquent également à ce titre l'art. 6
par. 1 CEDH (RS 0.101). Ce grief sera examiné ci-dessous
(consid. 4).

   a) Selon l'art. 13 al. 2 de la loi genevoise sur la
police (LPol), le Chef de la police et les officiers de poli-
ce sont compétents pour accomplir, dans le cadre de la police
judiciaire et sous la surveillance du Procureur général, les
formalités de levée de corps et, le cas échéant, ordonner
qu'il soit procédé à une autopsie légale en cas de mort vio-
lente ou indéterminée. Dans le cadre d'une procédure pénale,
l'art. 112A CPP/GE est applicable, et donne au Procureur gé-
néral et aux officiers de police la compétence d'ordonner une
autopsie. Selon l'art. 2 let. b LPA/GE, les règles de procé-
dure contenues dans cette loi ne sont pas applicables aux
procédures pénales administratives dans la mesure où celles-
ci font l'objet de dispositions spéciales, ainsi qu'aux actes
de police judiciaire.

   b) Depuis le 1er janvier 2001, le Tribunal adminis-
tratif genevois dispose d'une attribution générale de compé-
tences, dont le but principal est de clarifier l'agencement
des voies de recours, de combler les lacunes de la protection
juridique et d'aménager une voie de recours conformément aux
exigences des art. 98a OJ et 6 par. 1 CEDH (Thierry Tanque-
rel, Les principes généraux de la réforme de la juridiction
administrative genevoise, RDAF 2000 p. 475-496, 478). L'art.
54A OJ/GE prévoit ainsi que le Tribunal administratif connaît
des recours dirigés contre les décisions des autorités et ju-
ridictions administratives au sens des art. 4 à 6 et 57
LPA/GE, ou dans les autres cas prévus par la loi. L'art. 56B
OJ/GE exclut le recours dans certains cas; les actes de la
police judiciaire ne sont pas visés.

   Il ressort de cette réglementation que le Tribunal
administratif est l'autorité de recours contre les décisions
fondées sur la LPA/GE. Il est par conséquent logique de
considérer que les décisions et actes soustraits au champ
d'application de cette dernière loi, tels les actes de la
police judiciaire, ne peuvent pas faire l'objet du recours
administratif ordinaire. L'arrêt attaqué ne repose donc pas
sur une application arbitraire du droit cantonal.

   c) Les recourants invoquent également l'art. 49
LPA/GE. Cette disposition permet d'obtenir une décision de
constatation si le requérant rend vraisemblable qu'il a un
intérêt juridique, personnel et concret, digne de protection.
Le Tribunal administratif a considéré qu'il n'y avait pas
d'intérêt actuel à une telle constatation, dès lors que
l'ordre d'autopsie avait déjà été exécuté. Les recourants in-
voquent la jurisprudence fédérale selon laquelle il est re-
noncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque celle-ci
aurait pour effet de soustraire une décision à un examen de
constitutionnalité. Toutefois, l'obligation d'entrer en ma-
tière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobs-
tant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour
effet de créer une voie de recours non prévue par le droit
cantonal. La règle de l'art. 98a OJ, selon laquelle le
recours cantonal doit être ouvert aussi largement que le
recours au Tribunal fédéral, s'applique au recours de droit
administratif, et non au recours de droit public.

   d) Les recourants évoquent enfin l'art. 11 al. 3
LPA/GE, disposition selon laquelle l'affaire est transmise à
l'autorité compétente. Le Tribunal administratif ne pouvait
se contenter de communiquer son arrêt au Procureur général,
pour information, mais devait lui remettre le dossier pour
décision. Les recourants perdent de vue que le Tribunal admi-
nistratif a déclaré le recours et la demande de constatation
irrecevables, à défaut de toute voie de droit, aménagée en
droit cantonal, contre un ordre d'autopsie. La communication
en a été faite au Procureur général, non pas en tant qu'auto-
rité de recours - comme l'admettent d'ailleurs les recourants
eux-mêmes -, mais comme autorité de surveillance. C'est à
cette dernière qu'il appartiendrait dès lors de décider, sans
être tenue par les considérations de la cour cantonale, si
une intervention se justifie, et de requérir éventuellement
la production du dossier. Il n'y a pas, par conséquent, d'ap-
plication arbitraire de l'art. 11 al. 3 LPA/GE. En réalité,
les recourants invoquent, sur ce point également, leur droit
à obtenir une décision judiciaire, question qui fait l'objet
du considérant ci-après.

   4.- Dans l'ensemble de leurs griefs, les recourants
soutiennent que la légalité de l'ordre d'autopsie devait fai-
re l'objet d'un examen par une autorité judiciaire. Ils invo-
quent à ce sujet la liberté personnelle et les art. 6 et 8
CEDH.

   a) La liberté personnelle, garantie par l'art. 10
Cst., est l'un des aspects de la dignité humaine (art. 7
Cst.; ATF 126 I 112 consid. 3a p. 114 et les arrêts cités).
Selon la jurisprudence relative au droit constitutionnel non
écrit, et applicable sans autre à l'art. 10 Cst. (FF 1997
148), la liberté personnelle ne se limite pas à la durée de
la vie de l'individu. Elle s'étend au-delà du décès et permet
à toute personne de se déterminer à l'avance sur le sort de
sa dépouille, et de se prémunir contre toute intervention il-
licite, qu'il s'agisse de prélèvements d'organes ou d'une au-
topsie (ATF 111 Ia 231 consid. 3 p. 232, 98 Ia 508 consid. 8
p. 520). Il est généralement reconnu que le respect dû aux
morts découle de la dignité humaine (Maurer, Le principe de
respect de la dignité humaine et la Convention européenne des
droits de l'homme, Paris 1999 p. 402-403). A l'instar de tou-
te atteinte à un droit fondamental, un ordre d'autopsie doit
se fonder sur une base légale (en l'espèce les art. 13 al. 2
LPol et 112A CPP/GE), et reposer sur un intérêt public pré-
pondérant (en l'occurrence, la nécessité de déterminer la
cause précise du décès). Lorsque les proches de la victime
s'opposent à une telle mesure (ce qui nécessite une informa-
tion préalable, cf. ATF 123 I 112 consid. 4c p. 119), il
convient de mettre en balance les différents intérêts en pré-
sence. En l'espèce, les intérêts en présence consistaient
d'une part dans les besoins de l'enquête visant à déterminer
précisément les causes du décès et, d'autre part, le droit au
respect du corps de la victime, ainsi que la volonté manifes-
tée par cette dernière, en accord avec ses parents, d'effec-
tuer un don d'organes.

   Les parents sont protégés, dans une certaine mesure,
à l'égard d'un ordre d'autopsie concernant le corps de leur
enfant. Ce droit ne permet toutefois pas à lui seul d'exiger
l'intervention d'une autorité judiciaire. La Constitution ac-
tuelle impose le respect des droits fondamentaux à toute au-
torité étatique (art. 35 al. 2), mais ne donne pas un accès
inconditionnel à une autorité juridictionnelle: l'art. 29a
Cst. (droit à un juge), accepté en votation populaire, n'est
pas encore entré en vigueur (FF 1999 7831). Les recourants
invoquent en vain le caractère "inaliénable et imprescripti-
ble" de la liberté personnelle: cette caractéristique permet
d'entreprendre une décision d'exécution, mais non d'exiger un
contrôle judiciaire.

   b) La jurisprudence rappelée ci-dessus considère que
la protection du corps d'une personne décédée découle égale-
ment de l'art. 8 CEDH: le droit au respect de la vie privée
comprend le droit de se déterminer sur le sort de son propre
corps et de se prémunir contre toute atteinte à l'intégrité
corporelle (Velu/Ergec, La Convention européenne des droits

de l'homme, Bruxelles 1990, n° 661). Le respect de la sépul-
ture, de la dépouille mortelle, et la protection contre des
prélèvements irrespectueux de la volonté du défunt et de sa
famille relèvent de cette disposition (Maurer, op. cit. p.
403-404, qui envisage également l'application de l'art. 3 de
la Convention dans certains cas graves où le traitement du
cadavre "l'instrumentaliserait" clairement ou bien serait
très franchement offensant). Cette disposition n'est toute-
fois, elle non plus, d'aucune aide aux recourants, car si
elle doit être assortie d'un recours effectif au sens de
l'art. 13 CEDH, rien n'impose l'intervention d'une autorité
judiciaire cantonale. Les recourants auraient notamment pu
saisir directement le Tribunal fédéral d'un recours de droit
public dirigé contre l'ordre d'autopsie, ce qui aurait satis-
fait aux exigences minimales de l'art. 13 CEDH. L'art. 8 CEDH
n'est toutefois pas sans influence sur l'application de
l'art. 6 par. 1 CEDH, dont la portée est examinée ci-dessous.

   5.- Selon l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne a le
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publi-
quement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépen-
dant et impartial qui décidera des contestations sur ses
droits et obligations de caractère civil ou du bien-fondé de
toute accusation pénale dirigée contre elle. L'art. 6 par. 1
CEDH peut ainsi être invoqué par quiconque, estimant illégale
une ingérence dans l'exercice de l'un de ses droits (notam-
ment de caractère civil), se plaint de n'avoir pas eu l'oc-
casion de soumettre pareille contestation à un tribunal ré-
pondant aux exigences de l'article 6 par. 1 (CourEDH, arrêt
Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique du 23 juin
1981, série A no 43, p. 20, par. 44).

   a) Le volet pénal de cette disposition n'est pas
pertinent en l'espèce: la procédure pénale a été ouverte à
l'encontre du conducteur impliqué et l'on ignore si les re-
courants y sont intervenus, et à quel titre. Leur démarche ne

s'inscrivait pas dans le cadre de la procédure pénale, mais
revêtait un caractère indépendant.

   b) La notion de "droits et obligations de caractère
civil" est autonome: l'art. 6 CEDH ne donne par lui-même au-
cun contenu matériel déterminé dans l'ordre juridique des
Etats contractants. Cette disposition implique l'existence
d'une "contestation" réelle et sérieuse; elle peut concerner
aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses
modalités d'exercice. L'issue de la procédure doit être di-
rectement déterminante pour le droit en question. Un lien
ténu ou des répercussions lointaines ne suffisent pas à faire
entrer en jeu l'article 6 par. 1 CEDH (CourEDH, arrêts Le
Compte, Van Leuven et De Meyere précité, pp. 21-22, par. 47;
Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A no 294-B,
pp. 45-46, par. 56; Masson et Van Zon c. Pays-Bas du 28 sep-
tembre 1995, série A no 327-A, p. 17, par. 44; cf. aussi JAAC
2000 136 1326). En définitive, le droit à un tribunal ne vaut
que pour les "contestations" relatives à des "droits et obli-
gations de caractère civil" que l'on peut prétendre, au moins
de manière défendable, reconnus en droit interne, qu'ils
soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Bien
que de caractère autonome, cette notion implique donc l'exa-
men de la prétention, selon le droit interne.

   aa) Par contestation, au sens de l'art. 6 par. 1
CEDH, il faut entendre tout litige surgissant entre deux par-
ticuliers ou entre un particulier et une autorité étatique,
par exemple lorsque cette dernière supprime ou restreint
l'exercice d'un droit. Il en va ainsi lorsque sont invoqués
des droits de nature privée telles la garantie de la proprié-
té et la liberté économique (voir les références citées in
Frowein/Peukert, EMRK-Kommentar, 2ème éd. 1996 art. 6 nos 19
et 21). Les prétentions en indemnités élevées contre la col-
lectivité présentent un caractère patrimonial et entrent dans
le champ d'application de l'art. 6 par. 1 CEDH (Villiger,
Handbuch der EMRK, 2ème éd., Zurich 1999 par. 384 et 387).

   bb) L'art. 6 par. 1 CEDH ne concerne donc pas seule-
ment les contestations de droit privé au sens étroit - soit
les litiges surgissant entre les particuliers ou entre les
particuliers et l'Etat agissant au même titre qu'une personne
privée -, mais aussi les actes administratifs adoptés par une
autorité dans l'exercice de la puissance publique, pour au-
tant qu'ils produisent un effet déterminant sur des droits de
caractère civil. De ce point de vue également, sont décisifs
le contenu du droit matériel et les effets que lui confère la
législation nationale (ATF 125 I 209 consid. 7a p. 215-216 et
les références citées). Il convient dès lors de s'interroger
préalablement sur l'existence d'un droit subjectif, fondé sur
la législation interne. Un tel droit est nié lorsque l'auto-
rité agit de manière discrétionnaire, par exemple dans les
cas de concessions (ATF 125 I 209), d'autorisations d'entrée
ou de séjour d'un étranger (CourEDH, arrêt Maoui c. France du
5 octobre 2000), s'agissant des habitants voisins d'une cen-
trale nucléaire recourant contre l'autorisation d'exploita-
tion (JAAC 2000 136 1326), ou de concurrents attaquant l'au-
torisation d'exploiter un commerce (ATF 125 I 7). Il est
admis, en revanche dans le cas des voisins qui se plaignent
de violation de normes tendant à leur protection (ATF 127 I
44 consid. 2c et d p. 45), s'agissant d'une allocation socia-
le à laquelle l'intéressé peut prétendre en vertu du droit
national (CourEDH, arrêt Mennitto c. Italie du 5 octobre
2000), ou dans les actions en responsabilité dirigées contre
l'Etat (ATF 126 I 144).

   cc) La jurisprudence considère qu'une plainte pénale
dirigée contre des fonctionnaires de police peut avoir une
incidence sur la réparation des préjudices matériel et moral
allégués et a, partant, un caractère civil, même si une ac-
tion en responsabilité n'a pas encore été formée (CourEDH,

arrêt Maini c. France du 26 octobre 1999). La procédure d'in-
demnisation des victimes d'infractions - pour autant que le
droit interne confère une véritable prétention - présente
aussi un tel caractère (CourEDH, arrêt Gustafson c. Suède du
1er juillet 1997), de même qu'une action en indemnisation
pour mauvais traitement de la police (CourEDH, arrêts
Assenov c. Bulgarie et Osman c. Royaume-Uni, du 28 octobre
1998), ou une procédure relative à l'indemnisation pour la
détention préventive subie (CourEDH, arrêts W. et S. c.
Autriche du 24 novembre 1997).

   6.- Le droit de s'opposer à une intervention illi-
cite sur le corps d'un proche est une émanation des droits
généraux de la personnalité, protégés en droit civil par les
art. 28ss CC et comparables, du point de vue privatiste, au
droit de propriété (ATF 111 Ia 231 consid. 3b p. 234, 123 I
112 consid. 4c p. 119). En matière civile, la victime d'une
atteinte aux droits de la personnalité peut agir auprès d'un
juge en interdiction ou en cessation du trouble ou en consta-
tation de son caractère illicite, si le trouble subsiste
(art. 28a al. 1 CC). Elle peut également requérir des domma-
ges-intérêts et la réparation de son tort moral (art. 28a al.
3 CC).

   a) Après la mort et la fin de la personnalité (art.
31 CC), cette dernière n'est en principe plus protégée. L'or-
dre juridique admet toutefois une prolongation de la protec-
tion, eu égard à la dignité du défunt et au sentiment de
piété de ses proches. Outre la protection découlant du droit
public (règles relatives à la constatation du décès et à
l'inhumation en particulier) et pénal (dispositions proté-
geant contre les atteintes à la paix des morts, art. 262 CP),
cette protection est également reconnue en droit privé. Son
respect est alors entièrement subordonné à l'intervention des
proches ou des autres ayants droit, puisque le titulaire
n'est plus en mesure d'agir. Ce droit a pour conséquence es-

sentielle que nul ne peut librement disposer du cadavre d'au-
trui (Tercier, Le nouveau droit de la personnalité, Zurich
1984, nos 406 ss). Selon la conception retenue en Suisse,
cette prolongation de la protection de la personnalité ne
tient pas au fait que toute personne peut, de son vivant,
espérer que son image personnelle ne sera pas profanée après
sa mort, mais bien plutôt à la volonté de protéger le senti-
ment de piété des proches survivants: la protection s'étend
aussi aux sentiments intimes qui comprennent le sentiment de
piété envers les proches décédés, les souvenirs d'événements
communs importants, de circonstances particulières qui atta-
chent les uns aux autres et qui s'incorporent en quelque
sorte à notre personnalité (ATF 70 II 127 consid. 2 p. 130/
131). Les proches ne peuvent dès lors agir, en principe, que
s'ils invoquent leurs propres intérêts personnels (ATF 104 II
225). Les proches du défunt ont le droit de disposer du
cadavre de celui-ci; en cela, ils n'exercent pas le droit
qu'avait le de cujus de disposer de son cadavre, mais bien
leur propre droit de la personnalité (Deschenaux/Tercier,
Personnes physiques et tutelle, 4ème éd., Berne 2001, n° 534b
et la jurisprudence citée).

   b) Il découle de ce qui précède que les particuliers
disposent d'un droit, opposable à l'Etat, à l'encontre des
interventions de celui-ci sur le corps d'un proche. Telle
qu'elle est reconnue en droit suisse, cette protection s'ana-
lyse comme un véritable droit subjectif. Il ne saurait certes
être assimilé sans autre à un droit de propriété (même si le
cadavre humain est, en soi, une chose impersonnelle, cf.
Steinauer, Les droits réels, Berne 1990, n° 68), mais impli-
que un certain droit de disposition. Par ailleurs, les droits
qui ressortissent au droit de la personnalité, notamment le
droit au respect de la vie familiale et le droit à l'intégri-
té corporelle font partie des droits dont le caractère civil
ne prête pas à controverse (Velu/Ergec, op. cit. n° 424 et la
jurisprudence citée). Cet aspect très particulier de la li-

berté personnelle tombe par conséquent sous le coup de l'art.
6 par. 1 CEDH.

   c) La jurisprudence compte au rang des prétentions
de caractère civil le droit à l'indemnisation d'un préjudice
causé par un acte fautif des pouvoirs publics (ATF 126 I 144
consid. 3 p. 150 et la jurisprudence citée). Pour autant que
des droits de caractère "personnel et patrimonial et subjec-
tif" aient été lésés, le contentieux de la responsabilité de
la puissance publique tombe sous l'application de l'art. 6
par. 1 CEDH. Il apparaît que la démarche des recourants ten-
dait à l'obtention d'une réparation de nature constatatoire
et il serait choquant de ne pas leur faire bénéficier du
droit à un juge du simple fait qu'ils ont désiré se contenter
d'un tel mode de réparation, sans élever de prétentions pécu-
niaires, le droit invoqué étant par ailleurs le même. Il ne
serait au demeurant pas exclu que la constatation du carac-
tère éventuellement illicite de l'ordre d'autopsie puisse ou-
vrir la voie à une procédure d'indemnisation fondée sur la
responsabilité de l'Etat, quand bien même tel n'est pas l'ob-
jectif poursuivi par les recourants.

   d) Compte tenu de la nature du droit invoqué, la
contestation relative à un ordre d'autopsie tombe sous le
coup de l'art. 6 par. 1 CEDH et doit en principe être soumise
à un tribunal au sens de cette disposition. Cela ne signifie
pas que l'intervention du juge doit obligatoirement être re-
quise avant même qu'il soit procédé à la mesure contestée; un
tel contrôle préalable ne serait généralement pas réalisable,
comme en témoigne d'ailleurs la présente espèce. En revanche,
lorsque le bien-fondé d'un ordre d'autopsie est contesté, ce-
la implique l'intervention, a posteriori, d'une autorité ju-
diciaire satisfaisant aux exigences de l'art. 6 CEDH. La
transmission de la cause au Procureur général, comme autorité
de surveillance de la police judiciaire, ne remplit pas ces
exigences, pas plus que la possibilité de recourir directe-

ment au Tribunal fédéral contre la décision d'autopsie, par
la voie du recours de droit public. La cause doit pouvoir
être soumise à un tribunal disposant d'un pouvoir d'examen
non limité en fait et en droit (ATF 126 I 144 consid. 3c p.
152 et les arrêts cités).

   7.- En l'espèce, les recourants se sont adressés,
dans un premier temps au Conseil d'Etat, puis au Tribunal
administratif, afin "qu'il soit statué sur la légitimité" de
l'ordre d'autopsie, et que soit constaté son caractère "tota-
lement injustifié". L'acte contesté ayant déployé ses effets,
il n'était pas question pour les recourants d'intervenir pré-
ventivement (par le biais d'un recours tendant à l'annulation
de la décision) ou en cessation du trouble. Seule était envi-
sageable une action en constatation, voire en réparation. Les
recourants ont choisi la première de ces voies, en attaquant
l'ordre d'autopsie du 4 avril 1999; ils exposaient n'avoir eu
connaissance de cet ordre que par le biais d'une communica-
tion du juge d'instruction, dans le cadre de la procédure pé-
nale. Il convenait, selon eux, de renoncer à l'exigence d'un
intérêt actuel, car la mesure contestée échapperait sans cela
toujours au contrôle de constitutionnalité. Le Tribunal admi-
nistratif a répondu qu'il n'y avait pas de recours contre les
actes de la police judiciaire et que les recourants n'avaient
pas d'intérêt actuel à une constatation. L'un et l'autre de
ces motifs ne résistent pas à l'examen.

   a) Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu.
Il se prête à des limitations, notamment quant aux conditions
de recevabilité d'une action ou d'un recours, dès lors que
les règles d'organisation judiciaire et de procédure doivent
être déterminées par l'Etat, qui jouit à cet égard d'une cer-
taine marge d'appréciation. Ces limitations ne sauraient tou-
tefois restreindre l'accès au justiciable de manière ou à un
point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint
dans sa substance même. En outre, les limitations appliquées

ne se concilient avec l'art. 6 par. 1 CEDH que si elles pour-
suivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable
de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé
(CourEDH, arrêts S. et N. SA c. Grèce du 16 novembre 2000,
par. 15; Levages Prestations Services c. France du 23 octobre
1996, Recueils des arrêts et décisions 1996-V p. 1543, par.
40).

   b) Le droit d'accès à un tribunal s'est trouvé nié,
en l'espèce, par l'application - non arbitraire - des art.
56 A al. 2 OJ/GE et 2 let. b LPA/GE. Or, si la cour cantonale
pouvait refuser d'entrer en matière pour des motifs de pro-
cédure spécifiques (tel le respect du délai pour agir), elle
ne pouvait en revanche se borner à décliner sa compétence.
Dès lors que l'ordre d'autopsie doit pouvoir faire l'objet
d'un contrôle judiciaire, elle devait soit renvoyer les re-
courants à mieux agir, soit se saisir du litige en dépit du
droit cantonal, par application directe de l'art. 6 par. 1
CEDH.

   c) L'argument tiré du défaut d'intérêt n'est pas
mieux fondé. Comme cela est relevé ci-dessus, la constatation
requise avait une fonction réparatrice, de sorte que la cour
cantonale ne pouvait nier tout intérêt actuel aux recourants.
La jurisprudence des organes de Strasbourg et du Tribunal fé-
déral admet qu'en cas de violation de la CEDH, il existe un
droit à une constatation, par exemple dans les cas où les
conditions d'une indemnisation pour dommage ou tort moral ne
sont pas remplies (à défaut de dommage ou d'atteinte particu-
lière à la personnalité), ou lorsque les intéressés y renon-
cent délibérément (ATF 125 I 394 consid. 5c p. 400/401 et les
arrêts cités). Outre l'intérêt personnel des recourants à une
telle constatation, il existe manifestement un intérêt géné-
ral à faire vérifier une pratique fondée sur une ordonnance
administrative et qui, en vertu de son caractère automatique,
paraît empêcher toute pesée réelle des intérêts. La jurispru-

dence reconnaît un tel intérêt dans le cas de décisions ayant
déjà déployé tous leurs effets, mais qui pourraient se repro-
duire en tout temps, lorsque la résolution d'une question dé-
terminée correspond à un intérêt public et que l'intervention
de l'autorité judiciaire ne pourrait, pratiquement, avoir
lieu en temps utile (ATF 125 I 394 consid. 4b p. 396/397 et
les arrêts cités). Tel est le cas en l'espèce.

   8.- A défaut de dispositions expresses du droit can-
tonal, une voie de recours cantonale doit être ouverte dans
le cas particulier, sur la seule base de la CEDH. Il n'appar-
tient pas au Tribunal fédéral de désigner lui-même l'autorité
compétente, de déterminer la voie de droit adéquate et de
fixer les règles de procédure applicables. C'est aux autori-
tés cantonales qu'il incombe de garantir la protection juri-
dique exigée par l'art. 6 par. 1 CEDH. En l'occurrence, plu-
sieurs possibilités sont envisageables.

   a) Le Tribunal administratif pourrait ainsi se re-
connaître compétent, "contra legem", et entrer en matière sur
le recours, respectivement l'action en constatation, sous ré-
serve des autres exigences de procédure fixées par le droit
cantonal.

   b) Les recourants pourraient également être renvoyés
à agir par la voie de l'action en responsabilité de l'Etat.
Selon l'art. 2 de la loi genevoise sur la responsabilité de
l'Etat, l'Etat de Genève est tenu de réparer le dommage ré-
sultant pour des tiers d'actes illicites commis soit inten-
tionnellement, soit par négligence ou imprudence par ses
agents ou fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions.
La réparation du dommage causé par des actes licites n'a lieu
que si l'équité l'exige (art. 4). Les règles du code civil
sont applicables à titre de droit cantonal supplétif (art.
6). Le Tribunal de première instance est compétent pour sta-
tuer sur de telles demandes, et la procédure civile cantonale

est applicable (art. 7). Il est possible que les recourants
puissent, dans ce cadre, faire reconnaître l'illégalité de
l'ordre d'autopsie, pour autant qu'une action constatatoire
soit recevable dans ce contexte. En matière de détention pré-
ventive, la jurisprudence considère que les irrégularités qui
peuvent avoir entaché la procédure relative à celle-là peu-
vent être invoquées dans le cadre d'une procédure d'indemni-
sation sur la base de l'art. 5 par. 5 CEDH (ATF 125 I 394).

   9.- C'est dès lors aux autorités cantonales, et en
premier lieu au Tribunal administratif, auteur de la décision
attaquée et juridiction de recours ordinaire en matière admi-
nistrative, qu'il appartiendra de décider de quelle manière
il peut être pourvu au contrôle judiciaire exigé par l'art. 6
par. 1 CEDH. Le cas échéant, la cour cantonale devra égale-
ment s'interroger sur la recevabilité de la démarche des re-
courants, en particulier sur le respect du délai pour agir,
question demeurée indécise dans l'arrêt attaqué. L'art. 6
CEDH ne saurait avoir pour effet de dispenser les recourants
d'agir selon les formes requises, et les délais de procédure
font partie des exigences légitimes dont peut dépendre l'ac-
cès à un tribunal. Il suffit de constater, à ce stade, que le
Tribunal administratif ne pouvait refuser d'entrer en matière
aux seuls motifs que le recours et l'action en constatation
étaient exclus par la loi cantonale d'organisation judiciai-
re, et que les recourants ne pouvaient faire valoir un inté-
rêt juridique. L'arrêt du 9 janvier 2000 doit par conséquent
être annulé, et le Tribunal administratif devra rendre une
nouvelle décision sur cet objet, dans le sens des considé-
rants qui précèdent.

   10.- Le recours de droit public est admis. L'arrêt
attaqué est annulé; la procédure est remise dans la situation
antérieure à la décision querellée, à charge pour le Tribunal
administratif de rendre une nouvelle décision au sens des
considérants. Une indemnité de dépens est allouée aux recou-

rants, à la charge du canton de Genève. Il n'est pas perçu
d'émolument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Admet le recours et annule la décision attaquée.

   2. Alloue aux recourants une indemnité de dépens de
2000 fr., à la charge du canton de Genève.

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

   4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants, au Chef de la police de sûreté et au
Tribunal administratif du canton de Genève.

Lausanne, le 18 juin 2001
KUR/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,