Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Kassationshof in Strafsachen 6S.763/1999
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6S.763/1999/ROD

     C O U R   D E   C A S S A T I O N   P E N A L E
    *************************************************

                 Séance du 10 avril 2000

Présidence: M. Schubarth, Président, Président du
Tribunal fédéral.
Présents: M. Schneider, M. Wiprächtiger, M. Kolly et
Mme Escher, Juges. Greffière: Mme Michellod.
                       ___________

           Statuant sur le pourvoi en nullité
                        formé par

Y.________, représenté par Me Yves Nicole, avocat à
Yverdon-les-Bains,

                         contre

l'arrêt rendu le 29 mars 1999 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois dans la cause qui
oppose le recourant à X.________ représentée par Me
Dominique Hahn, avocate à Lausanne et au Ministère public
du canton de   V a u d;

    (violation du devoir d'assistance ou d'éducation,
                  quotité de la peine)

        Vu les pièces du dossier d'où ressortent
               les   f a i t s   suivants:

  A.-  Y.________ et son épouse Z.________, ressor-
tissants portugais, ont engagé X.________, citoyenne por-
tugaise née en 1977, pour s'occuper de leurs deux en-
fants. X.________ est arrivée le 24 août 1993 à
A.________ où les époux Y.________ et Z.________
occupaient un appartement de trois pièces. Elle a été
logée dans la chambre des enfants où elle a, dès Noël
1993, partagé un lit avec l'enfant R.________. Elle
devait faire la lessive à la main, le ménage et la
cuisine pour toute la famille et s'occuper des deux en-
fants; elle devait en outre garder les enfants d'autres
couples portugais. X.________ n'avait aucun jour de con-
gé, n'avait pas l'autorisation de sortir seule et était
totalement dépourvue d'argent; dès janvier 1994, elle n'a
plus eu le droit de regarder la télévision et devait se
coucher en même temps que les enfants. Les époux
Y.________ et Z.________ ne l'ont pas assurée contre la
maladie. Ils n'ont effectué aucune démarche pour qu'elle
obtienne une autorisation de séjour ou de travail.

  Vers Pâques 1994, Y.________ a attiré X.________
dans sa chambre, a poussé une armoire devant la porte
pour l'empêcher de s'en aller et, malgré les protes-
tations de la jeune fille, l'a pénétrée. Une semaine plus
tard, il l'a obligée à lui faire une fellation dans les
toilettes. En mai ou juin 1994, dans la chambre des
enfants, il l'a violemment frappée jusqu'à ce qu'elle ne
soit plus en état de résister, puis l'a sodomisée. A
trois reprises dès le mois d'août 1994, il lui a attaché
les mains et l'a contrainte à entretenir des relations
sexuelles avec lui; la troisième fois, il l'a violemment
frappée au visage et à la gorge puis lui a attaché les

mains et lui a tiré les cheveux en arrière avant de la
sodomiser.

  B.-  Par jugement rendu le 6 novembre 1998, le
Tribunal correctionnel du district de B.________ a
reconnu Y.________ coupable de lésions corporelles sim-
ples qualifiées, de contrainte sexuelle, de viol, de
violation du devoir d'assistance ou d'éducation ainsi que
d'infraction à la loi fédérale sur le séjour et l'éta-
blissement des étrangers (LSEE). Il l'a notamment
condamné à la peine de trois ans de réclusion et à
l'expulsion du territoire suisse pour une durée de dix
ans.

  Par arrêt du 29 mars 1999, la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal vaudois a partiellement admis
le recours d'Y.________ en ce sens qu'elle a assorti
l'expulsion du territoire suisse du sursis pendant cinq
ans.

  C.-  Y.________ s'est pourvu en nullité auprès du
Tribunal fédéral et a déposé une requête d'assistance
judiciaire qu'il a été invité à motiver. Le Ministère
public et la victime X.________ ont pour leur part été
invités à se déterminer sur le pourvoi; le Ministère
public n'a pas déposé de réponse et s'est simplement
référé à l'arrêt attaqué, tandis que X.________ a conclu
au rejet du pourvoi.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

  1.-  Le recourant critique sa condamnation pro-
noncée en vertu de l'art. 219 CP; il estime que cette
infraction est absorbée par d'autres infractions lorsque,
comme c'est le cas en l'espèce, seuls des comportements
déjà tous réprimés par d'autres dispositions du code
pénal ont pu entraîner une mise en danger concrète du
développement physique ou psychique du mineur.

  a) Le Tribunal correctionnel a notamment retenu
l'infraction de violation du devoir d'assistance et
d'éducation (art. 219 CP) en relation avec les agressions
sexuelles et la violence physique parce que celles-ci
avaient péjoré l'état de santé physique et psychique
de X.________. Il a par contre nié que cette infraction
soit réalisée en relation avec les conditions de vie
imposées à la jeune fille, estimant que le lien de causa-
lité entre celles-ci et une mise en danger de son déve-
loppement physique et psychique n'était pas établi. Sur
ce dernier point, la Cour de céans a déclaré irrecevable
un pourvoi de X.________.

  La cour cantonale a rejeté la critique du recou-
rant selon laquelle l'art. 219 CP serait en concours
imparfait avec les infractions d'ordre sexuel retenues
contre lui. Elle a considéré que l'art. 219 CP pouvait
entrer en concours idéal avec des infractions contre
l'intégrité sexuelle commises sur la personne d'un mineur
lorsque ces infractions ne prévoyaient aucun régime
particulier pour les cas où l'auteur avait le devoir de
veiller sur l'enfant abusé. Or les art. 189 et 190 CP
retenus contre le recourant ne connaissent pas un tel
régime.

  b) Selon l'art. 219 CP, celui qui aura violé son
devoir d'assister ou d'élever une personne mineure dont
il aura ainsi mis en danger le développement physique ou
psychique, ou qui aura manqué à ce devoir, sera puni de
l'emprisonnement (al. 1); s'il a agi par négligence, la
peine pourra être l'amende au lieu de l'emprisonnement
(al. 2).

  L'art. 219 CP protège le développement physique
et psychique du mineur, soit d'une personne âgée de moins
de 18 ans (cf. Message du Conseil fédéral concernant la
modification du code pénal et du code pénal militaire
relative aux infractions contre la vie et l'intégrité
corporelle, les moeurs et la famille du 26 juin 1985, FF
1985 II 1021 ss, 1072). L'infraction est un délit de mise
en danger concrète; il n'est donc pas nécessaire que le
comportement de l'auteur aboutisse à un résultat,
c'est-à-dire à une atteinte à l'intégrité corporelle ou
psychique du mineur; la simple possibilité abstraite
d'une atteinte ne suffit cependant pas; il faut que cette
atteinte apparaisse à tout le moins vraisemblable dans le
cas concret (ATF 125 IV 64 consid. 1a p. 68 s.).

  c) La question du concours entre l'art. 219 CP et
d'autres dispositions du Code pénal, seule litigieuse en
l'espèce, est controversée en doctrine (ATF 125 IV 64
consid. 1e p. 71; cf. Schubarth, Kommentar zum schweize-
rischen Strafrecht, vol. 4, Berne 1997, art. 219 CP,
n° 11).

  Trechsel et Rehberg se sont prononcés sur la
question du concours entre, d'une part, l'art. 219 CP et,
d'autre part, les art. 187 ss CP. Trechsel est d'avis que
l'art. 219 CP est subsidiaire par rapport aux art. 187 ss
CP (Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkom-
mentar, 2e éd., Zurich 1997, art. 219 n° 6). Rehberg pour

sa part estime que l'art. 219 CP ne s'applique, en plus
des art. 187 ss CP, que lorsque le comportement illicite,
de par sa durée ou son intensité, va au-delà de l'attein-
te à l'intégrité sexuelle et met ainsi en danger la
victime (Rehberg, Strafrecht IV, 2e éd., Zurich 1996,
p. 20 i.f.).

  Moreillon a abordé la question du concours entre
l'art. 219 CP et les art. 187 et 188 CP. A son avis,
l'art. 219 CP est en principe absorbé. Il pense toutefois
que si les actes sexuels sont répétés, on peut admettre
un concours entre les art. 188 et 219 CP dans la mesure
où la violation porterait atteinte aussi bien à l'inté-
grité sexuelle que psychique de l'enfant (Laurent
Moreillon, Quelques réflexions sur la violation du devoir
d'assistance ou d'éducation - article 219 nouveau CP -,
RPS 1998 p. 431 ss, ch. 21).

  Stratenwerth et Hurtado Pozo quant à eux ne se
sont exprimés qu'au sujet du concours entre l'art. 219 CP
et les art. 122 ss et 127 ss CP. Les deux admettent que
doit être appliquée la disposition prévoyant la peine la
plus grave (Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht,
Bes. Teil II, 4e éd., Berne 1995, § 26 n° 45; Hurtado
Pozo, Droit pénal, partie spéciale II, Zurich 1998, § 20
n° 562).

  d) En l'espèce, le recourant était l'employeur
de X.________. Selon le code des obligations, l'employeur
doit protéger la personnalité du travailleur; il doit
notamment veiller au maintien de la moralité et en parti-
culier à ce que le travailleur ne soit pas harcelé
sexuellement (art. 328 al. 1 CO). S'il tolère qu'un tiers
abuse sexuellement d'un travailleur mineur ou qu'il en
abuse lui-même, il viole son devoir d'assistance. Un tel
comportement peut remplir les éléments constitutifs de
l'art. 219 CP. L'employeur qui abuse sexuellement d'un
employé mineur de plus de seize ans peut aussi tomber
sous le coup de l'art. 188 CP. Cette disposition, placée
sous le titre marginal "mise en danger du développement
des mineurs", punit l'auteur d'un acte d'ordre sexuel
commis sur un mineur âgé de plus de seize ans lorsque
l'auteur profite de rapports d'éducation, de confiance ou
de travail ou de liens de dépendance d'une autre nature.

  Les deux dispositions protègent le développement
des mineurs; mais tandis que l'art. 188 CP ne s'applique
qu'en cas d'actes d'ordre sexuel, l'art. 219 CP couvre
tous les actes et omissions susceptibles de mettre en
danger le développement du mineur. L'art. 188 CP consti-
tue ainsi une lex specialis. Si donc les conditions
d'application des deux dispositions sont remplies, c'est
l'art. 188 CP qui prime. En outre, l'art. 188 CP ne
s'applique pas lorsque l'auteur n'a pas profité de sa
position dominante pour commettre l'acte d'ordre sexuel.
Il s'agit d'une limitation voulue par le législateur qui
pensait que sinon, "on limiterait trop le droit qu'ont
les jeunes gens de se déterminer dès seize ans en matière
sexuelle" (FF 1985 II 1085). Le législateur a donc voulu
que dans ces cas, l'auteur d'actes d'ordre sexuel commis
sur un mineur de plus de seize ans ne soit pas punissa-
ble. Cela fait obstacle à le punir en vertu de l'art. 219
CP (cf. ATF 125 IV 129).

  Si l'acte d'ordre sexuel constitue une contrainte
sexuelle au sens de l'art. 189 CP ou un viol au sens de
l'art. 190 CP, il est admis que le concours avec l'art.
188 CP est imparfait et que l'art. 188 CP est partant
absorbé (Jenny, Kommentar zum schweizerischen Strafrecht,
vol. 4, Berne 1997, art. 188 n° 20; Trechsel, op. cit.,
art. 188 n° 15; Rehberg/Schmid, Strafrecht III, 7e éd.,
Zurich 1997, p. 400; Stratenwerth, Schweizerisches Straf-

recht, Bes. Teil I, 5e éd., Berne 1995, § 7 n° 34; avec
nuances, Corboz, Les principales infractions, Berne 1997,
art. 189 n° 48). Il s'impose d'admettre la même règle
lorsque les art. 189 et 190 CP entrent en concours avec
l'art. 219 CP dont les conditions d'application sont
moins restrictives que celles de l'art. 188 CP.

  Il s'ensuit que l'art. 219 CP ne s'applique pas
aux actes d'ordre sexuel commis par le recourant sur la
personne de X.________. Il y a toutefois lieu de préciser
que la position d'employeur qu'occupait le recourant
devra être prise en considération au stade de la fixation
de la peine, à titre de circonstance personnelle.

  2.-  Le recourant se plaint d'une violation de
l'art. 63 CP, estimant que la peine de trois ans de
réclusion est arbitrairement sévère. Il reproche notam-
ment à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte du
temps relativement long écoulé depuis les faits, ni
d'éléments favorables tels que l'absence d'antécédents
pénaux et de renseignements défavorables.

  a) Tout en exigeant que la peine soit fondée sur
la faute, l'art. 63 CP n'énonce pas de manière détaillée
et exhaustive les éléments qui doivent être pris en
considération, ni les conséquences exactes qu'il faut en
tirer quant à la fixation de la peine; il confère donc au
juge un large pouvoir d'appréciation (ATF 123 IV 49
consid. 2a p. 50 s., 150 consid. 2a p. 152 s.; 122 IV 156
consid. 3b p. 160; 121 IV 193 consid. 2a p. 195 et les
arrêts cités). Les éléments pertinents pour la fixation
de la peine ont été exposés de manière détaillée dans les
ATF 117 IV 112 consid. 1 et 116 IV 288 consid. 2a, aux-
quels il suffit de se référer.

  Même s'il est vrai que la Cour de cassation exa-
mine librement s'il y a eu violation du droit fédéral,
elle ne peut admettre un pourvoi en nullité portant sur
la quotité de la peine, compte tenu du pouvoir d'appré-
ciation reconnu en cette matière à l'autorité cantonale,
que si la sanction a été fixée en dehors du cadre légal,
si elle est fondée sur des critères étrangers à l'art. 63
CP, si les éléments d'appréciation prévus par cette dispo-
sition n'ont pas été pris en compte ou enfin si la peine
apparaît exagérément sévère ou clémente au point que l'on
doive parler d'un abus du pouvoir d'appréciation (ATF 123
IV 49 consid. 2a p. 50 s., 150 consid. 2a p. 152 s.).

  b) La cour cantonale a expressément constaté que
les juges de première instance avaient pris en considéra-
tion, au stade de la fixation de la peine, l'absence
d'antécédents pénaux du recourant ainsi que les rensei-
gnements non défavorables recueillis sur son compte. Le
recourant ne critique pas cette constatation. L'autorité
cantonale a en outre rejeté la circonstance atténuante du
bon comportement durant un temps relativement long au
motif que le recourant avait adopté une attitude très
négative après les faits, proférant même des insultes à
l'égard de la victime et qu'on ne pouvait pas considérer
qu'une durée de quatre ans depuis les faits constituait
un temps relativement long justifiant une atténuation de
la peine.

  Les différentes infractions de lésions corporel-
les simples qualifiées, de contrainte sexuelle, de viol
et d'infraction à la LSEE entrant en concours au sens de
l'art. 68 ch. 1 CP, l'autorité cantonale pouvait pronon-
cer une peine maximale de quinze ans de réclusion.

  Le Tribunal correctionnel, suivi par la cour
cantonale, a estimé que la culpabilité du recourant était

très lourde. Il a relevé le caractère sordide des six
agressions sexuelles commises en l'espace de cinq mois.
Elles dénotent chez le recourant un mépris total d'au-
trui; celui-ci a agi pour des mobiles purement égoïstes,
abusant de façon éhontée de la confiance de sa jeune
fille au pair et profitant de sa dépendance due à sa
jeunesse et à son vécu. Le Tribunal a estimé que le
recourant avait fait preuve d'une rare bassesse de
caractère et d'une mentalité détestable. Le recourant
était en outre l'employeur de la victime et avait de ce
chef le devoir de protéger sa personnalité dans les
rapports de travail (cf. art. 328 CO).

  Au vu de ce qui précède, une peine de trois ans
de réclusion ne viole pas le droit fédéral. Sur ce point,
l'arrêt attaqué peut être confirmé.

  3.-  Le recourant obtient partiellement gain de
cause. Au vu de sa demande d'assistance judiciaire, il ne
sera pas perçu de frais et une indemnité sera versée à
son avocat à titre de dépens (art. 278 al. 3 PPF).

  L'intimée a conclu au rejet du recours et suc-
combe donc dans la présente procédure. Toutefois elle a
déposé une requête d'assistance judiciaire dans le cadre
du pourvoi en nullité formé parallèlement et a suffisam-
ment démontré qu'elle était dans le besoin. Il ne sera
donc pas perçu de frais et une indemnité sera versée à
son avocate à titre de dépens.

                     Par ces motifs,

         l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

  1. Admet partiellement le pourvoi, annule l'arrêt
attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour
nouvelle décision.

  2. Admet les requêtes d'assistance judiciaire du
recourant et de l'intimée.

  3. Dit qu'il n'est pas perçu de frais.

  4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera
à Mes Yves Nicole et Dominique Hahn une indemnité de
1'500 francs chacun à titre de dépens.

  5. Communique le présent arrêt en copie aux man-
dataires des parties, au Ministère public du canton de
Vaud et à la Cour de cassation pénale du Tribunal canto-
nal vaudois.
                       ___________

Lausanne, le 10 avril 2000

          Au nom de la Cour de cassation pénale
               du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
          Le Président,            La Greffière,