Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.109/2001
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1P.109/2001

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       22 février 2001

Composition de la Cour: MM. les Juges Nay, Juge présidant,
Catenazzi et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

W.________, représenté par Me Pierre-Dominique Schupp, avocat
à Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 19 janvier 2001 par le Tribunal d'accusation
du Tribunal cantonal du canton de Vaud;

                   (détention préventive)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- W.________, citoyen suisse né le 28 mars 1947, a
été incarcéré du 7 au 15 octobre 1999, comme prévenu de crime
impossible d'escroquerie. Il a été à nouveau arrêté le 23 no-
vembre 1999 et se trouve depuis lors en détention préventive
sous les inculpations d'escroquerie qualifiée, d'extorsion et
chantage, de fraude dans la saisie, d'incendie intentionnel,
d'abus de confiance, de banqueroute frauduleuse et de faux
dans les titres.

   Considérant qu'il y avait un doute sur la responsa-
bilité pénale du prévenu, le Juge d'instruction du canton de
Vaud (ci-après: le Juge d'instruction) a ordonné, en date du
20 avril 2000, la mise en oeuvre d'une expertise psychiatri-
que qu'il a confiée au Dr Jacques Gasser, médecin associé au
Département Universitaire de Psychiatrie Adulte, à Prilly.
L'expert a rendu son rapport le 11 juillet 2000. Il a répondu
par l'affirmative à la question de savoir si W.________ était
susceptible de commettre de nouveaux actes punissables de
même nature, en relevant que celui-ci n'avait pas pris
conscience, pour l'instant, de certaines particularités de
son fonctionnement psychique et n'avait donc pas pu apprendre
à les gérer. Il précisait qu'un changement dans l'aménagement
mental du prévenu ne pourrait passer que par un traitement de
fond, principalement psychothérapeutique, assez prolongé et
dans un cadre volontaire.

   B.- Le 30 octobre 2000, W.________ a requis sa mise
en liberté provisoire assortie, le cas échéant, de mesures
d'accompagnement sous la forme d'un suivi psychiatrique, fa-
milial et amical et d'un patronage. Il se fondait sur les
progrès accomplis depuis son incarcération et mis en évidence

par les Dr Le Goff et Macheret Christe, médecins psychiatres
auprès du Service cantonal de médecine et psychiatrie péni-
tentiaires, dans un rapport établi le 29 septembre 2000.

   Le 6 novembre 2000, le Juge d'instruction a rejeté
la requête au motif qu'il convenait de vérifier auprès de
l'expert si ses conclusions relatives au risque de récidive
devaient être reconsidérées. Par décision du même jour, il
lui a imparti un délai au 11 décembre 2000 pour indiquer si
les éléments nouveaux évoqués par le prévenu étaient de na-
ture à modifier les conclusions du rapport d'expertise du 11
juillet 2000.

   Le Dr Jacques Gasser s'est déterminé le 21 décembre
2000 en précisant que les conclusions de l'expertise psychia-
trique restaient valables, même si le risque que le prévenu
commette à nouveau des actes punissables de même nature que
ceux ayant conduit à son incarcération lui paraissait être
légèrement diminué pour autant que le cadre thérapeutique,
familial et amical proposé puisse effectivement se mettre en
place de façon prolongée.

   Saisi d'une nouvelle demande de mise en liberté im-
médiate, le Juge d'instruction a refusé d'ordonner la relaxa-
tion de W.________ en se prévalant du préavis négatif de
l'expert.

   Statuant par arrêt du 19 janvier 2001 sur recours du
prévenu, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Vaud (ci-après: le Tribunal d'accusation) a rejeté
le recours formé par W.________ contre cette décision prise
le 27 décembre 2000. Cette autorité a considéré qu'il exis-
tait des présomptions suffisantes de culpabilité, en se réfé-
rant à un précédent arrêt rendu le 26 juillet 2000, et a jus-
tifié le maintien en détention préventive par le risque de

réitération qu'elle considérait comme établi sur la base des
antécédents du prévenu, du fait que ce dernier avait commis
une nouvelle infraction après une brève période de détention
et des considérations de l'expert du 21 décembre 2000. Elle a
par ailleurs admis que le principe de la proportionnalité
était en l'état respecté, en invitant le Juge d'instruction à
instruire la cause sans désemparer afin de clôturer l'enquête
à bref délai.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
W.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt
et, subsidiairement, d'ordonner sa libération immédiate. Il
reproche au Tribunal d'accusation d'avoir violé les art. 31
Cst. et 5 § 1 let. c CEDH en tenant pour établi le risque de
récidive. Il requiert l'assistance judiciaire.

   Le Tribunal d'accusation se réfère aux considérants
de son arrêt. Le Juge d'instruction a renoncé à déposer des
observations et le Ministère public du canton de Vaud conclut
au rejet du recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le recourant est personnellement touché par
l'arrêt attaqué, qui confirme une décision refusant sa mise
en liberté provisoire, et a, partant, qualité pour recourir
selon l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision
prise en dernière instance cantonale, le recours répond aux
exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il
convient d'entrer en matière. La conclusion subsidiaire du
recourant tendant à sa libération immédiate est par ailleurs
recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

   2.- Une mesure de détention préventive n'est compa-
tible avec la liberté personnelle, garantie par les art. 10
al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle repose sur une base légale
(art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce
l'art. 59 du Code de procédure pénale vaudois (CPP vaud.).
Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et res-
pecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3
Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le
cas, la privation de liberté doit être justifiée par les be-
soins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de
collusion ou de réitération (cf. art. 59 al. 1, 2 et 3 CPP
vaud.). Préalablement à ces conditions, il doit exister à
l'égard de l'intéressé des charges suffisantes (ATF 116 Ia
143 consid. 3 p. 144). Cette dernière exigence coïncide avec
la règle de l'art. 5 § 1 let. c CEDH, qui autorise l'arres-
tation d'une personne s'il y a des raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis une infraction.

   S'agissant d'une restriction grave à la liberté per-
sonnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces ques-
tions, sous réserve toutefois de l'appréciation des preuves,
revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 268
consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale dispose ainsi d'une
grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia 281
consid. 3 p. 283).

   3.- Le recourant ne conteste pas l'existence de
charges suffisantes à son encontre. Il nie en revanche la
persistance d'un risque de récidive propre à justifier son
maintien en détention.

   a) L'autorité appelée à statuer sur la mise en li-
berté provisoire d'un détenu peut, en principe, maintenir
celui-ci en détention s'il y a lieu de présumer, avec une
certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de récidive.
Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'apprécia-

tion d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon
la jurisprudence, le maintien en détention ne peut se justi-
fier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable
et que les délits dont l'autorité redoute la réitération sont
graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367;
124 I 208 consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et
les arrêts cités; voir aussi, arrêt de la CourEDH dans la
cause Clooth c. Belgique, du 12 décembre 1991, Série A vol.
225, § 40). Le principe de la proportionnalité impose en ou-
tre à l'autorité qui estime se trouver en présence d'une pro-
babilité sérieuse de réitération d'examiner si l'ordre public
pourrait être sauvegardé par d'autres moyens que le maintien
en détention, tels que la mise en place d'une surveillance
médicale, l'obligation de se présenter régulièrement à une
autorité ou l'instauration d'autres mesures d'encadrement
(ATF 123 I 268 consid. 2c in fine p. 271 et les arrêts ci-
tés).

   b) En l'espèce, le Tribunal d'accusation a tenu le
risque de récidive pour établi en se fondant sur les antécé-
dents du prévenu, sur le fait que ce dernier avait poursuivi
son activité délictueuse après une brève période de détention
et sur les considérations du Dr Jacques Gasser du 21 décembre
2000.

   Les antécédents du recourant se résument à une
condamnation à vingt jours d'arrêts avec sursis pendant deux
ans et à une amende de 1'000 fr., prononcée le 5 novembre
1996, pour obtention frauduleuse d'une constatation fausse et
complicité d'usage de faux. Ils ne constituent dès lors pas
un élément suffisant pour motiver en soi un risque concret de
récidive.

   L'autorité intimée se fonde également sur le fait
que le recourant aurait commis une nouvelle infraction contre
le patrimoine alors qu'il venait de subir une brève période

de détention préventive. Elle se réfère à ce propos à la
plainte pénale pour escroquerie et abus de confiance que
Charles Schwab a déposée le 25 novembre 1999 à l'encontre du
recourant, qu'il accusait d'avoir disposé à des fins person-
nelles d'une somme de 350'000 fr. destinée à l'achat d'un im-
meuble à Chexbres. Par la suite, le plaignant a évoqué une
avance liée à la réalisation d'une opération de change pour
expliquer la remise de cette somme d'argent au recourant. Ce
dernier a quant à lui déclaré que ce montant correspondait à
la moitié d'une commission touchée par Charles Schwab en re-
lation avec une opération immobilière. Comme l'a retenu le
Tribunal fédéral dans un arrêt rendu le 28 novembre 2000 sur
recours de W.________ dans la cause 1P.423/2000, les motifs
du versement de 350'000 fr. ne sont pas clairs et en l'état
de la procédure, on ne peut tenir pour établi que cette somme
provient d'un délit commis par le recourant au détriment du
plaignant. L'autorité intimée ne fait valoir aucun élément
postérieur à cet arrêt qui autoriserait une appréciation dif-
férente des faits. Dans ces conditions, les faits dénoncés
dans la plainte pénale de Charles Schwab ne sont pas suffi-
sants en l'état pour admettre que le recourant a persisté
dans son activité délictueuse et établir un danger concret de
réitération.

   Le Tribunal cantonal s'est appuyé enfin sur l'avis
émis par le Dr Jacques Gasser le 21 décembre 2000, qui con-
firme l'existence d'un risque de récidive légèrement diminué
par rapport à celui qui prévalait lorsque ce praticien a exa-
miné le prévenu aux mois de mai et juin 2000, malgré l'évolu-
tion favorable de la situation constatée dans l'intervalle.
Le recourant conteste les conclusions de l'expert qui aurait
rendu son rapport sans l'avoir entendu et sans avoir consulté
les médecins psychiatres qui le suivent régulièrement depuis
son incarcération; il se prévaut du rapport que ces derniers
ont rendu le 29 septembre 2000.

   Le juge de la détention n'est certes pas lié par le
résultat d'un avis d'expert s'agissant notamment d'apprécier
le risque de réitération d'un détenu. Mais s'il entend s'en
écarter, il doit motiver sa décision et ne saurait, sans mo-
tifs déterminants, substituer son appréciation à celle de
l'expert, sous peine de verser dans l'arbitraire (cf. ATF 122
V 157 consid. 1c p. 160; 119 Ib 254 consid. 8a p. 274; 118 Ia
144 consid. 1c p. 146 et les arrêts cités).

   Les médecins psychiatres qui suivent le recourant
depuis son incarcération constatent certes dans leur rapport
du 29 septembre 2000 une évolution favorable de la situation
du prévenu, dans le sens d'une prise de conscience de son
mode de fonctionnement relationnel à autrui; en revanche, ils
ne se prononcent pas sur la conséquence de cette évolution
sur le risque de récidive mis en évidence par le Dr Jacques
Gasser dans son rapport d'expertise du 11 juillet 2000, esti-
mant que cette question relève de l'appréciation de l'expert.
Interpellé à ce sujet, ce dernier a considéré que la mise en
place du cadre thérapeutique, familial et amical était trop
récente pour pouvoir exclure un tel risque. Il se référait en
particulier à la réponse à la question 5c de l'expertise du
11 juillet 2000 suivant laquelle seul un traitement psycho-
thérapeutique de fond assez prolongé et dans un cadre volon-
taire était de nature à écarter un tel risque.

   Dans ces conditions, l'autorité intimée n'avait au-
cune raison objective de s'écarter de l'avis de l'expert ex-
primé le 21 décembre 2000. Elle n'a dès lors pas violé les
art. 31 Cst. et 5 § 1 let. c CEDH en considérant, sur cette
base, qu'il existait toujours un risque concret de récidive
s'opposant à la mise en liberté provisoire du recourant. Pour
le surplus, ce dernier ne prétend pas que la durée de la dé-
tention préventive subie à ce jour serait excessive et justi-

fierait sa relaxation immédiate. Il n'appartient pas au Tri-
bunal fédéral d'examiner d'office cette question en l'absence
de tout grief à ce sujet (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495).

   4.- Le recours doit par conséquent être rejeté. Les
conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient
de donner suite à la demande d'assistance judiciaire présen-
tée par le recourant et de statuer sans frais. Me Pierre-
Dominique Schupp est désigné comme avocat d'office du recou-
rant pour la présente procédure et une indemnité lui sera
versée (art. 152 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours;

   2. Admet la demande d'assistance judiciaire et dési-
gne Me Pierre-Dominique Schupp en qualité de mandataire d'of-
fice du recourant;

   3. Dit qu'il n'est pas prélevé d'émolument judi-
ciaire;

   4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au
mandataire du recourant une indemnité de 1'500 fr. à titre
d'honoraires;

   5. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Juge d'instruction, au Ministère pu-
blic et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Vaud.

Lausanne, le 22 février 2001
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                     Le Juge présidant,

                        Le Greffier,