Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.769/1999
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6S.769/1999/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                       7 mars 2000

Composition de la Cour: M. Schubarth, Président, Président
du Tribunal fédéral, M. Schneider, M. Wiprächtiger,
M. Kolly et Mme Escher, Juges.  Greffière: Mme Michellod.
                       ___________

           Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

Feu X.________, au nom duquel agissent ses trois enfants
Y.________, R.________ et Z.________, tous représentés
par Me Guy Fontanet et Me Nicolas Jeandin, avocats à
Genève,

                         contre

l'arrêt rendu le 8 octobre 1999 par la Cour de cassation
genevoise dans la cause de feu X.________ contre le
Procureur général du canton de  G e n è v e;

                 (art. 18, 23 et 127 CP)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

  A.-  Par arrêt du 8 décembre 1998, la Cour cor-
rectionnelle genevoise, siégeant sans le concours du
jury, a reconnu feu X.________ coupable de mise en danger
de la santé ou de la vie d'autrui (recte: exposition) au
sens de l'art. 127 CP, commise partiellement sous forme
de délit impossible (art. 23 CP). Elle l'a condamné à la
peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis pendant
deux ans et a réservé les droits des parties civiles.

  B.-  En résumé, la Cour correctionnelle a consta-
té les faits suivants:

  a) Feu X.________ était, jusqu'à sa retraite en
1986, directeur-général du Laboratoire central de la
Croix-Rouge suisse. A ce titre, il était responsable des
activités de ce laboratoire aussi bien dans le domaine
médical que dans celui de la distribution des produits
fabriqués et commercialisés par cet organisme. Le Labo-
ratoire central avait pour mission de collaborer à l'ap-
provisionnement de la Suisse en préparations de sang et
de produits dérivés du sang humain, d'assurer des condi-
tions optimales dans le don comme dans la transfusion du
sang et de veiller à ce que les produits sanguins fournis
par lui répondent à l'état des connaissances médicales et
aux normes de qualité les plus sévères.

  Sous l'impulsion de feu X.________, le Labora-
toire central avait notamment développé la fabrication et
la distribution de préparations de facteurs coagulants
destinés au traitement des hémophiles, soit des cryopré-
cipités de Facteur VIII ainsi que des concentrés de

Facteur VIII. Au début des années 1980, le Laboratoire
central assurait plus de 80% des besoins en facteurs
coagulants des quelques 400 hémophiles résidant en
Suisse; il livrait ses produits aux hémophiles eux-mêmes,
à leurs médecins traitants et aux établissements hospi-
taliers.

  b) A partir d'avril 1985, feu X.________ a eu
pleinement conscience du fait que les produits du Labo-
ratoire central étaient susceptibles de transmettre le
virus HIV aux hémophiles qui les utilisaient. Il a néan-
moins continué à écouler des produits Facteur VIII fa-
briqués sur la base de plasma non testé, sans prendre
aucune précaution supplémentaire, sans informer les uti-
lisateurs et sans procéder au rappel systématique des
produits provenant de lots non testés. Il s'est accommodé
de la survenance d'un danger de contamination des hémo-
philes.

  De ces faits, la Cour correctionnelle a conclu: A
l'encontre des hémophiles suisses ayant utilisé des pro-
duits du Laboratoire central après avril 1985, feu
X.________ s'est rendu coupable, par dol éventuel,
d'infraction à l'art. 127 CP; à l'égard des hémophiles
déjà contaminés avant cette date, l'infraction a été
qualifiée de délit impossible. La Cour correctionnelle a
par contre acquitté feu X.________ de l'accusation de
lésions corporelles graves, pour le motif que le lien de
causalité entre les faits retenus à la charge du
recourant et la séropositivité des parties civiles ne
pouvait pas être considéré comme établi.

  C.-  Par arrêt du 8 octobre 1999 notifié le même
jour, la Cour de cassation genevoise a rejeté les recours
déposés par feu X.________ et par les parties civiles.

  D.-  Feu X.________ a formé un pourvoi en nul-
lité et un recours de droit public auprès du Tribunal
fédéral. Quelques jours plus tard, le 14 novembre 1999,
il est décédé. Le 13 décembre 1999, ses trois enfants ont
déclaré vouloir poursuivre les procédures engagées par
leur père.

  Par arrêt de ce jour, la procédure de recours de
droit public a été déclarée sans objet suite au décès
de feu X.________ (6P.199/1999).

  Concernant le pourvoi en nullité, il n'y a pas eu
d'échange d'écritures ordonné.

        C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- a) Après le décès de l'accusé, le pourvoi
en nullité peut, en vertu de l'art. 270 al. 2 PPF, être
exercé par ses parents et alliés en ligne ascendante et
descendante, par ses frères et soeurs et par son con-
joint; cette disposition permet aussi à ces personnes de
reprendre une procédure de pourvoi engagée de son vivant
par l'accusé (ATF 81 IV 74). Les trois enfants de l'ac-
cusé, décédé après le dépôt du pourvoi, sont partant
habilités à continuer la procédure.

  b) Le pourvoi en nullité, qui a un caractère
cassatoire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé
que pour violation du droit fédéral et non pour violation
directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 269
PPF).

  Le pourvoi n'est pas ouvert pour se plaindre de
l'appréciation des preuves et des constatations de fait
qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83 et les
arrêts cités). Sous réserve de la rectification d'une
inadvertance manifeste, la Cour de cassation est liée par
les constatations de fait de l'autorité cantonale (art.
277bis al. 1 PPF). Elle est également liée par les cons-
tatations d'instances inférieures lorsque la dernière
instance cantonale s'y réfère ou y renvoie, explicitement
ou implicitement (ATF 118 IV 122 consid. 1 p. 124). Il ne
peut être présenté de griefs contre celles-ci, ni de
faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 273 al. 1
let. b PPF). Dans la mesure où le recourant présenterait
un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la
décision attaquée, il n'est pas possible d'en tenir
compte; le raisonnement juridique doit être mené exclu-
sivement sur la base de l'état de fait retenu par la cour
cantonale (cf. ATF 124 IV 92 consid. 1 p. 93, 81 consid.
2a p. 83 et les arrêts cités).

  La Cour de cassation n'est pas liée par les mo-
tifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des con-
clusions du recourant (art. 277bis PPF); les conclusions
devant être interprétées à la lumière de leur motivation,
celle-ci circonscrit les points litigieux que le Tribunal
fédéral peut examiner (ATF 124 IV 53 consid. 1 p. 55; 123
IV 125 consid. 1 p. 127).

  2.-  Le recourant a d'abord contesté que les élé-
ments constitutifs de l'exposition (art. 127 CP) soient
en l'espèce réalisés.

  Aux termes de l'art. 127 CP, se rend coupable
d'exposition celui qui, ayant la garde d'une personne
hors d'état de se protéger elle-même ou le devoir de

veiller sur elle, l'aura exposée à un danger de mort ou à
un danger grave et imminent pour la santé, ou l'aura
abandonnée en un tel danger.

  a) Le recourant a soutenu qu'il n'y avait pas eu
de mise en danger concrète.

  L'art. 127 CP exigeant expressément que la victi-
me ait été exposée à un danger, le danger en question
doit être concret (Martin Schubarth, Commentaire du droit
pénal suisse, vol. 1, Berne 1982, art. 127 aCP n. 10;
José Hurtado Pozo, Droit pénal, partie spéc. I, 3e éd.,
Zurich 1997, n. 537 et 539; Jörg Rehberg/Niklaus Schmid,
Strafrecht III, 7e éd., Zurich 1997, p. 39; Günter Stra-
tenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil
(BT) I, 5e éd., Berne 1995, § 4 n. 50, et Allgemeiner
Teil (AT) I, 2e éd. Berne 1996, § 9 n. 15; Philippe Gra-
ven/Bernhard Sträuli, L'infraction pénale punissable, 2e
éd., Berne 1995, n. 53/C.b p. 85). Par danger concret, il
faut entendre un état de fait dans lequel existe, d'après
le cours ordinaire des choses, la probabilité ou un cer-
tain degré de possibilité que, dans le cas d'espèce, le
bien juridique protégé soit lésé, sans toutefois qu'un
degré de probabilité supérieur à 50% soit exigé (ATF 123
IV 128 consid. 2a p. 130; 121 IV 67 consid. 2b/aa p. 70).

  L'autorité cantonale a retenu, ce qui est au de-
meurant notoire, que le virus HIV entraînait de graves
déficiences immunitaires chez les personnes contaminées,
exposant ces dernières au développement de maladies in-
fectieuses graves, voire mortelles et que le virus pou-
vait être transmis par l'absorption de produits sanguins.

  Elle a également retenu que certains produits
sanguins diffusés par le Laboratoire central en 1985 et
au début 1986 étaient dangereux pour la santé des hémo-

philes parce qu'ils étaient effectivement contaminés par
le virus HIV. Ces constatations de fait de l'autorité
cantonale lient le Tribunal fédéral. Or la critique du
recourant revient pour l'essentiel à mettre en cause la
constatation selon laquelle des produits mis sur le mar-
ché par le Laboratoire central étaient infectés; elle
n'est pas recevable dans le cadre d'un pourvoi en nullité
(cf. supra, consid. 1b).

  Le virus HIV entraîne chez beaucoup de personnes
infectées le développement du SIDA puis la mort; l'in-
fection par le virus HIV met en danger la vie avec un
haut degré de probabilité (ATF 125 IV 242 consid. 2b/dd
p. 247/48). La remise à des hémophiles de produits san-
guins infectés crée donc manifestement un danger concret
de mort.

  b) Le recourant a soutenu qu'il n'y avait pas eu
de mise en danger individuelle.

  Il y a exposition au sens de l'art. 127 CP quand
une personne a été mise en danger. Une telle mise en dan-
ger individuelle est notamment réalisée lorsque l'auteur
veut ou accepte la mise en danger de la vie ou de l'inté-
grité corporelle d'une personne précise ou d'un groupe de
personnes déterminé. Cette notion s'oppose à celle de la
mise en danger collective, figurant par exemple à l'art.
221 al. 1 CP, qui vise de manière générale une mise en
péril, relativement indéterminée au moment de l'acte, de
n'importe quel bien juridique protégé (ATF 117 IV 285
consid. 2a; 85 IV 130 consid. 1; José Hurtado Pozo, op.
cit., n. 537 p. 150).

  L'autorité cantonale a constaté que les hémophi-
les suisses ayant utilisé les produits du Laboratoire
central avaient été mis en danger; il s'agit d'un groupe

de personnes déterminé ou du moins déterminable. Il y a
donc bien eu mise en danger individuelle. Comme l'a rele-
vé à bon escient l'autorité cantonale, le seul fait que
de nombreuses personnes aient été mises en danger et non
pas une seule ou un petit nombre ne saurait évidemment
conduire à exclure l'application de l'art. 127 CP et,
partant, à conduire à l'impunité.

  c) Le recourant a objecté qu'il n'avait pas de
position de garant à l'égard des hémophiles suisses.

  aa) L'autorité cantonale a retenu que le recou-
rant avait une telle position car en qualité de
directeur-général du Laboratoire central, il devait veiller
à la qualité du sang récolté, fabriqué et distribué, que le
Laboratoire central occupait en Suisse une situation
de quasi-monopole pour la distribution des produits
coagulants et que ledit laboratoire fournissait directement
des produits sanguins à des hémophiles qui n'étaient ni
membres de l'Association suisse des hémophiles ni au
bénéfice d'une ordonnance délivrée par un médecin. L'au-
torité cantonale en a déduit que le recourant avait le
devoir de protéger les hémophiles contre les risques de
contamination par des produits distribués par le Labo-
ratoire central.

  Selon le recourant, le droit suisse n'a pas insti-
tué de responsabilité pénale du fabricant pour ses produits
et l'on ne peut la déduire de la responsabilité civile du
fait des produits. Le recourant a ensuite allégué qu'il
n'avait lui-même jamais soigné ni conseillé d'hémophile et
que ni le Laboratoire central ni la Croix-Rouge n'avaient
le devoir particulier de veiller sur tel ou tel groupe de
la population suisse. Le recourant a enfin soutenu que la
seule relation entre le Laboratoire central et les
hémophiles était un contrat de vente qui n'entraînait pas
de position de garant du vendeur à l'endroit de l'acheteur.

  bb) En vertu de l'art. 127 CP, seul celui qui a la
garde de la personne mise en danger ou qui a le devoir de
veiller sur elle peut se rendre coupable d'exposition.
Alors que le devoir de veiller découle de la loi ou d'un
contrat, le rapport de garde peut être la conséquence d'une
simple situation de fait; un rapport de garde peut
notamment découler d'un rapport particulier entre deux ou
plusieurs personnes dont l'une, dans le cadre d'une
activité pouvant présenter un certain danger, apparaît plus
forte ou plus expérimentée que l'autre. Le devoir de
veiller ou le rapport de garde doivent exister en vertu de
relations liant les diverses personnes avant que ne
survienne le danger; la survenance du danger ne crée pas
l'obligation dont l'art. 127 CP réprime la violation, mais
constitue seulement l'occasion de l'exécuter (ATF 108 IV 14
consid. 3). L'auteur doit dans tous les cas occuper une
position de garant face aux biens juridiques protégés par
l'art. 127 CP (Jörg Rehberg/Niklaus Schmid, op. cit., p.
39; Günter Stratenwerth, op. cit. BT I, § 4 n. 49; Stefan
Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar,
2e éd. 1997, n. 2 ad 127 CP).

  Le recourant s'est en particulier référé à un art-
icle de Niklaus Schmid (Niklaus Schmid, Von der zivilre-
chtlichen zur strafrechtlichen Produktehaftung, in
Festschrift für Max Keller zum 65. Geburtstag, Zurich 1989,
p. 647 ss). Certes, cet auteur y rejette en principe l'idée
que le fabricant ait une position de garant pour ses
produits, mais il ne traite que de l'hypothèse où les
défauts du produit ne se révèlent qu'après la vente; son
étude est limitée d'une part à la responsabilité pénale du
fait des produits en cas de délits maté-

riels par négligence, et d'autre part, au cas où le fa-
bricant omet de rappeler un produit dont les défauts n'ont
été reconnus et n'étaient reconnaissables qu'après la
vente, donc de défauts qui ne pouvaient pas être évités
lors du développement, de la fabrication et de
la vente, même en faisant preuve de la diligence requise.
Le cas d'espèce est différent: il ne porte pas sur des
homicides ou des lésions corporelles par négligence mais
sur une mise en danger intentionnelle essentiellement par
commission, soit par l'écoulement de produits sanguins dont
le recourant savait qu'ils pouvaient être contaminés.
L'avis émis par Schmid dans l'article cité est donc sans
pertinence pour le cas d'espèce.

  cc) On peut se demander si, au vu de la situation
de fait, il n'y aurait pas lieu de retenir l'existence d'un
rapport de garde. En effet, selon les constatations de fait
de l'autorité cantonale, le Laboratoire central avait, à
l'égard des hémophiles suisses, une situation de
quasi-monopole; les hémophiles avaient un besoin absolu des
produits coagulants en question. Il existait dès lors une
situation de quasi-dépendance entre vendeur et acheteur en
relation avec un produit qui avait la particularité déci-
sive d'être nécessaire à la survie des acheteurs en cas de
saignement; la comparaison que le recourant entend tirer
avec la responsabilité du vendeur de voitures tombe en tout
cas à faux. Dans les circonstances d'espèce, on peut
sérieusement se demander si le vendeur d'un produit censé
sauver la vie menacée de l'acheteur n'a pas, à l'égard de
ce dernier, des obligations particulières et ne doit donc
pas veiller à ce que ce produit ne contienne pas un agent
mortel. La question peut rester indécise en l'espèce.

  En effet, en vertu de l'art. 29 aLEp (Loi fédérale
sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme,
dite loi sur les épidémies, du 18 décembre 1970, RS
818.101, dans la version en vigueur jusqu'au 30 juin 1997,
RO 1974 I 1077), celui qui détient ou utilise des agents
pathogènes ou leurs produits métaboliques doit prendre
toutes mesures propres à exclure des dommages aux hommes et
aux animaux. Par agents pathogènes, on entend notamment,
comme le dit maintenant expressément l'art. 2 al. 2 LEp
(cf. FF 1993 II 1373), les organismes tels les virus qui
peuvent provoquer une maladie infectieuse chez l'homme; le
SIDA respectivement le virus HIV tombent sous cette
définition (Walter Haller, Grundrechte und Epidemiengesetz,
in Droit et SIDA, Office fédéral de la santé publique 1990,
p. 58). Il existait donc, au moment des faits reprochés au
recourant, un devoir légal de celui qui détenait du sang
contaminé par le virus HIV de veiller à éviter des dommages
aux hommes; ce devoir incombait notamment au recourant en
sa qualité de directeur-général du Laboratoire central dès
lors qu'il était pleinement conscient, dès avril 1985, du
fait que les produits offerts étaient susceptibles de
transmettre le virus HIV aux hémophiles qui les
utilisaient.

  d) Le recourant a objecté qu'il n'avait pas été
constaté que les victimes étaient hors d'état de se pro-
téger.

  Est hors d'état de se protéger celui qui, dans une
situation concrète, n'est pas en mesure lui-même de
sauvegarder ou de retrouver son intégrité corporelle ou sa
santé (Martin Schubarth, op. cit., art. 127 aCP n. 7; José
Hurtado Pozo, op. cit., n. 548 p. 153; Jörg Rehberg/
Niklaus Schmid, op. cit., p. 39, Günter Stratenwerth, op.
cit. BT I, § 4 n. 48). Tel est manifestement le cas de
l'hémophile pris d'un saignement; il a sans délai besoin
d'un produit coagulant, fabriqué et vendu par un tiers,
pour arrêter la perte de sang.

  Le recourant argumente que cet état d'incapacité de
se protéger n'existe que dans des situations d'urgence
lorsque l'hémophile saigne et qu'il a besoin de l'aide d'un
tiers pour s'injecter ou se procurer le produit coagulant.
Dans toutes les autres situations, cet état d'incapacité
n'existe pas. Il en va notamment ainsi lorsque l'hémophile
acquiert le produit coagulant à un moment où il n'y a pas
urgence; dans ce cas, l'hémophile se trouve dans la
situation d'un consommateur appelé à choisir puis à acheter
un produit. Il n'est donc pas hors d'état de se protéger du
danger créé par des produits infectés. Le recourant
conteste que le degré d'information des hémophiles soit
pertinent pour trancher cette question.

  Cette façon de voir ne saurait être suivie. Un
hémophile informé du risque de contamination que présen-
taient les produits coagulants du Laboratoire central
aurait certes été en mesure de faire un choix entre ces
produits et ceux d'un laboratoire concurrent, appliquant
d'autres méthodes de fabrication. Toutefois, la cour can-
tonale a constaté que le Laboratoire central avait laissé
les hémophiles, leurs médecins et leur association dans
l'ignorance de la situation réelle, et que le recourant
avait faussement prétendu que les produits vendus depuis
le 1er juillet 1985 étaient testés. Dans ces circonstances,
le fait que les hémophiles n'étaient pas pressés par le
temps et pouvaient choisir entre les produits de divers
fabricants est sans pertinence; dans l'ignorance des
faits, ils étaient hors d'état de se protéger.

  Au vu de ce qui précède, il apparaît que la cour
cantonale n'a pas violé l'art. 127 CP.

  3.-  Le recourant s'est plaint d'une violation de
l'art. 18 CP; il estime que c'est à tort que l'autorité
cantonale a admis le dol éventuel en considérant qu'il
avait accepté la mise en danger des hémophiles. Les élé-
ments ressortant du dossier ne permettraient pas une
telle conclusion.

  Toute la motivation présentée par le recourant
revient à une critique de l'appréciation des preuves de
l'autorité cantonale et des conclusions qu'elle en a ti-
rées, à savoir que le recourant s'était "accommodé de la
survenance d'un danger de contamination pour les hémophi-
les" et que son acte ne pouvait pas "s'interpréter au-
trement que comme l'acceptation de ce résultat". Or dé-
terminer ce qu'une personne sait ou veut, ou l'éventua-
lité à laquelle elle consent, est une constatation de
fait qui lie le Tribunal fédéral (ATF 123 IV 155 consid.
1a p. 156). Le grief est pour ce motif irrecevable (cf.
supra, consid. 1b).

  4.-  Le recourant s'est plaint enfin d'une viola-
tion de l'art. 23 CP; il a affirmé que le délit impos-
sible présupposait le dol pur et simple, ce qui le ren-
dait incompatible avec le dol éventuel.

  Chaque fois que la loi exige l'intention, les
deux formes de dol - dol direct et dol éventuel - sont
équivalentes. En revanche, lorsque la loi exige que
l'auteur ait agi "consciemment", le dol éventuel n'est
pas suffisant (ATF 94 IV 64). Il en va par exemple ainsi
en cas d'incendie intentionnel qualifié (art. 221
al. 2 CP) et de fausse alerte (art. 128bis CP) (Günter
Stratenwerth, op. cit. AT I, § 9 n. 111 s.; Jörg Rehberg,
Strafrecht I, 6e éd., Zurich 1996, p. 67/68; Stefan
Trechsel/Peter Noll, Schweizerisches Strafrecht, AT I,

5e éd., Zurich 1998, p. 101 et 104). Ce n'est pas le cas
de l'exposition (art. 127 CP), de sorte que le dol
éventuel suffit.

  L'équivalence des deux formes de dol vaut égale-
ment par rapport à la tentative (ATF 112 IV 65 consid.
3b; 120 IV 17 consid. 2c p. 22, 199 consid. 3e p. 206),
et cela pour toutes les formes de tentative (Stefan
Trechsel, op. cit., n. 2 Vor art. 21; Günter Stratenwerth,
op. cit. AT I, § 12 n. 20; Paul Logoz/Yves Sandoz, Com-
mentaire du code pénal suisse, partie générale, 2e éd.,
Neuchâtel 1976, art. 21-23 n. 2, p. 110). Le délit impos-
sible au sens de l'art. 23 CP constituant l'une des formes
de tentative prévues par la loi, il faut admettre que le
dol éventuel suffit pour commettre une infraction sous la
forme du délit impossible. Le Tribunal fédéral a ainsi
récemment admis qu'il pouvait y avoir délit impossible de
blanchissage d'argent (art. 305bis CP) si l'auteur, à
tort, envisage la possibilité que l'argent provienne d'un
crime et s'en accommode (arrêt non publié du 24 février
1999, 6S.66/1999). On ne voit d'ailleurs pas pour quel
motif il y aurait lieu de traiter différemment celui qui,
en posant un acte n'entraînant pas de mise en danger, est
sûr d'en créer une et celui qui n'en est pas sûr, mais
envisage cette possibilité et s'en accommode.

  Il résulte de ce qui précède que la cour cantonale
n'a pas violé l'art. 23 CP en condamnant le recourant pour
délit impossible d'exposition par dol éventuel.

  5.-  Les enfants du condamné ont continué la pro-
cédure engagée par leur père décédé. Ils supportent par
conséquent les frais de la présente procédure, conjointe-
ment et solidairement entre eux (art. 278 PPF; art. 156
al. 7 OJ).

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

  1. Rejette le pourvoi dans la mesure où il est
recevable.

  2. Met à la charge de Y.________, R.________ et
Z.________, conjointement et solidairement entre eux, un
émolument judiciaire de
2'000 francs.

  3. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des enfants du recourant, au Procureur général du
canton de Genève et à la Cour de cassation genevoise.
                        __________

Lausanne, le 7 mars 2000

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                      Le Président,

                      La Greffière,