Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.455/1999
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5P.455/1999

                 IIe   C O U R   C I V I L E
                *****************************

                        4 avril 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Braconi.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.________, représenté par Me Bénédict Fontanet, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 4 novembre 1999 par la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
le recourant à dame B.________, représentée par Me Susannah
Maas, avocate à Genève;

           (art. 4 aCst.; mainlevée d'opposition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- a) A.________ exploite à Genève une entreprise
d'études techniques et d'architecture, qu'il représente avec
signature individuelle. En 1990, il a manifesté l'intention
de se lancer dans un projet immobilier à X.________, notam-
ment sur des parcelles sises à la route de XXX, dont il est
propriétaire; à cet effet, il est entré en contact avec dame
B.________, elle-même propriétaire d'une parcelle voisine. En
1992, le Département des Travaux Publics a adopté un plan de
quartier englobant les parcelles des parties, approuvé le 28
juillet 1993 par le Conseil d'Etat genevois.

     Le 27 mars 1996, A.________ a adressé aux "propriétaires
rte de XXX" une note d'honoraires d'architecte d'un montant
global de 1'230'000 fr., à savoir 12'300 fr.40 par "unité
d'honoraires"; le même jour, il a établi au nom de dame
B.________ une facture de 32'876 fr.55, relative à ses pres-
tations "pour l'obtention du plan localisé de quartier entré
en force".

     b) Le 2 avril 1996, les parties ont signé devant notaire
une promesse de constitution de servitudes. Aux termes de cet
acte, dame B.________ s'est engagée à constituer, à première
demande, une servitude de non-bâtir en faveur de la parcelle
de A.________; en contrepartie, ce dernier s'est engagé à
constituer une servitude de maintien du mur se trouvant le
long de la limite séparative des fonds. La servitude de non-
bâtir a été consentie moyennant versement, par A.________,
d'une indemnité de 350'000 fr., "exigible et payable à la si-
gnature de l'acte constitutif, d'une part, et la constitution
de la servitude de maintien du mur, d'autre part". Sous la
rubrique "Conditions", A.________ s'est réservé la faculté

de ne pas donner suite à son engagement d'acquérir les droits
à bâtir pour le cas où il n'obtiendrait pas, d'ici le 31 mars
1997 au plus tard: "... d) l'accord du créancier hypothécaire
du fonds grevé d'être primé par la susdite servitude de non-
bâtir"; une clause insérée en marge du texte, sous cette même
rubrique (ch. 4), accorde en outre à l'intéressé le droit "de
compenser, à due concurrence, le paiement du prix susconvenu
avec sa facture de TRENTE MILLE FRANCS (Fr. 30'000.--) que
lui doit Madame B.________ pour la mise en valeur de sa par-
celle".

     Le créancier hypothécaire s'est opposé au transfert des
droits à bâtir, si bien que l'acte définitif de constitution
de la servitude n'a pas été établi.

     B.- A.________ a fait notifier à dame B.________, le 4
mai 1999, un commandement de payer la somme de 30'000 fr.,
plus intérêts à 5% dès le 27 mars 1996, auquel la poursuivie
a formé opposition totale.

     Par jugement du 20 juillet 1999, le Tribunal de première
instance de Genève a levé provisoirement l'opposition; saisie
d'un appel de la poursuivie, la Cour de justice du canton de
Genève a, le 4 novembre 1999, annulé ce prononcé et débouté
le poursuivant des fins de sa requête.

     C.- Agissant par la voie du recours de droit public au
Tribunal fédéral, A.________ conclut à l'annulation de cet
arrêt.

     L'intimée propose le rejet du recours dans la mesure de
sa recevabilité.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- a) Interjeté en temps utile contre une décision qui
refuse en dernière instance cantonale la mainlevée provisoire
de l'opposition (ATF 111 III 8 consid. 1 p. 9 et les arrêts
cités), le présent recours est recevable du chef des art. 86
al. 1, 87 et 89 al. 1 OJ.

     b) Dans le cadre d'un recours de droit public fondé sur
l'arbitraire (art. 4 aCst. et 9 nCst.), le Tribunal fédéral
ne prend pas en considération les moyens de fait et de droit
qui n'ont pas été soumis à l'autorité cantonale; cette règle
vaut également pour l'auteur de la réponse (ATF 118 III 37
consid. 2a in fine p. 39 et les références citées). Partant,
sont irrecevables les allégations de l'intimée au sujet des
circonstances ayant entouré la signature de la reconnaissance
de dette.

     2.- Après avoir expressément retenu que le poursuivant
était bien au bénéfice d'une reconnaissance de dette consta-
tée par acte authentique, la Cour de justice a considéré, en
substance, que cet acte n'en était pas moins conditionnel et
que sa caducité, par suite du refus du créancier hypothécaire
de consentir au transfert des droits à bâtir, avait entraîné
celle de l'engagement de la poursuivie.

     a) En premier lieu, le recourant reproche à l'autorité
cantonale d'avoir substitué sa propre appréciation à celle du
magistrat de première instance, sans démontrer que l'opinion
de ce dernier aurait été "insoutenable".

     Cette argumentation ne saurait être suivie. Saisie d'un
appel extraordinaire pour violation de la loi (art. 292 al. 1
let. c LPC/GE) - voie de recours ouverte contre les jugements
de mainlevée d'opposition (ATF 106 Ia 88 consid. 1 p. 90/91;

André Schmidt, Jurisprudences récentes du Tribunal fédéral et
de la Cour de justice en matière de mainlevée provisoire, in
SJ 1995 p. 329 n° 49) -, la Cour de justice revoit librement
l'appréciation juridique des faits et l'interprétation de la
loi; contrairement à ce qui était le cas dans l'arrêt publié
aux ATF 116 III 70 ss, sa cognition n'est donc pas restreinte
à l'arbitraire ou à la violation "manifeste" du droit (idem,
Le pouvoir d'examen en droit de la Cour en cas d'appel pour
violation de la loi en procédure civile genevoise, in SJ 1995
p. 521 ss et les nombreuses citations).

     b) En second lieu, le recourant se plaint d'arbitraire
dans l'application de l'art. 82 LP. Ce grief est fondé.

     La clause litigieuse est, en soi, étrangère à la nature
de l'opération conclue le 2 avril 1996, dont l'objet était la
promesse de constituer une servitude moyennant le paiement
d'une indemnité. Si l'acte authentique est bien conditionnel,
c'est uniquement par rapport à l'engagement du recourant de
verser cette indemnité, lequel était subordonné à l'accord du
créancier gagiste d'être primé par la servitude, et au droit
d'exercer la compensation. L'obligation de l'intimée de payer
la somme de 30'000 fr. est, quant à elle, inconditionnelle et
avait en outre sa cause dans les prestations fournies par le
recourant - vraisemblablement sur la base d'un mandat - "pour
la mise en valeur de sa parcelle" (Walter Yung, Le contenu
des contrats formels, in SJ 1965 p. 625 ss et les références
citées). Il était, certes, loisible aux parties de manifester
leur volonté d'établir un lien de dépendance entre les deux
accords (Yung, op. cit., p. 633 ss et les références citées);
toutefois, une telle intention n'a pas été constatée par les
magistrats cantonaux, qui se sont, au contraire, référés à la
seule "théorie générale du droit des obligations".

     C'est en vain que l'intimée invoque un arrêt cantonal
d'après lequel la mainlevée provisoire doit être refusée sur
la base d'une pièce, dont un passage isolé constituerait une
reconnaissance de dette, si cette reconnaissance est, pour le
surplus de l'acte, entourée de conditions ou de réserves (JdT
1969 II 64). Cette jurisprudence signifie simplement que le
poursuivant ne peut se prévaloir d'un passage de l'acte qui
lui est favorable, sans tenir compte des conditions ou des
réserves dont le poursuivi a assorti sa promesse (JdT 1923 II
63); or, en l'espèce, l'engagement de l'intimée est - comme
on l'a vu - pur et simple, la condition liée au consentement
du créancier gagiste ne grevant que l'obligation du recourant
de verser une indemnité en contrepartie de l'octroi de la
servitude et la faculté d'objecter la compensation.

     3.- En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt
attaqué annulé, avec suite de frais et dépens à la charge de
l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

     2. Met à la charge de l'intimée:
     a) un émolument judiciaire de 2'500 fr.,
     b) une indemnité de 2'500 fr. à payer
        au recourant à titre de dépens.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du
canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 4 avril 2000
BRA/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,