Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.852/1999
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6S.852/1999/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                     21 février 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, MM. Schneider, Wiprächtiger, Kolly et
Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Bino.
                        __________

            Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

X.________ et Z.________ SA, tous deux représentés par Me
Jacques Barillon, avocat à Genève,

                           contre

l'ordonnance rendue le 9 novembre 1999 par le Procureur
général du canton de Genève dans la cause qui oppose
les recourants à la Banka Y.________ en liquidation,
représentée par Me Olivier Péclard, avocat à Genève;

           (confiscation; art. 58, 59, 60 CP)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

  A.-  Au début des années 1990, des documents
appelés "Prime Bank Guarantees" pour un montant supérieur
à un milliard de dollars ont été émis de manière fraudu-
leuse au nom de la Banka Y.________ en liquidation.
Certains l'ont été à l'ordre de Z.________ SA, société
anonyme avec un capital-actions de 50'000 francs
administrée par X.________.

  Le 11 mars 1994, la Security and Exchange Commis-
sion aux États-Unis d'Amérique a mis en garde les inves-
tisseurs potentiels sur la non-validité de ces documents.
Le 31 mars 1994, la Banque Nationale tchèque a nommé un
administrateur pour les récupérer en vue de leur élimi-
nation. Parallèlement, la Banka Y.________ en liquidation
a entrepris, sans succès, diverses démarches auprès de
X.________ pour obtenir la restitution des "Prime Bank
Guarantees" en possession de Z.________ SA.

  B.-  Le 11 mai 1994, la Banka Y.________ en
liquidation a déposé plainte pénale auprès du Procureur
général du canton de Genève contre X.________ pour
tentative d'escroquerie et pour tentative d'extorsion;
elle lui reprochait d'avoir exigé une compensation
financière en échange de la restitution des "Prime Bank
Guarantees".

  Dans sa plainte pénale, la Banka Y.________ en
liquidation a sollicité la saisie de toutes les "Prime
Bank Guarantees" en possession de X.________ et de tout
tiers. Donnant suite à cette requête, le Procureur

général a saisi un certain nombre de ces documents auprès
de X.________ lui-même, auprès de J.________, notaire à
Genève, qui les détenait pour le compte de X.________,
et, enfin, auprès de W.________, à Zurich, avocat d'un
nommé R.________.

  Aucune inculpation n'a été prononcée dans le
cadre de cette affaire. La Banka Y.________ en
liquidation a renoncé à solliciter l'inculpation de
X.________. Par courrier du 23 mars 1999, elle a
néanmoins requis du Juge d'instruction la restitution
réelle, la confiscation ou la destruction physique des
"Prime Bank Guarantees", motif pris qu'à défaut, elle ne
pouvait achever sa liquidation et le bouclement de ses
états comptables. Le 28 septembre 1999, la Banka
Y.________ en liquidation a confirmé sa requête auprès du
Procureur général. Seul X.________ s'y est opposé.

  C.-  Par décision du 9 novembre 1999 rendue en
application de l'art. 58 CP, le Procureur général a
estimé que l'identification de l'origine des documents
saisis était claire et que, partant, une procédure de
confiscation n'était pas nécessaire. Il a donc ordonné la
restitution de toutes les "Prime Bank Guarantees" saisies
à leur propriétaire, à savoir la Banka Y.________ en
liquidation. Parallèlement, il a classé la plainte pénale
déposée par celle-ci faute d'inculpation ou de prévention
suffisante.

  D.-  Z.________ SA et X.________ se pourvoient en
nullité au Tribunal fédéral contre l'ordonnance du
Procureur général et concluent, avec suite de frais et
dépens, à son annulation. Ils sollicitent par ailleurs
l'octroi de l'assistance judiciaire.

  E.-  Le Procureur général n'a pas présenté
d'observations lors de la transmission du dossier. Invi-
tée à se déterminer, la Banka Y.________ en liquidation a
conclu, principalement, à l'irrecevabilité du pourvoi et,
subsidiairement, à son rejet.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.-  Le présent pourvoi est dirigé contre une
ordonnance rendue en instance cantonale unique par le
Procureur général. Il y a lieu d'examiner si cette
décision peut faire l'objet d'un pourvoi, question de
recevabilité que le Tribunal fédéral examine d'office
(ATF 125 I 253 consid. 1a, 124 IV 262 consid. 1).

  a) En vertu de l'art. 268 ch. 1 1ère phrase PPF,
le pourvoi est recevable contre les jugements qui ne
peuvent pas donner lieu à un recours de droit cantonal
pour violation du droit fédéral. Par jugements, il faut
entendre, comme le dit expressément le texte allemand,
les jugements rendus par des tribunaux ("Urteile der
Gerichte"), c'est-à-dire par des tribunaux indépendants
au sens de l'art. 6 ch. 1 CEDH (ATF 117 IV 84 consid.
1d).

  Comme le Tribunal fédéral l'a déjà relevé, il est
douteux que le Procureur général genevois puisse, d'une
manière générale, être assimilé à un tribunal indépendant
(ATF 108 IV 154 consid. 2b in fine). Quoi qu'il en soit,
il ne saurait l'être dans la présente procédure où, avant
de rendre l'ordonnance attaquée, il a agi en qualité de
procureur en ordonnant une saisie à titre conservatoire
(art. 115A CPP/GE) et une instruction préparatoire.

  b) Au demeurant, même si le Procureur général
devait être considéré comme un tribunal, le pourvoi
contre sa décision n'en serait pas moins exclu.

  aa) Selon l'art. 268 ch. 1 1ère phrase PPF, le
pourvoi n'est recevable que contre les jugements ne
pouvant pas donner lieu à un recours de droit cantonal;
c'est le principe de l'épuisement des voies de recours
cantonales. Aux termes de l'art. 268 ch. 1 2ème phrase
PPF, les jugements des tribunaux inférieurs qui statuent
en instance cantonale unique ne sont pas susceptibles de
pourvoi en nullité; sont inférieurs au sens de cette
disposition les tribunaux dont les jugements peuvent,
sous réserve de certaines exceptions, faire l'objet d'un
recours ordinaire selon le droit cantonal (ATF 92 IV
152).

  bb) A Genève, certaines décisions du Procureur
général, énumérées par le code de procédure pénale, peu-
vent faire l'objet d'un recours à la Chambre d'accusation
qui jouit d'une cognition entière (art. 190A CPP/GE). La
jurisprudence cantonale a précisé que l'énumération était
limitative; mais elle a admis des exceptions pour des
décisions présentant une telle similitude avec celles
énumérées, qu'un refus d'entrer en matière revêtirait un
formalisme excessif. La Chambre d'accusation est ainsi
entrée en matière sur un recours portant sur la levée
d'une saisie, hypothèse qui n'est pas énumérée par le
code; elle l'a fait pour le motif que la levée avait été
prononcée par le Procureur général simultanément à une
ordonnance de classement et qu'elle apparaissait ainsi
comme la conséquence de ce classement (Martine Heyer /
Brigitte Monti, Procédure pénale genevoise, Chambre
d'accusation, Exposé de la jurisprudence 1990-1998, SJ
1999, p. 188; Pierre Dinichert / Bernard Bertossa / Louis

Gaillard, Procédure pénale genevoise, SJ 1986, p. 489,
ch. 7.8).

  En l'espèce, la décision attaquée semble bien
avoir été rendue à la suite du classement de la procédure
pénale, et elle lève la saisie litigieuse. Mais, en or-
donnant la restitution des documents saisis, non pas à
ceux auprès de qui ils ont été saisis, mais au vrai
propriétaire en rétablissement de ses droits, elle va
au-delà de la simple levée de la saisie. Il n'apparaît
pas que la jurisprudence cantonale ait déjà tranché la
recevabilité d'un recours contre une telle décision.

  La décision attaquée ne contient aucune indica-
tion sur une voie de recours cantonale. Les recourants
allèguent qu'une telle voie n'existe pas, ce que le
Procureur général ne conteste d'ailleurs pas; l'intimée,
par contre, se réfère à la décision citée ci-dessus et
soutient que cette voie existe. La question, qui relève
du droit cantonal, peut toutefois rester indécise.

  cc) L'ordonnance litigieuse, fondée sur l'art. 58
CP et appliquant par analogie l'art 59 ch. 1 al. 1 in
fine CP, a pour objet la restitution d'objets, produits
d'une infraction, à leur propriétaire en rétablissement
de ses droits. En vertu des art. 58 ss CP, les décisions
en matière de confiscation sont de la compétence du juge;
par juge, il faut entendre un tribunal impartial au sens
de l'art. 6 ch. 1 CEDH (ATF du 24 novembre 1997 consid.
2a, publié in RFJ 1998, p. 87; 108 IV 154 consid. 2;
Schmid, Kommentar Einziehung, vol. I, Zurich 1998, § 1,
ad art. 58 CP, p. 59, n. 87; Schmid, note ad ATF du
24 novembre 1997, RFJ 1998, p. 92). Cela n'exclut pas
qu'une décision de confiscation puisse émaner d'une au-
torité administrative; le droit fédéral, dans la mesure
où il exige une décision du juge, est respectée si la

décision de l'autorité administrative peut faire l'objet
d'un recours auprès d'un juge jouissant d'une pleine
cognition en fait et en droit (Schmid, op. cit., § 1,
ad art. 58 CP, p. 59, n. 87; Schweri, Eidgenössische
Nichtigkeitsbeschwerde in Strafsachen, Berne 1993, p. 68,
n. 161). Le droit fédéral impose ainsi au canton de pré-
voir une voie de recours ordinaire contre la décision de
confiscation prise par une autorité administrative.

  Cette exigence vaut aussi en matière de restitu-
tion à l'ayant droit. L'art. 59 ch. 1 al. 1 CP ne prévoit
pas d'exception à l'exigence d'une décision du juge, et
on ne voit pas ce qui le justifierait. Dès lors qu'il
s'agit de trancher des questions de droit civil afin de
déterminer l'ayant droit à qui remettre les objets sai-
sis, les parties, en cas de litige, ont droit à ce qu'un
tribunal indépendant tranche (cf. art. 6 ch. 1 CEDH). Tel
est aussi l'avis de la doctrine (Schmid, op. cit., § 2,
ad art. 59 CP, p. 127, n. 72 et § 1, ad art. 58 CP,
p. 62, n. 93).

  dd) Selon le droit fédéral, l'ordonnance querel-
lée devait donc faire l'objet d'un recours ordinaire à
une autorité judiciaire cantonale (ATF 119 II 183 consid.
5, 125 Ia 406 consid. 3a). Il s'ensuit que les voies de
recours cantonales n'ont pas été épuisées. Les recou-
rants, en se fondant sur le droit fédéral et nonobstant
le défaut de réglementation cantonale, auraient dû inter-
jeter un recours auprès de la Chambre d'accusation ou,
éventuellement, auprès d'une autre autorité judiciaire
cantonale. Si l'autorité cantonale était entrée en ma-
tière, sa décision sur le fond aurait, cas échéant, pu
faire l'objet d'un pourvoi; et si elle n'était pas entrée
en matière, sa décision d'irrecevabilité aurait pu faire
l'objet d'un pourvoi pour violation des art. 58 ss CP.

  A noter que si le droit fédéral n'imposait pas
une voie de recours, le Procureur général, dont nombre
de décisions sont susceptibles de recours à la Chambre
d'accusation, aurait statué comme tribunal inférieur en
instance cantonale unique. Dans cette hypothèse, les
exigences de l'art. 268 ch. 1 PPF ne seraient pas non
plus remplies.

  c) En vertu de l'art. 268 ch. 3 PPF, le pourvoi
est aussi ouvert contre les prononcés pénaux des autori-
tés administratives qui ne peuvent pas donner lieu à un
recours aux tribunaux. Cette hypothèse n'est pas non plus
donnée dès lors que le droit fédéral ouvre la voie d'un
recours à une autorité judiciaire cantonale.

  d) La décision attaquée ne remplissant pas les
conditions posées à l'art. 268 PPF, le recours n'est en
principe pas recevable. Toutefois, dans une affaire ayant
fait l'objet d'un arrêt publié, le Tribunal fédéral a
admis la recevabilité d'un pourvoi dirigé contre une
ordonnance du Procureur général genevois fondée sur les
art. 58 et 59 aCP (ATF 108 IV 154 consid. 1b). Les recou-
rants pouvaient s'y fier; le pourvoi ne saurait partant
être déclaré irrecevable pour défaut de décision atta-
quable.

  2.-  L'intimée conteste d'une manière générale la
qualité pour recourir des recourants. Elle allègue que
les "Prime Bank Guarantees" sont dénuées de valeur et que
les recourants n'ont partant pas d'intérêt juridique au
pourvoi.

  Aux termes de l'art. 270 al. 1 PPF, la qualité
pour interjeter un pourvoi en nullité appartient à
l'accusé, à l'accusateur public du canton ainsi qu'au

lésé s'il était déjà partie à la procédure auparavant et
dans la mesure où la sentence peut avoir des effets sur
le jugement de ses prétentions civiles. Exceptionnelle-
ment, la qualité pour interjeter un pourvoi en nullité
est reconnue à une personne même lorsqu'elle ne remplit
pas les conditions de l'art. 270 al. 1 PPF. Ainsi, la
qualité pour se pourvoir en nullité a aussi été reconnue
à celui qui est directement touché dans ses intérêts
propres par une mesure fondée sur les art. 58 à 60 CP;
car si tel n'était pas le cas, quiconque se trouvant dans
cette situation serait systématiquement privé de toute
possibilité d'invoquer la violation des droits que lui
accordent les art. 59 et 60 CP (ATF 122 IV 365 consid.
III 1c/bb p. 373; ATF 108 IV 154 consid. 1a; ATF non
publié du 4 mai 1999 dans la cause Z. c. le Procureur
général du canton de Genève).

  Une partie des documents litigieux a été saisie
chez les recourants ou chez J.________ qui les détenait
pour leur compte. Les recourants peuvent à tout le moins
se prévaloir du droit à la possession pour en requérir la
restitution (art. 930 ss CO); le fait que ces documents
sont sans valeur est, à cet égard, sans pertinence, le
droit à la possession s'étendant aussi à des objets sans
valeur vénale. Il y a donc lieu d'admettre, au stade de
l'examen de la recevabilité, l'intérêt juridique des
recourants pour ce qui a trait aux documents saisis
auprès d'eux ou de leur représentant; la question de
savoir si ce droit à la possession existe réellement
relève de la procédure au fond.

  3.-  L'intimée conteste la qualité des recourants
pour recourir contre la décision dans la mesure où elle
concerne les documents saisis auprès de W.________, qui
les détenait pour R.________.

  W.________ ne possédait pas au nom des
recourants. Dès lors, ces derniers ne peuvent pas invo-
quer le droit à la possession. Ils ne soutiennent pas non
plus qu'ils ont un droit de propriété sur les documents
en question; le fait allégué que les garanties liti-
gieuses aient à l'origine été émises au nom de l'un d'eux
ne signifie pas encore que le droit de propriété n'a pas
été transféré à R.________; partant, celui-ci, en sa
qualité de possesseur, doit en être présumé le proprié-
taire. Ainsi, s'agissant de ces "Prime Bank Guarantees",
la qualité des recourants pour se pourvoir en nullité
fait défaut; le pourvoi est irrecevable dans cette me-
sure.

  4.-  Comme déjà relevé, le droit fédéral ne
s'oppose pas à ce que la décision de restitution au sens
de l'art. 59 ch. 1 al. 1 in fine CP soit rendue par le
Procureur général; sa décision devait néanmoins pouvoir
être soumise à une autorité judiciaire cantonale ayant
pleine cognition en fait et en droit. Avant que celle-ci
ne se soit prononcée, il n'appartient pas au Tribunal
fédéral d'examiner les griefs de fond soulevés par les
recourants. Le mémoire de pourvoi est partant transmis à
la Chambre d'accusation genevoise qui, dans la mesure où
il est recevable, s'en saisira ou désignera le juge qui,
en vertu du droit cantonal, est compétent pour en con-
naître (ATF 125 I 406 consid. 3a).

  5.-  Vu le sort du pourvoi, il ne sera pas perçu
de frais de justice. Il ne sera pas non plus alloué
d'indemnité, aucune des parties n'ayant obtenu gain de
cause. A cet égard, il appartiendra éventuellement à
l'autorité cantonale compétente pour statuer de se
déterminer en fonction de sa décision quant au fond. La

requête d'assistance judiciaire des recourants est ainsi
devenue sans objet.

                     Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

       1. Raye l'affaire du rôle et la transmet à la
Chambre d'accusation du canton de Genève;

       2. Dit qu'il n'est pas perçu de frais;

       3. Dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

  4. Dit que la requête d'assistance judiciaire est
devenue sans objet;

  5. Communique le présent arrêt en copie aux
mandataires des parties, au Procureur général et à la
Chambre d'accusation du canton de Genève.
                       __________

Lausanne, le 21 février 2000

           Au nom de la Cour de cassation pénale
                du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
           Le Président,            La Greffière,