Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.133/2001
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1P.133/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        23 mars 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Nay et Favre.
Greffier: M. Parmelin.
                        ____________

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

A.________ , représenté par Me Anne Hiltpold, avocate à Ge-
nève,

                           contre

l'arrêt rendu le 15 janvier 2001 par la Chambre pénale de la
Cour de justice du canton de Genève, dans la cause qui oppo-
se le recourant au Procureur général du canton de  G e n è -
v e ;

        (art. 9 et 32 al. 1 Cst.; procédure pénale;
           appréciation des preuves; arbitraire)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- Par jugement du 30 août 2000, le Tribunal de police
du canton de Genève a reconnu A.________ coupable d'infrac-
tion à l'art. 19 ch. 1 de la loi fédérale sur les stupé-
fiants (LStup), pour avoir servi d'intermédiaire entre
B.________ et C.________ dans la vente d'une quantité de
30 g de cocaïne. Il l'a condamné à la peine de cinq mois
d'emprisonnement, avec sursis pendant trois ans, et a pro-
noncé son expulsion du territoire de la Confédération pour
une durée de cinq ans, avec sursis pendant cinq ans.

     Statuant le 15 janvier 2001 sur appel du condamné, la
Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève
(ci-après: la Chambre pénale ou la cour cantonale) a confir-
mé ce jugement, en se fondant notamment sur les faits sui-
vants:

     C.________ a été arrêté le 14 avril 2000 alors qu'il
vendait 28,6 g de cocaïne à un agent infiltré; il a déclaré
avoir reçu la drogue à crédit de A.________, en présence de
B.________, qui fournissait celui-ci en cocaïne et qui lo-
geait chez les époux A.________, en provenance d'Allemagne.
D.________, un ami de C.________ qui habitait dans le même
immeuble que A.________, a affirmé que B.________ approvi-
sionnait l'accusé en cocaïne et que ce dernier avait remis
environ 30 g à C.________, qui n'était pas arrivé à les ven-
dre. Selon lui, A.________ était un trafiquant de cocaïne
pourvoyant des vendeurs, généralement des requérants d'asile
guinéens et maliens. Aucune trace de drogue n'a été trouvée
dans l'appartement de A.________, dans son véhicule, sur ses
vêtements ou sur lui-même; il ne disposait pas davantage de
sommes d'argent importantes et son compte bancaire reflétait
ses revenus limités de plongeur, ainsi que ceux de son épou-

se, assistante médicale à temps partiel. De même, aucune
trace de drogue n'a été retrouvée sur B.________, mais plus
de 80% des billets de banque saisis sur lui lors de son ar-
restation, pour un montant total de 8'815 francs, étaient
contaminés avec de la cocaïne, de manière non accidentelle,
d'après un rapport du 27 juin 2000 de l'Institut de police
scientifique et de criminologie de l'Université de Lausanne.

     La date à laquelle A.________ aurait remis les 30 g de
cocaïne à C.________ en présence de B.________ n'a pu être
précisée. Toutefois, dans la semaine du 3 au 7 avril 2000,
B.________ s'est trouvé au domicile de A.________, où
C.________ les a rencontrés à deux ou trois reprises.
A.________ n'appréciait pas du tout D.________, connu pour
être un consommateur de drogue, et lui avait interdit de
pénétrer dans son appartement, raison pour laquelle celui-
là l'aurait mensongèrement accusé d'être impliqué dans un
trafic de drogue. L'employeur et le voisin de palier de
A.________ n'avaient rien remarqué de suspect; en particu-
lier, ce dernier travaillait beaucoup et menait un train
de vie modeste, le couple A.________ ayant quatre enfants
à charge, soit deux enfants issus d'un premier mariage de
l'épouse de A.________, et deux enfants communs, le dernier
étant né le 4 avril 2000.

     B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de
la Chambre pénale du 15 janvier 2001, pour violation des
art. 9 et 32 al. 1 Cst. Il reproche en substance à la cour
cantonale d'avoir fait preuve d'arbitraire et violé la pré-
somption d'innocence en confirmant le jugement du Tribunal
de police, alors que l'appréciation objective de l'ensemble
des éléments de preuve laissait subsister un doute sérieux
et insurmontable quant à sa culpabilité. Il requiert l'as-
sistance judiciaire.

     Le Procureur général du canton de Genève conclut au re-
jet du recours. La cour cantonale se réfère à son arrêt.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

     1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement
la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 III
41 consid. 2a p. 42; 126 I 257 consid. 1a p. 258; 126 II 506
consid. 1 p. 507).

     a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre d'une
appréciation arbitraire des preuves et des constatations de
fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les
arrêts cités) ou pour invoquer la violation directe d'un
droit constitutionnel, tel que le principe de la présomption
d'innocence (ATF 120 IV 113 consid. 1a p. 114). Au vu des
arguments soulevés, seul le recours de droit public est ou-
vert en l'occurrence.

     b) Le recourant est directement touché par l'arrêt at-
taqué qui confirme un jugement le condamnant à une peine de
cinq mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans et
à l'expulsion du territoire de la Confédération pour une du-
rée de cinq ans, avec sursis pendant cinq ans; il a un in-
térêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que
cette décision soit annulée, et a, partant, qualité pour re-
courir selon l'art. 88 OJ.

     c) Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recours de droit
public doit contenir l'énoncé des faits essentiels et un
bref exposé démontrant quels droits constitutionnels ou
quels principes juridiques ont été violés par la décision
attaquée, et dans quelle mesure. Le Tribunal fédéral n'exa-

mine que les motifs soulevés de manière claire et détaillée.
Il n'entre pas en matière sur les griefs développés de ma-
nière insuffisante et sur de pures critiques appellatoires.
Le recourant ne peut en particulier pas se limiter à une
critique globale de l'arrêt attaqué en prétendant que ce
dernier est arbitraire. Il doit bien davantage démontrer
que l'appréciation des preuves à laquelle a procédé la cour
cantonale est manifestement insoutenable, se trouve en con-
tradiction grossière avec la situation de fait, qu'elle lèse
une règle ou un principe juridique incontestés ou qu'elle
heurte de façon choquante le sentiment de la justice. Dans
la mesure où le recourant invoque la maxime "in dubio pro
reo" en tant que règle d'appréciation des preuves, il doit
également démontrer que la cour cantonale a versé dans l'ar-
bitraire en le condamnant, bien qu'il subsistât, selon une
appréciation objective du résultat de l'administration des
preuves, des doutes manifestement sérieux et irréductibles
quant à sa culpabilité (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495/496
et les arrêts cités).

     Dans le cas particulier, le recourant reprend très lar-
gement l'examen de l'ensemble des faits et développe ses
moyens sur un mode appellatoire (ATF 117 Ia 10 consid. 4b
p. 12) difficilement compatible avec les exigences de re-
cevabilité du recours de droit public (cf. ATF 126 III 534
consid. 1b p. 536 et les références citées). Toutefois, il
invoque expressément la violation du principe de la pré-
somption d'innocence, dont la cour cantonale serait devenue
l'auteur en ne constatant pas le doute sérieux et insurmon-
table qui subsistait à la suite d'une appréciation objective
de l'ensemble des éléments de preuve, tout en cherchant à
démontrer en quoi l'appréciation de la cour cantonale était
contraire à ses droits constitutionnels; dans cette mesure,
le recours est recevable.

     d) Interjeté en temps utile contre une décision finale
prise en dernière instance cantonale, il répond également
aux réquisits des art. 86 al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

     2.- a) S'agissant de la constatation des faits et de
l'appréciation des preuves, la maxime "in dubio pro reo" est
violée lorsque l'appréciation objective de l'ensemble des
éléments de preuve laisse subsister un doute insurmontable
sur la culpabilité de l'accusé (ATF 120 Ia 31 consid. 2c
p. 37). Une constatation de fait n'est pas arbitraire pour
la seule raison que la version retenue par le juge ne coïn-
cide pas avec celle de l'accusé; encore faut-il que l'appré-
ciation des preuves soit manifestement insoutenable, en con-
tradiction flagrante avec la situation effective, qu'elle
constitue la violation d'une règle de droit ou d'un principe
juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle heurte de
façon grossière le sentiment de la justice et de l'équité
(ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30; 117 Ia 133 consid. 2c
p. 39, 292 consid. 3a p. 294). Saisi d'un recours de droit
public ayant trait à l'appréciation des preuves, le Tribunal
fédéral examine seulement si le juge cantonal a outrepassé
son pouvoir d'appréciation et établi les faits de manière
arbitraire (ATF 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 con-
sid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts
cités).

     L'art. 32 al. 1 Cst., entré en vigueur le 1er janvier
2000, qui consacre spécifiquement la notion de la présomp-
tion d'innocence, ne fait que reprendre les principes posés
dans ce domaine par la jurisprudence (FF 1997 I 1 ss, notam-
ment p. 188/189).

     b) En l'espèce, le recourant argumente en perdant de
vue qu'il a été condamné par le Tribunal de police du canton
de Genève pour avoir servi d'intermédiaire entre B.________
et C.________ dans la vente d'une quantité de 30 g de cocaï-

ne. Ni les juges de première instance ni les juges d'appel
n'ont considéré qu'il était impliqué dans un vaste trafic de
drogue ou qu'il organisait de manière systématique l'ache-
minement de la cocaïne apportée par B.________ ou d'autres
personnes à des revendeurs, requérants d'asile guinéens ou
maliens. Le fait qu'aucune trace de drogue n'ait été décou-
verte dans l'appartement et le véhicule du recourant ou que
le niveau de vie des époux A.________ corresponde à leur si-
tuation professionnelle est ainsi dénué de pertinence. Il
résulte par ailleurs du dossier que C.________ a été arrêté
le 14 avril 2000, alors qu'il revendait 28,6 g de cocaïne à
un agent infiltré. De plus, B.________ a été interpellé en
possession de 8'815 francs suisses en petites coupures, con-
taminées à plus de 80% avec de la cocaïne, ce qui excluait
une contamination accidentelle. La date exacte de la remise
d'environ 30 g de cocaïne au début avril 2000 par B.________
et A.________ à C.________ n'a certes pas pu être déterminée
avec précision; de plus, ce dernier a varié dans ses décla-
rations à ce sujet en indiquant successivement avoir reçu la
drogue un soir au domicile du recourant, puis ensuite dans
la rue, avant de revenir à ses premières déclarations. Ces
circonstances ne revêtent cependant pas une importance dé-
cisive pour déterminer si le recourant avait effectivement
joué un rôle d'intermédiaire; en effet, C.________ a tou-
jours précisé que B.________ était présent, ce qui était
l'élément capital, puisque c'est ce dernier qui amenait de
la cocaïne de Hollande, via l'Allemagne où il était domici-
lié. Il découle de ces dépositions que C.________ ne pouvait
avoir accès à la drogue livrée par B.________, qui ne con-
naissait pratiquement personne à Genève, que par l'inter-
médiaire de son voisin et ami, A.________. Or, d'après les
déclarations de l'épouse du recourant et de C.________,
ce dernier avait rencontré B.________ au domicile des
A.________ à deux ou trois reprises entre les 4 et 7 avril
2000, lui donnant ainsi la possibilité d'effectuer la tran-
saction.

     Dans ces conditions, la cour cantonale pouvait sans
arbitraire retenir que A.________ avait à tout le moins ser-
vi d'intermédiaire entre B.________ et C.________ dans la
vente d'une quantité de 30 g de cocaïne, les déclarations de
C.________ étant confortées par les indices matériels réunis
dans la procédure, soit l'analyse des sommes d'argent sai-
sies sur B.________ et la quantité de drogue vendue à
l'agent infiltré le 14 avril 2000. L'antipathie de
A.________ à l'égard de D.________ et l'intention qu'il
avait manifestée de révéler à l'épouse de C.________ que
son mari était un consommateur, voire un trafiquant de dro-
gue, ne suffisent pas pour admettre que les deux hommes au-
raient mensongèrement impliqué le recourant dans une livrai-
son de cocaïne à laquelle il était totalement étranger. Au
contraire, il ressort du dossier que A.________, qui con-
naissait B.________ et qui l'avait reçu deux fois lors de
ses déplacements d'Allemagne à Genève, était le seul à pou-
voir faire le lien avec son voisin et ami C.________, comme
ce dernier l'a déclaré d'une telle façon que le défaut de
précision sur l'heure exacte et le lieu de la remise de la
drogue ne permettait pas d'infirmer. Ainsi, même sans tenir
compte des déclarations de D.________, qui confirment celles
de C.________, la cour cantonale pouvait, sans porter at-
teinte aux droits constitutionnels du recourant, tenir les
faits qui lui étaient reprochés pour établis, les autres al-
légations concernant un trafic de drogue d'une certaine am-
pleur n'étant pas prises en considération et ne ressortant
pas du dossier cantonal soumis au Tribunal fédéral.

     En définitive, le recourant ne parvient pas à démontrer
que le jugement attaqué reposerait sur une appréciation ar-
bitraire des preuves, qui serait en contradiction avec les
déclarations des témoins ou des coïnculpés, étayées par les
quelques indices matériels rassemblés par la police et le
Juge d'instruction.

     3.- Le recours doit ainsi être rejeté. Les conditions
de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire
droit à la demande d'assistance judiciaire et de statuer
sans frais. Il y a lieu de désigner Me Anne Hiltpold comme
avocate d'office du recourant pour la présente procédure et
de lui verser une indemnité à la charge de la Caisse du Tri-
bunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ).

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Rejette le recours;

     2. Admet la demande d'assistance judiciaire;

     3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni
alloué de dépens;

     4. Désigne Me Anne Hiltpold comme avocate d'office du
recourant et lui alloue une indemnité de 1'200 fr. à titre
d'honoraires, à la charge de la Caisse du Tribunal fédéral;

     5. Communique le présent arrêt en copie à la mandataire
du recourant, au Procureur général et à la Chambre pénale de
la Cour de justice du canton de Genève.
                       _____________

Lausanne, le 23 mars 2001
PMN/mnv

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
        Le Président,                  Le Greffier,