Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.371/1999
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5P.371/1999

                 IIe   C O U R   C I V I L E
                *****************************

                        21 mars 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et
Mme Nordmann, juges. Greffier: M. Braconi.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

S.________ Corporation, représentée par Me Bernard Vischer,
avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 2 septembre 1999 par la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à  B.________ SA, représentée par Me Alain
Lévy, avocat à Genève;

           (mainlevée définitive de l'opposition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- Par sentence partielle du 15 août 1997, un tribunal
arbitral londonien a condamné B.________ SA à verser à
S.________ Corporation la somme de 1'146'663,58 US$, sous
suite d'intérêts et de dépens (arrêtés à 6'005 £). Se fondant
sur cette sentence, S.________ Corporation a requis la Haute
Cour de Justice de Londres d'ordonner la mise en liquidation
de la débitrice, requête qui fut admise le 2 février 1998; la
Cour d'appel de Londres a, toutefois, annulé cette décision
le 31 juillet 1998.

     B.- Le 15 mars 1999, S.________ Corporation a fait noti-
fier à B.________ SA un commandement de payer les sommes de
1'685'486 fr.60 et 14'021 fr.68, toutes deux avec intérêts à
7,5% l'an dès le 16 août 1997, auquel la poursuivie a formé
opposition totale. Par jugement du 10 juin 1999, le Tribunal
de première instance de Genève a prononcé l'exequatur de la
sentence arbitrale ainsi que la mainlevée définitive; saisie
d'un appel de la poursuivie, la Cour de justice du canton de
Genève a, le 2 septembre 1999, annulé la décision entreprise
et rejeté la requête de mainlevée.

     C.- Agissant par la voie du recours de droit public au
Tribunal fédéral, S.________ Corporation conclut, en substan-
ce, à l'annulation de cet arrêt et à l'octroi de la mainlevée
définitive. L'intimée propose le rejet du recours et la con-
firmation de la décision attaquée.

     Par ordonnance du 4 novembre 1999, le Président de la
IIe Cour civile a invité la recourante à déposer le montant
de 15'000 fr. en garantie des dépens de la partie adverse.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- a) Saisi d'un recours de droit public pour violation
d'une convention internationale (art. 84 al. 1 let. c OJ), en
l'occurrence la Convention de New York, du 10 juin 1958, pour
la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales
étrangères (RS 0.277.12), applicable en vertu du renvoi de
l'art. 194 LDIP (cf. par exemple: arrêt non publié de la IIe
Cour civile du 25 juin 1991, in: SJ 1991 p. 611), le Tribunal
fédéral revoit librement l'application du traité (ATF 119 II
380 consid. 3b p. 382/383 et les arrêts cités); il n'examine,
en revanche, que sous l'angle restreint de l'arbitraire celle
des art. 80/81 LP (ATF 125 III 386 consid. 3a p. 388 et les
arrêts cités).

     b) Dans le cadre d'un recours fondé sur l'art. 84 al. 1
let. c OJ, le Tribunal fédéral peut être requis non seulement
d'annuler la décision attaquée, mais également de prononcer
la mainlevée lorsque la situation est claire (ATF 120 Ia 256
consid. 1b p. 257; 116 II 625 consid. 2 p. 627 et les arrêts
cités; critique: Gerber, La nature cassatoire du recours de
droit public, thèse Genève, Bâle/Francfort 1997, p. 302 ss,
avec d'autres références); le chef de conclusions tendant à
l'octroi de la mainlevée définitive est ainsi, en principe,
recevable. Si la cour de céans ne devait, cependant, admettre
le présent recours que pour violation de l'art. 4 aCst., elle
ne pourrait qu'annuler l'arrêt déféré et renvoyer l'affaire à
l'autorité inférieure pour qu'elle statue à nouveau (ATF 98
Ia 527 consid. 6 p. 537 et la jurisprudence citée).

     2.- S'appuyant sur la décision de la Cour d'appel de
Londres, la Cour de justice a considéré que les magistrats
britanniques, s'ils n'avaient pas remis en cause la validité
formelle et matérielle de la sentence partielle, lui avaient,
néanmoins, dénié tout effet exécutoire en Angleterre jusqu'à

droit connu sur la demande reconventionnelle de l'intimée; il
appartenait dès lors au juge (suisse) de mainlevée d'en faire
autant, sauf à parvenir au résultat inadmissible d'autoriser
l'exécution forcée en Suisse d'une sentence arbitrale régie
par la common law, lors même que les juges anglais ont refusé
d'y voir un titre apte à permettre la mise en liquidation de
la poursuivie. L'autorité précédente a estimé, de surcroît,
que la sentence arbitrale pouvait être qualifiée de décision
soumise à la condition suspensive du rejet des conclusions
reconventionnelles de l'intimée; or, la poursuivante n'a pas
rapporté la preuve de l'avènement de cette condition.

     a) On peut se demander, avec la recourante, si la cour
cantonale n'a pas refusé l'exequatur de la sentence arbitrale
anglaise pour un motif tiré de l'ordre public suisse (art. V
al. 2 let. b Convention de New York); l'intimée nie, quant à
elle, que l'autorité inférieure ait entendu se fonder sur ce
motif. Si, néanmoins, tel était le cas, cette opinion serait
sans doute erronée (cf. arrêt de la Cour de justice du canton
de Genève du 11 décembre 1997, in: Bull. ASA 1997 p. 672/673
et in: RSDIE 1998 p. 610 let. b; pour la compensation: ATF 97
I 151 consid. 5a p. 157 ss).

     b) A la lecture de l'arrêt attaqué, on ne discerne pas
avec précision si le motif principal - tiré du jugement de la
Cour d'appel de Londres - se fonde sur le droit conventionnel
ou sur le droit interne, aucune norme légale n'étant citée à
ce propos. Les plaideurs partent du principe que ce motif est
déduit de l'art. V al. 1 let. e de la Convention de New York,
en vertu duquel la reconnaissance et l'exécution doivent être
refusées lorsque la sentence a été suspendue par une autorité
compétente du pays dans lequel, ou d'après la loi duquel, la
sentence a été rendue. Bien qu'on puisse en douter - d'autant
que la cour cantonale prétend avoir recouru à un argument qui
a "échappé aux parties et au juge de la mainlevée" -, il y a

lieu d'examiner le moyen sous cet angle (cf. ATF 122 III 353
consid. 3b/aa p. 354/355).

     Selon la doctrine, cette norme couvre l'hypothèse dans
laquelle une autorité, "observant qu'un vice est susceptible
d'affecter la sentence, fait obstacle à son exécution jusqu'à
ce que la question soit tranchée au fond par le juge saisi
d'une demande d'annulation" (cf. Fouchard/Gaillard/Goldman,
Traité de l'arbitrage commercial international, n° 1690 et la
référence citée). Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. Les
magistrats de la Cour d'appel de Londres n'ont pas remis en
cause la validité de la sentence comme telle, soulignant, au
contraire, qu'elle avait été rendue "conformément à la règle
bien établie que le fret doit être payé sans aucune déduction
de quelque nature que ce soit" (Juge Nourse). Ils n'ont pas
non plus suspendu formellement la sentence (cf. van den Berg,
The New York Convention: Summary of Court Decisions, in: ASA
Special Series No. 9 p. 90 ["that the suspension of the award
has been effectively ordered by a court in the country of
origin"]; Paulsson, The New York Convention in International
Practice, ibidem, p. 112 ["a specific decision by a court in
the country of origin to suspend the execution of the award
of witch enforcement is claimed"]); c'est uniquement la mise
en liquidation de la débitrice qui a été refusée, conséquence
qui se fût révélée excessivement rigoureuse en présence d'une
demande reconventionnelle "sincère et sérieuse" dépassant le
montant de la demande principale; autrement dit, "la capacité
du créancier demandeur d'obtenir exécution contre la société
ne lui donne pas le droit de la faire liquider". A cet égard,
l'autorité cantonale paraît s'être méprise sur l'avis du Juge
Ward. Ce dernier n'a pas déclaré que, "dans le cas d'espèce,
la requête est rejetée parce que la demanderesse ne peut pas
prétendre de façon adéquate qu'elle est créancière"; le texte
original du jugement démontre que cette affirmation se réfère
en réalité à la pratique en matière de créance contestée ("in

the disputed debt case"), cas dans lequel ("in that case") la
mise en liquidation est refusée "parce que la demanderesse ne
peut prétendre de façon adéquate qu'elle est créancière" ("is
dismissed because the petitioner cannot properly claim to be
a creditor"). Le tribunal londonien a, en définitive, rejeté
la requête de "winding-up" comme l'aurait fait un juge suisse
saisi d'une réquisition de faillite (cf. art. 172 ch. 3 LP,
dont l'interprétation est plus stricte: Giroud, in: Kommentar
zum SchKG, vol. II, N 8 et 13 ad art. 172).

     c) C'est aussi avec raison que la recourante qualifie
d'arbitraire le motif subsidiaire - fondé, lui, sur le droit
interne - de la Cour de justice. Comme la jurisprudence l'a
constamment rappelé, le juge de mainlevée n'a ni à revoir, ni
à interpréter le titre qui lui est produit (ATF 124 III 501
consid. 3a p. 503 et les références citées). Or, en l'espèce,
le Tribunal arbitral a clairement prononcé une condamnation
inconditionnelle en paiement du fret, conformément au droit
anglais en ce domaine, sans la subordonner au bien-fondé des
conclusions reconventionnelles; il n'a pas davantage sursis à
la sentence jusqu'à droit connu sur cette réclamation. Quant
à la prétention alléguée par l'intimée, elle ne repose sur
aucun jugement exécutoire au sens de l'art. 80 LP - la Cour
d'appel de Londres n'ayant pas statué sur son mérite -, pas
plus qu'elle n'a été admise sans réserve par la recourante;
partant, elle ne saurait être opposée en compensation (ATF
115 III 97 consid. 4 p. 100 et les citations).

     3.- Vu ce qui précède, le recours doit être admis et la
décision attaquée annulée; les frais et dépens sont assumés
par l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

     On ne peut accueillir pour autant le chef de conclusions
tendant à la mainlevée définitive. En raison de sa solution,
la Cour de justice ne s'est, en effet, pas prononcée sur les

autres moyens de l'intimée, dont l'examen pourrait néanmoins
aboutir à la confirmation du refus de l'exequatur (ATF 112 Ia
353 consid. 3c/bb p. 355) et que la recourante n'avait pas à
discuter dans la présente procédure. La situation n'étant pas
claire (cf. consid. 1b, ci-dessus), il convient, dès lors, de
se limiter à annuler l'arrêt déféré.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

     2. Met à la charge de l'intimée:
     a) un émolument judiciaire de 12'000 fr.,
     b) une indemnité de 15'000 fr. à payer
        à la recourante à titre de dépens.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du
canton de Genève.
                         __________

Lausanne, le 21 mars 2000
BRA/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
            Le Président,           Le Greffier,