Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1E.25/2001
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2001


1E.25/2001/col

Arrêt du 28 mai 2002
Ire Cour de droit public

Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du
Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb, Catenazzi, Fonjallaz,
greffier Jomini.

Etat de Genève,
recourant, représenté par Me David Lachat, avocat, rue du Rhône 100, case
postale 3403, 1211 Genève 3,

contre

A.________,,
intimée, représentée par Me Jean-Daniel Borgeaud, avocat, boulevard des
Tranchées 16, case postale 328, 1211 Genève 12,
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, p.a. M. Jean-Marc
Strubin, président-suppléant, Tribunal de 1ère Instance, CP 3736, 1211 Genève
3.

Expropriation, droits de voisinage

(recours de droit administratif contre la décision de la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement
du 16 novembre 2001)
Faits:

A.
A. ________ est propriétaire de la parcelle n° 3355 du registre foncier, sur
le territoire de la commune de Vernier. Ce bien-fonds a une surface de 2'216
m2; il s'y trouve une maison d'habitation, construite avant 1960. La parcelle
n° 3355 est classée en zone de villas (zone de base) et en zone de
développement. Elle se situe à environ 500 m de l'extrémité sud-ouest de la
piste de l'Aéroport international de Genève.

B.
Le 31 août 1992, A.________ a écrit au Département des travaux publics de la
République et canton de Genève (actuellement: Département de l'aménagement,
de l'équipement et du logement) pour demander une indemnité d'expropriation,
en relation avec les nuisances causées par l'exploitation de l'aéroport. Elle
faisait valoir que ces nuisances entraînaient une dévaluation de sa
propriété, pour laquelle elle prétendait à une réparation à concurrence de
500'000 fr. L'instruction de cette affaire a été suspendue jusqu'au mois de
mai 1999.

Le 11 mai 1999, A.________ a adressé à la Commission fédérale d'estimation du
1er arrondissement une demande en indemnisation, dans laquelle elle a précisé
et complété ses prétentions à l'encontre de l'Etat de Genève, déjà annoncées
en 1992. A.________ conclut, en substance, au versement d'une somme de
625'000 fr., avec intérêts dès le 1er janvier 1985, et à la réalisation, par
l'Etat de Genève, de mesures d'isolation acoustique de sa villa.
Le 1er septembre 1999, le Département fédéral de l'environnement, des
transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) a octroyé à l'Etat de
Genève le droit d'expropriation, sur la base de la loi fédérale sur
l'aviation (LA; RS 748.0), afin qu'il puisse faire ouvrir, par le Président
de la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement, une procédure
dans laquelle il serait statué sur les prétentions de A.________.

C.
A.________ a fourni à la Commission fédérale d'estimation des indications au
sujet des propriétaires successifs du bien-fonds litigieux. Il a été acquis
par son père X.________ le 14 avril 1942, qui l'a vendu le 24 juin 1960 à son
épouse Y.________, au prix de 50'000 fr.

X. ________ est décédé le 20 mai 1964. Sa succession a été partagée entre ses
trois héritiers: son épouse Y.________, leur fille A.________ et Z.________,
fils adoptif du de cujus n'ayant pas de lien de filiation avec Y.________.
Dans ce cadre, il a été décidé de porter à l'actif de la succession une
créance contre Y.________, parce qu'elle était devenue propriétaire de
l'immeuble familial en 1960 en payant un montant sensiblement inférieur à sa
valeur. En conséquence, au terme du partage, le 8 février 1966, Y.________ a
reconnu devoir à sa fille A.________ une somme de 23'879.30 fr.

Y. ________ a conclu le 27 juin 1970 avec sa fille A.________ un contrat de
vente portant sur l'immeuble précité, dont le prix a été fixé à 150'000 fr.
Selon l'acte authentique, une partie du prix, soit 24'229.30 fr., a été payée
avant la vente; A.________ s'est engagée à payer le solde du prix, soit
125'770.70 fr., en versant à sa mère une rente mensuelle et viagère de 650
fr., une hypothèque légale étant inscrite en garantie du paiement de cette
rente. A la date de la conclusion de ce contrat, Y._______ avait 54 ans et sa
fille A.________ 19 ans; elle était devenue majeure peu auparavant par
mariage

D.
La Commission fédérale d'estimation a procédé à une visite des lieux le 24
août 1999, en présence des parties. Leurs mandataires ont encore comparu le
13 septembre 1999; il a été décidé, lors de cette audience, que l'instruction
porterait en premier lieu sur les faits déterminants au regard de la
condition de l'imprévisibilité (l'une des conditions, avec celles de la
spécialité et de la gravité, auxquelles la jurisprudence subordonne l'octroi
d'une indemnité pour l'expropriation des droits de voisinage à cause des
immissions de bruit de l'aéroport). Les parties ont déposé des observations à
ce sujet. A.________ a joint à ses observations du 15 novembre 1999 une
déclaration écrite de sa mère Y.________, signée le 30 juillet 1999,
contenant en substance les éléments suivants: A.________ est l'héritière
légale et la fille unique de Y.________; le transfert de la propriété
litigieuse, le 27 juin 1970, "s'insère dans un cadre successoral et
d'avancement d'hoirie"; la mère devait encore une soulte à sa fille après le
partage de la succession de X.________, et elle souhaitait l'aider à
s'établir, puisqu'elle venait de se marier; la rente viagère prévue dans
l'acte de vente constituait pour Y.________ "essentiellement une sécurité,
mais n'ayant pas eu spécialement besoin de cet argent, [elle] en [avait]
rarement demandé le paiement"; le notaire ayant instrumenté l'acte avait
"suggéré de procéder de la sorte, en proposant même le prix et le montant de
la vente à indiquer"; dans l'esprit de Y.________, "il s'agissait d'un
avancement d'hoirie à la suite du mariage de [sa] fille".

E.
La Commission fédérale d'estimation a rendu le 16 novembre 2001 une décision
partielle dans laquelle elle dit que "les conditions d'octroi d'une indemnité
pour l'expropriation formelle des droits de voisinage attachés à la parcelle
n° 3335 [recte: 3355], feuille 42, de la commune de Vernier, appartenant à
Madame A.________, en particulier la condition d'imprévisibilité, sont
satisfaites" (ch. 1 du dispositif). La Commission a dès lors ordonné
"l'estimation des bâtiments sis sur la parcelle précitée" (ch. 2 du
dispositif), la suite de l'instruction et le sort des frais et dépens étant
réservés (ch. 3 du dispositif).
Dans les motifs de sa décision, la Commission a d'abord mentionné l'"accord
de procédure" passé par les parties, l'invitant à examiner à titre préalable
si la condition de l'imprévisibilité était satisfaite en l'espèce. Après
avoir rappelé la jurisprudence à ce propos et analysé les circonstances du
transfert de la propriété à A.________, la Commission est parvenue à la
conclusion que cette condition était réalisée.

F.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, l'Etat de Genève
demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Commission fédérale
d'estimation du 1er arrondissement et de rejeter la demande d'indemnité de
A.________. Il soutient que la condition de l'imprévisibilité n'est pas
réalisée.

A. ________ conclut au rejet du recours.

La Commission fédérale d'estimation a renoncé à répondre au recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit administratif est recevable contre une décision prise par
une commission fédérale d'estimation (art. 77 al. 1 LEx, art. 115 al. 1 OJ).
L'Etat de Genève, qui agit en tant qu'expropriant, a qualité pour recourir
(art. 78 al. 1 LEx). Les autres conditions de recevabilité étant remplies -
notamment l'observation du délai de recours de trente jours contre une
décision partielle sur le fond (art. 77 al. 2 LEx et art. 106 al. 1 in initio
OJ; cf. ATF 118 Ib 196 consid. b p. 198; arrêt non publié 1E.4/2000 du 3 mai
2000 dans la cause Etat de Genève c. R., traduit in Pra 88/1999 n° 20,
consid. 1a) -, il y a lieu d'entrer en matière.

2.
Le recourant conteste qu'une indemnité d'expropriation soit due au titre des
immissions de bruit, la condition de l'imprévisibilité n'étant selon lui pas
satisfaite.

2.1  D'après la jurisprudence, développée sur la base des art. 5 LEx et 684
CC, la collectivité publique, en sa qualité d'expropriante, peut être tenue
d'indemniser le propriétaire foncier voisin d'une route nationale, d'une voie
de chemin de fer ou d'un aéroport s'il subit, à cause des immissions de
bruit, un dommage spécial, imprévisible et grave (cf. ATF 124 II 543 consid.
3a p. 548 et 5a p. 551, et les arrêts cités). Seule la condition de
l'imprévisibilité est en l'espèce litigieuse, d'après l'argumentation du
recours et les motifs de la décision attaquée.

2.2  S'agissant des nuisances du trafic aérien sur l'un des aéroports
nationaux, le Tribunal fédéral a posé la règle selon laquelle on ne tient pas
compte de la condition de l'imprévisibilité quand le bien-fonds exposé au
bruit a été acquis par l'exproprié avant le 1er janvier 1961 (ATF 121 II 317
consid. 6b p. 334ss). En revanche, si l'exproprié a acquis son bien-fonds à
partir du 1er janvier 1961, on doit considérer que les effets de
l'exploitation de l'aéroport, avec le développement du trafic aérien, étaient
prévisibles voire connus, ce qui exclut l'octroi d'une indemnité
d'expropriation fondée sur l'art. 5 LEx (ATF 121 II 317 consid. 6c p. 337s.).
Cette règle n'est pas critiquée par les parties à la présente procédure.

2.3  En posant la règle ci-dessus, le Tribunal fédéral a d'emblée précisé le
point suivant: la date d'acquisition de l'immeuble par le précédent
propriétaire est déterminante quand la demande d'indemnité d'expropriation
est présentée par son héritier, actuel propriétaire - à savoir lorsque
celui-ci a acquis l'immeuble après le 1er janvier 1961 par la dévolution de
la succession -, ou encore lorsque le transfert de propriété à celui qui
prétend à une indemnité d'expropriation résulte d'une libéralité entre vifs
faite à titre d'avancement d'hoirie (ATF 121 II 317 consid. 6c p. 337). On
peut en d'autres termes, pour l'examen de la condition de l'imprévisibilité,
se fonder selon les circonstances sur la situation du prédécesseur de
l'exproprié. Le Tribunal fédéral avait auparavant, dans une affaire
d'expropriation concernant le bruit d'une route nationale, également
considéré que, lorsque les immissions se produisaient sur un bien-fonds que
le propriétaire actuel avait acquis à titre d'avancement d'hoirie, il ne
fallait pas examiner si les immissions étaient prévisibles pour celui-ci mais
si elles l'étaient pour son prédécesseur. Dans ce contexte, d'après la
jurisprudence, il n'y a aucun motif de traiter différemment le bénéficiaire
d'une telle libéralité, d'une part, et l'héritier auquel la succession est
dévolue au décès du de cujus, d'autre part. Comme l'héritier à l'ouverture de
la succession, le bénéficiaire de l'avancement d'hoirie se retrouve, du seul
fait de l'attribution, dans la position juridique du précédent titulaire des
droits sur l'immeuble; il n'a pas d'autres possibilités d'éviter le dommage
que celles dont disposait son prédécesseur. Le cas de l'acquisition par
avancement d'hoirie doit être traité de la même manière que celui de
l'acquisition par voie successorale, et non pas comme celui d'un transfert de
propriété en vertu d'un contrat de vente (ATF 111 Ib 233 consid. 2a p. 235).
Cette précision de la jurisprudence au sujet de l'avancement d'hoirie été
confirmée peu après (ATF 112 Ib 526 consid. 1 p. 529; cf. aussi ATF 119 Ib
348 consid. 5a p. 356). La règle ainsi définie a été appliquée dans deux
arrêts non publiés concernant les immissions de bruit de l'Aéroport
international de Genève (arrêt 1E.10/1998 du 28 septembre 1998 dans l'affaire
Etat de Genève c. R., traduit in Pra 88/1999 n° 20, consid. 3a/bb; arrêt
1E.4/2000 du 3 mai 2000, Etat de Genève c. M., consid. 4a).
Si la jurisprudence considère que la date de l'acquisition de l'immeuble
concerné par le de cujus est déterminante lorsque cet immeuble est transmis
dans le cadre de la succession à cause de mort, c'est parce qu'en pareil cas,
les héritiers remplacent le de cujus en raison de son décès et reprennent sa
position juridique globale. Le cas de l'avancement d'hoirie est comparable:
il s'agit en effet d'une libéralité entre vifs, faite par le de cujus à son
héritier - le plus souvent sous la forme d'une donation au sens des art.
239ss CO (cf. notamment Jean-Nicolas Druey, Grundriss des Erbrechts, 5e éd.
Berne 2002, p. 87) -, dans le but de réaliser, en vertu de la loi ou de la
volonté du de cujus, une sorte de succession anticipée représentant une
fraction de la part successorale du bénéficiaire (cf. en particulier Eric
Stoudmann, L'avancement d'hoirie et sa réduction, thèse Lausanne 1962, p.
22). Les libéralités faites "à titre d'avancement d'hoirie" (art. 626 al. 1
CC), ou en acompte sur la part héréditaire (texte allemand de l'art. 626 al.
1 CC: "auf Anrechnung an ihren Erbanteil"), sont assorties d'une ordonnance
de rapport, de par la loi (rapport légal; cf. art. 626 al. 2 CC) ou selon la
volonté du de cujus, généralement par un acte de disposition pour cause de
mort unilatéral (cf. notamment Luc Vollery, Les relations entre rapports et
réunions en droit successoral, thèse Fribourg 1994, p. 67); en conséquence,
le bénéficiaire de la libéralité entre vifs, quand il vient à la succession,
est tenu de rapporter en nature ou se laisser imputer la valeur de
l'avancement d'hoirie sur sa part héréditaire (art. 628 al. 1 CC). Seuls les
héritiers - légaux ou, le cas échéant, institués - peuvent être les
bénéficiaires d'un avancement d'hoirie (cf. ATF 124 III 102 consid. 4a p. 104
et les références).

2.4
2.4.1 Dans la présente affaire, l'immeuble concerné n'est pas resté en mains
de la personne qui en était la propriétaire avant le 1er janvier 1961, à
savoir  Y.________. Cette dernière n'a pas demandé, ni personne en son nom,
une indemnité d'expropriation. La question à résoudre est celle de savoir si
en demandant une indemnité d'expropriation le 31 août 1992, la propriétaire
de la parcelle n° 3620, A.________, pouvait se prévaloir de la position
juridique qui était celle de sa mère Y.________ avant le 1er janvier 1961,
parce que celle-ci aurait été son prédécesseur au sens de la jurisprudence
précitée. Pour résoudre cette question, le Tribunal fédéral peut revoir
librement les constatations de fait de la Commission fédérale d'estimation
(ATF 119 Ib 447 consid. 1b p. 451).

2.4.2  Le transfert de la propriété à l'intimée a fait l'objet d'un contrat
de vente, du 27 juin 1970, par lequel l'intimée s'est engagée à payer à sa
mère le prix convenu, soit 150'000 fr. Dans son recours de droit
administratif, l'Etat de Genève fait valoir en substance que cette forme
juridique correspondait bel et bien à la volonté des parties au contrat, et
que l'intimée n'avait en conséquence pas bénéficié d'un avancement d'hoirie.

2.4.2.1  Dans ses écritures à la Commission fédérale d'estimation, l'intimée
a prétendu que cette vente devait en réalité être considérée comme une
donation mixte, sans toutefois évaluer elle-même la différence entre la
valeur vénale et la valeur fixée contractuellement; elle invitait la
Commission à faire porter l'instruction sur cette question. Comme le
transfert de la propriété de l'immeuble a été opéré entre une mère et sa
fille, peu après le mariage de cette dernière, on pourrait en effet, le cas
échéant, qualifier cet acte - pour autant qu'il s'agisse d'une libéralité -
de "dotation", destinée à créer, assurer ou améliorer l'établissement d'un
descendant dans l'existence; pareilles libéralités, ou avancements d'hoirie,
font l'objet d'une réglementation particulière à l'art. 626 al. 2 CC, qui les
assujettit au rapport sauf disposition contraire du de cujus (ATF 124 III 102
consid. 4a et la jurisprudence citée; cf. également arrêt 1E.4/2000 du 3 mai
2000, Etat de Genève c. M., consid. 4b). Il ne s'agit alors d'avancements
d'hoirie que pour autant que l'attribution soit gratuite ou partiellement
gratuite: sont donc visées non seulement les donations pures, sans aucune
contre-prestation du donataire, mais aussi les donations mixtes, avec une
contre-prestation du donataire inférieure en valeur à la prestation du
donateur, la différence de valeur constituant la libéralité (cf. notamment
Rolando Forni/Giorgio Piatti, Commentaire bâlois [Honsell/Vogt/Geiser éd.],
Bâle 1998, n. 9 ad art. 626 CC; Paul Piotet, Traité de droit privé suisse,
Droit successoral, 2e éd. Fribourg 1988, p. 282; Druey, op. cit., p. 86; cf.
également ATF 126 III 171 consid. 3a p. 173 et la jurisprudence citée). Pour
qu'il y ait donation mixte, l'accord des parties doit porter sur la
différence de valeur des prestations échangées et sur la libéralité faite par
l'un des cocontractants à l'autre; prouver cet élément subjectif ("animus
donandi") peut être problématique car la vente à un prix de faveur ou à un
"prix d'ami" ne constitue pas encore une donation mixte (cf. notamment Druey,
op. cit., p. 87; Paul Piotet, Nature et objet du rapport successoral, Berne
1996, p. 40; ATF 126 III 171 consid. 3a p. 173).

2.4.2.2  La Commission fédérale d'estimation n'a pas examiné, dans sa
décision partielle, si la vente immobilière conclue en 1970 pouvait être
qualifiée de donation mixte; elle n'avait pas non plus, préalablement,
ordonné de mesures d'instruction à ce sujet. Elle a en effet vu dans ce
transfert de propriété un avancement d'hoirie en se fondant sur d'autres
motifs que la comparaison entre la valeur des prestations promises
respectivement par les deux parties au contrat: elle a retenu que ce
transfert était intervenu entre une mère et sa fille; que cette dernière
aurait aussi pu être tenue de contribuer à l'entretien de sa mère, même en
l'absence de contrat de rente viagère; qu'elle aurait de toute manière -
aussi sans ce "montage complexe" - hérité de la maison de la famille; que
cette opération avait enfin pour but de lui conférer un "droit de propriété
indiscutable", non susceptible d'être contesté par Z.________ (héritier de
X.________, mais pas de Y.________). Or ces motifs ne sont, à l'évidence, pas
propres à établir l'existence d'une attribution (partiellement) gratuite de
l'immeuble, et partant d'un avancement d'hoirie. Lorsque, même dans un
contexte familial (contrat passé entre une personne et son descendant, à un
prix favorable), les intéressés choisissent pour le transfert d'un immeuble
la solution juridique de la vente et non pas une solution de caractère
successoral, le juge de l'expropriation doit en principe s'en tenir à ce qui
a été voulu et réalisé par les parties. Si l'immeuble est vendu et que l'on
n'établit pas l'existence d'une libéralité répondant à la définition de
l'avancement d'hoirie, l'acquéreur n'est pas censé se trouver dans la
situation de l'héritier remplaçant son prédécesseur. Il importe peu qu'on
eusse pu atteindre à terme un résultat semblable, pour le sort du patrimoine
familial, en renonçant à la vente et en attendant la liquidation de la
succession du de cujus, voire en prévoyant une véritable attribution
anticipée d'une part de cette succession, car il s'agit là d'une simple
hypothèse. En effet, l'ancienne propriétaire aurait également pu, par
hypothèse, vendre l'immeuble à un tiers, ni descendant ni héritier. Les
éléments retenus par la Commission fédérale ne démontrent en définitive
l'existence ni d'un avancement d'hoirie, ni d'un transfert de propriété
assimilable, par le juge de l'expropriation, à un avancement d'hoirie. Aussi
le recours de droit administratif est-il fondé en tant qu'il critique la
décision attaquée qui admet sur cette base la réalisation de la condition de
l'imprévisibilité. Cela justifie l'annulation de cette décision, pour
violation du droit fédéral (art. 104 let. a OJ).

2.4.2.3  Cela étant, en assimilant ainsi d'emblée l'"attribution" de
l'immeuble par le contrat de vente de 1970 à un avancement d'hoirie, la
Commission fédérale d'estimation a omis d'examiner une question pertinente,
celle de l'existence d'une éventuelle libéralité au cas où ce contrat
constituerait en réalité une donation mixte (cf. supra, consid. 2.4.2.1). Cet
argument a été soulevé par l'intimée (l'expropriée) dans ses écritures. Comme
la décision attaquée avait  pour objet de résoudre préalablement une question
juridique sans mettre fin à la procédure d'estimation - le Tribunal fédéral
ne statuant du reste pas non plus définitivement, dans le présent arrêt, sur
le sort des prétentions de l'expropriée ni sur la réalisation des conditions
de l'imprévisibilité, de la spécialité et de la gravité -, la Commission
fédérale peut réexaminer, sur d'autres bases, le transfert de propriété de
l'immeuble litigieux. En vertu de la maxime inquisitoriale applicable dans
cette procédure, il lui appartient de définir les faits pertinents puis
d'ordonner l'administration des preuves (art. 72 al. 1 LEx). Dans le cas
particulier, la Commission devra donc se prononcer sur la question de
l'éventuelle donation mixte, après avoir ordonné les mesures d'instruction
nécessaires. Elle pourra exiger des parties, notamment de l'expropriée,
qu'elles collaborent à la constatation des faits (art. 13 al. 1 PA par renvoi
de l'art. 3 de l'ordonnance concernant les commissions fédérales d'estimation
[RS 711.1]).  D'après la jurisprudence, il incombe en effet à celui qui
demande une indemnité d'expropriation fondée sur l'art. 5 LEx d'alléguer et
d'offrir la preuve des éléments établissant son préjudice (cf. ATF 106 Ib 241
consid. 5 p. 251; cf. Pierre Moor, Droit administratif, vol. II, 2e éd. Berne
2002, p. 260; cf. également Benoît Bovay, Procédure administrative, Berne
2000, p. 182/183).

2.4.2.4  Un autre élément pourrait être examiné dans ce contexte, pour
apprécier de façon globale, ou en quelque sorte sous l'angle économique,
l'existence d'une libéralité en faveur de l'intimée, qui serait liée
indirectement au transfert de la propriété de l'immeuble.

On peut comprendre, à la lecture de la décision attaquée, que le versement de
la rente mensuelle prévue dans le contrat de vente était lié à l'évolution de
la situation financière de la crédirentière Y.________. D'après les
allégations de l'expropriée, cette rente était destinée à permettre à sa mère
de compléter ses revenus de professeur privé "en cas de nécessité" ou "si
elle était dans le besoin", pour autant que cela ne mette pas sa fille en
difficulté financière. Dans sa déclaration écrite du 30 juillet 1999,
Y.________ a fait valoir que cette rente constituait pour elle
"essentiellement une sécurité" et qu'elle en avait "rarement demandé le
paiement", en l'absence de besoin. Aussi la Commission fédérale a-t-elle
retenu, en se prononçant sur la réalisation de la condition de
l'imprévisibilité, que la rente n'était due en définitive qu'au cas où
Y.________  ne pourrait pas faire face à ses besoins.

Pour le juge de l'expropriation, ces circonstances ne sont pas de nature à
mettre en doute la validité du contrat de vente de 1970, combiné à un contrat
de rente viagère. Il n'y a pas à interpréter, dans la présente procédure,
l'intention des parties lors de la conclusion de ce contrat pour déterminer
si elles entendaient réellement faire de la rente viagère une forme de
paiement du prix; cela a été convenu ainsi dans l'acte authentique, présumé
exact. En revanche, on pourrait déduire de ces circonstances que la
crédirentière a ensuite consenti à la débirentière une remise de dette (art.
115 CO), en renonçant durablement ou occasionnellement au versement de la
rente mensuelle, avec l'objectif de l'aider à s'établir dans l'existence. Une
dotation de descendant au sens de l'art. 626 al. 2 CC peut d'après le texte
légal prendre la forme d'une remise de dette; le de cujus peut ainsi arriver
exactement au même résultat que par un transfert de biens à titre gratuit
(cf. notamment Piotet, Traité de droit privé suisse [op. cit.], p. 285).
Certes, l'abandon, ou la réduction, de la créance de Y.________ serait le cas
échéant juridiquement indépendant du transfert de la propriété de l'immeuble,
après l'exécution du contrat de vente. Néanmoins, si cette remise de dette a
été consentie en quelque sorte parallèlement à la vente, dans le même
contexte de transmission du patrimoine immobilier familial, il pourrait
s'agir d'un élément à prendre en considération pour déterminer si
l'"attribution" de l'immeuble est susceptible d'être assimilée à un
avancement d'hoirie (de même que dans l'arrêt 1E.4/2000 du 3 mai 2000, Etat
de Genève c. M., le Tribunal fédéral a assimilé à un avancement d'hoirie,
pour l'examen de la condition de l'imprévisibilité, l'attribution gratuite
d'un immeuble à un descendant avec dispense de rapport, compte tenu des
particularités de la situation familiale). Il n'y a pas lieu toutefois de se
prononcer plus avant sur cette question car le dossier de la présente cause
ne contient aucune preuve de pareille libéralité, les déclarations de
l'expropriée et de sa mère - qui se borne à évoquer le fait que la rente
aurait été "rarement" versée - n'étant, à elles seules et en ces termes, pas
probantes. Il appartiendra donc à la Commission fédérale d'estimation de
compléter l'instruction sur ce point, le fardeau de la preuve de la
libéralité incombant à l'expropriée (cf. supra, consid. 2.4.2.3).

3.
3.1 Le recours de droit administratif étant admis (cf. supra, consid.
2.4.2.2), la décision attaquée doit être annulée. L'affaire doit être
renvoyée à la Commission fédérale d'estimation pour la suite de l'instruction
en vue de la décision finale (art. 72ss LEx). La Commission n'est pas tenue
de rendre une nouvelle décision préalable au sujet de la condition de
l'imprévisibilité; elle pourra néanmoins le faire, au besoin.

3.2  Ensuite de l'annulation de la décision attaquée, la Commission fédérale
d'estimation ne saurait considérer qu'il a déjà été statué sur la réalisation
des conditions de la spécialité et de la gravité, ainsi que sur l'influence
du classement du terrain litigieux en zone de développement (cf. à ce propos
ATF 122 II 337 consid. 2 p. 340; arrêt non publié E.22/1992 du 24 juin 1996,
Etat de Genève c. hoirie S.-H, consid. 2c). Si le ch. 1 du dispositif de
cette décision laissait entendre que l'ensemble des conditions découlant de
l'art. 5 LEx seraient satisfaites, il ressort clairement des motifs que seule
la question de l'imprévisibilité y a été traitée, conformément à un "accord
de procédure" avec les parties. L'annulation de cette décision partielle la
prive donc de toute autorité de chose jugée.

3.3  Il appartiendra ainsi à la Commission fédérale d'estimation, dans le
cadre de l'instruction qu'elle doit poursuivre, de réexaminer les
circonstances de la vente de l'immeuble litigieux afin de déterminer, sur la
base des preuves disponibles, si ce contrat constitue en réalité une donation
mixte (cf. supra, consid. 2.4.2.3) et en outre si l'expropriée a bénéficié
d'une remise de dette, pour le paiement d'une partie du prix de vente (cf.
supra, consid. 2.4.2.4). Au cas où une analyse globale des circonstances de
la présente affaire permettrait d'établir l'existence de libéralités
significatives, la Commission devra décider s'il est admissible d'assimiler
ce transfert de propriété à un avancement d'hoirie, de telle sorte que la
condition de l'imprévisibilité pourrait être satisfaite en l'espèce. Il
convient enfin d'ajouter, pour être complet, que l'examen de ces questions
serait vain si la Commission devait d'emblée, pour un autre motif, rejeter
les prétentions de l'expropriée.

4.
Les frais et dépens de la présente procédure sont mis à la charge de
l'expropriant (art. 116 al. 1, 1re phrase LEx).
Le Tribunal fédéral considère en droit:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est admis, la décision prise le 16 novembre
2001 par la Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement est
annulée et l'affaire est renvoyée à cette autorité pour la suite de
l'instruction.

2.
Un émolument judiciaire de 1'500 fr. est mis à la charge de l'Etat de Genève.

3.
Une indemnité de 1'500 fr., à payer à titre de dépens à A.________, est mise
à la charge de l'Etat de Genève.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Commission fédérale d'estimation du 1er arrondissement.

Lausanne, le 28 mai 2002

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président: Le greffier: