Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.56/1999
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5P.56/1999

                 IIe  C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        27 mars 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, MM. Weyermann,
Bianchi, Raselli et Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Fellay.

        Statuant sur le recours de droit public formé

                             par

J.-M.  C.________, représenté par Me Robert Fiechter, avocat
à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 11 décembre 1998 par la Cour de justice du
canton de Genève dans la cause qui oppose le recourant à
- J.-P. C.________ et M. C.________, tous deux représentés
par Me Jean-Eric Combe, avocat à Genève,
- J.-J. C.________, I. C.________, C.-H. C.________, M.-A.
C.________, épouse D.________, S. C.________, et E.
C.________, représenté par Mme C. P.________, tous les six
représentés par Me Patrice Aubry, avocat à Genève,
- Fondation  X.________, représentée par Me P. G.________,
membre du conseil de fondation, à Vaduz (Liechtenstein),
comparant par Me Nicolas Peyrot, avocat à Genève;

                 (art. 4 aCst.; succession)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- P. V. C.________, ressortissant français domici-
lié à Genève, est décédé à Cannes (France) le 6 septembre
1995. Il était père de quatre enfants majeurs, à savoir J.-
M., J.-J. et I. C.________, issus d'un premier mariage, et
J.-P. C.________, issu d'un deuxième mariage. Parmi ses
petits-enfants, il comptait notamment C.-H. C.________ et
M.-A. C.________ épouse D.________, enfants de son fils J.-
M., ainsi que S. et E. C.________, enfants de son fils
J.-J.. Au moment de son décès, il était toujours marié avec
sa seconde épouse, M. C.________.

   Par testament olographe du 20 mars 1991, il avait
soumis sa succession au droit français, légué à son épouse
l'usufruit de son appartement situé à Cannes, attribué le
solde de la quotité disponible de ses biens à ses enfants
J.-P. et I. C._______, tout en instituant ses quatre enfants
seuls héritiers. De son vivant, il avait déjà donné des
sommes importantes à plusieurs membres de sa famille.

   Par ailleurs, il avait fait constituer au Liechten-
stein, sous le nom de Fondation X.________, une fondation
ayant statutairement pour but, notamment, le paiement des
frais - de l'éducation et de la formation, de la dotation et
du soutien, de l'entretien en général - et la promotion éco-
nomique dans le sens le plus large des membres de familles
précises ainsi que dans la poursuite de buts semblables (§ 4
des statuts). Ces statuts, adoptés le 26 février 1990, ont
été complétés le 20 juin 1995 de la façon suivante:

     "1. Le premier bénéficiaire est, de son vivant,
     Monsieur P. V. C.________ ... Ce droit de béné-
     ficiaire se réfère à la totalité de la fondation,
     aux revenus et au produit d'une liquidation éven-
     tuelle des biens de la fondation. Dans l'exercice
     de son pouvoir discrétionnaire, le Conseil de fon-

     dation doit suivre toutes instructions du premier
     bénéficiaire concernant la fortune et les revenus
     de la fondation.

      2. Au décès du premier bénéficiaire, seront nommés
     deuxièmes bénéficiaires selon les conditions expo-
     sées ci-après, les 4 enfants légitimes du premier
     bénéficiaire ...
     [conditions et façon de diviser et distribuer les
     biens].
     ...

     6. Tout bénéficiaire qui, d'une manière quelconque,
     viendrait à contester les dispositions pour cause
     de mort prises par le premier bénéficiaire, notam-
     ment en France, ou qui viendrait à contester d'une
     quelconque manière les dispositions des présents
     statuts complémentaires, perdra automatiquement sa
     qualité de bénéficiaire au profit des bénéficiaires
     prévus pour le cas de son décès ...

     7. Les présents statuts complémentaires ne peuvent
     être modifiés, complétés ou annulés par le conseil
     de fondation que du vivant du premier bénéficiaire.
     ...

   B.-  Le 7 février 1997, J.-M. C.________ a ouvert
devant le Tribunal de première instance de Genève une action
en réduction et en rapport contre les autres membres de sa
famille énumérés sous lettre A ci-dessus et contre la fonda-
tion, celle-ci détenant à ses yeux l'essentiel des actifs
successoraux.

   Par jugement sur partie du 17 mars 1998, le tribunal
de première instance a dit et constaté que le patrimoine de
la fondation ne faisait pas partie de la succession de P.
V. C.________ et qu'en conséquence il ne devait pas être pris
en compte dans les calculs relatifs au partage de cette suc-
cession.

   Par arrêt du 11 décembre 1998, la Cour de justice du
canton de Genève a confirmé le jugement de première instance,

en précisant toutefois que, conformément à ses considérants,
la réduction successorale portait sur les versements de la
fondation aux seconds bénéficiaires.

   C.-  J.-M. C.________ a formé un recours de droit
public pour violation des art. 4, 22ter aCst. féd. et 6 Cst.
gen., concluant à l'annulation de l'arrêt de la Cour de jus-
tice et au renvoi de la cause à cette dernière.

         J.-P. et M. C.________, ainsi que la fondation ont
conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.
J.-J., I., C.-H., M.-A., S. et E. C.________ ont renoncé à
déposer un mémoire de réponse.

         La requête d'effet suspensif présentée par le recou-
rant a été considérée comme dépourvue d'objet, vu le dépôt
parallèle d'un recours en réforme suspendant de plein droit
l'exécution de l'arrêt attaqué (art. 54 al. 2 OJ).

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Selon l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle
générale à l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit
connu sur le recours de droit public. Il n'y a pas lieu, en
l'espèce, de déroger à ce principe.

   2.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 120
Ia 101 consid. 1; 120 Ib 27 consid. 2, 70 consid. 1, 97 con-
sid. 1 et les arrêts cités).

     a) Le recours de droit public est recevable à l'encontre
des décisions prises en dernière instance cantonale (art. 86

al. 1 OJ). Celui formé pour violation de l'art. 4 aCst. n'est
toutefois recevable que contre une décision finale; il n'est
recevable contre une décision incidente que s'il en résulte
un dommage irréparable pour l'intéressé (art. 87 OJ). Cepen-
dant, cette disposition ne s'applique pas lorsque le recou-
rant soulève, à côté de la violation de l'art. 4 aCst., un
autre grief qui ne se révèle pas manifestement irrecevable ou
mal fondé ou qui, dans la situation litigieuse, a une portée
indépendante par rapport au grief de violation de l'art. 4
aCst. (ATF 117 Ia 247 consid. 2, 336 consid. 1a).

    Le recourant invoque la violation du droit d'être
entendu garanti par l'art. 4 aCst., l'application arbitraire
du droit français ainsi que la violation de la garantie de la
propriété (art. 22ter aCst. et art. 6 Cst. gen.). Ce dernier
grief est manifestement irrecevable: il n'a, d'une part, tel
qu'il est formulé, pas de portée indépendante par rapport à
celui d'application arbitraire du droit français; d'autre
part, la garantie de la propriété ne peut être directement
invoquée dans un litige entre particuliers relevant des lois
civiles; ce sont en effet celles-ci qui protègent l'individu
contre des atteintes que d'autres sujets de droit privé pour-
raient porter à ses droits constitutionnels (ATF 107 Ia 277
consid. 3a p. 280; Aubert, Traité de droit constitutionnel
suisse, supplément 1967-1982, p. 201, nos 1743-1745).

   Vu l'irrecevabilité manifeste du grief de violation
de la garantie de la propriété, la recevabilité du recours
doit être examinée au regard de l'art. 87 OJ.

   b) En confirmant le jugement sur partie de première
instance, qui ne statuait que sur certaines des conclusions
au fond du recourant, la Cour de justice a rendu un jugement
partiel, qualifié par la jurisprudence constante de décision
incidente (ATF 116 II 80 consid. 2b p. 82; 106 Ia 226 consid.

2 et les arrêts cités). Une telle décision n'entraîne pas de
dommage irréparable au sens de l'art. 87 OJ si elle peut être
attaquée ultérieurement devant le Tribunal fédéral en même
temps que la décision au fond (ATF 118 II 369 consid. 1 p.
371; 117 Ia 247 consid. 3 p. 249; 116 II 80 consid. 2c p.
83).

         La jurisprudence admet la recevabilité du recours en
réforme au Tribunal fédéral contre un jugement partiel lors-
que celui-ci tranche au fond, et de manière définitive en
procédure cantonale, le sort d'une prétention qui aurait pu
faire à elle seule l'objet d'un procès distinct et dont le
jugement est préjudiciel à celui des autres conclusions enco-
re litigieuses (ATF 117 II 349 consid. 2a et arrêts cités).
Tel est le cas de l'arrêt attaqué, qui rejette définitivement
en dernière instance cantonale les conclusions du demandeur
visant à faire constater que le patrimoine de la fondation
fait partie de la succession litigieuse et doit être pris en
compte dans les calculs relatifs au partage de celle-ci. Cet-
te décision a un effet préjudiciel quant aux conclusions qui
n'ont pas été tranchées par la cour, car le montant de la ré-
serve de chaque héritier dépend de l'étendue de la masse suc-
cessorale (art. 913 du Code civil français, ci-après: CCF).
Dès lors que, selon le droit de procédure civile genevois, le
jugement sur partie entre en force s'il n'est pas attaqué par
un recours en réforme au Tribunal fédéral (Bertossa/Gail-
lard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile gene-
voise, n. 4 ad art. 143), le recourant n'aura plus la possi-
bilité d'attaquer la décision partielle en même temps que la
décision finale devant le Tribunal fédéral. L'arrêt attaqué
est donc susceptible d'entraîner pour lui un dommage juridi-
que irréparable, de sorte le présent recours est recevable
sous l'angle de l'art. 87 OJ.

   3.- Le recourant dénonce la violation de son droit
d'être entendu tel qu'il découle, non pas de normes du droit
cantonal, mais directement de l'art. 4 aCst.

   a) La jurisprudence a déduit du droit d'être enten-
du, en particulier, le droit pour le justiciable de s'expli-
quer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment (ATF
124 I 49 consid. 3a p. 51; 122 I 53 consid. 4a, 109 consid.
2a; 114 Ia 97 consid. 2a et les arrêts cités). Une partie n'a
cependant pas le droit, en principe, de se prononcer sur
l'appréciation juridique des faits ni, plus généralement, sur
l'argumentation juridique à retenir (ATF 108 Ia 295 consid.
4c). Toutefois, ce droit doit être reconnu et respecté lors-
que le juge envisage de fonder sa décision sur une norme ou
un motif juridique non évoqué dans la procédure antérieure et
dont aucune partie en présence ne s'est prévalue et ne pou-
vait supputer la pertinence in casu (ATF 114 Ia 97 consid. 2a
p. 99).

   b) A l'appui de son grief, le recourant soutient
qu'en jugeant "inconcevable de condamner l'un ou l'autre des
seconds bénéficiaires à restituer, du moins en valeur, des
biens qu'il n'a pas encore reçus", la Cour de justice a com-
mis une première violation de son droit d'être entendu dès
lors que ce moyen n'a été l'objet d'aucun débat contradictoi-
re, que les parties ne l'ont pas invoqué et qu'il a donc été
soulevé d'office sans que celles-ci se soient vu accorder la
faculté de s'exprimer sur sa pertinence.

   L'arrêt expose qu'en ce qui concerne la réduction,
il ne faut pas perdre de vue qu'en vertu des statuts de la
fondation, ses bénéficiaires ne disposent d'aucun droit à son
égard pour ce qui concerne la distribution de biens (§ 7,
lit. b des statuts), que celui qui conteste d'une quelconque
manière les statuts complémentaires du 20 juin 1995 perd même

sa qualité de bénéficiaire au profit des bénéficiaires prévus
pour le cas de son décès (§ 6 des statuts complémentaires),
qu'il paraît inconcevable de condamner l'un ou l'autre des
seconds bénéficiaires à restituer, du moins en valeur, des
biens qu'il n'a pas (encore) reçus et à l'attribution des-
quels il n'a aucun droit juridiquement protégé, que la libé-
ralité du défunt ne prend donc naissance, pour chaque second
bénéficiaire, qu'au moment du versement effectif des fonds
qui lui sont destinés, sans qu'il y ait droit, qu'il est donc
exact que l'on ne saurait prendre en considération le patri-
moine de la fondation, en tant que tel, dans le calcul de la
masse des biens du défunt au jour de son décès, et dans le
calcul des réserves et de la quotité disponible, qu'à fortio-
ri, on ne saurait condamner la fondation à distribuer son pa-
trimoine, selon certaines modalités, aux héritiers du défunt.

     Ainsi, la Cour de justice a simplement appliqué le
droit en prenant en considération les dispositions statutai-
res déterminant la position des seconds bénéficiaires envers
la fondation; elle a donc procédé à l'appréciation juridique
des faits. Les parties n'étant pas habilitées à se prononcer
sur une telle opération, le grief soulevé sur ce point s'avè-
re par conséquent mal fondé.

   c) Le recourant reproche à la Cour de justice d'a-
voir, dans le même contexte, commis une autre violation du
droit d'être entendu en raisonnant par application du droit
du Liechtenstein, sans avoir donné préalablement l'occasion
aux parties de se prononcer tant sur l'application de ce
droit au cas d'espèce que sur son interprétation.

    Le juge suisse applique du droit étranger lorsqu'il
statue selon le droit matériel objectif étatique en vigueur
dans l'Etat étranger (B. Dutoit, Droit international privé
suisse: commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987,
n. 2 ad art. 13; Heini/Keller/Siehr/Vischer/Volken, Kommentar

zum IPRG n. 2 ad art. 13; cf. également Commentaire bâlois,
n. 7 ad art. 13). Les statuts d'une fondation ou d'une socié-
té constituée en application du droit privé ne font pas par-
tie du droit étatique, car il ne s'agit pas de normes créées
par l'Etat, mais de règles établies par les organes d'une
personne morale de droit privé. La Cour de justice n'a donc
pas appliqué le droit du Liechtenstein en examinant la posi-
tion des seconds bénéficiaires à la lumière des statuts de la
fondation. Le grief du recourant tombe ici à faux.

    4.-  Le recourant soulève le grief d'application ar-
bitraire du droit français, en particulier des art. 913, 920
et 922 CCF. Il reproche en substance à la Cour de justice
d'avoir jugé à tort que le patrimoine de la fondation ne de-
vait pas être pris en compte dans la masse des biens du dé-
funt déterminante pour le calcul de la quotité disponible.

   a) De jurisprudence constante, l'application du
droit étranger échappe à la connaissance du Tribunal fédéral
lorsqu'il statue sur un recours en réforme (ATF 114 II 183
consid. 2c p. 188; 113 II 102 consid. 2b). La révision de la
loi fédérale d'organisation judiciaire n'a pas modifié cet
état de choses en ce qui concerne les contestations civiles
portant sur un droit de nature pécuniaire (cf. art. 43a al. 2
OJ a contrario), contestations au nombre desquelles il faut
compter l'action en rapport et en réduction. L'application du
droit étranger dans de telles contestations ne peut pas non
plus être soumise au contrôle du Tribunal fédéral par la voie
du recours en nullité au sens des art. 68 ss OJ (Poudret, COJ
II, p. 647, n. 7 ad art. 68). Le grief d'application arbi-
traire du droit français est dès lors recevable en vertu de
la règle de subsidiarité posée par l'art. 84 al. 2 OJ.

   b) Le recourant se fonde notamment sur un avis de
droit du professeur Yves Lequette du 22 janvier 1999, donc
postérieur à l'arrêt attaqué. Toutefois, devant la juridic-

tion cantonale, il s'est appuyé sur un précédent avis de
droit du même professeur, daté du 22 mai 1998 et préconisant
la même solution au problème juridique posé.

         Dans les recours de droit public dirigés contre des
décisions de dernière instance cantonale au sens des art. 86
et 87 OJ, le Tribunal fédéral admet la production d'exper-
tises juridiques visant uniquement à renforcer et à déve-
lopper le point de vue du recourant, pour autant que ces
pièces soient déposées dans le délai de recours (ATF 108 II
69 consid. 1 p. 71 et les arrêts cités). Tel est le cas de
l'avis de droit produit avec le présent recours et confir-
mant, en le complétant, celui produit en instance cantonale.
Le recourant ne se contente d'ailleurs pas seulement d'y
renvoyer, sans autre motivation, mais il s'y réfère en le
résumant et en en reproduisant les conclusions, afin de
conforter son argumentation (cf. ATF 81 I 52 consid. 1).

         c) Selon la jurisprudence, une décision est arbi-
traire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît
gravement une norme ou un principe juridique clair et indis-
cuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité (ATF 120 Ia 369 consid. 3a et les
arrêts cités, 119 Ia 433 consid. 4). Il ne suffit pas que sa
motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision
apparaisse arbitraire dans son résultat (120 Ia 369 consid.
3a et les arrêts cités). A cet égard, le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît in-
soutenable, en contradiction manifeste avec la situation ef-
fective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un
droit certain (ATF 122 III 130 consid. 2a p. 131; 121 I 113
consid. 3a et les arrêts cités, 120 Ia 31 consid. 4b et les
arrêts cités). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une
autre solution paraît également concevable, voire même préfé-
rable (ATF 123 I 1 consid. 4a p. 5; 122 III 130 consid. 2a p.
131; 121 I 113 consid. 3a).

   aa) En droit successoral français, la quotité dispo-
nible est d'un quart lorsque le de cujus laisse au moins
trois enfants légitimes ou naturels (art. 913 CCF). En vertu
de l'art. 920 CCF, les dispositions soit entre vifs, soit à
cause de mort, qui excéderont la quotité disponible, seront
réductibles à cette quotité lors de l'ouverture de la succes-
sion. Selon l'art. 922 CCF, la réduction se détermine en for-
mant une masse de tous les biens existant au décès du dona-
teur ou testateur (al. 1); on y réunit fictivement, après en
avoir déduit les dettes, les biens dont il a été disposé par
donation entre vifs (al. 2) et on calcule sur tous ces biens,
eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est
la quotité dont le défunt a pu disposer (al. 3). Ces règles
de calcul de la réserve et de la quotité disponible sont im-
pératives (Code Civil Dalloz, 97/99, n. 1 ad art. 922 CCF;
Philippe Malaurie, Droit civil, Les successions/Les libérali-
tés, éd. 1995/1996, p. 336 n. 45 ad ch. 626). A l'actif du
patrimoine du de cujus au jour du décès doit figurer l'ensem-
ble des biens dont il est resté propriétaire jusqu'alors et y
sont donc inclus les biens dont il a disposé à cause de mort,
biens légués mais aussi les biens ayant fait l'objet d'une
institution contractuelle (François Terré/Yves Lequette,
Droit civil, Les successions/Les libéralités, Précis Dalloz,
3e éd. 1997, p. 800 s. n° 996). La réunion prévue à l'art.
922 al. 2 CCF est purement comptable et ne préjuge ni du rap-
port ni de la réduction (Malaurie, loc. cit.); il s'agit de
reconstituer l'hérédité comme si le défunt n'avait pas con-
senti de libéralités entre vifs et toutes les donations sont
prises en considération, peu importe la qualité du gratifié,
tiers ou héritier, ou le caractère de la libéralité, précipu-
taire ou rapportable, donation ordinaire ou non (Terré/Le-
quette, op. cit., p. 801 s. n° 997).

   bb) En 1906, le Tribunal civil de la Seine a jugé
qu'il y avait lieu, en application de l'art. 922 CCF, de réu-

nir fictivement à la masse de la succession du défunt pour
calculer la quotité disponible un paquet d'actions transféré
gratuitement du patrimoine du de cujus à celui d'un trust
constitué par lui (cf. Journal du droit international privé,
37/1910, p. 1229, spécialement p. 1244, affaire Sohège c/
Singer). En 1970, la Cour d'appel de Paris a jugé que les
droits acquis par les bénéficiaires d'un trust pouvaient être
remis en question dans le cadre de la loi successorale fran-
çaise, dans la mesure où ils portaient atteinte aux règles
d'ordre public relatives à la réserve (Revue critique de
droit international privé, 60/1971, p. 518, affaire époux
Courtois et autres c/ consorts de Ganay). En 1986, la Cour de
cassation a retenu que les fonds transférés par le de cujus à
une fondation du Liechtenstein pour être remis, le jour de
son décès, aux trois bénéficiaires désignés par lui - ses
trois soeurs - faisaient partie de la masse des biens devant
servir au calcul de la réserve héréditaire de sa fille et
pouvaient être l'objet d'une action en réduction (Revue cri-
tique de droit international privé, 75/1986, p. 685 ss, af-
faire Holzberg c/ Sasson et autres). En 1996, la Cour de cas-
sation a qualifié de donation indirecte, prenant date au mo-
ment du décès de son auteur, l'opération consistant en la
constitution d'un trust auquel celui-ci avait transféré une
partie de son patrimoine pour en percevoir les revenus sa vie
durant, tout en chargeant le trustee de le remettre, au jour
du décès, au bénéficiaire désigné par lui à cette date (Revue
critique de droit international privé, 86/1996, p. 692 s. et
Recueil Dalloz Sirey, jurisprudence, 1996/I, p. 390, affaire
Zieseniss). Dans cette même affaire, la Cour d'appel de Paris
a jugé en 1999 que les donations consenties entre 1962 et
1964 devaient s'imputer sur la quotité disponible avant les
libéralités résultant du trust constitué en 1953 et que, dès
lors, ces libéralités devaient être réduites avant les dona-
tions susdites (Recueil Dalloz 1999, partie jurisprudence, p.
683 s.).

   cc) La doctrine et la jurisprudence exposées ci-des-
sus montrent que le patrimoine d'une fondation liechtenstei-
noise ou d'un trust américain, constitué par le de cujus de
son vivant et dont il est lui-même bénéficiaire jusqu'à son
décès, doit être réuni fictivement à la masse des biens de sa
succession pour calculer la quotité disponible, respective-
ment la réserve des héritiers, que ceux-ci soient ou non les
bénéficiaires de l'institution après le décès de son fonda-
teur. Il en ressort aussi que la prise en compte dudit patri-
moine a pour seul but de déterminer la quotité disponible et
de contrôler si le défunt a respecté la réserve des héri-
tiers, cette démarche ne préjugeant en rien de l'éventuelle
obligation de rapport ou d'éventuelles réductions des grati-
fications prévues par les statuts de la personne morale.

         En l'espèce, la Cour de justice ne fonde le refus de
prendre en compte le patrimoine de la fondation pour déter-
miner la quotité disponible sur aucun motif objectif. Le fait
que les statuts de la fondation ne reconnaissent aux bénéfi-
ciaires aucun droit en matière de distribution des biens et
qu'ils prévoient, pour celui qui les conteste, la perte de sa
qualité de bénéficiaire, ne saurait faire obstacle à une tel-
le prise en compte. Ajouter fictivement à la masse successo-
rale le patrimoine de la fondation, afin de déterminer la ré-
serve héréditaire et la quotité disponible, n'emporte pas en
soi la condamnation de l'un ou l'autre des seconds bénéfi-
ciaires à restituer, du moins en valeur, des biens qu'il n'a
pas encore reçus et à l'attribution desquels il n'a aucun
droit juridiquement protégé, pas plus que la condamnation de
la fondation à distribuer son patrimoine aux héritiers selon
certaines modalités. De telles condamnations présupposent en
effet d'abord une violation de la réserve héréditaire par les
libéralités du défunt, puis l'impossibilité de la reconsti-
tuer par la réduction des libéralités à cause de mort, atten-
du qu'aux termes de l'art. 923 CCF il n'y aura jamais lieu à
réduire les donations entre vifs qu'après avoir épuisé la va-

leur de tous les biens compris dans les dispositions testa-
mentaires. La décision attaquée est donc arbitraire non seu-
lement parce qu'elle ne repose sur aucun motif objectif, mais
encore parce qu'elle aboutit à un résultat arbitraire: le re-
fus de prendre en compte le patrimoine de la fondation empê-
che en effet d'arrêter la quotité disponible, de contrôler si
la réserve héréditaire est respectée et, partant, de statuer
sur l'action en réduction introduite par le recourant.

   5.-  Il résulte de ce qui précède que le recours
doit être admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt
attaqué annulé. Les intimés qui ont conclu au rejet du re-
cours doivent supporter solidairement les frais de justice et
l'indemnité à verser au recourant à titre de dépens (art. 156
al. 1 et 7, 159 al. 1 et 5 OJ). Les intimés qui n'ont pas
produit de réponse, ni provoqué non plus l'arrêt présentement
cassé, mais qui s'en sont remis à justice, ne sauraient être
assimilés à des parties qui succombent (cf. Messmer/Imboden,
Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, Zurich 1992,
p. 35 ch. 27 et n. 19).

                       Par ces motifs,

            le  T r i b u n a l  f é d é r a l :

   1. Admet le recours dans la mesure où il est receva-
ble et annule l'arrêt attaqué.

   2. Met à la charge des intimés J.-P. C.________ et
M. C.________, solidairement entre eux:
      a) un émolument judiciaire de 10'000 fr.,
      b) une indemnité de 10'000 fr. à verser au
               recourant à titre de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

Lausanne, le 27 mars 2000
FYC/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,