Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.825/1999
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6S.825/1999/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                       5 mai 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Prési-
dent du Tribunal fédéral, M. Schneider, M. Wiprächtiger,
M. Kolly et Mme Escher, Juges.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.

           Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

X.________, représentée par Me Patrick Schellenberg,
avocat à Genève,

                         contre

l'ordonnance rendue le 22 septembre 1999 par la Chambre
d'accusation genevoise dans la cause qui oppose la recou-
rante au Procureur général du canton de   G e n è v e;

      (ordonnance de classement: abus de confiance)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

  A.-  Le 3 février 1999, la société X.________ a
déposé plainte pénale pour abus de confiance à l'encontre
de A.________ et B.________. A l'appui de sa plainte,
X.________ expose que, agissant pour son ayant droit
économique, Y.________, elle a, le 4 décembre 1996,
transféré 700'000 US$ sur un compte dont A.________ était
titulaire auprès d'une banque genevoise; cette somme
provenait d'un compte de X.________ auprès d'une banque
de Curaçao. Elle ajoute que A.________ n'avait reçu
aucune instruction concernant les fonds en question, qui
étaient destinés à l'acquisition par Y.________ d'un
appartement à Crans-Montana. Il avait été convenu entre
les parties que A.________ devait restituer les fonds
immédiatement si la transaction ne se faisait pas. La
plaignante expose qu'ayant finalement renoncé à l'achat
envisagé, Y.________ a réclamé à plusieurs reprises le
remboursement à X.________ de la somme avancée;
A.________ et B.________ auraient fait valoir que le
remboursement dépendait du règlement global d'un litige
opposant B.________ à Y.________, respectivement à des
sociétés dominées par celui-ci, ce qui, d'après la
plaignante, constitue un abus de confiance.

  A.________ et B.________ ont été entendus par
voie de commission rogatoire. La première a expliqué
qu'elle n'était intervenue dans cette affaire que pour
rendre service à Y.________ et à B.________, avec lequel
elle fait ménage commun, et elle a ajouté que l'opération
ne s'étant pas réalisée elle avait, conformément aux
instructions données par Y.________, transféré les fonds
sur un compte de M.________ SA auprès de l'UBS à Crans.
Pour sa part, B.________ a précisé que Y.________ était

actionnaire à 90% de la société M.________ SA à Bulle; il
a en outre confirmé être en litige avec Y.________
respectivement une de ses sociétés qui lui réclamait
350'000 US$.

  B.-  Le 10 juin 1999, le Procureur général du
canton de Genève a ordonné le classement de la plainte de
X.________ au motif qu'il n'y avait pas de prévention pé-
nale suffisante.

  C.-  Par ordonnance du 22 septembre 1999, la
Chambre d'accusation de la Cour de justice genevoise re-
jette le recours formé par X.________ contre cette or-
donnance, qu'elle confirme.

  La Cour cantonale estime que l'existence d'un
rapport juridique entre X.________ et A.________
n'apparaît pas vraisemblable. Elle relève en outre que
les fonds litigieux ont été versés sur un compte de la
société fribourgeoise M.________ SA, dont Y.________ est
actionnaire à 90%, de sorte que rien ne rend vraisem-
blable qu'en effectuant un tel virement A.________ aurait
eu le dessein de s'approprier les fonds ou d'en faire
illicitement bénéficier un tiers.

  D.-  X.________ se pourvoit en nullité contre cet
arrêt. Invoquant une violation de l'art. 138 ch. 1 CP,
elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'an-
nulation de l'ordonnance attaquée et au renvoi de la cau-
se à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

  1.-  La recourante, qui n'invoque que des inté-
rêts patrimoniaux, n'est pas une victime au sens de
l'art. 2 LAVI, de sorte que sa qualité pour se pourvoir
en nullité doit être examinée sur la base de l'art. 270
al. 1 PPF (ATF 120 IV 44 consid. 2a et b p. 49).

  Selon cette dernière disposition, la qualité du
lésé pour se pourvoir en nullité est subordonnée à la
réalisation de trois conditions cumulatives: il faut que
le recourant soit lésé par l'acte dénoncé, qu'il ait déjà
été partie à la procédure auparavant et que la sentence
pénale attaquée puisse avoir des effets sur le jugement
de ses prétentions civiles (ATF 122 IV 71 consid. 2
p. 75; 120 IV 38 consid. 2 p. 40). Comme il n'appartient
pas au lésé de se substituer au Ministère public ou d'as-
souvir une soif de vengeance, il convient de se montrer
strict dans l'admission de la qualité pour recourir et de
n'entrer en matière que s'il ressort de manière suffisam-
ment précise du pourvoi que les conditions de l'art. 270
al. 1 PPF sont réalisées (ATF 123 IV 184 consid. 1b
p. 188 et les références citées).

  Comme le pourvoi est dirigé contre une ordonnance
de classement, il faut se fonder sur les allégués de la
société qui se prétend lésée pour déterminer si tel est
effectivement le cas (ATF 123 IV 184 consid. 1b p. 187 et
les arrêts cités).

  En l'espèce, sur la base de sa version des faits,
la recourante apparaît comme lésée par l'infraction
qu'elle invoque; elle a en outre participé à la procédure
cantonale puisqu'elle a, par son recours, provoqué la dé-
cision attaquée.

  On ne saurait reprocher à la recourante de ne pas
avoir pris de conclusions civiles sur le fond puisque la
procédure n'a pas été menée jusqu'à un stade qui aurait
permis de le faire (ATF 125 IV 109 consid. 1b, 124 IV 262
consid. 1a p. 264, 123 IV 184 consid. 1b p. 187, 254 con-
sid. 1 et les arrêts cités). Il lui incombe cependant en
pareil cas d'expliquer de manière suffisante quelles pré-
tentions civiles elle entend faire valoir et en quoi
celles-ci peuvent être touchées par la décision attaquée
(ATF 125 IV 109 consid. 1b p. 111, 123 IV 184 consid. 1b
p. 187, 254 consid. 1 p. 256 et les arrêts cités).

  Passant en revue les diverses bases sur lesquel-
les elle pourrait rentrer en possession de la somme liti-
gieuse, la recourante expose que l'"une des principales"
est l'acte illicite (art. 41 ss CO) et que l'ordonnance
entreprise, qui refuse de qualifier d'infraction à l'art.
138 CP les agissements de l'intimée, l'empêche d'action-
ner celle-ci sur la base des art. 41 ss CO; la recourante
précise que l'arrêt attaqué aura pour conséquence qu'elle
rencontrera d'importantes difficultés à faire valoir ses
prétentions civiles, puisque le juge civil ne peut pas
mener les mêmes investigations que le juge pénal.

  La jurisprudence a relevé que la voie du pourvoi
en nullité n'est ouverte au lésé que dans la mesure où
l'arrêt attaqué est susceptible d'avoir un effet négatif
(ATF 123 IV 254 consid. 1 p. 256 et les arrêts cités) sur
ses prétentions civiles et donc de l'entraver dans ses
facultés de faire valoir celles-ci et en aucun cas parce
qu'il ne facilite pas son action sur le plan civil (ATF
120 IV 38 consid. 2c p. 41). En l'espèce, le principal
reproche que la recourante adresse à l'ordonnance atta-
quée en relation avec les possibilités de faire valoir
ses prétentions civiles est de l'empêcher de bénéficier
des possibilités d'investigations du juge pénal. Il res-

sort de l'argumentation même de la recourante que les
fonds litigieux ont été transmis à l'intimée sur la base
d'une relation dont la nature est encore à déterminer sur
le plan civil, la recourante évoquant le mandat ou la fi-
ducie. Il apparaît donc que les prétentions que la recou-
rante entend faire valoir découlent en premier lieu des
relations contractuelles qui lient les parties et qu'elle
procède par la voie du pourvoi en nullité essentiellement
dans le but de profiter du pouvoir d'investigation accru
du juge pénal de manière à se mettre dans une position
aussi favorable que possible pour faire valoir ses pré-
tentions civiles, ce qui ne saurait être le but du pour-
voi en nullité (voir ATF 119 IV 339 consid. 1d/cc
p. 344). Dans ces circonstances, il y a lieu de considé-
rer que la recourante n'a pas montré en quoi l'ordonnance
attaquée est susceptible de l'entraver dans ses possibi-
lités de faire valoir ses prétentions civiles et donc de
constater qu'elle ne satisfait pas aux conditions requi-
ses pour pouvoir, en sa qualité de lésée, se pourvoir en
nullité. Le pourvoi doit par conséquent être déclaré ir-
recevable.

  2.-  Vu l'issue de la procédure, les frais de la
cause doivent être mis à la charge de la recourante qui
succombe (art. 278 al. 1 PPF).

  Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'inti-
mée qui n'est pas intervenue dans la procédure devant la
Cour de cassation (art. 278 al. 3 PPF).

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

  1. Déclare le pourvoi irrecevable;

  2. Met à la charge de la recourante un émolument
judiciaire de 10'000 fr.;

  3. Dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

  4. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante, au Procureur général du canton de
Genève et à la Chambre d'accusation genevoise.
                       __________

Lausanne, le 5 mai 2000

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      La Greffière,